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      « Que Salvador Allende démissionne ou se suicide » : retour sur le 11 septembre 1973

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Sunday, 10 September, 2023 - 15:41 · 14 minutes

    Mort d’une utopie ? Destruction de l’une des « plus anciennes démocraties » d’Amérique latine ? Victoire des secteurs oligarchiques et de l’impérialisme ? Éclatement des contradictions de la révolution incarnée par le président Allende, à la fois socialiste, démocratique et constitutionnelle ? Le 11 septembre 1973 est tout cela à la fois. Pour les Chiliens, il marque le reflux d’un processus continu de conquêtes sociales – et l’entrée forcée dans l’ère d’un libéralisme de type nouveau. Ce jour marque le commencement d’une série de crimes de masse perpétrés par la junte militaire du général Pinochet. Pour les cinquante ans de cette date, Le Vent Se Lève publie une série d’articles dédiés à l’analyse des « mille jours » de la coalition socialiste de Salvador Allende et au coup d’État qui y a mis fin. Ici, Franck Gaudichaud retrace ses premières heures de manière chirurgicale. Professeur d’Université en histoire et études des Amériques latines à l’Université Toulouse Jean Jaurès , il est l’auteur d’une série d’articles et d’ouvrages sur le Chili, dont Chili, 1970-1973 – Mille jours qui ébranlèrent le monde (Presses universitaires de Rennes, 2017 – les lignes qui suivent en sont issues) et plus récemment Découvrir la révolution chilienne (1970-1973) (éditions sociales, 2023).

    « Si les mille jours de l’Unité populaire avaient été vertigineux, le temps a souffert une énorme accélération le 11 septembre. Ce fut un jour de définitions. Ce qui était en jeu n’était pas seulement la politique, le changement, le socialisme, ce qui était désormais au centre de tout était la vie, sans abstractions, la vie au sens propre 1 . » Début septembre, le Parti national n’hésite plus à distribuer des tracts, qui laissent deux « alternatives » à Allende : la démission immédiate ou le suicide… [NDLR : le Parti national est le plus important parti conservateur chilien ].

    Affiche de propagande du Parti national invitant Allende à la « démission » ou au « suicide ». Archives BDIC – Paris – Dossier Chili – F° A 126/16 – 1973.

    Chacun sait que l’affrontement est proche, que c’est une question d’heures ou, tout au plus, de quelques jours. Comme en témoigne Rigoberto Quezada, la question de l’armement revient continuellement au sein des bases ouvrières : « Le coup d’État était annoncé dans les journaux, la radio et même par le président du Sénat, E. Frei (père). On parlait beaucoup de la révolution espagnole, où les ouvriers ont pris d’assaut les régiments et se sont armés 2 . » Le golpe est sur toutes les lèvres, dans tous les esprits.

    Les dernières heures de Salvador Allende

    Allende en a parfaitement conscience. Il joue son dernier atout, bien tardif d’ailleurs : l’appel au plébiscite populaire, en vue d’un changement constitutionnel et, avec comme espérance, la stabilisation du gouvernement jusqu’aux élections présidentielles de 1976. Selon toute vraisemblance, si le coup d’État intervient précisément le 11 septembre, c’est que le président de la République a pour projet d’annoncer le référendum le soir même, à la radio, comme il l’a personnellement précisé au général Pinochet. Ce dernier n’en demandait pas tant pour se décider à agir au plus vite 3 .

    Comme l’a par la suite expliqué Gabriel Garcia Márquez, la mort d’Allende est une parabole qui résume les contradictions de la voie chilienne : celle d’un militant socialiste, défendant une mitraillette à la main, une révolution qu’il voulait pacifique et une constitution créée par l’oligarchie chilienne

    Nous ne nous attarderons pas ici sur le détail des opérations militaires, qui vont de l’intervention de la marine dans le port de Valparaíso, tôt le matin du 11 septembre, jusqu’aux déplacements de troupes dans la capitale. Il s’agit d’une guerre éclair de quelques jours, une guerre interne dotée de puissants soutiens externes (la CIA) et menée en vue du pouvoir total. Elle comprend l’utilisation d’avions de chasse et de tanks et pousse au suicide le président Allende, vers 14 heures, dans le palais présidentiel de la Moneda 4 .

    Refusant l’ultimatum des officiers, Allende décide de résister quelques heures, sans vouloir quitter le palais Présidentiel comme lui demande l’appareil militaire du Parti socialiste (PS). Rejoint par quelques proches et des membres du GAP, le « camarade-président » a eu le temps d’y prononcer son dernier discours (connu comme « Le discours des grandes avenues » ), qui est aussi un testament politique laissé aux futures générations.

    Comme l’a par la suite expliqué l’écrivain Gabriel Garcia Márquez, la mort d’Allende dans la Moneda en flamme est une parabole qui résume les contradictions de la voie chilienne : celle d’un militant socialiste, défendant une mitraillette à la main, une révolution qu’il voulait pacifique et une constitution créée par l’oligarchie chilienne au début du siècle 5 . Cette mort est aussi celle d’un homme politique et d’un militant intègre, fidèle jusqu’au bout à ses principes et à ses engagements.

    Résistance ouvrière atone face aux militaires ?

    Jusqu’au 11 septembre, 8 heures du matin, le président de la République a eu confiance dans la loyauté du général Pinochet et espère, d’une minute à l’autre, son intervention en défense du gouvernement 6 . C’est pourtant ce dernier qui prend la tête de la rébellion. Les soldats, carabiniers ou sous-officiers qui refusent ce qu’ils considèrent comme une trahison, sont immédiatement passés par les armes.

    La stratégie militaire déclenchée dans la capitale suit un plan simple, mais efficace : une incursion directe à la Moneda, afin de détruire (symboliquement et physiquement) le pouvoir central et, de là, se diriger vers la périphérie, avec pour priorité le contrôle des Cordons industriels (CI) 7 . [NDLR : les « Cordons industriels » sont des organismes de démocratie ouvrière, d’inspiration socialiste, destinées à faire le lien entre les diverses sections syndicales ou les différents secteurs industriels du pays ]

    Dans ses mémoires, le général Pinochet dit son étonnement face à la faible résistance rencontrée au sein des CI : « Nous avons effectué un dur labeur de nettoyage. Dans ces derniers moments, nous n’avons pas dû affronter les réactions prévues, de la part des Cordons industriels 8 . » Tout de suite après le coup d’État, de nombreuses rumeurs ont circulé de par le monde, annonçant une opposition massive des ouvriers chiliens au coup d’État. Aujourd’hui, on connaît plus précisément l’ampleur de cette réaction populaire. En fait, le principal foyer d’opposition s’est déroulé dans la zone sud de Santiago.

    Guillermo Rodríguez, qui a tenu avec d’autres de ses camarades à combattre malgré tout, devait écrire : « je crois qu’à ce moment-là, nous nous sommes battus pour l’histoire, afin de laisser un petit drapeau qui dirait “nous avons tout de même fait une tentative, alors que dans d’autres endroits, rien n’a été fait” »

    Elle est le fait de militants de gauche aguerris, membres des appareils militaires du PS et du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR, Movimiento de izquierda revolucionaria ), qui se sont déplacés au sein des Cordons [NDLR : le MIR, d’obédience marxiste-léniniste, est l’élément le plus radical de la coalition dirigée par Salvador Allende ]. Ceci souvent, avec l’appui actif de salariés prêts à se battre. Une fois le coup démarré, l’appareil militaire du PS (avec à sa tête Arnoldo Camú) réussit à regrouper et armer une centaine d’hommes, tandis que se réunit dans l’usine FESA du CI Cerrillos, la commission politique de ce parti.

    Les instructions sont d’initier un plan de défense du gouvernement, qui consisterait à libérer une zone de la ville où puissent se coordonner des actions en collaboration avec les ouvriers des CI San Joaquín, Santa Rosa y Vicuña Mackenna. Le point de ralliement fixé est l’entreprise Indumet (CI Santa Rosa), où se retrouvent des responsables de l’ensemble de l’UP, auxquels se joignent environ 200 ouvriers combatifs. À 11 heures du matin, les dirigeants nationaux de chaque organisation évaluent leur capacité politico-militaire immédiate 9 .

    Comme le rapporte P. Quiroga, témoin de cette réunion, la précarité de la préparation saute aux yeux des militants. La proposition du PS (prendre d’assaut une unité militaire pour avancer sur la Moneda) est rejetée par le Parti communiste (PC), qui préfère attendre la réaction tant espérée des forces armées (pour finalement passer à la clandestinité). Quant à M. Enríquez – d’accord pour intervenir -, il annonce que la force centrale du MIR nécessite encore plusieurs heures, pour pouvoir être opérationnelle… Selon Guillermo Rodríguez, le MIR a mis en veille son appareil politico-militaire (et donc enterré les armes) depuis le 6 septembre, persuadé que le gouvernement est sur la voie de nouvelles conciliations avec la droite 10 .

    Finalement, en l’absence d’une aide venue des soldats de gauche et d’une planification politico-militaire sur le long terme, le « pouvoir populaire » est incapable d’organiser une résistance armée au coup d’État [NDLR : « pouvoir populaire » désigne les formes d’organisation para-étatiques, souvent ouvrières, destinées à concrétiser le socialisme par des actions complémentaires à celles de l’État – ou, pour les plus radicaux, à le remplacer ]. Comme le dit aujourd’hui Guillermo Rodríguez, qui a tenu avec d’autres de ses camarades à combattre malgré tout, « je crois qu’à ce moment-là, nous nous sommes battus pour l’histoire, afin de laisser un petit drapeau qui dirait “nous avons tout de même fait une tentative, alors que dans d’autres endroits, rien n’a été fait 11 ” ».

    La répression et le début du terrorisme d’État

    La violence d’État envahit alors le pays et elle vise en priorité les militants de gauche et les dirigeants du mouvement social, dont tous ceux qui se sont lancés dans l’aventure du « pouvoir populaire ». Dans les témoignages, la dimension traumatique de ces heures de violence intense est partout présente. C’est le début de la « période noire » pour les militants, qui connaîtront la détention, la torture, la mort de proches, l’exil ou la vie en clandestinité pendant des années, etc.

    En même temps que la dictature impose sa chape de plomb à l’ensemble de la société, les habitants des poblaciones , les ouvriers des Cordons, les partisans de gauche connaissent la signification concrète de ce que peut représenter la terreur d’État 12 . Un exemple pris parmi d’autres, est celui de Carlos Mújica. Salarié de l’usine métallurgique Alusa, militant MAPU et délégué du cordon Vicuña Mackenna, il tient à témoigner :

    « Le jour du coup d’État il y avait des morts dans la rue, ils les apportaient même d’autres endroits et ils les jetaient ici. […] Et on ne pouvait rien faire ! Je crois que le plus dur fut à cette époque, l’année 73 – 74. Par la suite, en 1975, les services secrets viennent me chercher à Alusa. Ils me détiennent et m’emmènent à la fameuse Villa Grimaldi : là, ils passaient les gens à la parilla , c’est-à-dire sur un sommier en fer où ils appliquaient le courant électrique sur les jambes… Ils savaient que j’étais délégué du secteur… 13 »

    Déploiement militaire dans les quartiers périphériques de Santiago (11 septembre 1973). Reproduit dans La Huella, Santiago, n° 12, septembre 2002.

    Ils sont des centaines de milliers à passer dans les mains des services secrets de la junte et à être torturés. Plusieurs milliers d’entre-eux sont, aujourd’hui encore, des « détenus disparus ».

    Il s’agit d’une victoire stratégique de l’impérialisme qui permet non seulement de revenir sur les avancées sociales conquises durant ces mille jours, mais aussi de transformer le Chili en un véritable laboratoire : celui d’un capitalisme néolibéral encore inconnu sous d’autres latitudes

    L’une des premières mesures de la junte est d’écraser le mouvement syndical et d’interdire la CUT. La défaite du mouvement révolutionnaire signifie de véritables purges politiques dans les entreprises, qui – pour les plus importantes – passent sous la coupe des militaires : il y aura plus de 270 détenus à Madeco, 500 personnes immédiatement licenciées à Sumar ou encore une répression plus ciblée, comme à Yarur ou Cristalerias de Chile 14 . De nombreux patrons participent pleinement au système de délation et arrestation des militants mis en place par la junte. C’est précisément ce qui se passe à l’usine Elecmetal, rendue à ses propriétaires le 17 septembre 1973 15 .

    Cette répression s’accompagne du licenciement de 100 000 salariés, inscrits sur les « listes noires » de la junte (afin qu’ils ne puissent pas être réemployés). En même temps, la dictature impose la loi martiale, ferme le Congrès, suspend la Constitution et bannit du pays l’activité des partis politiques, y compris de ceux qui ont appuyé le coup d’État. Peu à peu, Pinochet et ses acolytes donnent à la répression une dimension transnationale, en coordination avec les autres régimes militaires de la région et avec le soutien du gouvernement des États-Unis, formant ce qui est désormais connu comme « l’Opération Condor » 16 . Et c’est bien dans le cadre des rapports de forces politiques mondiaux que s’inscrit cette fin tragique de l’UP.

    Il s’agit d’une victoire stratégique de l’impérialisme qui permet, non seulement de revenir sur les nombreuses avancées sociales conquises durant ces mille jours, mais aussi de transformer le Chili en un véritable laboratoire : celui d’un capitalisme néolibéral encore inconnu sous d’autres latitudes et dont ce petit pays du Sud expérimente, le premier, les recettes, sous la coupe des Chicago Boys . Les 17 années de dictature postérieures au 11 septembre 1973, sont celles de ce que Tomás Moulian ou Manuel Gárate nomment « révolution capitaliste », tant la société va être remodelée par la junte 17 .

    Il s’agit, en fait, d’une contre-révolution , dans le sens le plus strict du terme. Et l’ampleur de la violence d’État, complètement disproportionnée en regard de la résistance qui lui est opposée, ne s’explique que parce qu’il s’agit, non seulement de tuer les individus les plus actifs dans le processus de l’UP, mais aussi d’arracher les traces, au plus profond de leur enracinement social, des expériences autogestionnaires qui s’étaient multipliées. Maurice Najman, qui est allé sur place observer l’UP, affirme en octobre 1973 : « En définitive les militaires sont intervenus au moment où le développement du « pouvoir populaire » posait, et même commençait à résoudre, la question de la formation d’une direction politique alternative à l’Unité populaire 18 . »

    Face au coup d’État, il croit pouvoir pronostiquer une prompte résistance armée. Ce pronostic, erroné, est le fruit d’une vision surdimensionnée de la force du « pouvoir populaire ». En fait, l’opposition massive à la dictature ne renaît que bien plus tard, au début des années 1980, à l’occasion des grandes protestas . Entre-temps, l’ensemble des tentatives de « pouvoir populaire » ont complètement disparu sous le talon de fer du régime militaire. Cependant il est un trait du « pouvoir populaire » que la dictature n’a pu effacer complètement : sa mémoire, ou plutôt ses mémoires.

    Notes :

    1 Patricio Quiroga, « Compañeros, El GAP, la escolta de Allende », El Centro , 2002,

    2 Témoignage de Rigoberto Quezada, recueilli par Miguel Silva, Los cordones industriales y el socialismo desde abajo , auto-édition, 1900.

    3 Pour une description des derniers jours d’Allende : Joan Garcès, Allende y la experiencia chilena , Las armas de la política , Santiago, Siglo XXI, 2013.

    4 Patricia Verdugo., Interferencia Secreta. 11 de septiembre de 1973 , Editorial Sudamericana, 1988

    5 Gabriel García Márquez, « La verdadera muerte de un presidente », 1974

    6 Voir les remarques à ce sujet de Luís Vega, alors conseiller du ministère de l’Intérieur, à Valparaíso ( Anatomía de un golpe de Estado. La Caída de Allende , Jerusalén, La semana publicaciones, 1983).

    7 Vicente Martínez., « La estrategia militar en Santiago », La Tercera , 2003

    8 Augusto Pinochet., El día decisivo , Santiago, Andrés Bello, 1979

    9 Se trouvent sur place Víctor Díaz et José Oyarce du PC, Miguel Enríquez et Pascal Allende du MIR, Arnoldo Camú, Exequiel Ponce et Rolando Calderón pour le PS.

    10 Entretien réalisé à Santiago, 6 août 2003.

    11 Entretien réalisé à Santiago, 6 août 2003

    12 Stohl M. et López G., The state as terrorist , Wesport, Greennewood Press, 1984

    13 Entretien réalisé à Santiago, le 14 mai 2002

    14 Peter Winn, Weavers of Revolution: The Yarur Workers and Chile’s Road to Socialism, Oxford University Press, 1989.

    15 La situation d’Elecmetal est plus connue car on a pu, plusieurs années plus tard, retrouver par hasard les corps des victimes et les autopsier (« La complicidad de Elecmetal y Ricardo Claro », El Siglo, Santiago, 20 octobre 2000.

    16 Franck Gaudichaud. Operación Cóndor. Notas sobre el terrorismo de Estado en el Cono sur , Madrid, Sepha, 2005.

    17 Thomas Mouliant, Chile actual, anatomía de un mito , Santiago, ARCIS-LOM, col. « Sin Norte », 1997

    18 Le Monde Diplomatique , Paris, octobre 1973.

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      L’actualité des marxismes chinois

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Sunday, 25 June, 2023 - 20:19 · 12 minutes

    À la manière d’une mise en abyme, le numéro 73 d’ Actuel Marx porte sur les « marxismes chinois ». Il s’agit d’étudier une question trop souvent balayée d’un revers de main : l’importance véritable de la pensée marxiste en Chine depuis le début du XX e du siècle à nos jours, tant pour les autorités, les milieux universitaires que les courants d’opposition. Ainsi, la revue offre des clés précieuses pour comprendre les dynamiques à l’œuvre dans la seconde puissance économique mondiale.

    Il est courant d’évoquer la République populaire de Chine (RPC) sur le mode de la démonologie. Si la nature répressive du régime est indéniable – que l’on pense à la gestion autoritaire du Covid-19, à l’internement de millions d’Ouïghours dans le Xinjiang ou aux multiples répressions de conflits ouvriers –, une telle perspective n’aide aucunement à le comprendre. Pas davantage qu’il ne permet d’éclaircir son paradoxe central : si la pensée marxiste se veut émancipatrice, comment interpréter son omniprésence dans une Chine bien peu socialiste ?

    Le parti dirige tout

    Conformément au rôle que lui conféraient déjà Marx et Engels dans leur Manifeste , le Parti communiste est dans le marxisme officiel chinois l’organisation qui doit conduire le pays vers le communisme. Nathan Sperber 1 analyse les ressorts concrets de cette fonction dirigeante à l’aune du précédent soviétique. Tout comme en Union soviétique, ce que les marxistes appellent l’ appareil d’État n’est pas supprimé mais doit servir d’instrument d’exécution au service du Parti communiste qui, lui, décide.

    Dès lors, le Parti communiste et l’État restent deux entités bien distinctes, mais structurées de manière homologique de sorte à assurer la domination du premier sur le second. À chaque échelon étatique correspond un échelon partidaire, ce qui permet un contrôle à tous les niveaux. Une autre similitude tient dans la concentration du pouvoir par les instances dirigeantes. En dépit de l’affirmation du principe de centralisme démocratique 2 par le Parti communiste d’Union soviétique (PCUS) et le Parti communiste chinois (PCC), les échelons supérieurs exercent un contrôle sur la nomination des membres des organisations inférieures.

    Tous ne considèrent pas ainsi la Chine comme capitaliste, à l’image de Remy Herrera et Zhimming Long pour qui le système chinois est un régime « avec capitalistes mais non capitaliste ».

    Nathan Sperber note néanmoins plusieurs différences significatives qui permettent de prendre la mesure du caractère inédit de la domination partidaire en Chine. Il est singulier que l’Armée populaire de libération (chinoise), contrairement à l’Armée rouge (soviétique), soit entre les mains du Parti et non de l’État. Ensuite, les dangzu ne connaissent pas d’équivalent en Union soviétique. Aussi appelés groupes du parti, on les trouve partout (ministères, administrations territoriales, entreprises publiques, grandes institutions éducatives, sanitaires, sportives, etc.) et leur autorité y est souveraine.

    Enfin, le système servant à nommer aux postes de responsabilités au sein du PCC (la nomenclature) est centralisé horizontalement autour de zuzhibu ou « départements de l’organisation » présents à chaque échelon du parti – ce qui est censé restreindre le développement d’une « bureaucratie » comme en URSS, et participerait à assurer la domination concrète du Parti sur l’appareil d’État.

    Le tournant opéré sous Xi Jinping à partir de 2012 ne fait qu’accroître cette domination du parti. Alors que toute réduction du périmètre d’intervention du PCC est rejetée depuis le mouvement de Tiananmen et l’effondrement de l’URSS, Xi Jinping estime néanmoins que la direction de l’État par le parti pourrait être plus systématique et rigoureuse. Il s’ensuit alors une « suractivité réglementaire, des réagencements bureaucratiques majeurs et une hausse des moyens à la disposition du Comité central et de ses instances ». En parallèle, émerge du discours officiel une conception absolutiste du Parti. Ainsi Xi Jinping affirme-t-il, dans son rapport au 19 e Congrès du PCC, que « le parti dirige tout ». Mais dans quelle direction ?

    Le modèle chinois, une alternative au néolibéralisme ?

    Si d’aucuns peuvent légitimement douter de la nature communiste du régime chinois, Jean-Numa Ducange et Nathan Sperber 3 rappellent que la question du mode de production chinois fait l’objet de vives discussions dans la communauté scientifique, dont ils présentent les grandes contributions. Tous ne considèrent pas ainsi la Chine comme capitaliste, à l’image de Remy Herrera et Zhimming Long pour qui le système chinois est un régime « avec capitalistes mais non capitaliste ».

    Selon Wu Xiaoming et Qi Tao 4 , le « le socialisme aux caractéristiques chinoises » offre au monde l’exemple d’un « projet de civilisation post-néolibérale ». Depuis l’ouverture du pays à l’économie de marché et aux capitaux étrangers sous Deng Xiaoping, les problèmes structurels de bulles économiques, de dégradation écologique, et de l’inégale répartition des richesses perdurent en Chine. Pour autant, l’horizon de la « prospérité commune » fixé par Xi Jinping, ainsi que la politique de lutte contre l’extrême pauvreté 5 permettent aux auteurs d’affirmer que la Chine est entrée dans une nouvelle ère de son développement. Après être restée pendant des décennies au « stade primaire du socialisme », la Chine aurait atteint un nouveau stade de développement dont la portée dépasse la politique intérieure. Wu Xiaoming et Qi Tao vont jusqu’à voir dans cette nouvelle orientation une source d’espoir pour le socialisme mondial.

    Nous regrettons toutefois que les auteurs ne se soient pas davantage attardés sur les parts d’ombres de ce « défi à l’ordre néolibéral occidental », et qu’ils se soient contentés de les évoquer par la formule de « contradictions inhérentes à la crise ». Une analyse de l’état de la lutte des classes en Chine, et de l’attitude active des autorités chinoises dans la répression des contestations ouvrières, aurait été de quelque utilité. D’autant plus que Wu Xiaoming et Qi Tao reconnaissent eux-mêmes que ce sont précisément ces « contradictions » qui empêchent une grande partie des chercheurs occidentaux – et donc plus largement de la population occidentale – de ne voir en la Chine autre chose qu’une menace.

    Vers la domination ou l’harmonie universelle ?

    Dans l’esprit d’un certain nombre de commentateurs occidentaux, la Chine, de l’ Empire du milieu, est devenue l’ Empire du mal . C’est pour lutter contre l’idée reçue d’une Chine expansionniste et dangereuse pour l’ordre international que Viren Murthy 6 revient sur la notion de tianxia chez Zhao Tingyang. À l’origine, le tianxia est un concept confucéen qui signifie littéralement « tout ce qui est sous le ciel ». Zhao Tingyang l’analyse d’un point de vue cosmologique, en ce que le Tianxia mènerait à « l’idée de l’un comme unité harmonieuse de la multiplicité », et est ainsi vecteur d’universalisme.

    On regrettera l’absence d’analyse des pratiques auxquelles s’adonne la Chine en matière de politique internationale. Que l’on parle d’asservissement par la dette ou de rachat d’actifs stratégiques, on voit mal en quoi elle se distingue des États-Unis

    Zhao Tingyang formule à partir de là un projet normatif de communauté universelle libérée de l’impérialisme et gouverné pour le bien commun. Il n’est pas inintéressant de relever que pour certains penseurs chinois cités par l’auteur, les institutions internationales comme les Nations-Unies constituent un tremplin dans la réalisation de l’ordre global auquel appelle le tianxia .

    Cette notion est également brandie par Xi Jinping, qui bute néanmoins sur deux obstacles selon Viren Murthy. Sur le plan intérieur, les exemples du Tibet et du Xinjiang démontrent « incontestablement l’échec du “multiple” en même temps que de l'”Un” ». À propos de l’ordre international, si Xi Jinping, conformément à l’idéal du tianxia , parle fréquemment de « communauté de destin pour l’humanité », il résout néanmoins la tension entre l’un et le multiple en faisant primer le premier sur le second lorsqu’il considère que la question de la démocratie est une affaire interne à chaque État.

    On voit ainsi que le concept de tianxia , profondément ancré dans la culture chinoise, assure à celle-ci un idéal régulateur opposé à l’ordre mondial impérialiste et guerrier actuel. En bon dialecticien, Viren Murthy souligne, avec la marxiste Lin Chun, que « jusqu’à présent ce discours s’est gardé de prendre en compte […] la question du capitalisme », tout en reconnaissant que le souci qu’a Zhao Tingyang de « remodeler l’ordre mondial dans le sens de l’épanouissement humain et de l’égalité entre les nations » porte une charge révolutionnaire compatible avec la perspective marxiste d’abolition du capitalisme.

    On regrettera ici l’absence de mise en perspective de cette notion philosophique avec les pratiques réelles auxquelles s’adonne la Chine en matière de politique internationale. Que l’on parle d’asservissement par la dette – du Sri Lanka à divers pays d’Asie centrale – au rachat d’actifs stratégiques, on voit mal en quoi la Chine se distingue des États-Unis en matière de contrats financiers.

    La question de l’échange inégal

    Plus fréquent encore que la critique de son interventionnisme extérieur, on reproche souvent à la Chine sa politique commerciale agressive. Celle-ci profiterait de la sous-évaluation de sa monnaie – et des faibles salaires – pour doper ses exportations. De même, les subventions aux entreprises nationales et le poids des contraintes réglementaires constitueraient des freins à l’importation de marchandises, ce qui renforcerait l’endogénéité de la production du pays. En outre, la Chine est accusée de pratiquer le vol de propriété intellectuelle. C’est en portant ces accusations que les États-Unis (dirigés par Donald Trump mais avec le soutien du Parti démocrate) ont enclenché en 2018 une « guerre commerciale » contre l’Empire du milieu.

    Si le creusement du solde de la balance commerciale entre les États-Unis et la RPC constitue une preuve indéniable de « l’avantage » commercial chinois, le véritable bénéficiaire n’est pas nécessairement celui auquel on pense. C’est la thèse que défendent les économistes Rémy Herrera, Zhiming Long, Zhixuan Feng et Bangxi Li 7 en s’appuyant sur le concept d’« échange inégal ». Forgé par Arghiri Emmanuel puis approfondi par Samir Amin, l’« échange inégal » désigne le transfert de valeur qui s’opère des pays en développement vers les pays « développés » à travers le commerce de biens et de services dont la production nécessite un nombre d’heures de travail humain sensiblement différent. L’échange d’un tracteur contre une certaine quantité de café est certes égal en terme nominal, le prix des deux termes est le même, mais la quantité de travail qu’il aura fallu pour les produire ne l’est pas.

    À mesure que le transfert de valeur des États-Unis vers la Chine se réduit, c’est l’exploitation économique du premier pays par le second qui est remise en cause.

    À partir de deux méthodes de calculs différentes, les auteurs tentent une démonstration économétrique visant à établir l’inégalité de l’échange entre les États-Unis et la Chine. Ils concluent ainsi qu’« entre 1978 et 2018, en moyenne, une heure de travail aux États-Unis a été échangé contre près de 40h de travail chinois ».

    Néanmoins, on observe une baisse considérable de l’échange inégal entre les deux pays sur cette même période. En 2018, 6,4h de travail chinois étaient en moyenne échangées contre une heure de travail des États-Unis. Une explication à cela tient dans la stratégie de développement chinoise grâce à laquelle les biens et les services de haute technologie représentent aujourd’hui plus de la moitié des exportations du pays 8 .

    À mesure que le transfert de valeur des États-Unis vers la Chine se réduit, c’est l’exploitation économique du premier pays par le second qui est remise en cause. Or, si les Chinois ne peuvent accepter plus longtemps la domination économique américaine, les États-Unis ne sauraient abandonner un des fondements de leur prospérité sans livrer bataille.

    Cette contribution a selon nous le grand mérite de poser la question de l’actualité de la théorie marxiste de la valeur pour l’analyse de l’économie mondiale, à l’heure où celle-ci est pratiquement oubliée – ou ignorée – par une gauche française, qui tend à faire du débat sur la « valeur-travail » une question morale.

    Le numéro 73 d’ Actuel Marx offre de précieux éclairages sur les liens entre parti et État, le régime économique intérieur et les relations commerciales entre la Chine et le reste du monde – autant de questions sur lesquelles la grille de lecture marxiste s’avère féconde. C’est tout juste si l’on regrettera que le paradoxe central qui vient à l’esprit de tout observateur – l’omniprésence de la pensée marxiste dans un régime caractérisé par de fortes inégalités et une répression des conflits ouvriers – ne soit qu’effleuré…

    Notes :

    1 Sperber, Nathan. « Les rapports entre parti et État en Chine aujourd’hui : une clé de lecture soviétique », Actuel Marx , vol. 73, no. 1, 2023, pp. 21-39.

    2 Le centralisme démocratique, tel qu’établi par Lénine, consiste dans le devoir qu’a la minorité de respecter la majorité, et l’organe inférieur de suivre l’organe supérieur, en échange du fait que toutes les institutions du Parti soient gouvernées par des élections démocratiques.

    3 Ducange, Jean-Numa, et Nathan Sperber. « Marxismes chinois et analyses marxistes de la Chine : les défis du XXIe siècle », Actuel Marx , vol. 73, no. 1, 2023, pp. 10-20.

    4 Xiaoming, WU, et Qi Tao. « Modernisation à la chinoise et possibilités d’une nouvelle forme de civilisation », Actuel Marx , vol. 73, no. 1, 2023, pp. 78-93.

    5 Il est estimé que, depuis les quarante dernières années, le nombre de Chinois vivant sous le seuil de pauvreté tel que défini par la Banque mondiale (1,9 $ par jour et par personne) a diminué de 800 millions.

    6 Murthy, Viren. « Le « tianxia » selon Zhao Tingyang : l’ordre du monde de Confucius à Mao », Actuel Marx , vol. 73, no. 1, 2023, pp. 64-77.

    7 Herrera, Rémy, et al. « Qui perd gagne. La guerre commerciale sino-étasunienne en perspective », Actuel Marx , vol. 73, no. 1, 2023, pp. 40-63.

    8 La hausse du niveau des salaires en Chine est aussi un facteur explicatif. La rémunération du travail dans les pays du Sud et la « mauvaise » spécialisation sont débattues comme causes de l’échange inégal entre Samir Amin et Arghiri Emmanuel. Voir : http://partageonsleco.com/2022/06/13/lechange-inegal-fiche-concept/.

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      Derrière le retour du folklore maoïste, la mise au pas des travailleurs chinois

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Friday, 21 April, 2023 - 16:35 · 12 minutes

    Le Parti communiste chinois (PCC) connaîtrait-il un retour à l’ère maoïste ? Depuis quelques années, les médias occidentaux ne sont pas avares de comparaisons entre Xi Jinping et le fondateur de la République populaire de Chine (RPC) Mao Zedong. Un rapprochement favorisé par la propagande du PCC lui-même, qui multiplie les références au marxisme et au socialisme – « à la chinoise ». Cette inflation rhétorique masque mal la réalité d’une société de marché brutale, où la répression contre les mouvements ouvriers s’est accrue depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. Ce dernier s’appuie sur une partie de la faction « maoïste » du PCC, et les mécontents de la transition vers le capitalisme en général. Si leurs revendications sont piétinées par les orientations politiques de Xi Jinping, du moins obtiennent-ils satisfaction dans les symboles… Par Marc Ruckus, traduction Albane le Cabec.

    Dans les années 1990, la République populaire de Chine (RPC) devenait « l’usine du monde » des biens de consommation. Le boom de la manufacture, de la construction et d’autres secteurs reposait sur une main-d’œuvre abondante, procurée par la migration interne de travailleurs chinois issus des campagnes.

    Leurs conditions de travail difficiles ont entraîné de nombreux conflits sociaux, notamment des grèves sporadiques dans les usines et sur les chantiers de construction, suivies de près par de courtes vagues de grèves dans les provinces de la côte est – en particulier dans le Guangdong. Ces mobilisations comprenaient également des formes cachées de résistance quotidienne sur le lieu de travail – sabotage, ralentissements et ce que James Scott nomme les « armes des faibles ».

    De la migration interne à la lutte

    Dans la première moitié des années 2000, les revendications des travailleurs migrants étaient majoritairement défensives, réclamant le respect du droit du travail ou le paiement des arriérés. S’ils ne négligeaient pas les stratégies de pression sur la direction, ils recouraient surtout aux voies légales, comme les conseils d’arbitrage ou les tribunaux du travail.

    Dans la seconde moitié des années 2000, l’expérience des travailleurs s’est accrue et ils ont commencé à adopter une attitude plus offensive, réclamant des augmentations de salaire, un meilleur traitement de leur hiérarchie et une diminution de leur temps de travail – parfois même des négociations collectives ou une représentation adéquate des travailleurs au sein de l’entreprise.

    Dans l’industrie légère, la construction et les transports – secteurs caractérisés par une forte concentration de travailleurs, ce qui leur confère une capacité d’action particulière – les mouvements les plus significatifs ont eu lieu. Les travailleurs ont ainsi bénéficié de l’amélioration de leur pouvoir de négociation générée par les pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs clés de la côte est.

    Le nombre de manifestations ouvrières a continué d’augmenter jusqu’en 2015, avant de décroître lentement. La nature des protestations changeait elle aussi : la tertiarisation de l’économie a notamment impliqué davantage de travailleurs des services – transports, éducation, banque, informatique – dans les conflits sociaux.

    Les travailleurs chinois migrants ne se définissaient pas eux-mêmes comme « travailleurs », ils utilisaient plutôt le terme de dagongmei, « garçon travailleur », ou nongmingong , « travailleur du pays », qui expriment le statut précaire et temporaire des travailleurs des villes

    Avec le ralentissement de la croissance économique, et les restructurations et délocalisations qui en ont résulté, les travailleurs ont multiplié les luttes contre les licenciements massifs qui avaient cours. Il faut ajouter à cela que suite au vieillissement des travailleurs migrants – dont beaucoup atteignaient alors la quarantaine ou la cinquantaine -, les cotisations sociales sont devenues un objet de revendications.

    Conflit de classes sans langage de classes

    La plupart de ces luttes étaient spontanées et autonomes des organisations. Elles prenaient place dans un contexte législatif où les grèves n’étaient ni garanties ni protégées par la loi, et où le Parti communiste chinois (PCC) n’autorisait pas la création de syndicats indépendants.

    Lorsque leurs luttes se sont propagées dans les années 2000, les travailleurs migrants n’exprimaient pas leurs revendications en termes de classes sociales. La base de l’auto-organisation était souvent constituée du lieu d’origine des travailleurs – issus d’un même village ou d’une même région. Mais avec leur installation pérenne dans des zones urbaines, de plus en plus de protestations se sont organisées sur la base d’intérêts communs et l’emploi commun, le département commun, ou l’usine commune sont devenus le fondement de la mobilisation.

    Dans les débats publics, le langage des classes ( jieji ) et de la lutte des classes ( jieji douzheng ) avait disparu dans les années 1980, abandonné par le PCC et la plupart des universitaires et analystes, pour être remplacé par un discours wébérien sur les « couches sociales » ( jieceng ).

    Les travailleurs migrants ne se définissaient pas eux-mêmes comme « travailleurs », car le terme chinois gongren était encore réservé aux travailleurs des entreprises publiques urbaines. Ils utilisaient plutôt celui de dagongmei, « garçon travailleur », ou nongmingong , « travailleur du pays », qui expriment le statut précaire et temporaire des travailleurs des villes.

    Si elles se sont heurtées à la répression du parti-État, les mobilisations et les luttes des travailleurs migrants ont été victorieuses sur plusieurs plans.

    Dans les années 90 et 2000, le parti au pouvoir, alors sous la direction de Jiang Zemin et en pleine restructuration de l’économie chinoise, n’a souvent pas été en mesure de répondre aux conflits sociaux de manière cohérente et planifiée ; il a préféré les résoudre en envoyant la police, jetant de l’huile sur un feu déjà brûlant. La stratégie du gouvernement change seulement avec Hu Jintao dans le milieu des années 2000 et s’appuie davantage sur des méthodes de concession et de cooptation.

    La carotte et le bâton

    À cette époque, les grèves présentaient rarement un problème majeur pour les entreprises, publiques ou privées : le faible niveau des salaires et le boom de l’économie autorisaient de petites concessions. Les autorités locales ou régionales toléraient les manifestations ouvrières tant qu’elles se limitaient à une seule entreprise, tandis que les organisateurs de grève étaient licenciés et les tentatives de création de syndicats indépendants étaient sévèrement réprimées.

    C’est seulement lorsque les luttes ouvrières se sont propageaient au-delà des limites de l’entreprise, accouchaient de revendications politiques ambitieuses ou ne pouvaient être résolues rapidement que les autorités locales intervenaient. Après plusieurs années de développement de ses capacités répressives cependant, l’État chinois était prêt, dans la décennie 2010, à recourir à des mesures policières plus systématiques. La police avait crû en nombre et en qualification, la surveillance et de censure en ligne avaient gagné en efficacité, les activités des ONG étaient mieux réglementées – sans compter que de nouvelles lois sociales encadraient davantage la vie au travail et renforçaient le pouvoir des syndicats officiels.

    La passation de pouvoir entre Hu Jintao et Xi Jinping n’a rien changé quant aux méthodes institutionnalisées de résolution des conflits au travail, qui ont continué à demeurer prévalentes. Dans le même temps cependant, la répression des conflits s’accroissait à mesure que la croissance se tassait, tandis que d’autres facteurs – les fermetures d’usines causées par leur délocalisation, les problèmes liés au vieillissement des travailleurs migrants, etc – tendaient à les multiplier.

    ONG syndicales et néo-maoïsme : la nouvelle donne politique

    La popularité des ONG s’accroissait en Chine à mesure que l’État cessait peu à peu de remplir ses fonctions de service public – respectant à la lettre le slogan « petit gouvernement, grande société » ( xiaozhengfu, dashehui ). La plupart n’affichaient au départ aucune coloration politique et ne se présentaient pas en opposition au régime. Seule une minorité soutenait ouvertement les luttes sociales.

    Des militants de gauche issus de Hong Kong n’ont pas peu fait pour politiser les ONG et investir les réseaux syndicaux chinois. Et certaines de ces organisations ont alors commencé à recevoir un soutien financier d’ONG et de fondations basées à Hong Kong, en Europe et en Amérique du Nord.

    La répression repose sur une palette variée d’outils destinés à limiter l’activité de la gauche d’opposition, et ce depuis son renouveau dans les années 1990. Les libertés politiques ont été plus restreintes encore sous la nouvelle direction de Xi Jinping après 2012.

    Elles ont joué un rôle non négligeable lorsque les luttes des travailleurs migrants se sont généralisées à la fin des années 2000 – aidant en coulisse à coordonner des mobilisations, notamment sur internet, appelées « actions collectives déguisées » ou « mobilisation sans les masses ».

    Une grande diversité caractérisait ces « ONG syndicales » en termes d’orientation politique. Le Bulletin des travailleurs chinois , par exemple, basé à Hong Kong, défendait une perspective sociale-démocrate et d’indépendance syndicale. D’autres étaient influencées par le trotskysme.

    L’utilisation croissante des plateformes a créé un espace de débats qui a permis à une variété de courants d’émerger – du moins jusqu’à ce que la censure ne restreigne leur importance. C’est dans le néo-maoïsme que les militants syndicaux ont puisé leur influence la plus importante – un courant distinct de la gauche maoïste qui avait fait ses armes au cours de la Révolution culturelle. Dans de nombreuses universités chinoises, de jeunes étudiants issus de milieux urbains – et de plus en plus fréquemment de familles migrantes – ont formé des « groupes d’étude marxistes » où la littérature maoïste était relue à l’aune de la nouvelle réalité capitaliste de la RPC. Les visites dans les zones industrielles du sud sont devenues monnaie courante, ainsi que les enquêtes secrètes dans des usines – comme celles du fournisseur d’électronique Foxconn. Des actions spectaculaires d’étudiants rejoignant l’usine pour y soutenir les luttes ouvrières ont eu lieu.

    La répression a commencé après l’affaire de l’usine Jasic à Shenzhen – fabricant de machines à souder – en 2018. Au départ, les étudiants maoïstes recevaient peu de soutien des autres travailleurs. Mais lorsque la police locale a procédé à des arrestations, ils sont parvenus à organiser des mobilisations massives. C’est alors que la police a procédé à une campagne nationale de répression contre les groupes d’étude maoïstes dans tout le pays.

    Cette vague de répression a frappé non seulement les personnes impliquées dans l’affaire Jasic, mais également d’autres groupes militants et ONG syndicales. Au sein de la gauche, elle a disqualifié la stratégie néo-maoïste d’éducation populaire et d’organisation des travailleurs portée par ces groupes étudiants.

    Au tournant de la décennie 2010, un clivage politique s’est creusé entre différents courants du néo-maoïsme. Alors que certains saluaient les réformes sociales de Hu Jintao (et son programme visant à instituer de « nouvelles campagnes socialistes »), le « modèle de Chongqing » suscitait encore davantage d’enthousiasme. Dans la grande ville de Chongqing, à l’Ouest de la Chine, Bo Xilai, le dirigeant du PCC, défendait une politique de logement et de protection sociale tout en menant une campagne contre le crime organisé. Il entretenait soigneusement le folklore maoïste et la nostalgie des grandes années « rouges » de la Chine.

    Bo était largement perçu comme le concurrent du successeur désigné de Hu Jintao, Xi Jinping. La direction du parti trancha contre la ligne de Bo, qui fut finalement arrêté en 2012 et reconnu coupable de corruption. Le « modèle de Chongqing » s’éteint avec lui. Mais non sans avoir durablement accru les fractures entre les tendances de « gauche maoïste » ( maozuo ) et de « droite maoïste » ( maoyou ). La « gauche maoïste », qui converge dans un rejet du tournant pro-capitaliste du PCC, est elle-même un courant très large, unissant des socialistes démocrates à des partisans d’une forme plus autoritaire de socialisme.

    La droite maoïste, de son côté, continue de critiquer l’impact négatif des réformes libérales sur la classe ouvrière, mais s’accroche à l’idée marxiste-léniniste d’un parti-État unique. Elle espère ramener la direction du PCC vers une voie « socialiste » et a même soutenu la direction du parti sous Xi Jinping, qui avait multiplié les clins d’oeil à son égard ces dernières années…

    Repeindre en rouge l’intégration des « capitalistes » au Parti

    La répression repose sur une palette variée d’outils destinés à limiter l’activité de la gauche d’opposition, et ce depuis son renouveau dans les années 1990. Les libertés politiques ont été plus restreintes encore sous la nouvelle direction de Xi Jinping après 2012. La répression contre différentes formes d’opposition organisée s’est intensifiée, et ciblait les journalistes, les avocats et les militants.

    Alors que bon nombre de ces personnalités de l’opposition étaient des libéraux éloignés des actions militantes, la répression contre les militants syndicaux et les ONG en décembre 2015 a indiqué qu’ils sont également dans le collimateur des forces de sécurité de l’État. Sur le front idéologique, et afin de renforcer sa légitimité, le PCC a promu une interprétation monolithique et simplifiée du marxisme, du maoïsme et de son propre héritage socialiste. La redéfinition du « marxisme » par la direction du parti avait commencé peu de temps après que les « capitalistes » furent autorisés à rejoindre leurs rangs, dans les années 2000.

    Le parti craignait alors de perdre sa légitimité et son soutien parmi les ouvriers et les paysans. Sous Xi Jinping, la direction a tenté de renforcer le pouvoir du parti par des réformes à la fois institutionnelles et idéologiques. Confronté au ralentissement de la croissance économique, aux contradictions généralisées au sein du parti au pouvoir et de l’appareil d’État, et à la persistance des inégalités et des tensions sociales, il a décidé de renforcer son pouvoir par des campagnes, des purges et la censure.

    Les mesures répressives ont été complétées par la réintégration d’une rhétorique de gauche et marxiste dans le discours officiel. La répression étatique de l’opposition de gauche est devenue préventive, et tente désormais de tuer dans l’œuf toute coordination entre les manifestants et les militants. Ni les ONG syndicales ni les groupes d’étudiants maoïstes n’ont pu poursuivre leur engagement depuis le début de la vague de répression. Cette jeune génération de militants pourrait d’ores et déjà être arrivée à son terme.

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      Le sale petit secret du « droit à la paresse »

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 7 March, 2023 - 04:30 · 2 minutes

    Les opposants au recul de l’âge de la retraite proposée par la réforme mal ficelée portée par le gouvernement Macron ne s’embarrassent pas vraiment de nuances. Après avoir joué sur la corde du misérabilisme (les pauvres meurent avant la retraite), le complotisme (c’est Blackrock qui veut la réforme), voilà le « droit à la paresse » qui refait surface dans la comm des écolos et des radicaux.

    Une jeune militante écolo l’a rappelé récemment, « on a le droit d’avoir envie de faire autre chose que travailler. »

    Avant elle, Sandrine Rousseau s’était illustrée en défendant le parasitisme social au nom du droit à la paresse : les allocations chômage ne sont pas un filet de sécurité mais un moyen pour les individus d’éviter de travailler.

    La paresse contre « l’exploitation capitaliste »

    Parler de « droit à la paresse » renvoie à l’essai du gendre de Karl Marx Paul Lafargue, qui dans un essai aux tonalités lyriques expliquait que les lendemains qui chantent passaient par la limitation du temps de travail pour la classe ouvrière :

    « Si, déracinant de son cœur le vice qui la domine et avilit sa nature, la classe ouvrière se levait dans sa force terrible, non pour réclamer les Droits de l’homme, qui ne sont que les droits de l’exploitation capitaliste, non pour réclamer le Droit au travail qui n’est que le droit à la misère, mais pour forger une loi d’airain, défendant à tout homme de travailler plus de trois heures par jour, la Terre, la vieille Terre, frémissant d’allégresse, sentirait bondir en elle un nouvel univers… »

    Sauf qu’au « droit à la paresse » des uns répond une obligation de financer l’improductivité par les autres. Le lyrisme pseudo-libertaire masque le devoir pour tous les secteurs productifs de la société de subventionner ceux qui ne « veulent pas travailler ». Le « modèle social » au nom de cette rhétorique parasitaire n’a plus la solidarité comme justification mais l’entretien de nouvelles classes d’oisifs politiquement sélectionnées à des fins clientélistes.

    Le socialisme des populistes de plateau télé n’abolit plus l’exploitation, il la déplace pour faire peser le fardeau sur les actifs, les contribuables et les générations futures via la dette.

    Ses défenseurs devraient méditer le propos de Lénine, inspiré par Saint Paul, qui visiblement ne partage pas le même avis que Lafargue : « celui qui ne travaille pas ne mangera pas ».

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      John Maynard Keynes contre le socialisme

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 18 February, 2023 - 03:40 · 8 minutes

    John Maynard Keynes est un orphelin idéologique.

    Il suffit de lire des passages de sa Théorie Générale , pour s’apercevoir que le grand homme, sentant que son texte renforçant les prérogatives de l’État s’éloignait grandement du libéralisme, prît soin de flatter la famille qu’il quittait autant que faire se pouvait sans trahir son propos, sans manquer d’attaquer le marxisme.

    Orphelin idéologique, et mort à l’issue de la guerre, J.M. Keynes a été adopté post-mortem par les socialistes alors que lui-même s’en était explicitement démarqué. À chaque fois qu’on nous préconise une nouvelle forme d’intervention de l’État dans les affaires économiques, J.M. Keynes semble donner, du ciel, sa bénédiction tacite. Plutôt que de laisser les étatistes s’approprier le nom d’un des grands hommes du siècle, nous devrions les mettre face aux écrits de leur héros car ceux-ci ne cautionnent absolument pas leurs politiques.

    Dans la conclusion de son magnum opus , J.M. Keynes explique que ses préconisations n’ont d’autre objet que la sauvegarde du « capitalisme » comme système économique, et de l’« individualisme » comme système politique. Dans l’Europe d’aujourd’hui, seuls des libéraux défendraient avec autant d’attachement ces principes comme fondement de la société, tant une dimension péjorative s’y est désormais associée.

    Voici ce qu’écrit Keynes dans la conclusion de sa Théorie Générale :

    « Le contrôle central nécessaire au plein-emploi implique, bien sûr, un accroissement important des fonctions traditionnelles du gouvernement. Mais il laisse de vastes prérogatives à l’initiative et à la responsabilité privée. En leurs seins,  les avantages traditionnels de l’individualisme prévalent. Prenons le temps de nous remémorer ces avantages. Ils sont pour partie des avantages d’efficacité – ceux de la décentralisation et du jeu des intérêts personnels. Les avantages des décisions et responsabilités individuelles sont peut-être plus grands encore que ce que le XIX e siècle supposa : et la réaction contre l’appel des intérêts égoïstes est peut-être allé trop loin. Mais par-dessus tout, l’individualisme, purgé de ses excès, est le meilleur bouclier des libertés individuelles dans la mesure où, comparé à tout autre système, il agrandit considérablement le champ d’exercice du libre arbitre. […] Bien que l’élargissement des fonctions du gouvernement, induit par la tâche d’ajuster la propension à consommer et l’incitation à investir, paraîtrait à un journaliste du XIX e siècle ou à un financier américain contemporain être une entorse terrible à l’individualisme, je le défends, tout au contraire, à la fois comme le seul moyen pratique de sauvegarder le système existant dans son intégralité et la condition du bon fonctionnement de l’initiative individuelle. » – J.M. Keynes, Théorie Générale de l’Emploi, de l’Intérêt et de la Monnaie.

    Si au regard de la communauté des économistes de son époque, John Maynard Keynes n’est pas vraiment un libéral, il n’est certainement pas non plus un socialiste. Parce que Keynes s’est démarqué des penseurs classiques, les socialistes en ont profité pour se l’approprier et ont abusé de son nom comme les capitalistes abusèrent du nom d’Adam Smith au siècle précédent. De même qu’Adam Smith n’est pas un libertarien, ni un défenseur de l’égoïsme comme principe de société , John Maynard Keynes n’est pas un socialiste qui croit au partage du travail.

    Maintenant que les interventionnistes se revendiquent de l’autorité du maître, confrontons quelques-unes de leurs guignoleries aux idées de l’économiste qu’ils vénèrent.

    La relance par le déficit

    En 1937, Keynes explique clairement que les préconisations budgétaires de sa Théorie Générale ne valent que pour les crises économiques.

    Pour résumer rapidement sa pensée, Keynes pense qu’il existe des moments où les anticipations des agents économiques sont si mauvaises qu’ils réduisent considérablement leurs investissements et leur consommation de sorte que les entreprises anticipent peu de débouchés, ce qui enclenche un cercle récessif dont le marché ne peut, d’après Keynes, s’échapper tout seul. L’État peut, toujours selon lui, prendre le relais via le déficit public, qui permet de relancer la demande sans taxer davantage le revenu des citoyens et des entreprises.

    En somme, Keynes pense que le budget de l’État doit être contra-cyclique, déficitaire en période de crise, mais aussi équilibré ou excédentaire en période d’expansion. Il déclare ainsi en 1937 :

    « The boom, not the slump, is the right time for austerity at the Treasury. »

    Traduction : L’expansion, non la récession, est le bon moment pour l’austérité au Trésor.

    Keynes n’est donc pas un penseur de la dette publique. C’est un penseur du déficit temporaire comme correcteur de la conjoncture économique.

    Sa théorie a deux versants : le déficit budgétaire en période de crise, l’austérité le reste du temps.

    Or depuis sa mort, la gabegie étatique a cumulé les déficits publics malgré la croissance économique. Mais dans l’esprit de Keynes, le déficit public en période de crise n’est possible que dans la mesure où les périodes d’expansion ont servi à l’assainissement des comptes publics.

    Si Keynes préconiserait, aujourd’hui, probablement des déficits pour relancer la croissance, il s’affligerait qu’en son nom des politiciens ait creusé la dette publique quand tout allait bien. Car ce passif rend aujourd’hui le déficit extrêmement douloureux, voire impossible pour certains pays.

    Les déficits accumulés par l’État-providence au cours des cinquante dernières années ne trouvent donc aucun crédit dans la théorie de J.M. Keynes, tout au contraire, puisqu’ils alimentent un déficit permanent depuis 1981.

    Keynes contre le socialisme ambiant

    D’autres politiques socialistes prennent toujours Keynes comme l’autorité leur accordant leur bénédiction. Prenons donc quelques exemples associés à des extraits de leur professeur d’économie préféré.

    La hausse des salaires crée du chômage !

    Les socialistes nous racontent que l’augmentation des salaires accroît la demande, et donc en définitive réduit le chômage. Or, si Keynes critique la capacité du marché à coordonner correctement la demande et l’offre de travail, il précise ne pas réfuter que le niveau des salaires et de l’emploi soient inversement corrélés. De quoi éclairer le débat sur le SMIC !

    « Cela signifie que, pour une organisation, des techniques et des équipements donnés, les salaires réels et le niveau de la production (et donc de l’emploi) sont inversement corrélés, de sorte qu’en général une hausse de l’emploi ne peut seulement intervenir qu’en parallèle d’une baisse des salaires réels. Ainsi, je ne conteste pas ce fait vital que les économistes classiques ont (avec raison) qualifié d’immuable. » – J.M. Keynes, Théorie Générale de l’Emploi, de l’Intérêt et de la Monnaie.

    La régulation des prix détruit l’offre !

    Peut-être Mme Duflot devrait aussi lire ce que Keynes penserait du blocage des loyers, et des prix régulés en général :

    « La préservation d’une valeur fictive de la monnaie, par la force de la loi s’exprimant dans la régulation des prix, contient en elle-même les graines du déclin économique final, et assèche rapidement la source de l’offre. » – J.M. Keynes, Les Conséquences Économiques de la Paix.

    L’inflation, c’est du vol !

    Les libéraux répètent que l’inflation est un impôt caché qui, n’étant voté par aucun Parlement, n’est que du vol. On les traite d’extrémistes sans pragmatisme. Voyons ce qu’en disait Keynes :

    « Sa conséquence la plus marquante est l’injustice pour ceux qui de bonne foi ont placé leur épargne sur des titres nominaux plutôt que dans des choses [réelles]. Mais l’injustice à cette échelle a de plus grandes conséquences. […] De plus, l’inflation ne se limite pas à réduire la capacité des investisseurs à épargner mais a aussi détruit l’atmosphère de confiance qui est une condition nécessaire de l’épargne volontaire. Pourtant, une population croissante souhaitant maintenir son niveau de vie a besoin d’une croissance proportionnelle de son capital. […] Un gouvernement peut vivre longtemps […] en imprimant de la monnaie papier. C’est-à-dire, qu’il peut ainsi prélever des ressources réelles, aussi réelles que celles obtenues par les impôts. […] Le poids de cet impôt est largement étalé, ne peut être évité, ne coûte rien à collecter, et tombe, d’une manière rude, en proportion de la richesse de la victime. Pas de miracle à ce que ses avantages superficiels aient attiré les ministres des Finances. » – J.M. Keynes, Essai sur la Réforme Monétaire.

    Toujours plus d’État ?

    Dans une correspondance avec l’économiste Colin Clark à la fin de la guerre, Keynes admet que :

    « 25 % taxation is about the limit of what is easily borne. »

    (Traduction : un taux d’imposition de 25 % est la limite de ce qui peut être facilement supporté.)

    Aujourd’hui la dépense publique absorbe 56 % du PIB. Que tous ceux qui se revendiquent de Keynes manifestent pour le limogeage de millions de fonctionnaires et la réduction des dépenses de l’État d’un montant minimum de 600 milliards d’euros par an !

    Conclusion

    Les libéraux ne citent pas John Maynard Keynes. Ils ont leurs classiques, qu’on appelle d’ailleurs « Les Classiques ».

    Pourquoi les socialistes citent-ils Keynes ? Parce qu’en vérité, sur la question économique ils se trouvent dans un relatif désert idéologique qui s’étend de Karl Marx à John Maynard Keynes. Si en vérité ce désert a ses touaregs, aucun de ses habitants n’a la dimension intellectuelle d’un Karl Marx, d’un John Maynard Keynes ou d’un Adam Smith. Et comme Karl Marx ne se vend plus très bien auprès de l’électeur médian, le pauvre économiste britannique a été réquisitionné sans pouvoir donner son avis. Pourquoi donc les laisser faire ? Amusons-nous donc avec ce qu’il croit à tort être leur jouet !

    Article publié initialement le 15 décembre 2012 .

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      Espagne : « la défaite du vainqueur » de Rogelio Alonso

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 8 February, 2023 - 03:50 · 5 minutes

    Maître de conférences en Sciences politiques à l’Université Rey Juan Carlos de Madrid, Rogelio Alonso est un spécialiste internationalement reconnu du terrorisme. Directeur du master en Analyse et prévention du terrorisme de cette même université, il a été enseignant durant dix ans à l’Université d’Ulster (Belfast) et publié plusieurs ouvrages sur l’histoire de l’IRA, dont certains ont été primés outre-Manche.

    Pour cette monographie publiée en 2018, le politologue s’appuie sur une grande quantité de sources : déclarations publiques (presse, télévision, meetings politiques, blogs), archives (police, renseignement, décisions de justice) ainsi que sur des entretiens menés avec des terroristes ayant accepté de témoigner anonymement. Ce travail de science politique remarquable permet de briser deux mythes qui conditionnent encore la vie politique espagnole :

    1. L’arrêt du terrorisme basque serait le fruit d’un dialogue politique.
    2. C’est la gauche espagnole qui serait à créditer du succès de cette stratégie.

    Les trois leçons de l’ouvrage

    Trois enseignements essentiels sont à tirer du travail de Rogelio Alonso :

    • Le travail combiné des services de police et de renseignement espagnol et français, principalement durant les deux mandats de José-Maria Aznar (1996-2004), affaiblirent logistiquement et politiquement l’ETA. Les négociations avec l’organisation terroriste, menées par le gouvernement socialiste de José-Luis Rodriguez Zapatero (2004-2011), permirent à l’ETA de se restructurer, d’obtenir une légitimité politique et de faire croire à une reddition volontaire des armes.
    • La négociation mise en place et défendue par le gouvernement socialiste de José-Luis Rodríguez Zapatero avait pour seul objectif de défendre les intérêts électoraux du Parti socialiste.

    En 2004, l’ETA vivait un contexte de déroute opérationnelle et logistique qui augurait de sa reddition. Pourtant, l’arrivée au pouvoir de José-Luis Rodriguez Zapatero changea totalement la donne. Ce dernier troqua le succès avéré de la lutte antiterroriste pour une négociation avec l’ETA, initialement cachée aux citoyens, afin d’orchestrer une fin volontaire de l’activité terroriste issue d’un dialogue politique.

    Évidemment, les deux parties sortirent gagnantes de cette négociation orchestrée. De son côté, l’ETA obtint une légitimité politique qui lui aurait été refusée si elle avait été déroutée par les instruments de l’État de droit. La négociation d’égal à égal avec l’État puis l’entrée postérieure dans la légalité politique d’EH Bildu, formation politique composée d’anciens membres de l’ETA, soutinrent la thèse des nationalistes selon laquelle les attentats avaient été nécessaires pour être reconnus politiquement.

    En agglutinant les nationalistes autour de son projet de négociation État-ETA, les socialistes isolèrent le Parti populaire. En effet, ce dernier fut le seul à refuser la négociation d’égal à égal entre un État démocratique libéral et une organisation terroriste. En parallèle, les socialistes réouvrirent une guerre civile mémorielle et, reprenant les arguments nationalistes, commencèrent à accuser le Parti populaire d’être le parti héritier du franquisme, forcément favorable à la répression des identités régionales.

    Les socialistes et les nationalistes parvinrent à dépeindre le Parti populaire, parti qui avait lui-même approfondi la décentralisation administrative et politique de l’Espagne, comme un parti va-t-en-guerre et infréquentable à bannir du jeu des alliances politiques dans lequel les nationalistes sont surreprésentés du fait des systèmes électoraux proportionnels en vigueur en Espagne.

    Cette tactique servit également les intérêts socialistes dans une autre région : la Catalogne. En 2003, socialistes et nationalistes catalans signèrent le Pacte du Tinell, un accord de gouvernement régional scellé à condition qu’aucun de ces partis « ne forment aucun accord de gouvernabilité (investiture et parlementaire) avec le PP, ni en Catalogne, ni à l’échelle nationale ».

    • La négociation avec les terroristes, assumée par la droite à la fin des deux mandats de Zapatero, aboutit à une situation d’injustice morale évidente à l’égard des victimes de la violence de l’ETA.

    3500 attentats, plus de 7000 blessés dont 853 assassinés : voilà le bilan de l’ETA. De ces assassinats, 379 n’ont jamais été résolus. Plus de 200 000 Basques auraient quitté leur région de naissance pour ne pas subir le harcèlement, l’extorsion économique ou l’intimidation physique du nationalisme : de quoi modifier significativement la composition de l’électorat basque au profit des partis nationalistes.

    Pourtant au Pays basque, les terroristes sont encore acclamés à leur sortie de prison lors d’hommages martyrologiques à l’ampleur non-négligeable. EH Bildu, la formation politique dirigée par d’anciens membres de l’ETA qui n’ont jamais condamné le terrorisme, gouverne dans de nombreuses mairies du Pays basque et s’est désormais affirmée comme un soutien parlementaire privilégié du gouvernement socialiste de Pedro Sanchez.

    Actualité d’une stratégie : de Zapatero à Pedro Sanchez

    Aujourd’hui encore, Pedro Sanchez entretient l’alliance politique imaginée par Zapatero entre nationalistes et socialistes : en échange du soutien parlementaire d’EH Bildu, les socialistes ont notablement accéléré le programme de rapprochement des terroristes dispersés dans de multiples prisons espagnoles. En 2021, le gouvernement a délégué les compétences de l’État en matière de gestion des prisons et d’exécution des peines au gouvernement régional basque. Dès lors, l’administration dirigée par gouvernement régional nationaliste s’est empressée de concéder des aménagements de peine à de nombreux terroristes n’ayant jamais regretté leurs crimes.

    Bien évidemment, cette trahison à l’égard des victimes est recouverte d’une généreuse couche de novlangue. En cela, Sanchez ne fait qu’imiter le grand maître Zapatero qui utilisait l’expression « processus de paix » pour désigner une négociation avec des terroristes. Désormais, les socialistes étouffent leur lâcheté morale sous une panoplie de ce que Jacques Lacan appelait des « signifiants vides » : la nécessité d’un « dialogue », d’une « concorde », ou encore la recherche du « consensus »…

    Et s’il prenait au parti d’opposition de s’opposer, les socialistes s’empresseront de reprendre les arguments nationalistes : le Parti populaire « cherche à diviser », vit de la « tension », « refuse le dialogue »… Somme toute, ce parti est incapable de réprimer ses pulsions franquistes ! Cet ensemble de contorsions dialectiques donne au nationalisme ethnique une légitimité politique refusée à une droite constitutionnaliste qui se retrouve politiquement isolée face à l’alliance de la gauche et des nationalismes.

    À moins d’un sursaut de leur électorat, ce scénario houellebecquien laisse entrevoir les compromis auxquels sont capables de parvenir les socialistes afin de conserver le pouvoir.

    Rogelio Alonso, La derrota del vencedor: El final del terrorismo de ETA (La défaite du vainqueur ), Alianza Editorial , 2018, 448 pages.

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      L’erreur des politiques écologistes anticapitalistes

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 26 January, 2023 - 04:30 · 8 minutes

    L’économie planifiée connaît un nouveau regain d’intérêt. Les défenseurs de la protection du climat et les anticapitalistes exigent que le capitalisme soit aboli et remplacé par une économie planifiée. Sinon, disent-ils, l’humanité n’a aucune chance de survie.

    En Allemagne , un livre intitulé Das Ende des Kapitalismus (La fin du capitalisme) est un best-seller et son auteur, Ulrike Hermann, est devenue une invitée régulière de tous les talk-shows. Elle promeut ouvertement une économie planifiée , bien que celle-ci ait déjà échoué une fois en Allemagne – comme partout ailleurs où elle a été tentée. Contrairement au socialisme classique, dans une économie planifiée, les entreprises ne sont pas nationalisées, elles peuvent rester dans le secteur privé mais c’est l’État qui détermine précisément ce qui doit être produit et en quelle quantité.

    Il n’y aurait plus de vols ni de véhicules à moteur privés. L’État déterminerait presque tous les aspects de la vie quotidienne – par exemple, il n’y aurait plus de maisons individuelles et personne n’aurait le droit de posséder une résidence secondaire. Les nouvelles constructions seraient interdites car elles sont nuisibles à l’environnement. Au lieu de cela, les terrains existants seraient répartis « équitablement », l’ État décidant de l’espace approprié pour chaque individu. Et la consommation de viande ne serait autorisée qu’à titre exceptionnel car sa production est nuisible au climat.

    D’une manière générale, les gens ne devraient pas manger autant : selon M. Herrmann 2500 calories quotidiennes suffisent. Elle propose un apport quotidien de 500 grammes de fruits et légumes, 232 grammes de céréales complètes ou de riz, 13 grammes d’œufs et 7 grammes de viande de porc.

    Cette critique du capitalisme se veut rassurante : « À première vue, ce menu peut sembler un peu maigre, mais les Allemands seraient en bien meilleure santé s’ils changeaient leurs habitudes alimentaires ». Et puisque les individus seraient égaux, ils seraient aussi heureux : « Le rationnement semble désagréable. Mais peut-être la vie serait-elle même plus agréable qu’aujourd’hui car la justice rend les gens heureux. »

    Recycler de vieilles idées

    De telles idées ne sont en aucun cas nouvelles.

    Naomi Klein , la célèbre critique canadienne du capitalisme et de la mondialisation, admet qu’elle n’avait initialement aucun intérêt particulier pour le changement climatique.

    Puis, en 2014, elle a écrit un lourd tome de 500 pages intitulé This Changes Everything : Capitalism vs. the Climate . Pourquoi s’est-elle soudainement intéressée à ce sujet ? Eh bien, avant d’écrire ce livre, le principal intérêt de Klein était la lutte contre le libre-échange et la mondialisation.

    Elle le dit ouvertement :

    « J’ai été propulsée vers un engagement plus profond à son égard en partie parce que j’ai réalisé qu’il pouvait être un catalyseur pour des formes de justice sociale et économique auxquelles je croyais déjà. » Elle appelle à une « économie soigneusement planifiée » et à des directives gouvernementales sur « la fréquence de nos déplacements en voiture, en avion, sur la nécessité de faire venir notre nourriture par avion, sur la durabilité des biens que nous achetons… sur la taille de nos maisons ».

    Elle fait également sienne une suggestion selon laquelle les 20 % les plus aisés de la population devraient accepter les coupes les plus importantes afin de créer une société plus juste.

    Ces citations – auxquelles on pourrait ajouter de nombreuses autres déclarations de ce type dans le livre de Klein – confirment que l’objectif le plus important d’anticapitalistes comme Herrmann et Klein n’est pas d’améliorer l’environnement ou de trouver des solutions au changement climatique. Leur véritable objectif est d’éliminer le capitalisme et d’établir une économie planifiée gérée par l’État. En réalité, cela impliquerait l’abolition de la propriété privée, même si techniquement, les droits de propriété continuent d’exister. Car tout ce qui resterait, c’est le titre légal formel de propriété. L' »entrepreneur » serait toujours propriétaire de son usine mais ce qu’il produit et sa quantité seraient décidés par l’État seul. Il deviendrait un gestionnaire salarié de l’État.

    S’inspirer des khmers rouges

    La plus grande erreur des partisans de l’économie planifiée a toujours été de croire en l’illusion qu’un ordre économique pouvait être planifié sur le papier ; qu’un auteur pouvait s’asseoir à un bureau et imaginer l’ordre économique idéal. Tout ce qu’il resterait à faire serait de convaincre suffisamment de politiciens pour mettre en œuvre cet ordre économique dans le monde réel. Cela peut sembler cruel, mais les Khmers rouges au Cambodge pensaient aussi de cette façon.

    L’expérience socialiste la plus radicale de l’histoire, qui s’est déroulée au Cambodge entre le milieu et la fin des années 1970, a été conçue à l’origine dans les universités de Paris. Cette expérience, que le dirigeant khmer rouge Pol Pot (également appelé « Frère 1 ») a baptisé le « Super Grand Bond en avant », en l’honneur du Grand Bond en avant de Mao, est très révélatrice car elle offre une démonstration extrême de la croyance qu’une société peut être construite artificiellement sur la planche à dessin.

    Aujourd’hui, on prétend souvent que Pol Pot et ses camarades voulaient mettre en œuvre une forme puritaine de « communisme primitif », et leur règne est dépeint comme une manifestation d’irrationalité débridée. En fait, cela ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Les cerveaux et les dirigeants des khmers rouges étaient des intellectuels issus de familles honnêtes, qui avaient étudié à Paris et étaient membres du Parti communiste français. Deux des cerveaux, Khieu Samphan et Hu Nim, avaient écrit des thèses marxistes et maoïstes à Paris. En fait, l’élite intellectuelle qui avait étudié à Paris occupait presque tous les postes de direction du gouvernement après la prise du pouvoir.

    Ils avaient élaboré un plan quadriennal détaillé qui répertoriait tous les produits dont le pays aurait besoin dans les moindres détails (aiguilles, ciseaux, briquets, tasses, peignes, etc.). Le niveau de spécificité était très inhabituel, même pour une économie planifiée. Par exemple, on pouvait lire : « Manger et boire sont collectivisés. Le dessert est également préparé collectivement. En bref, élever le niveau de vie de la population dans notre propre pays signifie le faire collectivement. En 1977, il y a deux desserts par semaine. En 1978, il y a un dessert tous les deux jours. Puis en 1979, il y a un dessert par jour, et ainsi de suite. Ainsi, les gens vivent collectivement en ayant suffisamment à manger ; ils sont nourris par des collations. Ils sont heureux de vivre dans ce système. »

    Le parti, écrit le sociologue Daniel Bultmann dans son analyse, « a planifié la vie de la population comme sur une planche à dessin, en l’inscrivant dans des espaces et des besoins prédéterminés. » Partout, de gigantesques systèmes d’irrigation et des champs devaient être construits selon un modèle uniforme et rectiligne. Toutes les régions étaient soumises aux mêmes objectifs car le Parti pensait que des conditions standardisées dans des champs de taille identique produiraient également des rendements standardisés. Avec le nouveau système d’irrigation et les rizières en damier, la nature devait être mise au service de la réalité utopique d’un ordre entièrement collectiviste qui éliminait les inégalités dès le premier jour.

    Pourtant, la disposition des barrages d’irrigation en carrés égaux avec des champs également carrés en leur centre a entraîné de fréquentes inondations car le système ignorait totalement les flux d’eau naturels et 80 % des systèmes d’irrigation n’ont pas fonctionné – de la même manière que les petits hauts fourneaux n’ont pas fonctionné lors du Grand Bond en avant de Mao.

    Faire confiance à l’ordre spontané

    Tout au long de l’histoire, le capitalisme a évolué tout comme les langues ont évolué.

    Les langues n’ont pas été inventées, construites et conçues mais sont le résultat de processus spontanés incontrôlés. Bien que la bien nommée « langue planifiée » esperanto ait été inventée dès 1887, elle n’a absolument pas réussi à s’imposer comme la langue étrangère la plus parlée au monde, comme ses inventeurs l’avaient prévu.

    Le socialisme a beaucoup de points communs avec une langue planifiée, un système conçu par des intellectuels. Ses adeptes s’efforcent d’obtenir le pouvoir politique afin d’appliquer le système qu’ils ont choisi. Aucun de ces systèmes n’a jamais fonctionné nulle part – mais cela n’empêche apparemment pas les intellectuels de croire qu’ils ont trouvé la pierre philosophale et qu’ils ont enfin conçu le système économique parfait dans leur tour d’ivoire. Il est inutile de discuter en détail d’idées comme celles d’Herrmann ou de Klein, car toute l’approche constructiviste, c’est-à-dire l’idée qu’un auteur peut « rêver » un système économique dans sa tête ou sur papier, est fausse.

    L’historien et sociologue Rainer Zitelmann est l’auteur du livre In defence of capitalism , qui est publié dans 30 langues.

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      La dégringolade idéologique de la nouvelle gauche woke

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 25 January, 2023 - 04:00 · 11 minutes

    La gauche a besoin d’une idéologie, contrairement à la droite. Elle prétend en effet penser le devenir des sociétés et instaurer la justice, principalement par l’égalité. La droite agit avec pragmatisme, en tenant compte rationnellement des contraintes du réel mais elle n’éprouve pas le besoin de dessiner un idéal à atteindre. La gauche est plutôt idéaliste, la droite plutôt réaliste.

    Un idéal à atteindre suppose une construction intellectuelle plus ou moins ambitieuse qui détermine la voie à suivre. C’est là que les difficultés commencent. Les véritables idéologies se prétendant conception générale du monde ( weltanschauung ) ont disparu depuis longtemps et ne réapparaîtront pas. Nous avons appris la modestie et savons que notre approche de l’univers est très partielle et très évolutive. Nous pouvons construire des modèles (physiques, biologiques, sociologiques, économiques, etc.) mais ils ne constituent qu’un cadre d’analyse imparfait et constamment remis en cause.

    La gauche d’antan, idéaliste et sûre de ses valeurs reposant sur une idéologie, a donc disparu. Le cadre conceptuel rappelé ci-dessus ne permet plus de croire en des valeurs intangibles déterminant le futur. Nous essayons de faire au mieux en nous adaptant. Voilà la définition même du pragmatisme. Il en résulte une déliquescence de la pensée de gauche qui débouche aujourd’hui sur des concepts faibles connus sous les vocables de wokisme ou intersectionnalité.

    Examinons à grandes envolées la genèse de la décadence de la pensée de la gauche socialiste.

    La chute : du marxisme à la démagogie redistributive

    Les idéologies envisageaient au XIX e siècle de prendre le relais des religions.

    Ce fut un échec complet, comme on le constate aujourd’hui. Les religions ne fournissent pas une explication plus cohérente de l’humanité et de son rapport à l’univers mais elles sont à la portée du plus grand nombre par un métarécit accessible et illustré par des légendes rapportées par de vieux livres (Torah, Bible, Coran) et abondamment utilisées par l’art. L’aspect purement rationnel des idéologies a entraîné leur échec et leur disparition. L’ambition naïve de leurs fondateurs, en particulier celle de Marx, consistait à proposer une conception générale du monde fondée sur une analyse rationnelle.

    L’une des premières phrases du Manifeste du parti communiste (1848) l’illustre bien : « L’histoire des sociétés n’a été que l’histoire des luttes de classes ».

    Cette phrase trace le cadre : une interprétation globale de l’histoire des sociétés humaines, une authentique weltanschauung . L’autre texte majeur du marxisme, Le Capital, Critique de l’économie politique (1867), analyse en profondeur le fonctionnement du capitalisme. Selon Marx ce dernier repose sur l’appropriation par les détenteurs du capital (la bourgeoisie) de la plus-value générée par le travail des ouvriers (le prolétariat). Seul le travail crée de la valeur mais les propriétaires des moyens de production captent cette valeur et décident de son affectation (salaires, profits, investissements). Il en résulte une lutte des classes , moteur de l’histoire.

    Les partis communistes et socialistes se sont construits à partir du cette vision du monde. Les communistes pensaient que seule une dictature du prolétariat pourrait éliminer la domination de la bourgeoisie. Une révolution était nécessaire pour prendre le pouvoir. Les socialistes considéraient au contraire qu’il était possible d’utiliser les institutions politiques des démocraties pour accéder au pouvoir par les élections et instaurer ensuite le socialisme.

    Qu’est-ce que le socialisme dans la première moitié du XX e siècle ?

    Une pensée dérivée du marxisme qui propose la nationalisation de tous les principaux moyens de productions (énergie, transports, sidérurgie, mines mais aussi banques, etc.). C’est de cette façon que les socialistes pensent confisquer à la bourgeoisie sa position de domination sur l’économie d’un  pays. Un deuxième aspect du socialisme consiste à mettre en place des structures publiques de solidarité financées par prélèvements obligatoires, dans les domaines de la santé, des retraites, du chômage.

    Les communistes vont échouer partout dans le monde . Il reste aujourd’hui la Chine , dont on peut prédire sans grand risque qu’elle se heurtera aux mêmes difficultés que toutes les autocraties (rigidité des structures, tétanisation des initiatives). Par contre, les socialistes vont réussir au-delà de leurs plus folles espérances. Nous le vivons chaque jour. La France est une démocratie sociale-démocrate avec des dépenses publiques de 59 % du PIB en 2021. Mais tous les pays occidentaux, y compris les États-Unis (dépenses publiques 44,9 % du PIB selon l’OCDE ), peuvent être considérés comme tels si on compare leur situation actuelle à celle qui prévalait un siècle plus tôt.

    La réussite des socialistes résulte de la capacité d’adaptation dont ils ont fait preuve. L’échec des communistes provient de l’extrême rigidité de leur doctrine et de leur fascination pour le totalitarisme. C’est la fable du chêne et du roseau de Jean de la Fontaine : le chêne se brise sous la tempête alors que les feuilles du roseau ploient mais résistent.

    Un seul exemple : le programme de nationalisations massives a été abandonné partout lorsqu’on s’est aperçu que les entreprises nationalisées étaient peu compétitives et attendaient systématiquement des apports de capitaux de l’État au lieu d’attirer les investisseurs. La France a été la dernière à nationaliser des secteurs entiers de l’économie en 1981-82 avec l’ accession au pouvoir de François Mitterrand . Mais la plupart des socialistes savaient parfaitement qu’ils commettaient une erreur majeure d’un point de vue économique. Le programme de nationalisations provenait de la nécessité de l’alliance avec le Parti communiste pour accéder au pouvoir. Les communistes n’avaient strictement rien compris au monde dans lequel ils vivaient et, adorateurs de l’URSS, ils en étaient restés au culte des nationalisations d’entreprises.

    Que proposer encore lorsque la mission historique que l’on s’était fixée a été accomplie ?

    Les partis socialistes n’ont rien trouvé car il n’y a pas d’idéologie de substitution au marxisme. Ils ont donc persisté dans ce qui avait fait leur réussite : la redistribution par la manipulation de l’argent public (prélèvements obligatoires et dépenses publiques). Mais la chute de croissance économique en Occident à la fin du XX e siècle a rendu cette redistribution beaucoup plus périlleuse politiquement. Il fallait déshabiller Pierre pour habiller Paul. La classe ouvrière elle-même s’est sentie abandonnée par les socialistes lorsque le capitalisme n’a plus été en mesure de financer par la croissance une redistribution socialiste frôlant bien souvent l’absurde.

    La démagogie redistributive a conduit une grande partie des électeurs socialistes vers d’autres horizons. Certains leaders socialistes ont alors sombré dans le populisme.

    Le délabrement : de la démagogie au populisme tous azimuts

    Les tribuns de la plèbe n’ont jamais manqué dans l’histoire. Il suffit d’avoir un certain charisme, un solide talent oratoire et de faire rêver à un futur édénique par la magie du politique. En France, Jean-Luc Mélenchon possède exactement ce profil, d’où son succès électoral. Mais fort heureusement cela n’a pas débouché sur une prise du pouvoir qui aurait amené un déclin rapide du pays et une évolution vers l’autoritarisme.

    D’un point de vue conceptuel, rien de vraiment nouveau à gauche. Quelques petits partis trotskystes survivent avec la notion de lutte des classes. Quant aux populistes, ils prétendent avoir modernisé la pensée de gauche avec l’intersectionnalité. Le conflit entre dominants et dominés, conceptualisé par Marx (bourgeois et prolétaires), reste cependant le seul et unique élément de cette analyse. Nos grands penseurs contemporains ont tout juste ajouté quelques petits cailloux à la grande architecture marxiste. La bourgeoisie capitaliste est encore l’ennemi majeur. Les dominés restent les travailleurs du monde entier et non plus seulement les ouvriers européens du XIX e siècle.

    La bourgeoisie n’existant plus au sens ancien (propriété des moyens de production) l’analyse se révèle particulièrement médiocre. Les fonds de pension, les divers OPCVM drainent l’épargne de la classe moyenne occidentale et acquièrent des participations dans le capital des grandes sociétés capitalistes ou leur prêtent des fonds par l’intermédiaire du marché obligataire. Les dépôts sur les livrets d’épargne eux-mêmes sont utilisés pour financer des entreprises (par l’intermédiaire de la Caisse des Dépôts en France). Au sens marxiste, 80 % des Occidentaux sont donc des bourgeois. L’ouvrier de 1850 ne possédait rien et pouvait tout juste survivre. Le salarié d’aujourd’hui détient au moins un livret A et parfois beaucoup plus. Le capitalisme n’a pas enrichi que les bourgeois. L’augmentation phénoménale de la production depuis deux siècles implique nécessairement une augmentation massive de la consommation et de l’épargne. Une classe moyenne patrimoniale est née.

    Mais pour des raisons politiques, voire purement électoralistes, il s’agit de valoriser le conflit et de se focaliser sur un phénomène de domination plus ou moins fantasmé. À cet égard, il est de bon ton aujourd’hui, dans certains milieux, de voir des dominants et des dominés partout. En s’inspirant de façon assez pitoyable de Karl Marx, le wokisme occidental prétend généraliser le conflit entre dominants et dominés. Les Blancs dominent les « racisés ». Les hommes dominent les femmes. Les ex-colonisateurs occidentaux dominent toujours les peuples colonisés. Les hétérosexuels sont considérés comme des dominants par rapport aux homosexuels, transgenres et autres sous-catégories. L’Homme lui-même est un prédateur qui domine la nature et l’exploite au-delà de toute mesure, mais c’est l’homme occidental, initiateur du développement économique qui est le coupable désigné.

    Il y aurait des relations systémiques, c’est-à-dire des interrelations complexes entre tous ces phénomènes de domination. Les dominants se confortent mutuellement, non pas par choix mais eu égard au fonctionnement objectif d’un véritable système de domination. L’homme blanc hétérosexuel est l’individu qui rassemble les caractéristiques du dominant dans tous les domaines. Pour peu qu’il détienne une fonction de responsabilité, il représente donc l’ennemi à abattre.

    Trois remarques générales peuvent être faites à propos de cette approche de la société par la gauche occidentale.

    Il s’agit de rassembler des minorités insatisfaites pour tenter de constituer un électorat de mécontents sur la base de promesses totalement irréalistes. Voilà la définition même du populisme . Dans chaque catégorie, il est évidemment possible de trouver des individus subissant ou ayant subi un véritable assujettissement à autrui : femmes victimes de violences masculines, personnes humiliées pour la couleur de leur peau, homosexuels se heurtant à des primates rattachés à l’espèce humaine, etc. Rassembler tout ce ressentiment en promettant la justice permet de créer des partis politiques comportant des victimes, des idéalistes et évidemment des démagogues cherchant uniquement à exploiter un filon. Ces derniers deviendront les dirigeants. En politique, ce sont toujours les réalistes amoraux qui l’emportent.

    Le culte de l’État-providence subsiste plus que jamais et atteint un niveau quasiment pathologique. Cette nouvelle gauche joue systématiquement sur l’envie , la convoitise haineuse pour proposer des prestations financées sur prélèvements obligatoires. On en arrive donc par exemple à subventionner l’essence et le gaz naturel tout en exigeant l’abandon des énergies fossiles. L’aspect le plus significatif provient de l’ écologisme militant qui préconise un changement complet de mode de vie sous forte contrainte publique et avec une prise en charge financière étatique de cette transition (isolation thermique des bâtiments, voitures électriques, protectionnisme sélectif et donc hausse des prix, etc.). Bien évidemment, une telle politique conduirait à une baisse générale du niveau de vie extrêmement rapide et totalement ingérable politiquement. On ignore toujours quel niveau de dépenses publiques (déjà 60 % du PIB en France), est considéré comme incompatible avec la démocratie pour cette gauche écologisante. Si toute initiative économique individuelle devient impossible sans recours financier à la puissance publique, le concept actuel de démocratie est abandonné au profit d’un socialisme généralisé, c’est-à-dire une forme de totalitarisme.

    L’éclectisme du propos idéologique et l’hétérogénéité du public ciblé ne permettent pas d’élaborer un programme politique cohérent. La nouvelle gauche est donc une gauche d’opposition et non une gauche de gouvernement. Elle est très éloignée de l’ancienne social-démocratie qui avait choisi un modus vivendi avec le capitalisme sur une base non explicite mais claire : « Vous, capitalistes, créez de la richesse et laissez-nous l’utiliser en partie pour améliorer le sort de nos électeurs. » Rien de tel aujourd’hui car l’ennemi est partout. Il faut détruire, « déconstruire » la démocratie occidentale qui a failli historiquement. Une telle profession de foi mène toujours soit à l’échec des populistes, soit à la dictature de ceux qui n’entendent pas se laisser annihiler. Mais jamais un programme fondé sur la seule négativité ne pourra être mis en œuvre. Il faut un espoir à terme raisonnable. Le regard infiniment pessimiste que porte cette gauche sur le monde dans lequel elle vit est à des années-lumière des promesses optimistes des sociaux-démocrates d’antan. Ils avaient réussi. Elle échouera.

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      Oxfam contre les riches

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 19 January, 2023 - 04:00 · 5 minutes

    Cela faisait longtemps que l’on n’avait plus entendu parler d’Oxfam.

    L’ONG britannique sort à peine d’une série de scandales qui ont grandement entamé sa crédibilité mais la prochaine mobilisation sur la réforme des retraites présentait une trop belle occasion pour qu’elle tente à nouveau de faire parler d’elle. Et comme d’habitude, Oxfam aura mis les pieds dans le plat en prétendant que « taxer la fortune des milliardaires français à hauteur d’à peine 2 % permettrait de financer le déficit prétendument hors de contrôle des retraites »

    Oxfam ne pouvait pas rater une telle occasion de sortir une énorme bêtise.

    Parce que bien évidement, sa solution ne mène à rien et est basée sur des calculs erronés et une totale incompréhension des mécanismes économiques.

    La fortune des « milliardaires » : cette formule n’a pas plus de sens que la notion même de milliardaire. Si on compte uniquement l’argent en banque sur un compte courant et les billets et pièces dans les poches, il n’y a pas de milliardaire. Personne n’a plus d’un milliard d’euros sur son compte en banque. Au mieux, certaines personnes peuvent posséder des parts de sociétés qui elles peuvent avoir une telle somme disponible en liquidité.

    La richesse pour les anticapitalistes

    Pour assouvir la soif de jalousie et habiller leur homme de paille, Oxfam et avec elle tout une bande de prétendus « économistes » ont donc construit leur propre calcul.

    En ligne de mire, le fameux « capital » défini depuis Karl Marx selon la formule alambiquée suivante :  le capital est la somme d’argent utilisée pour acquérir les équipements, les biens et services nécessaires à la production (matières premières, biens de production, énergie, etc.), additionnée de la somme d’argent servant à payer les salariés, en attendant que la production de ces derniers soit vendue et engendre des rentrées d’argent.

    Mais comme cette définition du capital est bien trop compliquée et conduit à un montant bien trop faible (vu qu’il ne s’agit en fait que du volume du fonds de roulement nécessaire pour faire tourner une activité économique en payant fournisseurs et salariés) les « économistes » ont tout simplement étendu la notion de capital à celle de propriété.

    Alors que la définition de Marx comparait deux flux différents : celui alimenté par les ventes et celui alimenté par le salaire, les « économistes » se sont mis à comparer des bananes et des navets. À moins que ce soient des carottes et des navets ? Ou alors des bananes et des carottes ? Personne ne sait vraiment et si vous faites bien attention, on parle toujours d’estimation de fortune quand on essaie de décrire la richesse des « milliardaires ».

    Estimation, parce que en regardant de plus près, cela n’a absolument aucun sens. De quoi est composée la « fortune » de Bernard Arnault , de Bill Gates ou d’Elon Musk ? Essentiellement de portefeuilles d’actions dont la valeur est estimée en multipliant le nombre par la valeur unitaire.

    On peut comparer cette richesse à celle du vase de Chine de votre arrière-grand-mère que vous avez mis en vente 1000 euros sur un site de vente en ligne depuis trois ans et qui n’a jamais trouvé acheteur. Si on suit la logique d’Oxfam, il faudrait vous taxer de 2 % sur cette somme de 1000 euros que vous n’avez pas.

    Notez que si on reprend la définition de Marx, ça n’a pas de sens non plus. Taxer le capital revient à aller prélever de l’argent dans le fonds de roulement servant à payer les fournisseurs et les salariés. On comprend donc immédiatement ce qui se passe : une diminution de l’activité et du chômage parce qu’il n’y a alors plus assez d’argent pour faire tourner l’activité. C’est d’ailleurs pour cette raison même que Marx pensait que le capitalisme ne pouvait tomber que par une révolution et que les tentatives de régulation du système n’aboutiraient qu’à accroître la misère des prolétaires. C’est un des très rares points sur lequel on peut être d’accord avec lui.

    L’immoralité élevée en valeur

    Passons sur l’absurdité économique, les points les plus graves dans la diffusion d’idées telles que celles véhiculées par Oxfam sont moraux. Ce genre d’affirmation génère la haine sociale et encourage le crime.

    Utiliser la force pour allez se servir chez son voisin, ça s’appelle du vol ou du pillage. Que la force employée soit légale, démocratique ou soi-disant justifiée n’y change absolument rien.

    Penser que les riches ce sont les autres est à la fois totalement immoral mais également totalement faux. On est toujours le riche de quelqu’un d’autre. Au passage, c’est d’ailleurs une pensée profondément essentialiste dans le sens le plus répugnant, celui de l’essentialisme suprémaciste, vu sous l’angle d’infériorité.

    À long terme, ce genre de tolérance finit toujours par se révéler être un très mauvais calcul. Dès lors que l’on ferme les yeux sur la nuisance que l’on fait subir aux autres, que ce soit à son profit ou non d’ailleurs, il arrive toujours un moment où l’on se fait prendre à son propre jeu.

    Il arrive toujours un moment où l’on se trouve de l’autre coté du manche. La règle d’or morale (ne fait pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse) n’est pas juste un dogme illusoire inventé pour vous faire courber l’échine. C’est une règle à la fois empirique et logique.

    Dès lors que l’on invalide une justice morale au nom d’une autre justice morale, dans le cas présent, prendre de force de l’argent aux uns pour en donner aux autres, on invalide par là même toute la logique du raisonnement : rien ne permet plus alors de juger objectivement que l’opération soit juste ou non dans son ensemble.

    En d’autres termes : si vous admettez que l’on puisse commettre des actions immorales, vous devenez alors totalement illégitime pour juger, votre capacité de jugement n’a plus aucune valeur. Un juge ne peut pas être un criminel quand ça l’arrange.

    Rien ne permet de transformer par magie une chose injuste en une chose juste. La fin ne justifie jamais les moyens. Jamais.