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      Genre et guerre : la chaire (masculine) à canon

      Daniel Borrillo · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 30 December, 2022 - 03:50 · 9 minutes

    Depuis la nuit des temps, les hommes sont formatés psychologiquement pour donner leurs vies à la patrie. Tel un sacrifice à Arès , des centaines de millions de jeunes hommes furent immolés sur l’hôtel de l’héroïsme. Le monde grec confondait citoyenneté et statut militaire. Pour les Romains , Romulus – fondateur mythique de leur Cité et incarnation du citoyen romain par excellence – était fils de Mars, dieu des combats.

    Tout au long du Moyen Âge, la guerre fut dominée par la figure du chevalier et les valeurs masculines qui s’y rattachent. Les guerres de croisades depuis l’an mille, tout comme la guerre de Cent Ans et les nombreux conflits dynastiques et de religion au sein de l’Europe constituèrent le scénario répété du sacrifice de millions d’hommes à la Nation. La Révolution , le Consulat, le Premier Empire, la Restauration, le Second Empire et toutes les Républiques baignèrent dans de nombreux conflits armés. Les siècles suivants ne furent pas moins dramatiques : quarante millions d’hommes ont donné leur vie dans les guerres du XX e siècle. Le XXI e siècle sera tout aussi sanglant. Du Darfour à la Syrie, de l’ Afghanistan à la Guinée, du Mali au Sahel, les guerres n’ont jamais cessé et avec elles la mobilisation systématique des jeunes hommes.

    L’assignation à des rôles genrés est particulièrement frappante : les hommes sont « programmés » idéologiquement pour mourir sur le champ de bataille. Il s’agit d’un élément qui structure non seulement le stéréotype masculin mais également la société tout entière au point qu’elle délègue « naturellement » aux hommes la violente tâche d’ôter la vie d’autrui et de donner la sienne pour la patrie.

    Ainsi, par adhésion, par sens du devoir, par patriotisme, par obéissance, par peur ou par résignation, des millions de jeunes ont endossé l’uniforme de soldat et sont partis au front en renonçant à tout : foyer, famille, études, travail, amis… Jean, Pierre, François, Alphonse, Marcel, Louis, Joseph, Raymond… L’absence de prénoms féminins sur les monuments aux morts de nos villages est frappante. Pourtant personne ne s’en étonne. Les vivants ont intégré le monopole masculin sur la mobilité forcée, l’errance et la mort. À tel point que lorsqu’il s’agit de la guerre nous possédons une conviction limitée à propos de la nécessité du changement du système traditionnel des rapports de genre historiquement inégaux entre les femmes et les hommes.

    Héritiers de siècles de conflits armés, les hommes ont été façonnés selon les besoins militaires et ont intégré l’idée sacrificielle de mourir pour la nation.

    Certes les femmes aussi ont connu une mobilisation sans précédent depuis la Première Guerre mondiale et elles n’ont pas non plus été épargnées lors des massacres, des répressions, des génocides et autres atrocités associés à la guerre. Toutefois, leur rôle est bien distinct de celui des hommes. Le modèle patriarcal, celui du père protecteur, du citoyen-soldat et du combattant héroïque imposait et impose encore aux garçons de développer une identité masculine tendant à accepter l’inacceptable : la confiscation des corps pour la guerre. Pour certains, cela peut sembler normal car après tout la guerre est une affaire d’hommes. Pourtant, les femmes, elles, ne se sont pas privées d’enclencher des conflits armés sanglants : de Jeanne d’Arc à Margaret Thatcher, de Marie Tudor à Golda Meir en passant par Brunehilde, Catherine II de Russie ou encore les militantes de l’IRA Marion Coyle et d’Action directe, Nathalie Ménigon, les femmes se révèlent aussi de puissantes chefs de guerre 1 .

    Si depuis la Seconde Guerre mondiale, les femmes peuvent s’exposer au feu de l’ennemi, c’est toujours dans le cadre d’un recrutement professionnel et volontaire. Toutefois, elles demeurent très minoritaires dans les armées européennes 2 : 5 % en Italie, 12 % en Espagne et 15 % en France et il a fallu une condamnation de la Cour de justice de l’Union européenne en 2000 pour que l’Allemagne autorise les femmes à participer aux combats armés en tant que professionnelles. Toutefois, l’obligation de service militaire n’est pas étendue aux femmes. En Europe, seule la Norvège dispose de la conscription féminine.

    En matière militaire, les femmes ont obtenu progressivement les mêmes droits sans se voir pour autant soumises aux mêmes devoirs. Le cas de l’Ukraine en est une illustration. Le pays avait aboli le service militaire en 2013 pour laisser place à une armée professionnelle. Cependant quelques mois plus tard, l’égalité de sexes est rompue avec le rétablissement de la conscription obligatoire pour faire face à la guerre du Donbass.

    La suite de la guerre d’Ukraine constitue un nouvel exemple de cette asymétrie de genre. Le jeudi 24 février 2022, le président Zelensky a décrété la mobilisation militaire générale afin de répondre à l’invasion russe démarrée plus tôt dans la journée : les hommes ukrainiens entre dix-huit et soixante ans ont depuis l’interdiction de quitter le pays. La loi martiale stipule que tous ceux soumis « à la conscription militaire et des réservistes », se trouvent dans l’obligation de prendre les armes. De même, le 21 septembre Poutine a annoncé la mobilisation forcée de trois cent mille réservistes (sur un potentiel de vingt-cinq millions mobilisables). Le service militaire est obligatoire aussi bien en Russie qu’en Ukraine pour tous les garçons à l’âge de dix-huit ans. De même, face au risque d’une guerre avec la Chine, Taïwan vient d’annoncer que la durée du service militaire obligatoire pour tous les hommes nés après le 1er janvier 2005 va être portée à un an, contre quatre mois actuellement.

    Cette réalité n’est nullement inédite : en 1914, pour la Première Guerre mondiale et en 1939, pour la Seconde, plusieurs pays européens, dont la France, avaient décrété la mobilisation générale en envoyant de centaines de milliers de jeunes au front.

    L’article 18 de la loi du 7 août 1913 sur le recrutement de l’armée précisait :

    « Tout Français reconnu propre au service militaire fait partie successivement : de l’armée active pendant trois ans ; de la réserve de l’armée active pendant onze ans ; de l’armée territoriale pendant sept ans ; de la réserve de l’armée territoriale pendant sept ans ».

    Presque dix millions d’hommes ont perdu leur vie au cours de la grande Guerre. La base de données « Morts pour la France » du ministère français de la Défense recense plus de 1,3 million de conscrits décédés pendant ce conflit. Il s’agissait pour la grande majorité de jeunes soldats d’infanterie. Durant la Seconde Guerre mondiale presque 18 millions d’hommes sont morts sur le champ de bataille. Les conflits armés non seulement ont massacré des hommes jeunes mais ont aussi fait diminuer drastiquement l’espérance de vie des survivants.

    Comme le montre le démographe François Héran, « en deux ans, de 1913 à 1915, l’espérance de recule seulement de 3 % chez les femmes, passant de 53,5 ans à 51,7 ans mais s’effondre de 46 % chez les hommes : de 49,4 à 26,6 ans » 3 .

    Les guerres successives (Indochine, Corée, Vietnam, Algérie, Irak, Syrie…) produisirent les mêmes résultats aussi bien en ce qui concerne la prééminence écrasante de victimes de sexe masculin que la diminution de l’espérance de vie des survivants à la sortie du conflit.

    De plus, dans les années qui suivent la Première Guerre mondiale, la courbe des divorces augmente sensiblement et pour la première fois les demandes de divorce sont plus nombreuses à être formulées par les hommes que par les femmes. Loin d’être expliqué par le seul argument de l’adultère féminin, ce phénomène peut aussi se comprendre par l’aigreur accumulée en quatre ans de guerre, la difficulté à reprendre la vie commune après une séparation prolongée, même entrecoupée de quelques permissions.

    Netflix a récemment produit le film À l’ouest, rien de nouveau , inspiré du roman du même nom d’Erich Maria Remarque, dans lequel l’auteur décrit les abominations de la Première Guerre mondiale et la souffrance de ces garçons réduits en charpie par l’artillerie.

    Plus tard, Boris Vian chantait :

    « À tous les enfants
    Qui sont partis le sac au dos
    Par un brumeux matin d’avril
    Je voudrais faire un monument
    À tous les enfants
    Qui ont pleuré le sac au dos
    Les yeux baissés sur leurs chagrins
    Je voudrais faire un monument… »

    Jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, nous nous croyions installés dans la post-modernité de la guerre où la confrontation directe d’homme à homme semblait une chose du passé. Or, le retour à une forme de guerre « classique » met en évidence l’exposition perpétuelle des corps masculins à la mort. Une grande partie de ces corps ne provient pas de l’armée professionnelle mais de civils recrutés de force. Cette absence de choix constitue la plus grande violence contre le sexe masculin et ceci depuis la nuit de temps. Malheureusement, une conception partiale de la « violence de genre » tend à l’éclipser. Paradoxalement, alors que la mobilisation forcée regarde uniquement les hommes, la majorité de travaux scientifiques relatifs à la guerre sous le prisme du genre concerne exclusivement les femmes 4 .

    Derrière les barbelés de Nuremberg , Guy Deschaume, rêvait de l’inversement des rôles de genre lorsqu’il écrit non sans ironie, « quand nous rentrerons, un jour, dans nos foyers, Mesdames, vous ne pourrez plus vous targuer d’imaginaires supériorités, sous lesquelles, naguère, vous nous écrasiez […] , nous avons essayé balayage, lavage de vaisselle, lessive, ravaudage, couture, cuisine, et la vérité m’oblige à confesser qu’en toutes ces activités, nous avons dépassé les plus optimistes prévisions : la cuisine, c’est par là que vous nous teniez. Mais les rôles vont être changés ! Nous pourrons désormais vous fournir des recettes qui vous seront précieuses pendant ces temps de restrictions » 5 .

    Les hommes souhaitent parfois ne pas appartenir au genre masculin…

    Le « genre » permet de désigner la construction sociale des différences entre les sexes et les actes de violence genrés, source de préjudices et des souffrances. Il serait alors temps de regarder la guerre par le biais du genre masculin afin de rendre compte de la plus brutale des dominations et de la plus cruelle des violences, celle consistant dans l’appropriation des hommes par l’État pendant les conflits armés.

    1. Cardi, Coline, et Geneviève Pruvost. Penser la violence des femmes. La Découverte, 2012.
    2. Eulriet, Irène, Women and the Military in Europe : Comparing Public Cultures , London, Palgrave Macmillan, 2012.
    3. « Générations sacrifiées : le bilan démographique de la Grande Guerre », Population & Sociétés 2014/4 (N° 510) , pages 1 à 4.
    4. En indiquant comme mots clés « genre et guerre » ou « genre et conflits armés » dans les principales bases de données (Cairn, Brill, HAL…) on ne trouve aucun texte concernant la violence faite aux hommes, en revanche nombreux articles sont consacrés aux « femmes combattantes », à « la participation des femmes à la guerre », à « l’expérience vécue de la guerre par les femmes » aux « veuves de guerre » ou encore au « viol des femmes dans les conflits armés » ….
    5. Deschaumes, G., Derrière les barbelés de Nuremberg, Flammarion, 1947, page 175.
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      Australie-Pacifique : le poulet sans tête de la stratégie française

      Auteur invité · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 6 December, 2022 - 04:00 · 7 minutes

    Par Eric Descheemaeker.
    Un article de Conflits

    Un an après le référendum en Nouvelle-Calédonie, le Pacifique et l’espace océanien sont toujours des impensés de la stratégie française. Aucune vision, aucune analyse pour penser une projection française dans cette zone pourtant essentielle.

    La Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 nous avait annoncé, non sans quelque triomphalisme, que la France « développ[ait] avec l’ Australie un partenariat structurant et de longue durée », tandis qu’« avec l’Inde, la France a[vait] noué un partenariat stratégique majeur » (§§211-212). Un an plus tard, cela nous donnait l’axe Paris-New Delhi-Canberra du président de la République, « axe indopacifique nouveau » censé « se prolonge[r] de Papeete à Nouméa » (discours de Garden Island et Nouméa, mai 2018).

    Une matrice effondrée

    Quatre ans plus tard, la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale n’a guère eu d’autre choix que de constater que cette « matrice de notre stratégie indopacifique » s’était « effondré[e] » (rapport d’information n o 5041 sur « l’espace indopacifique : enjeux et stratégie pour la France », février 2022, pp. 69, 90). En réalité, elle n’avait jamais existé que dans l’esprit de M. Macron, dont la « pensée complexe » avait relié d’un trait la France aux deux plus grands clients de son industrie d’armement dans les océans Indien et Pacifique.

    Clients d’alors puisque, comme chacun sait, l’Australie a rompu en septembre 2021 le « contrat du siècle » avec Naval Group pour forger une alliance militaire (de plus) avec les États-Unis et le Royaume-Uni. MM. Macron et Le Drian, M me Parly, se sont alors rendu compte, penauds, que l’Australie n’était pas notre alliée, le nouveau best friend forever (BFF) qu’on s’était imaginé à Paris.

    J’aurais pu le leur dire – comme je peux aussi leur dire, avant qu’elle ne dénonce son contrat à elle, que l’Inde n’est pas non plus notre « BFF ». Pas plus d’ailleurs que l’Indonésie, dont la France semble avoir soudainement découvert l’existence : lui ayant vendu des Rafale, elle voudrait en faire sa nouvelle Australie (rapport précité, pp. 10, 100). Il suffisait de connaître un peu l’Australie pour savoir que les Australiens n’étaient ni nos amis ni nos alliés ; comme il suffisait d’ailleurs de lire la presse australienne pour savoir que le contrat des sous-marins, dont la conclusion avait dû beaucoup aux aléas électoraux antipodéens (et qui ne correspondait pas aux besoins de défense de Canberra), allait être remis en cause tôt ou tard. Mais y a-t-il quelqu’un à Paris qui lise même la presse australienne ?

    Naufrage de la pensée stratégique

    Ce à quoi nous assistons en Australie et dans le Pacifique c’est au naufrage de la pensée stratégique de la France. Notre pays confond amitié et vente d’armes, alliances (véritables) et « partenariats stratégiques » ne valant guère que le papier sur lequel ils sont écrits.

    Il ne connaît rien, ou presque, à une région où lui-même n’est d’ailleurs ni connu ni plus guère respecté. Les récents référendums en Nouvelle-Calédonie (2018, 2020, 2021) ont démontré que ni nos gouvernants ni nos concitoyens ne s’intéressaient à ces morceaux de la France vivant à l’heure Pacifique, pas plus qu’ils ne les comprenaient ou plus fondamentalement ne les aimaient. Nos diplomates tournent à une vitesse affolante, comme si les régions du monde étaient interchangeables et que les connaître, les comprendre – établir ces réseaux, ces rapports humains sans lesquels il est impossible de construire quoi que ce soit de durable – était sans importance.

    Les compétences linguistiques de nos élites civiles ou militaires nous ridiculisent et nous empêchent d’agir. À l’École spéciale militaire, où je m’occupe régulièrement d’officiers-élèves partant en semestre international, j’ai essayé d’en envoyer – enfin ! – un ou deux en Indonésie, pays du monde sans doute le plus sous-étudié au regard de son importance stratégique (principale puissance d’une Asie du Sud-Est qui compte aujourd’hui 600 millions d’habitants à la confluence de l’Inde et de la Chine) : même cela, apparemment, est trop compliqué pour une armée qui dans le même temps nous explique sans ciller qu’elle ambitionne de former ses officiers, no less , à « affronter demain ce qui n’a jamais été ».

    Ces mêmes élites militaires ou civiles viendront ensuite se lamenter que notre pays soit déclassé sur la scène internationale. Comment pourrait-il en être autrement quand il navigue ainsi à vue (qu’il court, dirait-on en anglais, comme un poulet sans tête) ? Dans le Pacifique, où nous avons failli perdre l’une de nos plus belles provinces dans une indifférence quasi-absolue, où nous avons été « poignardés dans le dos » par notre best friend forever australien, où en juillet 2021 la Marine nationale n’avait plus un seul bâtiment disponible à Nouméa, nous récoltons les fruits de nos propres fautes.

    Sous-investissement dans la sécurité

    Nous n’avons pas été capables d’investir dans notre propre sécurité, que nous avons cru pouvoir délocaliser à Washington, à Bruxelles ou dans des partenariats diluant toute responsabilité. Notre tant vantée « remontée en puissance » s’est pour l’instant traduite, dans la région australo-pacifique, par l’arrivée d’ici quelques mois d’ un patrouilleur d’outre-mer à Nouméa (pour donner un ordre de grandeur, le temps que soit construit l’ Auguste Bénébig , la Chine avait mis à l’eau l’équivalent du tonnage entier de la Marine française). Nous n’avons pas su essayer de connaître, de comprendre, d’aimer ces pays. Tant que nous resterons enfermés dans notre ignorance teintée d’arrogance rien ne sera possible : nous continuerons notre lent déclassement, le saupoudrant à intervalles périodiques de mots qui sonnent bien et de vœux pieux. (Loin de battre sa coulpe, M. Macron a ainsi osé affirmer, six mois après l’humiliation planétaire infligée par M. Morrison, que « nos partenariats avec les pays de la zone [avaient] atteint un niveau de coopération inédit » (ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, La stratégie de la France dans l’Indopacifique , m.à.j. février 2022, p. 4).)

    Travaillons, évidemment, avec tous les autres pays du Pacifique – y compris l’Australie, qui n’est certes pas une alliée ou une amie, mais demeure bien sûr un pays important de la région. Vendons, pourquoi pas, des armes à ceux qui souhaiteraient nous en acheter, y compris Canberra le cas échéant. Mais si nous voulons cesser de décliner, si nous voulons avoir une véritable stratégie australo-pacifique, il nous faudra remettre une tête sur le coq gaulois. Il nous faudra comprendre à nouveau (re-saisir) qui nous sommes – ce que cela veut dire d’être français à 17 000 km de Paris ; quel lien réel nous avons avec l’Australie (qui, en France, connaît Saint-Aloüarn, Baudin ou l’histoire des blackbirders ?). Et de là, comprendre où nous voulons aller. Que veut la France dans le Pacifique : quelle est notre ambition en tant que communauté politique ; comment faire rayonner le fait français dans cette partie du monde ?

    Absence de moyens militaires

    Comment espérer répondre à ces questions si on ne se les pose même pas ?

    Tant que nos « stratégies » ministérielles consisteront à enchaîner des lieux communs n’ayant rien de français (ni d’ailleurs d’australo- ou indopacifique) – « s’impliquer » dans « le règlement des crises » et « les organisations régionales », « lutter » contre « le changement climatique » et « le terrorisme », sans oublier bien sûr de « renforcer [l]a diplomatie publique à l’égard des jeunes » (toujours, il va sans dire, dans « le dialogue » et en impliquant « nos partenaires européens » : ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, Stratégie française en Asie-Océanie à l’horizon 2030 : vers un espace asiatique indopacifique inclusif , 2019, pp. 1-7) – le déclassement continuera. Inéluctablement.

    Nous n’avons aujourd’hui quasiment plus de moyens militaires ; nous n’avons pas d’alliés dans la région ; nous ne savons pas même ce que nous voulons. Nous naviguons à vue de crise en crise, sortant de chacune un peu plus affaiblis encore. Le point de départ d’une stratégie véritable pour la « France Pacifique » serait de se rendre compte que nous sommes seuls à défendre nos intérêts ; pour cela, qu’il nous faut non seulement les moyens de défendre ces intérêts, mais, avant tout, l’intelligence de comprendre ce qu’ils sont : par-delà les poncifs sur papier glacé, qui ne vont plus pouvoir faire illusion bien longtemps.

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      J-D Merchet : « la souveraineté militaire européenne relève de l’utopie »

      Contrepoints · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 25 November, 2022 - 04:30 · 5 minutes

    Avec le conflit en Ukraine , les questions de défense européenne sont devenues plus d’actualité que jamais. Dans le même temps, certaines initiatives comme le bouclier antimissile sous initiative allemande posent des questions sur sa réalité.

    Pour avoir des réponses, la rédaction s’est entretenue avec Jean-Dominique Merchet , journaliste à L’Opinion et spécialiste des questions de défense nationale et internationale. Entretien réalisé par Alexandre Massaux.

    Alexandre Massaux : Le développement d’un bouclier antimissile européen allemand (dans le cadre d’une alliance dont la France ne fait pas partie) d’une part, et les tensions entre la France et l’Allemagne sur le Système de combat aérien du futur (SCARF) d’autre part, ne montrent-ils que le projet de défense européenne dans le cadre de l’UE est au point mort ?

    Jean-Dominique Merchet : Non, il n’est pas au point mort. Mais il n’a jamais été très vivace. La guerre Ukraine-Russie a relancé l’OTAN. C’est l’alliance avec les États-Unis qui va en sortir renforcée plutôt que la volonté de l’Europe de se doter d’une souveraineté militaire. Je crois que l’idée de souveraineté militaire européenne relève de l’utopie. L’Union européenne fait toutefois des efforts pour être plus présente dans le domaine militaire.

    Deux programmes ont été lancés avec un certain succès.

    Le premier est la facilité européenne pour la paix. Un nom orwellien, car il s’agit de financer la guerre. C’est un mécanisme de solidarité militaire entre les pays européens dans le cadre de la guerre en Ukraine. Les États riches remboursent aux pays pauvres le matériel livré à l’Ukraine (trois milliards ont déjà été dépensés).

    L’autre mécanisme est la mission de formation EUMAM pour former 15 000 militaires ukrainiens, si possible pendant l’hiver. Là encore, ce sont les États de l’UE qui vont s’en occuper et non les institutions et l’administration européennes.

    Concernant les deux exemples que vous citez, le bouclier antimissile sous leadership allemand se fait sans la France, sans la Pologne, sans l’Italie mais avec le Royaume-Uni. Sur ce point, on constate un refroidissement de la relation franco-allemande. Ce n’est pas un élément positif. Pour le SCARF, il devrait y avoir un accord la semaine prochaine entre industriels (sur la phase d’étude du projet).

    AM : Vous avez dans le passé qualifié d’illusion la défense européenne. Quels sont les principaux obstacles à celle-ci ?

    J-DM. : Je pense que l’UE est quelque chose de formidable. C’est un projet de paix mais pas de puissance. En effet, plutôt que d’adopter une perspective centrée sur la puissance de ses membres, elle préfère se focaliser sur le droit, le marché, les négociations et la liberté.

    Je suis très européen, mais les institutions ont des ADN qu’on ne peut pas changer. L’ADN de l’UE est un ADN antiguerre. Je ne vois pas comment elle arrivera à acquérir une souveraineté militaire.

    Inversement, l’OTAN est entièrement conçue comme une alliance militaire pour la défense collective et militaire (et contre la Russie, son adversaire historique). Ces institutions n’ont pas le même « code génétique » : l’une a été bâtie pour la défense (l’OTAN) , l’autre non (l’UE). Il se trouve que la première intègre les Américains mais pas l’autre, pour des raisons historiques.

    AM : L’OTAN va donc rester un pilier de la défense européenne. Mais les pays européens ne vont-ils plus jouer un rôle de l’Alliance ? Est-ce que les Européens ont conscience que les États-Unis vont se concentrer de plus en plus sur l’Asie ? Est-ce que les Européens prennent conscience de l’importance d’être plus performant ?

    JDM : Oui, avec beaucoup de nuances. Le pilier européen de l’OTAN, c’est une vieille chanson qu’on entend depuis des décennies. Les Américains ne demandent pas cela. Ils souhaitent qu’ils payent plus. On le voit encore avec l’Ukraine : les Américains ne sont pas hostiles à ce que les Européens payent plus. Par l’ampleur de leur budget de défense, les Américains financent la sécurité de la plupart des pays européens. Tous les présidents américains depuis la création de l’OTAN demandent un meilleur partage du fardeau ; ils disent aux Européens : vous devez payer davantage pour votre défense.

    On s’est retrouvé pendant des années avec des pays européens qui consacraient moins de 1 % ou 2 % de leur PIB à leur défense alors que les États-Unis étaient à 3,5 %. Cela évolue depuis 2014, avec l’annexion de la Crimée et l’objectif des 2 %. Mais un certain nombre de pays n’y sont pas, comme l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne.

    L’autre élément important sur ce sujet a été Donald Trump. Il a paniqué les Européens dont l’Alliance avec les États-Unis était au cœur de leur projet de sécurité. Les Français ont beaucoup de mal à imaginer cette situation, car la stratégie de sécurité française est assurée par la dissuasion nucléaire. L’essentiel du projet de défense des autres pays européens repose sur l’alliance avec les États-Unis au sein de l’OTAN. C’est quelque chose avec lequel ils ne plaisantent pas. Ils ont donc eu très peur avec un Trump isolationniste menaçant de se retirer de l’OTAN.

    Ces pays sont prêts à céder beaucoup aux États-Unis sur d’autres sujets : au niveau commercial, accepter l’extraterritorialité américaine, acheter du matériel militaire américain (l’exemple le plus célèbre étant le F-35 ). Ils sont prêts à payer le prix politique et parfois budgétaire du maintien de cette alliance s’ils sentent que cette dernière est menacée, car elle est fondamentale pour leur sécurité. On ne peut pas leur reprocher. Durant les années précédentes, ces pays ont vécu dans un relatif confort puisqu’ils consacraient assez peu d’argent à la défense en comptant sur le grand frère américain pour venir à leur secours.

    Est-ce que ça va changer ? Marginalement, cela peut évoluer. Mais il n’y aura pas de changement radical. Il ne faut pas s’attendre à un bouleversement géopolitique sur ces questions à l’échelle humaine.

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      Septième bombe à retardement : la faiblesse de notre armée

      Claude Goudron · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 17 November, 2022 - 03:50 · 5 minutes

    Ce n’est pas certes pas déplaisant de penser que nous avons une des meilleures armées d’ Europe , mais c’est loin d’être suffisant. Et constater que les autres armées sont dans un pire état ne doit pas nous satisfaire.

    Le professeur d’économie et conférencier Philippe Dessertine a affirmé qu’un pays ne peut pas être une puissance économique pérenne sans puissance militaire.

    Quelques  exemples

    Les États-Unis , première puissance économique mondiale, sont de loin la première puissance militaire avec un budget dépassant 800 milliards de dollars.

    Vient ensuite la Chine avec une économie en train de dépasser celle des États-Unis. Les Chinois ont compris qu’ils devaient rattraper leur retard dans le militaire et ont la plus forte croissance avec un budget de 293 milliards de dollars en 2021.

    En troisième place, l’Inde fait évoluer sa défense avec un budget de 76 milliards de dollars proportionnellement à l’évolution de son économie.

    Le cas de l’Allemagne faisait exception jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par Poutine. En effet, avec 56 milliards de dollars son budget était équivalent à celui de la France. Elle a pris conscience de sa faiblesse militaire et va injecter d’un seul coup 100 milliards d’euros dans la modernisation de sa défense.

    Enfin, il y a le cas particulier de la Russie avec 56 milliards de dollars de budget en 2021. S’il n’y a pas de puissance économique sans puissance militaire l’inverse est aussi valable : faible économiquement, avec le PIB de l’Espagne malgré une population trois fois supérieure, la Russie a fait croire et croyait également qu’elle était une puissance militaire de tout premier plan. Si c’est le cas au niveau nucléaire, son armée classique a montré ses grandes faiblesses, son matériel souvent obsolète et son organisation d’un autre âge.

    Le cas de la France

    La France se situe dans une position intermédiaire et existe un peu grâce à sa dissuasion nucléaire. Mais elle a fait des choix malheureux par ailleurs.

    Le budget militaire en pourcentage du PIB s’établissait à :

    • 5,44 % en 1961
    • 2,97 % en 1980
    • 1,4 % en 2017
    • à 1,7 % en 2021

    C’est notoirement insuffisant, sachant qu’il est de 3,5 % aux États-Unis.

    La France doit atteindre très rapidement un budget militaire de 100 milliards d’euros annuel si elle veut encore exister en tant que puissance mondiale.

    Les soldats français ont montré un courage et un savoir-faire remarquables lors de leur intervention au Mali. Mais déjà sur un conflit dit de « basse intensité » nous avons pu constater des lacunes ne provenant pas de nos soldats mais des moyens d’hébergement à longue distance (soldats français en Roumanie). C’est également le cas aussi pour le matériel militaire souvent obsolète, en tout cas peu digne d’une armée moderne : le moral des troupes est primordial.

    Cela n’a rien à voir avec le désastre constaté de l’armée russe en Ukraine, mais nos soldats méritent une qualité de vie en opérationnel au moins équivalente à celle dont bénéficient une majorité des réfugiés sur le territoire français.

    Le budget de la logistique doit donc être renforcé pour se rapprocher du standard américain, ce qui serait le signe d’une armée moderne et respectée.

    Dans l’éventualité d’une guerre de haute intensité il faut admettre que même si l’armée française fait un peu mieux que ses voisins allemands, elle est très loin de pouvoir résister sur un conflit long. Selon certains experts nous ne tiendrions pas plus de deux semaines .

    L’actualité montre qu’une guerre de ce type n’est pas à écarter. Il faut donc s’y préparer très rapidement et avec des moyens adéquats.

    Comment  financer cet effort sans précédent

    Ce n’est pas compliqué, il n’y a que deux mesures à prendre.

    Transférer « le pognon de dingue » dépensé en France pour le social vers les fonctions régaliennes primordiales. Le simple fait de caler les dépenses sociales (34,1 % du PIB) sur celles de l’Allemagne (29,7 %) ferait gagner 5,6 % de PIB soit 145 milliards d’euros par an. C’est largement plus qu’il n’en faut.

    Faire travailler nos fonctionnaires autant que les fonctionnaires allemands, c’est-à-dire 30 % supplémentaires sur toute la durée de la vie active. Ce serait donc la bagatelle de 30 % de fonctionnaires en moins pour le même travail qu’aujourd’hui avec une réduction de leurs effectifs à hauteur de 1 680 000.

    Selon la Cour des comptes, chaque fonctionnaires coûte 3,5 millions d’euros. Il y aurait donc de la marge pour augmenter l’effectif militaire.

    Sans compter le développement de notre industrie militaire en France mais également à l’export !

    En attendant une armée européenne

    En cumulant l’ensemble des budgets militaires des pays de l’Union européenne, nous arrivons au chiffre de 232 milliards d’euros , équivalent à celui de la Chine si on lui ajoute le Royaume-Uni, mais d’une efficacité bien inférieure.

    La raison est simple : chacun investit de son côté avec du matériel disparate souvent américain et une administration démultipliée.

    La solution est évidemment la création d’une armée européenne permettant une force de dissuasion crédible. Tout en en gardant le contrôle, la France pourrait être garante de la sécurité nucléaire européenne.

    Le choix de matériel européen pour sa défense serait mieux accepté si une recherche commune existait réellement.

    Il est certes compliqué, voire impossible, de créer cette défense commune dans un délai court indispensable en cette période de forte tension. C’est pourquoi je propose que cela se fasse par étape en obligeant chaque pays de passer dès 2023 son budget militaire à 3,5 % du PIB dont la moitié serait mis dans un pot commun (voire la totalité pour les pays optant pour la protection européenne plutôt qu’américaine).

    L’Europe se soumettra alors à la règle « économie forte et puissance militaire forte » au lieu d’être toujours vassale d’une autre puissance qui nous fera payer très cher, directement et indirectement, notre sécurité.

    Conclusion

    Sans cette initiative, la bombe qui nous attend ne sera peut-être pas qu’économique mais également réelle et le chantage non dissimulé de Poutine en est les prémices.

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      La police judiciaire mise en danger par la technocratie

      Élodie Messéant · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 5 November, 2022 - 04:15 · 2 minutes

    Un article de l’IREF Europe.

    Une séparation des pouvoirs limitée, entachée, voire bannie. La réforme de départementalisation de la police suscite de grandes inquiétudes, si ce n’est une opposition quasi unanime des principaux acteurs du monde judiciaire – magistrats, policiers et avocats. Un fait rare dans cette institution.

    Prévue en 2023, la réforme vise à créer des directions départementales regroupant les quatre grands métiers de la police : sécurité publique, police judiciaire , renseignement territorial et police aux frontières. L’ensemble de ces services serait placé sous l’autorité d’un directeur départemental de la police nationale (DDPN) qui dépendrait directement du préfet.

    Cette réforme chamboulerait l’organisation actuelle : la criminalité, a fortiori la grande criminalité, s’arrêtant rarement aux frontières d’un seul département, les affaires sont réparties entre une direction centrale (basée à Nanterre), et six directions zonales (ouest, sud-ouest, sud, sud-est, est et les Antilles).

    Une dépendance accrue à l’égard du politique

    Parmi les critiques adressées à ce projet de loi figure celle de ne pas suffisamment prendre en compte les spécificités de la police judiciaire. L’autorité du préfet se trouverait considérablement renforcée avec une extension du périmètre d’intervention du ministère de l’Intérieur. Or, celui-ci est préoccupé prioritairement par la baisse de la délinquance du quotidien. La plus visible et donc la plus rentable électoralement. Il pourrait donc être tenté de négliger les besoins de lutte contre la grande criminalité.

    Un véritable gâchis de compétences :

    « On peut légitimement supposer que des officiers de PJ seront mobilisés pour travailler sur des rodéos urbains ou des violences conjugales, au détriment de leurs investigations de fond » craint Kim Reuflet , présidente du Syndicat de la magistrature.

    La place Beauvau est également suspectée de vouloir influencer le choix des affaires traitées. Le préfet sera désormais compétent pour saisir un service spécialisé, et non plus le procureur. Une difficulté majeure dans la résolution d’affaires sensibles, comme la corruption politique.

    Une technocratie qui impose ses réformes par le haut

    Comme toujours en France, la technocratie impose ses réformes par le haut, sans concertation avec les principaux intéressés ni ceux qui connaissent la réalité du terrain.

    On se rappellera les conséquences désastreuses de la réforme de 2008. Imposée par Nicolas Sarkozy, la fusion des Renseignements généraux (RG) et de la Direction de la surveillance du territoire (DST) aura débouché sur une entité bureaucratique : la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur). « Une erreur profonde » , selon une ancienne des Renseignements. Quelques années plus tard, des failles importantes apparaîtront avec l’affaire Merah.

    La réforme actuelle n’est pas uniquement dangereuse pour l’indépendance de la police judiciaire. Parce qu’elle fait fi de la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire, elle est dangereuse pour une institution entière. Dans un contexte d’interférence croissante du politique dans la justice , cette réforme ne présage rien de bon.

    Sur le web

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      Trafic de drogue : le nouveau gadget de l’inspecteur Darmanin

      Laurent Sailly · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 6 March, 2021 - 04:45 · 6 minutes

    couvre-feu trafic de drogue

    Par Laurent Sailly.

    Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin , a annoncé, mercredi 4 mars, l’ouverture d’une plateforme ouverte à tous, permettant de signaler aux forces de l’ordre des points de deal à proximité de chez soi. Si on ne peut douter de la volonté du ministre de lutter contre le trafic de drogue , la méthode appelle des remarques sur son efficacité.

    L’organisation institutionnelle de la lutte contre le trafic de drogue

    Créée en 1982, la mission permanente de lutte contre la toxicomanie, devenue la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues Et les Conduites Addictives (MILDECA), répond à la nécessité de coordonner une politique publique par nature interministérielle.

    Placée auprès du Premier ministre, la MILDECA anime et coordonne l’action du gouvernement en matière de lutte contre les drogues et les conduites addictives. Elle élabore à ce titre le plan gouvernemental et veille à sa mise en œuvre. Le Plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 a été validé par le cabinet du Premier ministre le 19 décembre 2018.

    Dans chaque préfecture, la MILDECA peut s’appuyer sur un chef de projet chargé de relayer son action. Le chef de projet élabore un programme pluriannuel et interministériel fixant les axes prioritaires à mettre en œuvre au regard des orientations du plan gouvernemental et du contexte local.

    Sur le plan international, la MILDECA contribue, en lien étroit avec le Secrétariat général des affaires européennes et le ministère des Affaires étrangères, à l’élaboration des positions françaises en matière de lutte contre les drogues et les conduites addictives. Elle fait valoir à l’étranger l’approche globale et intégrée de la France.

    La MILDECA finance un groupement d’intérêt public : l’ Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT), qui assure l’observation des produits consommés comme des habitudes de consommation desdits produits.

    En matière de lutte contre les réseaux de trafic de stupéfiants, c’est évidemment auprès du ministère de l’Intérieur qu’il faut se tourner. En son sein, l’ Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants dirige les différentes administrations (police, gendarmerie et douane). La brigade des stupéfiants, mais aussi les services des douanes sont les principaux bras armés de l’OCTRIS.

    Une plateforme de signalement numérique du trafic de drogue

    Gérald Darmanin, qui donne chaque mois les chiffres des saisies de cannabis, cocaïne et héroïne, a fait de la lutte contre les trafics de stupéfiants sa priorité depuis son arrivée place Beauvau. Au 1er décembre dernier, un total de 3952 lieux de ventes de stupéfiants a été recensé en France métropolitaine et en Outremer par le ministère de l’Intérieur.

    Il a déclaré, en décembre dernier, lors d’un entretien accordé au quotidien Le Parisien :

    Je souhaite que la police et la gendarmerie s’attaquent à chacun d’entre eux. Je communiquerai tous les mois le nombre de points de deal démantelés sur le territoire.

    À compter de ce mercredi, n’importe qui peut prendre part à la lutte contre le trafic de drogue. Gérald Darmanin a annoncé l’ouverture d’une plateforme permettant à chacun de signaler à la police et à la gendarmerie les points de deal à proximité de chez lui.

    Le dispositif est déjà en place, permettant à chaque citoyen d’effectuer un signalement. La démarche est accessible sur le site « moncommissariat.fr » et, pour la zone gendarmerie, sur « ma brigade numérique », précise le ministère de l’Intérieur.

    Un gadget tehnocratique

    D’abord, chacun sait où sont ces fameux points de deal. J’en veux pour preuve que le ministère est dans la capacité de dénombrer exactement le nombre de points de deal au niveau national (cf. supra). Un classement départemental existe comme l’a révélé Le Parisien en décembre dernier avec la Seine-Saint-Denis et les Bouches-du-Rhône en tête (cf. infographie). Ils sont connus des policiers comme des consommateurs.

    Pourquoi ne pas s’attaquer en priorité à eux ?

    Ensuite, comme le rappelle l’adjointe au maire (PS) de Saint-Denis en charge de la sécurité et de la tranquillité publique dans la matinale de Sud Radio :

    Les policiers arrêtent quotidiennement des dealers et quotidiennement, certainement par manque de moyens de la justice, ils ressortent ou sont condamnés à des peines un peu légères. Il n’est pas rare de voir un dealer venir revendre avec un bracelet électronique […] Soit on se dit qu’on prend les choses à bras le corps, on est dans le mode répressif, on s’en donne les moyens aux niveaux judiciaire et policier, soit on n’y arrive pas. Je ne dirai pas que je ne serais pas ravie d’avoir plus d’effectifs. Le deal de drogue est un fait important sur notre territoire. Mais quand vous arrivez à un certain grammage de produits, il n’y a pas de suite, pas même un rappel à la loi.

    Enfin, on est en droit de se demander pourquoi cette plateforme de renseignement recevrait davantage d’échos qu’un simple coup de téléphone au commissariat de proximité… Sans moyen matériel, en personnel, comment multiplier les interventions ?

    Dans les quartiers gangrénés par ces trafics il faut mener des opérations d’envergure avec des sanctions lourdes contre les dealers, les guetteurs, les mules, les consommateurs… La lutte contre le trafic de stupéfiant passe par la constitution de task-force rassemblant sous l’autorité du procureur des policiers, des magistrats, des personnels des douanes.

    Un gadget déjà dépassé par le phénomène Ubershit

    Avec le confinement, les livraisons de drogue à domicile se développent. Il n’est plus besoin ici d’un lieu où se rencontrent dealers et clients.

    La livraison à domicile est en plein essor depuis le début de la crise sanitaire. On a maintenant l’habitude de se faire livrer ses courses ou son repas… Mais saviez-vous que le phénomène se développe aussi chez les trafiquants de drogue ? Notamment depuis la mise en place du couvre-feu à 18 heures. Ce phénomène baptisé Ubershit par les forces de l’ordre, est une nouvelle forme de délinquance prise très au sérieux notamment par le parquet de Grenoble.

    Pour lutter contre le trafic, les enquêteurs se font passer pour des acheteurs.

    L’ article 230-46 du Code de procédure pénale permet aux cyberpatrouilleurs de la police judiciaire et de la section de recherche de la gendarmerie, sous contrôle du procureur de la République, de contacter les trafiquants et de leur commander des stupéfiants. Mais il s’agit d’une action très délicate qui ouvre sur de multiples recours en défaut de procédure.

    La simplification du Code de procédure pénale est nécessaire pour faciliter, dans le respect du droit de chacun, les opérations de police. Malheureusement, le projet de réforme de la justice présenté cette semaine aux médias par la garde des Sceaux, n’en prend pas le chemin.

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      Violences entre jeunes : non à l’angélisme bureaucratique

      Laurent Sailly · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 3 March, 2021 - 04:30 · 5 minutes

    violences

    Par Laurent Sailly.

    Parce que l’État assure notre sécurité, première des libertés, le citoyen accepte de payer des impôts. Nos dirigeants ont oublié que le régalien est la seule raison d’être de l’État !

    Violences : quelques chiffres et exemples

    Batailles rangées au couteau et à la batte de base-ball, guet-apens sauvages aux pieds des tours d’immeubles, vidéos de lynchages d’adolescents postés par bravade et pour attiser la haine… Le jeune Yuriy, tabassé mi-janvier par une horde furieuse et laissé pour mort sur la dalle Beaugrenelle à Paris, n’aura hélas été qu’un épisode de violences parmi de nombreux autres dans la guerre des bandes qui flambe à nouveau dans le pays .

    Depuis, une jeune fille a été rouée de coups par trois adolescentes à Béziers et un lycée a été attaqué par un groupe d’individus encagoulés et armés à Nancy . Deux adolescents sont morts à 24 heures d’intervalle en Essonne ; un autre a été tué à Bondy .

    Petit à petit, la lutte entre bandes est passée de La guerre des boutons à Orange mécanique , laissant les parents à leur désarroi, les citoyens à leur colère et nos dirigeants à leur inefficacité.

    On peut regarder la situation d’aujourd’hui de manière naïve et dire que les violences entre jeunes ont toujours existé et qu’ il faut que jeunesse se passe . Depuis les apaches, ces groupes de voyous des faubourgs qui faisaient trembler les bourgeois à Paris à l’aube du XXe siècle, les bandes n’ont cessé de se métamorphoser.

    Selon le ministère de l’Intérieur, 357 affrontements entre bandes ont été recensés en 2020 en France contre 288 en 2019 . Soit un bond de près de 25 % des faits constatés en un an. Ces affrontements entre bandes se sont soldés par un bilan de trois morts et 218 blessés.

    Si aucune région n’est épargnée, l’Île-de-France concentre à elle seule 80 % des faits, avec des départements particulièrement touchés comme l’Essonne ou le Val-d’Oise, et 186 affrontements ont été recensés dans la grande couronne francilienne en 2020. Au total, 74 bandes, composées de 10 à 60 membres selon une estimation des services de renseignement, écument donc le pays (quatre en province).

    Les bandes de jeunes, définition, analyse et diagnostic

    Pendant des années, la notion de bande était floue. Il a fallu attendre un plan de lutte ad hoc , lancé en 2010 quand la cote d’alerte a été dépassée, avec un pic de 391 affrontements, de 196 blessés et 1096 suspects interpellés, pour obtenir une définition :

    [Une bande est formée d’] un noyau stable de membres qui se regroupent pour des raisons qui peuvent être sociales, culturelles ou délictuelles et revendiquent un territoire, commettent des incivilités ou/et des actes délictueux et créent une atmosphère de crainte, d’insécurité et d’intimidation.

    Le délitement de l’école, de la cellule familiale, de l’autorité publique explique en partie cette explosion. Le développement des réseaux sociaux, sur lesquels on se défie à distance, des regroupements à caractère territorial ou communautaire, installe aussi un climat malsain et agressif. Enfin, au cœur de cette dérive mille fois décrite, le trafic de drogue continue ses ravages dans le contrôle des zones de chalandise.

    En amont à une réunion au sommet qui doit se tenir en ce moment [lundi 1er mars 2020 – NDLR], le ministre de l’Intérieur a envoyé jeudi une note à l’ensemble des préfets de France pour leur demander la « réactivation du plan de lutte contre les bandes » . Dans cette note, il leur demande de réaliser avant le 10 mars un « diagnostic départemental » , avec un « historique » et une « cartographie » des affrontements, l’âge des jeunes impliqués ou encore leur utilisation ou non d’armes et des réseaux sociaux.

    À partir de ce diagnostic et « en fonction de l’importance du phénomène » le ministre demande aux préfets de mettre en œuvre un « plan départemental de repérage, d’accompagnement, d’information préventive et sensibilisation des publics fragiles » ainsi que des moyens « d’investigation et de lutte » contre les bandes.

    Le ministre recommande aussi de recourir « selon le contexte » à des groupes locaux de traitement de la délinquance sur le sujet des bandes, sur le modèle de celui mis en place à Paris, associant police, mairie et services éducatifs sous l’égide du parquet. Selon l’entourage d’Éric Dupond-Moretti, le ministère de la Justice compte, lui, sur le recours aux « interdictions de paraître » comme alternative aux poursuites, actuellement en expérimentation à Bobigny, Montpellier et Senlis. Elles « fonctionnent bien et permettent d’éloigner un jeune d’une bande » , assure l’entourage.

    Des solutions existent contre ces violences mais le courage politique fait défaut

    Il faut aller bien au-delà de déclarations d’intention, des « plus jamais ça » , des marches blanches. Maintenant que les politiciens ont laissé dégénérer la situation, il faut changer de modèle.

    Il faut se recentrer sur la vraie victime. Aujourd’hui encore, l’auteur des faits est considéré comme la victime de la méchante société fasciste dans laquelle il évolue !

    Des peines doivent être prévisibles et connues, par exemple en les enseignant pendant les cours d’instruction civique.

    Elles doivent être lourdes et effectives, donc dissuasives et doivent inclure la famille lorsqu’il s’agit d’un mineur.

    La valeur prison doit être repensée. Le sursis apparait trop souvent comme une exonération de la responsabilité pénale. Il est, à ce titre, regrettable que l’actuelle réforme de l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs ne s’attache qu’à l’accélération des procédures. C’est une modification en profondeur du Code pénal qu’il faut entreprendre en augmentant les capacités d’incarcération, notamment des séjours courts (15 jours) avec cellule individuelle.

    L’indemnisation d’une victime de violences par l’assurance scolaire du mineur apparait, pour l’agresseur et sa famille, comme une minoration de la gravité de l’acte. Un montant légal à la charge de la famille du mineur condamné devrait être défini.

    Au-delà de ces mesures répressives, il faut ouvrir aux enfants décrocheurs potentiellement violents une autre voie que le collège unique qui est une aberration . La reconquête des jeunes esprits passe aussi par l’éducation.

    Enfin, il faut offrir aux forces de l’ordre les moyens d’accomplir leur mission de prévention et leur rôle de dissuasion d’une part par une augmentation des effectifs et du matériel disponible et d’autre part, par une simplification de la procédure pénale.

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      Police : rétablir la confiance demande un retour au régalien

      Nathalie MP Meyer · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 12 February, 2021 - 04:45 · 9 minutes

    police

    Par Nathalie MP Meyer.

    Pris en tenaille entre, d’un côté, la dénonciation récurrente des violences policières et l’opposition au projet de loi de Sécurité globale qui limite en son article 24 la possibilité de filmer la police en action, et de l’autre, le ras-le-bol de forces de l’ordre épuisées et dégoûtées d’être trop régulièrement la cible de violences, Emmanuel Macron a lancé un vaste Beauvau de la sécurité dans l’espoir « d’améliorer les conditions d’exercice » de la police tout en consolidant le « lien de confiance entre les Français et les forces de l’ordre. »

    Décliné en huit ateliers auxquels participeront jusqu’à fin mai des experts, des élus, des membres des forces de l’ordre et des représentants des syndicats de police, le Beauvau s’intéressera successivement à la relation police-population, à l’encadrement, à la formation, aux relations avec le judiciaire (thème ajouté à la demande du syndicat Alliance), au maintien de l’ordre, à la captation de vidéos, au contrôle interne avec projet de réforme de l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) et aux conditions matérielles d’exercice.

    Les résultats de ces travaux sont censés alimenter la future loi d’orientation et de programmation de la sécurité intérieure (Lopsi) programmée pour 2022 et pourraient déboucher à court terme sur 1,5 milliard de crédits supplémentaires pour le ministère de l’Intérieur.

    Sachant que depuis 2015, année de la vague d’attentats islamistes, les recrutements et les revalorisations salariales n’ont pas cessé. L’évolution de ces dernières est même qualifiée de « ni soutenable ni maîtrisée » par le rapporteur du Sénat sur le Projet de loi de finances 2020 relatif aux forces de sécurité, tandis que les investissements dans les outils de fonctionnement se faisaient plus rares, au détriment du moral des troupes.

    La première réunion, celle des relations police-population, a eu lieu lundi 8 février dernier. À lire les divers commentaires de presse, il semblerait qu’elle n’ait pas débouché sur des décisions fracassantes.

    Pour commencer, on y cherchait vainement des policiers de terrain et des représentants des citoyens. Ensuite, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’est contenté de gloser sur la société de l’image et sur la nécessité d’améliorer la communication de la police via les réseaux sociaux afin qu’elle puisse mieux faire connaître son travail, notamment auprès des jeunes et dans les quartiers populaires.

    De leur côté, les syndicats sont arrivés à cette table ronde à reculons car ils estiment qu’il n’existe pas de problème majeur entre la police et la population, seulement des cas isolés qui sont traités. Du reste, à leurs yeux, le comportement des forces de l’ordre repose largement sur leur formation et sur le comportement de leur hiérarchie, sujets qui ne seront traités que plus tard dans le déroulé du Beauvau.

    Il leur semble beaucoup plus important de parler des conditions de travail dégradées et des suicides dans la police – points soulevés dans le rapport du Sénat cité plus haut (§ 4) – ainsi que de la réponse pénale qui ne suit pas toujours les efforts déployés en amont par les policiers et des attaques dont ceux-ci sont l’objet dans les cités ou au cours des manifestations.

    De fait, si l’on en croit un sondage IFOP réalisé fin janvier pour le JDD en prévision du Beauvau de la sécurité, 61 % des personnes interrogées expriment de la confiance ou de la sympathie pour les forces de l’ordre :

    Question : Que vous inspire spontanément la police ?

    Il est à noter cependant que les 27 % exprimant de l’inquiétude ou de l’hostilité représentent un bloc incompressible d’environ 10 millions de personnes une fois le résultat du sondage étendu à l’ensemble de la population, ainsi que l’a souligné le sondeur de l’IFOP Jérome Fourquet qui participait à la réunion.

    De plus, l’opinion publique est extrêmement sensible à certaines affaires de violences policières et de discrimination. Par exemple celle de Michel Zecler , ce producteur de rap frappé par quatre policiers dans le cadre d’un contrôle pour absence de masque à Paris en novembre 2020.

    Tombant au moment où le gouvernement tentait de faire passer un ajout restrictif à la loi de 1881 sur la liberté de la presse sous la forme de l’article 24 du projet de loi de Sécurité globale qui vise à réprimer la diffusion d’images des forces de l’ordre en action, avec le risque de permettre à des cas de violence policière de ne jamais apparaître au grand jour, elle a contribué à hisser la part des inquiets et hostiles à 41 % des personnes interrogées au mois de décembre 2020.

    Pour sa part, l’ONG Amnesty International dénonce des arrestations et des détentions arbitraires lors de la manifestation du 12 décembre dernier contre l’article 24. Gérald Darmanin s’est vanté sur twitter d’avoir protégé les commerçants des agissements des casseurs et/ou des membres du black bloc, mais au final, il s’avère que 80 % des interpellations n’ont donné lieu à aucune poursuite.

    Le gouvernement voudrait décourager le droit de manifester et non pas les casseurs qui resurgissent invaincus à chaque nouvelle manifestation qu’il ne s’y prendrait pas autrement.

    On se rappellera également que le même Darmanin, tout imbu d’une fermeté policière qui s’évapore complètement dès lors qu’il s’agit de courir après les vrais fauteurs de troubles, était trop heureux d’énumérer complaisamment devant les caméras les milliers de contrôles et de PV que les policiers ont infligé aux Français sans raison sanitaire valable depuis le début de l’instauration du couvre-feu à 18 heures.

    Dans une démocratie libérale, les forces de l’ordre 1 sont censées assurer la protection des personnes et des biens conformément aux droits naturels des individus qui sont la liberté, la propriété et la sécurité. Elles sont donc en principe au service de la population, pas au service du pouvoir.

    Dès lors, la confiance des citoyens dans leur police ne peut exister que si ses actions semblent dictées par une juste répression des crimes et délits et non par une injuste répression des droits des individus, et si les plus hautes autorités de l’État régalien, le président de la République, le ministre de l’Intérieur, le garde des Sceaux, adoptent une politique en rapport.

    Or trop d’interventions policières concernent des crimes sans victime qui dépendent beaucoup de normes qui sont régulièrement durcies comme ont pu s’en apercevoir les automobilistes quand la limite de vitesse sur route est passée de 90 à 80 km/h.

    Trop d’interventions gouvernementales en matière de sécurité relèvent de l’affichage d’un semblant de fermeté qui érode considérablement les libertés publiques (la loi anti-casseurs de Castaner, heureusement retoquée par le Conseil constitutionnel, par exemple) et laissent de côté la juste répression des atteintes aux biens et aux personnes.

    Trop de discours politiques oscillent entre le soutien sans condition aux forces de l’ordre et la dénonciation permanente de leur racisme et de leur violence, le gouvernement n’étant pas le dernier à ce petit jeu qui brouille le message.

    Autant il est délirant et malfaisant de penser d’un côté que All cops are bastards , autant il est tout aussi délirant et malfaisant de penser de l’autre que l’institution policière forme un tout parfait qui n’a jamais tort et devant lequel les individus doivent plier.

    Peu avant de céder son poste à Darmanin, Christophe Castaner s’était justement illustré en imaginant un concept fleurant bon le « en même temps » cher à Emmanuel Macron, celui du « soupçon avéré » de racisme qui suffirait à ses yeux pour suspendre un policier.

    Quant au Président lui-même, il admettait récemment que les policiers pratiquaient les contrôles d’identité au faciès (d’où d’ailleurs la froideur des syndicats pour le Beauvau annoncé peu après).

    Et pourtant, dans le même temps, il était question de protéger les policiers via les dispositions de l’article 24 qui reviennent à limiter le droit d’informer et donc à empêcher les citoyens d’exercer un contrôle parfaitement légitime sur le service public de la police qui est rendu en leur nom.

    Que les policiers et gendarmes (ainsi que les pompiers et d’autres représentants des pouvoirs publics) soient la cible récurrente de violences, personne ne le nie. Mais la réponse ne consisterait-elle pas plutôt à se montrer intraitable sur le respect de la loi tant du côté des citoyens que des policiers, à veiller à l’application des peines décidées par la justice, à augmenter le nombre de places de prison, à redéployer les effectifs policiers vers les opérations de maintien de l’ordre public plutôt que vers la chasse aux automobilistes et aux citoyens qui, en cette période de pandémie, ont oublié leur masque ?

    Autrement dit, la confiance des citoyens dans la police dépend dans une très large mesure de la confiance qu’ils peuvent avoir en MM. Macron et Darmanin et plus généralement dans leurs dirigeants pour assurer sérieusement leur sécurité tout en garantissant leurs droits civils.

    C’est très loin d’être gagné. Si l’on en croit l’issue du Grenelle de l’éducation ou celle du Ségur de la santé, à quoi l’on peut maintenant ajouter l’intérêt limité de la première concertation du Beauvau, il y a fort à parier que ce dernier se soldera comme d’habitude par un regain de dépenses publiques sans amélioration notable du rôle régalien de l’État.

    1. La France dispose aujourd’hui de 150 000 agents de la police nationale et de 100 000 gendarmes auxquels il convient d’ajouter quelques 30 000 policiers et agents de surveillance municipaux, ce qui la place dans une honnête moyenne européenne de 4,2 membres des forces de l’ordre pour 1000 habitants.
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      Pour Gérald Darmanin, le séparatisme commence au rayon frais

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 21 October, 2020 - 08:56 · 3 minutes

    Gérald Darmanin

    Par Frédéric Mas.

    La course politicienne à qui adoptera la posture la plus sécuritaire et la plus intransigeante après le meurtre de Samuel Paty a commencé. En tête de peloton, sans surprise, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin multiplie les propos musclés, les déclarations martiales et les actions publicitaires.

    Il faut montrer que le gouvernement agit contre l’islamisme, et pour se faire, il fait feu de tout bois, quitte à multiplier les propos loufoques, à côté de la plaque, et pour changer, liberticides.

    Les grandes surfaces coupables

    Le dernier en date vaut son pesant de viande hallal. Dans une interview accordée à BFM-TV, Gérald Darmanin a déclaré qu’il était personnellement hostile aux installations de grandes surfaces proposant de la cuisine communautaire : « Ça m’a toujours choqué de rentrer dans un hypermarché et de voir qu’il y a un rayon de telle cuisine communautaire, c’est comme ça que ça commence le communautarisme » .

    Méfiez-vous donc de la semaine mexicaine chez Lidl, le tacos pourrait vous mettre sur les rails de la radicalisation et du séparatisme. Le réflexe républicain n’est plus seulement dans la tenue, comme l’expliquait Jean-Michel Blanquer, mais aussi dans la manière de manger et de tenir son commerce. Eux aussi se doivent d’être aveugles aux différences, égalitaires et respectueuses de la laïcité.

    Ce genre de réflexion de la part du premier flic de France est assez maladroit, car il donne de l’eau au moulin extrémiste. La propagande salafiste cherche à faire passer l’idée qu’existerait une « guerre contre les musulmans », quitte à utiliser la désinformation ou à instrumentaliser les propos de table de certains de nos dirigeants. Évitons les propos de table.

    Le ministre de l’Intérieur force le trait pour signaler qu’avant d’être un problème politique, le séparatisme est un problème culturel. Certes. Mais il va plus loin dans la dénonciation populiste. Ce ne sont pas seulement les quinzaines commerciales qui endossent une responsabilité dans le terrorisme, c’est tout le capitalisme .

    « C’est la faute à la société ! » Gérald Darmanin réinvente un classique de la culture de l’excuse. Cette fois-ci, on y ajoute une touche d’antilibéralisme à la mode qui permet à la fois de diluer la responsabilité du véritable meurtrier et celle d’un État pourtant omniprésent censé protéger les individus de cette variété d’incivilité qu’est la décapitation.

    Mais dans sa mauvaise imitation de Nicolas Sarkozy, le ministre de l’Intérieur n’oublie pas non plus de stigmatiser les journalistes et les réseaux sociaux. Tout le monde est un peu responsable. Enfin surtout ceux qui font vivre la liberté d’expression .

    Appliquer le droit, c’est mieux

    Plutôt que se faire police des grandes surfaces et de stigmatiser maladroitement les pratiques alimentaires des Français ou les commerces qui eux se contentent de faire leur job, le ministre de l’Intérieur devrait se concentrer sur la punition des coupables et l’application stricte du droit en France, ce qui serait déjà une grande première depuis quelques décennies.

    Au lieu de stigmatiser les citoyens ordinaires et les commerçants pour amuser la galerie politico-médiatique, le gouvernement devrait se concentrer sur la protection des personnes. Il y a une marge d’amélioration suffisamment importante pour occuper quelques mandats présidentiels.