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      La réforme des retraites va entrainer 9,5 milliards d’euros de surcoût

      alt.movim.eu / LaReleveEtLaPeste · Wednesday, 19 July, 2023 - 16:06

    Pour le CSR, « que le bénéfice financier [de la réforme] se réduise avec le temps n’est pas inattendu ». Une évolution similaire s’est produite avec la réforme des retraites de novembre 2010, qui avait décalé de 60 à 62 ans l’âge légal de départ.

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      Pass ferroviaire en France : le défi de la démocratisation du rail

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Friday, 30 June, 2023 - 13:06 · 5 minutes

    Alors que l’Allemagne trace sa voie avec son Deutschland-Ticket , la France peine à développer une offre ferroviaire économique comparable, malgré l’annonce d’un futur pass par le ministre des transports Clément Beaune. Pourtant, plusieurs initiatives passées ont démontré le succès d’une telle offre.

    L’Allemagne se distingue comme le précurseur des pass ferroviaires. Dès l’été 2022, elle a lancé son 9-Euro-Ticket , permettant une circulation illimitée sur le réseau régional pour un abonnement mensuel de 9€. Cette initiative a été mise en place dans un contexte marqué par une hausse des prix de l’essence et dans le but de favoriser le transfert modal de la voiture vers le train. Dans ce cadre, l’État fédéral a alloué 2,5 milliards d’euros aux Länder pour compenser les pertes.

    L’Allemagne, pionnière des pass ferroviaires

    Cependant, malgré le succès indéniable de cette initiative avec près de 52 millions de billets vendus, son impact écologique apparaît mitigé. En effet, le 9-Euro-Ticket n’a pas atteint les objectifs escomptés en termes de réduction de l’utilisation de la voiture, le report modal restant limité. Comparé à la même période en 2019 , le nombre de trajets en train a augmenté d’environ 40 %, tandis que l’usage de la voiture n’a que légèrement diminué. La saturation des lignes touristiques allemandes témoigne de cette augmentation importante des voyages en train. Cette offre, si elle n’a pas forcément eu l’effet écologique recherché, révèle donc un potentiel de développement significatif pour les voyages touristiques en train et a permis une démocratisation des vacances.

    Graphique de l’auteur. Source des données : DE Statis

    Soucieux de poursuivre cette initiative, des négociations au sein de la coalition gouvernementale regroupant sociaux-démocrates, libéraux et verts ont abouti à la relance du pass dès le 1 er mai. Sous sa nouvelle forme, le Deutschland-Ticket se présente comme un pass national mensuel au tarif de 49€, dont le financement est partagé à parts égales entre l’État fédéral et les Länder, chacun contribuant à hauteur de 1,5 milliard d’euros. Avec 10 millions d’abonnement au premier mois , ce nouveau pass apparaît déjà comme un succès commercial outre-Rhin.

    Pass France-Allemagne et Pass TER Jeunes, des offres qui ont trouvé leur public

    Les pass ferroviaires français à destination des jeunes ont également connu un large succès. Récemment, l’initiative du Pass France-Allemagne, a offert 60 000 tickets gratuits – 30 000 en France et 30 000 en Allemagne – permettant aux jeunes de 18 à 27 ans de profiter de 7 jours de voyages gratuits sur le réseau régional de l’autre pays. Le lancement de cette initiative a donné lieu à un afflux massif de demandes sur le site de réservation, qui, saturé, a délivré l’ensemble des abonnements en quelques instants.

    Une autre initiative, plus large, avait également existé au cours des étés 2020 et 2021, le Pass TER Jeunes . Cet abonnement permettait aux jeunes âgés de 18 à 27 ans de voyager de manière illimitée sur le réseau TER pour seulement 29€ par mois. L’offre avait alors rencontré un vif succès, dépassant largement les attentes. Au cours de l’été 2021, alors que la SNCF visait la vente de 10 000 pass, 70 000 avaient finalement été vendus. Toutefois, malgré le succès de cette offre, Régions de France a annoncé en 2022 l’abandon du dispositif.

    Vers des réseaux ferroviaires surchargés ?

    À l’heure de la décarbonation des transports, le transfert modal vers le ferroviaire apparaît comme une nécessité alors que le secteur des transports est celui qui dégage le plus de gaz à effet de serre : 31% des émissions françaises en 2019 . Si les comparatifs d’émissions de gaz à effet de serre divergent, tous consacrent le train comme étant de loin le transport le plus écologique. Mais, si l’intérêt environnemental du train est désormais bien connu, le prix reste la première entrave à ce mode de locomotion, selon un récent sondage Harris Interactive pour le Réseau Action Climat .

    L’instauration d’un pass, au prix unique et réduit, serait en mesure de réduire ce frein majeur. Toutefois, le succès des pass ferroviaires chez nos voisins européens a aussi mis en évidence les limites du système ferroviaire. De nombreuses gares et un grand nombre de trains sont déjà régulièrement engorgés, en particulier à la période estivale. Le développement de nouvelles offres, aux prix plus faibles, apporte un risque majeur : la saturation des infrastructures.

    Garantir le droit aux vacances

    Outre la question de l’état du réseau ferroviaire, les pass ferroviaires illustrent le besoin d’accéder à des destinations touristiques, de voyager et finalement de démocratiser les vacances. A l’heure où près de la moitié des français ne partent pas en vacances, dont la moitié pour des raisons financières , cette question revêt une importance particulière, et une politique ferroviaire ambitieuse, à l’image des billets congés annuels mis en place en 1936, apparaît pertinente.

    C’est cette voie qu’a emprunté la NUPES avec sa proposition de loi sur l’accès aux vacances. Dans une tribune publiée , les députés François Ruffin, Benjamin Lucas, Soumya Bourouaha, Arthur Delaporte, Marie-Charlotte Garin et Frédéric Maillot ont dénoncé une situation où “le porte-monnaie fait la loi”. Ils proposent donc un “ticket-climat train à prix réduit et à volonté”, avec un abonnement TER mensuel illimité au prix de 29€, soit le même tarif que l’ancien Pass TER Jeunes. En réponse, le ministre des transports a prévu de faire des annonces sur une future offre.

    Si l’idée d’un pass fait peu à peu son chemin en France, la mise en place d’offres tarifaires accessibles ne pourra faire l’impasse sur une politique d’inclusion ferroviaire. En Allemagne, les pass ferroviaires ont été critiqués en raison de la charge qu’ils représentent pour les habitants de territoires non desservis. De même, 33% des Français estiment que leur commune est mal desservie par le train, un chiffre qui monte à 64% dans les zones rurales .

    Afin que tous les Français puissent bénéficier de tarifs réduits, il serait envisageable d’inclure les autocars de la SNCF et des Régions dans un futur pass, à condition qu’un accord soit trouvé avec les Régions. A moyen terme, il sera toutefois indispensable d’initier un vaste mouvement de réouverture et de construction de lignes ferroviaires dans les régions les plus isolées.

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      CRISE BANCAIRE : LES NOUVEAUX VISAGES DE LA FINANCE – DOMINIQUE PLIHON, LAURENCE SCIALOM

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Friday, 30 June, 2023 - 00:01 · 1 minute

    La hausse des taux d’intérêt a fragilisé le secteur bancaire. En une semaine seulement, trois banques ont fermé début mars aux États-Unis, dont la seizième plus importante du pays : la Silicon Valley Bank. Cette chute de dominos a créé une véritable panique qui s’est propagée en Europe. Face à ces risques majeurs, les banques centrales et les autorités ont déployé des moyens colossaux pour éviter de nouvelles faillites retentissantes : des réponses qui créent les conditions d’une future crise de plus grande ampleur encore… De plus, l’équilibre entre les objectifs de la politique monétaire et ceux de la stabilité financière semble de plus en plus instable, fragilisant ainsi la crédibilité des banques centrales… Pour analyser la situation et parler de ces questions, Le Vent Se Lève et l’Institut La Boétie ont reçu Dominique Plihon, professeur émérite d’économie à l’Université Paris Nord, co-auteur de la note de l’Institut La Boétie sur la crise bancaire, et Laurence Scialom, professeure d’économie à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense et membre du Conseil d’Administration de l’Observatoire de l’Éthique Publique. La conférence était animée par Alessandro Ferrante, rédacteur au Vent Se Lève.

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      Le néolibéralisme comme reformatage du pouvoir de l’État – Entretien avec Amy Kapczynski

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Thursday, 29 June, 2023 - 23:59 · 29 minutes

    Le néolibéralisme ne consiste pas dans le simple retrait de l’État au profit du marché : il est l’institution, par l’État , d’une logique de marché. Mais au-delà de ce lieu commun, est-il une simple idéologie, un régime économique ou un paradigme de gouvernance ? Amy Kapczynski, professeur de droit à l’Université de Yale et co-fondatrice du « Law and Political Economy Project », se concentre sur ce troisième aspect. Selon elle, le néolibéralisme consiste en un « reformatage du pouvoir de l’État », qui accouche d’un cadre institutionnel favorable à la maximisation du profit des grandes sociétés dont les géants de la tech et les entreprises pharmaceutiques constituent deux des manifestations les plus emblématiques. Entretien réalisé par Evgeny Morozov et Ekaitz Cancela, édité par Marc Shkurovich pour The Syllabus et traduit par Alexandra Knez pour LVSL .

    Evgeny Morozov et Ekaitz Cancela – Comment définissez-vous le néolibéralisme dans votre travail?

    Amy Kapczynski – Comme une logique de gouvernance orientée vers l’accroissement du pouvoir des acteurs du marché, et la diminution de l’autorité publique sur ces acteurs. Wendy Brown utilise un terme charmant, le « reformatage du capitalisme ». Il s’agit d’un reformatage du capitalisme qui vise non seulement à accroître le pouvoir des acteurs privés – et donc leur capacité à extraire du profit – mais aussi à combattre le contrôle démocratique sur ces acteurs.

    Pour moi, c’est ainsi qu’il faut voir les choses, plutôt que, par exemple, comme un mouvement de déréglementation. Le néolibéralisme est en réalité très régulateur. Il est régulateur avec un paradigme et un objectif particuliers comme horizon. Il est important de garder à l’esprit la manière dont l’économie a été réglementée – par un droit du travail défavorable aux salariés ou une législation antitrust, entre autres – pour d’optimiser la recherche de profit.

    Il est également important de comprendre les liens entre cette régulation et les paradigmes réglementaires de l’État-providence, de l’État carcéral, etc. En un mot, la période néolibérale n’est pas une période de déréglementation générale – en particulier aux États-Unis.

    EM et EK Si l’on s’en tient à cette définition du néolibéralisme, que vous explorez dans votre excellente conversation avec Wendy Brown, observe-t-on des changements au sein de cette logique au cours des dix ou quinze dernières années ? Ou observe-t-on une continuité depuis les années 1970 ? Quelque chose de distinct est-il apparu à l’horizon, notamment avec l’essor des GAFAM ?

    AK – Le néolibéralisme a, d’une certaine manière, suspendu les anciennes formes de réglementation juridique pour les grandes entreprises technologiques, puis a amplifié certains aspects de la recherche du profit. Ces intermédiaires technologiques, du paysage des réseaux sociaux à Amazon, contrôlent la vie publique et l’économie d’une manière distincte et nouvelle.

    Mais je ne pense pas que ces changements reflètent une mutation dans la logique néolibérale elle-même, mais plutôt sa portée lorsqu’elle est appliqué à un secteur qui peut être transformé à la vitesse d’un logiciel. Aujourd’hui, les processus mis en place par le néolibéralisme peuvent fonctionner avec une vitesse stupéfiante. Et la capacité de ces formes de pouvoir concentré à sillonner les domaines ostensiblement publics et privés est extraordinaire.

    EM – Les efforts intellectuels pour penser au-delà du néolibéralisme, sur lesquels vous avez attiré l’attention, se sont concrétisés de deux manières différentes – et vous êtes critique à l’égard des deux. Dans un essai, vous vous concentrez sur le « productivisme », ou libéralisme de l’offre, tel qu’il est défendu par Dani Rodrik et d’autres membres de la gauche progressiste. Dans un autre essai, vous vous attaquez à un mouvement de droite connu sous le nom de « constitutionnalisme du bien commun ».Commençons par le premier. Pouvez-vous nous parler des pièges que vous voyez dans le productivisme ?

    AK – Le productivisme et le libéralisme de l’offre évoquent tous deux un aspect important de l’incapacité des logiques néolibérales et de la gouvernance économique à produire une économie que nous souhaitons réellement. Ils nomment quelque chose qu’il est important d’aborder. Mais je pense également qu’ils ne doivent pas être considérés comme une réponse au néolibéralisme. Si l’on pense que « là où il y avait le néolibéralisme, il y a maintenant la politique industrielle et le productivisme », alors ce sera un changement très limité…

    Le productivisme tel que l’exprime Rodrik – et je pense que le libéralisme de l’offre possède cette même qualité – donne le sentiment que nous nous tournons vers une gestion gouvernementale plus directe des chaînes d’approvisionnement, vers un investissement gouvernemental plus important dans nos secteurs manufacturiers. Le problème est que le secteur des services est bien plus important pour l’avenir des travailleurs américains que le secteur manufacturier. L’ancien concept de « production » ne dit pas grand-chose de l’économie actuelle.

    Ainsi, l’idée selon laquelle nous devrions miser sur un nouveau productivisme semble laisser de côté beaucoup de nombreuses dimensions de la critique du néolibéralisme. Qu’en est-il de l’agenda de la santé ? Que fait-on des salariés du secteur des services ? Quid des liens que l’on établit entre le capitalisme et la question environnementale ?

    Le productivisme pourrait suggérer, par exemple, que les technologies vertes constitueraient la solution au changement climatique – et on peut bien sûr considérer qu’elles font partie de la solution, si l’on ajoute qu’elles ne seront pas suffisantes. En réalité, le productivisme et le libéralisme de l’offre s’appuient sur des fondements contestables – battus en brèche, par exemple, par les approches féministes et écologistes.

    Tout dépend de votre compréhension de l’objectif du productivisme. S’agit-il d’une tentative de fonder une alternative au néolibéralisme ? C’est ainsi que j’ai interprété l’utilisation du terme par Rodrik. Et si c’est le cas, il semble négliger de nombreuses critiques du néolibéralisme en le traitant comme s’il s’agissait uniquement d’un mode de production, et non pas également d’un mode de gouvernement. Si l’on ne voit dans le néolibéralisme qu’un mode étroit de production – dans le sens d’uen consolidation des marché -, on ne comprend rien à la gouvernance à laquelle il est lié. Le néolibéralisme, en effet, consiste également à contraindre certains pour que d’autres puissent être libres.

    C’est la raison pour laquelle nous avons investi dans l’État carcéral comme moyen de discipliner les travailleurs et d’éviter les obligations sociales, la raison pour laquelle nous investissons davantage dans la police que dans les travailleurs sociaux, etc.

    EM – L’autre approche que vous mentionnez, le constitutionnalisme du bien commun, est mise en avant par certaines franges de la droite théocratique. Avant de discuter de son contenu, pouvez-vous nous parler du rôle de ces écoles juridiques conservatrices dans la consolidation du modèle néolibéral ?

    AK – Je considère que le droit, et dans une certaine mesure les écoles de droit et les institutions dans lesquelles elles naissent, assurent la cohésion entre les idées néolibérales et la gouvernance. Ces idées sont toujours reflétées à travers des champs de pouvoir et changent à mesure qu’elles s’intègrent dans la gouvernance.

    Le loi relative aux ententes et abus de position dominante en est un bon exemple. Les idées sur les pratiques antitrust introduites dans les facultés de droit sous le titre « Law & Economics » sont devenues très puissantes. Elles ont été utilisées pour normaliser une idée du fonctionnement des marchés. Selon ce point de vue, tant qu’il n’y a pas de barrières à l’entrée érigées par le gouvernement, la concurrence se manifestera toujours et les monopoles seront intrinsèquement instables. Les monopoles étaient considérés comme un signe d’efficacité d’échelle. De nombreuses modifications ont donc été apportées à la législation afin de faciliter les fusions-acquisitions. L’application de la loi antitrust a été soumise à une économétrie extrêmement précise, plutôt qu’à des règles qui auraient pu, par exemple, limiter la taille ou l’orientation structurelle de certaines industries.

    La législation antitrust repose également sur une autre idée importante, à savoir que ce domaine juridique ne doit servir qu’un seul objectif : l’efficacité. Dans ce contexte, l’efficacité est définie en grande partie par les effets sur les prix. Les conséquences pour la structuration de notre politique, ou pour les travailleurs en général, n’étaient plus considérées comme importantes. Ce qui importait, c’était de réduire les prix pour les consommateurs. Ainsi, de nombreux modèles d’entreprise se sont bâtis sur l’idée de rendre leurs produits gratuits – comme les réseaux sociaux – ou générer les prix les plus bas possibles pour les consommateurs – comme Amazon. Que le secteur génère un pouvoir structurel démesuré, entre autres effets néfastes, n’est pas pris en compte.

    En ce qui concerne le droit de la propriété intellectuelle, de nombreuses modifications ont également été apportées pour faciliter la capitalisation dans l’industrie de l’information. La création de nouveaux types de propriété, les brevets logiciels, les brevets sur les méthodes commerciales, l’extension des droits exclusifs associés à ces types de propriété sont autant de moyens de permettre la capitalisation dans l’industrie. Ils sont apparus en même temps que les formes de réglementation qui auraient pu être utilisées pour limiter la manière dont les entreprises de ces secteurs exerçaient leur autorité. Le Communications Decency Act en est un exemple.

    On observe également des changements internes au gouvernement lui-même, comme la montée en puissance de l’analyse coûts-bénéfices.

    Enfin, des mutations importantes ont lieu dans la doctrine du droit constitutionnel : que l’on pense à la manière dont le premier amendement est compris. Ce n’est qu’à partir de 1974 qu’il est interprété dans un sens favorable aux entreprises, ce qui revient à revendiquer, pour elles, un statut constitutionnel. Les changements apportés à la loi sur le premier amendement ont eu des répercussions multiformes, des syndicats aux financement de campagnes.

    EM – Certaines des caractéristiques que vous critiquez – l’accent mis sur l’efficacité ou l’analyse coût-bénéfice – pourraient également être attribuées au fétichisme de l’économie elle-même. Je ne les attribuerais pas nécessairement au néolibéralisme en tant que tel. Au sein de ce courant, on peut trouver des penseurs – comme James Buchanan – qui refusent de prendre l’efficacité comme horizon. Il semble donc que certaines de ces critiques concernent davantage la pratique que la logique. Lorsqu’il s’agit de la manière dont les tribunaux ou les organismes de réglementation prennent leurs décisions, ils doivent faire appel à certains outils – l’analyse coût-bénéfice étant l’un d’entre eux – mais cette passerelle vers la logique néolibérale pourrait être attaquée par les néolibéraux eux-mêmes…

    AK – C’est l’occasion de s’interroger sur ce que signifie appeler le néolibéralisme une « logique ». Plus précisément, nous devons parler du néolibéralisme comme d’un reformatage du pouvoir de l’État. En ce sens, il s’agit d’une politique et non d’une logique pure, je suis tout à fait d’accord.

    Lorsque vous examinez de près la logique de l’efficience telle qu’elle est utilisée en droit, il s’avère qu’elle est en réalité utilisée pour signifier de nombreuses choses différentes dans de nombreux contextes juridiques différents. En ce qui concerne la propriété intellectuelle, le type d’efficacité dont on parle donne la priorité à l’innovation sur tout le reste ; mais il n’a pas grand-chose à voir avec le type d’efficacité dont il est question dans la législation antitrust, ou avec le type d’efficacité exprimé par l’analyse coût-bénéfice. En fait, elles sont toutes différentes.

    Et elles sont toutes différentes parce qu’elles répondent en fin de compte à des idées sur la prédominance d’un certain type de pouvoir : le pouvoir des marchés sur les formes démocratiques de gouvernance. Ces conceptions de l’efficacité s’expriment alors de différentes manières, en fonction des avantages que procurent ces formes de pouvoir. En ce sens, je suis tout à fait d’accord pour dire que nous ne sommes pas face à l’expression pure d’une certaine logique, mais plutôt de nombreuses expressions d’un projet politique qui prennent des formes différentes dans des contextes différents.

    EM – Vous avez également écrit sur la relation entre le néolibéralisme et les droits humains , plus particulièrement sur le droit à la santé. Que nous révèle cette focalisation sur la santé quant à la relation plus large entre les droits de l’homme et le néolibéralisme ?

    AK – J’ai écrit l’article que vous évoquez en raison de la frustration que m’inspiraient à la fois la forme de la législation et du discours dominants en matière de droits de l’homme et certaines critiques de ce discours, comme celles de mon collègue Sam Moyn. Ayant participé au mouvement mondial pour l’accès au traitement du VIH et à d’autres médicaments, il est clair que la revendication d’un droit à la santé implique nécessairement des questions d’économie politique. Comment peut-on parler de droit à la santé si les sociétés pharmaceutiques, par exemple, se voient accorder des droits de monopole – des brevets – qui leur permettent d’augmenter les prix de produits vitaux, même sans la moindre justification que cela génère de l’innovation ? Regardez les hausses de prix de l’insuline, ou les hausses de prix du vaccin Moderna (qui a été massivement financé par des fonds publics et qui a clairement amorti tous les coûts d’investissement privés) contre le Covid durant la pandémie.

    Si vous vous souciez de la santé, vous devez vous attaquer à la structure du secteur et à son pouvoir. Il existe des moyens de structurer l’industrie (notamment en donnant un rôle plus important à l’investissement public et à la réglementation des prix) qui pourraient conduire à la fois à un meilleur accès aux soins et à plus d’innovation. Les tribunaux et les institutions de défense des droits de l’homme devraient s’en préoccuper, tout comme les militants qui luttent pour le droit à la santé. Mais la plupart du temps ils rejettent cette perspective, parce qu’ils considèrent les brevets et la structure industrielle comme quelque chose d’entièrement distinct de la sphère des droits de l’homme.

    C’est la frustration que j’éprouve à l’égard des approches fondées sur les droits de l’homme : ils ont pris forme à une époque de néolibéralisme exacerbé, où l’on pensait que les questions d’économie étaient totalement distinctes des questions de droits. Les droits de l’homme sont même revendiqués au nom des entreprises, qui affirment – parfois avec succès, comme dans l’Union européenne – que leurs droits de propriété intellectuelle méritent d’être protégés dans le cadre des droits de l’homme !

    Mais il y a également eu des dissidences dans cette tradition – les organisations de lutte contre le sida soutenant que le droit à la santé pourrait permettre aux tribunaux de limiter le droit des brevets, par exemple. En ce sens, les critiques des droits de l’homme comme celle de Sam Moyn atténuent ou négligent parfois les initiatives inédites visant à utiliser cette tradition, y compris pour contribuer à la mobilisation de l’opinion publique, comme l’a fait le mouvement en faveur d’un meilleur accès aux médicaments.

    EM – Quels sont les principaux héritages du néolibéralisme dans la gouvernance mondiale de la santé ? Qu’est-ce que le Covid nous a appris sur leur pérennité et leur contestabilité ?

    AK – Nous sommes face à un régime de gouvernance mondiale de la santé qui n’a pas contesté le pouvoir du secteur privé, et qui s’est accommodé de discours et de pratiques marchnades qui nuisent gravement à la santé. Dans le contexte du Covid, nous avons pu produire des vaccins extrêmement efficaces – une merveille scientifique – grâce à un soutien public considérable, y compris un soutien à la recherche sur les coronavirus qui a eu lieu de nombreuses années avant la pandémie, ainsi qu’un soutien à la surveillance mondiale des maladies et à l’analyse génomique qui ont été essentiels pour le processus.

    Mais au cours des dernières années, des gouvernements ont décidé de ne pas imposer aux entreprises des conditions qui auraient contribué à garantir la possibilité d’utiliser les vaccins obtenus pour faire progresser la santé de tous. Nous avons autorisé un monopole de production des vaccins ARNm les plus efficaces au sein de chaînes d’approvisionnement privées auxquelles le Nord avait un accès privilégié, et nous avons autorisé les entreprises à refuser toute assistance aux efforts critiques de fabrication de ces vaccins dans le Sud.

    Bien qu’il y ait eu une nouvelle prise de conscience que l’ordre commercial mondial et l’accord ADPIC (qui fait partie de l’OMC et protège les brevets sur les médicaments) posaient un réel problème, et qu’il y ait eu de petites tentatives de réforme, nous n’avons finalement pas réussi à surmonter la capacité de l’industrie à dicter les termes de la production et de l’accès aux vaccins – ce, en dépit de subventions publiques massives. Il s’agit d’un héritage de l’ordre néolibéral dans le domaine de la santé.

    EM – Vous avez expliqué en détail comment le système actuel des brevets actuel profite aux pays riches et aux entreprises. Y a-t-il des raisons d’être optimistes quant à la possibilité de changer la donne ?

    URL incorrecte !

    AK – Je vois des raisons d’espérer. Le fait que le gouvernement américain se soit prononcé en faveur de la suspension d’au moins certaines parties de l’accord sur les ADPIC concernant le Covid était sans précédent. J’aurais aimé qu’ils aillent plus loin et que l’Europe ne soit pas aussi récalcitrante, mais il s’agit d’une étape importante et nouvelle. Cela reflète le fait que l’ordre commercial néolibéral est réellement remis en question, même si ce qui le remplacera n’est pas encore clairement défini.

    Je fonde encore plus d’espoir sur des expériences comme cette nouvelle installation de production d’ARNm en Afrique du Sud, qui est soutenue par l’Organisation mondiale de la santé, et dans le fait que l’État de Californie travaille maintenant à la fabrication de sa propre insuline . Pour contester l’autorité des entreprises, il faudra non seulement modifier les droits de propriété intellectuelle, mais aussi procéder à de véritables investissements matériels comme ceux-ci, afin de modifier l’équilibre des pouvoirs sur les biens essentiels.

    Il existe une coalition, petite mais solide, de groupes de pression dans les pays du Nord qui s’efforcent de remettre en cause le pouvoir et les prix des entreprises pharmaceutiques, et dont beaucoup ont commencé à travailler dans ce domaine en tant que militants pour un meilleur accès aux médicaments à l’échelle mondiale. Ce sont finalement ces liens entre les mouvements qui me donnent le plus d’espoir, parce qu’ils impliquent des personnes brillantes et créatives qui se penchent sur les questions les plus difficiles, comme la manière d’améliorer à la fois l’innovation et l’accès, et parce qu’ils le font d’une manière qui peut être réellement bénéfique pour les populations du Nord comme du Sud.

    EM et EK – Nous avons parlé plus tôt du bagage ontologique que les économistes apportent à ce débat . Pensez-vous que l’on puisse effectuer une analyse similaire dans le domaine du droit? Que lorsque le néolibéralisme est abordé dans les facultés de droit, on passe souvent à côté du sujet ?

    AK – Inversons les rôles. Qu’en pensez-vous ?

    EM – Je pense que certaines réalités sont invisibilisées. Mais je ne pense pas qu’il s’agisse uniquement d’un problème spécifique aux juristes. Même dans le cas de Wendy Brown, il y a une certaine réticence à aborder le néolibéralisme comme quelque chose qui pourrait réellement jouir d’une légitimité – même parmi ses victimes, pour ainsi dire. Pour expliquer cela, je pense qu’il faut reconnaître que dans le néolibéralisme il existe des éléments réellement excitants, voire utopiques – ce qui n’est pas le cas si l’on se concentre uniquement sur le reformatage du pouvoir de l’État. Au niveau de la vie quotidienne, il est difficile de s’enthousiasmer pour les réglementations..

    Quelqu’un comme Hayek pense que le marché est un outil de civilisation. Ce n’est pas seulement un outil d’agrégation des connaissances ou d’allocation des ressources, mais plutôt un moyen d’organiser la modernité et de réduire la complexité. Ce qui empêche la société de s’effondrer, compte tenu de sa multiplicité, c’est cette gigantesque boîte noire qu’est le marché, qui nous fait aussi avancer.

    Si l’on n’en tient pas compte, si l’on n’introduit pas une sorte d’utopie parallèle et alternative, j’ai beaucoup de mal à imaginer comment une logique alternative pourrait voir le jour. Et je ne vois pas comment cette logique pourrait voir le jour en se concentrant uniquement sur la redistribution, les réparations ou la restauration du pouvoir de l’État administratif.

    AK – Je suis d’accord pour dire que qu’à certains égards le néolibéralisme exerce un réel attrait. Les analyses historiques sur la manière dont la gauche, ou du moins les libéraux « progressistes », en sont venus à adopter le néolibéralisme, sont instructives. Ce dernier prétendait revitaliser certaines parties de la société américaine. Il possédait un élan libérateur.

    Il allait discipliner un État qui était profondément bloqué, incapable de fournir les choses que les gens souhaitaient. Ayant été formé dans une école de droit, j’ai entendu, en tant qu’étudiante, l’histoire du rôle que le tournant vers cette efficacité était censé jouer, en tant que technologie neutre qui nous permettrait à tous de nous entendre et d’avoir les choses que chacun d’entre nous désirait. À ce titre, je pense qu’il a exercé un attrait puissant.

    La question qui se pose alors est la suivante : si nous voulons critiquer le néolibéralisme, quelles sont ses alternatives ? Je suis très intéressée par les écrits de l’un de mes collègues de Yale, Martin Hägglund, en particulier par son livre This Life . Ce livre propose une vision laïque de la libération – être libre d’utiliser son temps comme on l’entend, et avoir une obligation envers les autres, pour partager le travail que personne ne veut faire – qui comporte des aspects de gouvernance très intéressants.

    Mais ce n’est pas fondamentalement basée sur l’idée, par exemple, d’un État administratif plus fort. Il s’agit plutôt d’une idée de ce que nous devrions attendre d’un État et de ce que nous devrions attendre de notre politique. Pour moi, c’est passionnant parce que cela correspond bien aux mobilisations politiques contemporaines, qu’il s’agisse des mouvements en faveur la généralisation des soins de santé ou des mouvements visant à remplacer les réponses carcérales par des réponses plus solidaires, enracinées dans des formes de soins.

    En d’autres termes, les critiques du néolibéralisme devraient prendre au sérieux une partie de son attrait populaire. Critiquer le néolibéralisme ne dit pas grand-chose sur les alternatives possibles. Avoir une idée de ces alternatives me semble très important.

    EM – Dans l’un de vos récents essais, vous parlez de la nécessité de démocratiser la conception des marchés. Qu’est-ce que cela implique ?

    AK – Il s’agit notamment de s’éloigner du principe selon lequel les marchés suivent leurs propres lois. Nous devons admettre que nous établissons les lois, les formes de pratiques sociales qui donnent aux marchés leur forme et leurs conséquences. Nous devrions comprendre que nous avons un pouvoir sur la conception des marchés et ne pas nous contenter de dire que l’offre et la demande sont à l’origine de telle ou telle chose.

    Les produits pharmaceutiques constituent une manifestation indéniable de la manière dont notre pouvoir collectif, par l’intermédiaire de l’État, est utilisé pour façonner ce que l’on appelle les résultats du marché. Nous conférons une grande autorité aux entreprises pour fixer les prix, puis nous constatons que les prix des médicaments augmentent. Cette situation est en profonde contradiction avec l’idée que nous devrions tous avoir un accès à ce dont nous avons besoin pour être en bonne santé.

    EM et EK – Mais toutes les alternatives proposées ne relèvent pas de positions aussi progressistes, y compris cette idée de constitutionnalisme du bien commun, pour finalement y revenir.

    AK – C’est vrai. Le constitutionnalisme du bien commun est une évolution du raisonnement juridique qu’un groupe de penseurs essentiellement catholiques est en train de consolider, afin de réinjecter une morale catholique dans le discours constitutionnel. Une manifestation très concrète de ceci dans le contexte politique américain est l’abandon par la droite de l’ originalisme , une approche historique de l’interprétation de la Constitution qui revient à ce que voulaient les « pères fondateurs », au profit d’un ordre constitutionnel plus musclé et plus affirmé, fondé sur des principes religieux.

    Par exemple, les originalistes ont remporté une victoire célèbre dans la récente bataille autour de l’avortement en soutenant que le texte de la Constitution ne protégeait pas l’avortement et qu’il laissait donc cette question à la discrétion des États. Les constitutionnalistes du bien commun, quant à eux, sont beaucoup plus intéressés par une Constitution qui protégerait la vie du fœtus. Plutôt que de laisser les États choisir de protéger l’avortement, la Constitution du bien commun leur interdirait de le faire. Cette imprégnation de l’ordre constitutionnel américain par des valeurs religieuses est l’expression d’un mouvement plus large que j’observe dans la droite post-néolibérale.

    Une caractéristique très forte de ce mouvement est de reconnaître les problèmes posés par le fondamentalisme du marché et le néolibéralisme – ils utilisent même ce terme – et d’affirmer que nous devons réintroduire des valeurs dans la vie américaine. Pour eux, cela devrait prendre la forme d’un retour au salaire familial, d’un retour aux familles normatives et hétérosexuelles, d’un retour à des formes de soutien de l’État pour des modes de vie ordonnés par la religion, d’un retour aux valeurs religieuses même sur le marché.

    Aux États-Unis, on peut en observer des manifestations économiques à travers une entreprise comme Hobby Lobby, qui souhaite imprégner le marché d’un caractère religieux – et aller à l’encontre, aussi bien, du progressisme marchand que de la couverture des moyens de contraception. Ce qui me préoccupe à ce sujet – bien qu’il ne s’agisse que d’une petite partie d’une droite très large et diversifiée – c’est que cette mouvance possède une idée assez nette de la manière dont elle pourrait parvenir à la prééminence, c’est-à-dire par le biais de la Cour suprême, étant donné le pouvoir dont celle-ci dispose dans ce pays. Il s’agit donc d’une évolution très importante…

    EM et EK – Pour revenir aux thèmes du néolibéralisme et de l’utopie, il semble que nous devrions essayer d’élaborer une théorie sociale capable de nous montrer quelles autres institutions permettent de créer un monde aussi diversifié et dynamique que celui qui est médiatisé par les marchés et le droit – ce qui correspond à la vision de Jürgen Habermas , avec quelques mouvements sociaux en plus.

    Il y a vingt ans, les écoles de droit américaines étaient très douées pour imaginer cette dimension utopique, même s’il s’agissait d’une utopie naïve. Mais cette dimension a disparu de l’analyse du néolibéralisme aujourd’hui, ce qui est troublant. Les plus utopistes ont-ils été tellement traumatisés par l’essor de la Silicon Valley qu’ils ont renoncé à réfléchir à ces questions ?

    AK – Je pense qu’il y a des idées utopiques – certainement des idées progressistes et ambitieuses – dans les facultés de droit de nos jours. Regardez certains travaux sur l’argent. Les gens réfléchissent à ce que cela signifierait de créer toutes sortes de choses, depuis des autorités nationales d’investissement jusqu’à une Fed fonctionnant selon des principes très différents, en passant par la réorganisation de la structure bancaire afin de permettre de nouvelles formes d’aide sociale et de lutter contre le changement climatique. C’est un exemple de quelque chose d’assez nouveau.

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    Nous voyons également de nombreuses demandes pour ce que l’on pourrait appeler la démarchandisation : des garanties de logement, des garanties de soins de santé, et même des expressions institutionnelles qui pourraient participer à ce que vous décrivez. En d’autres termes, comment gérer un système complexe tel qu’un établissement de santé en se basant sur les besoins plutôt que sur le profit ? Les gens ont vraiment réfléchi à cette question. Nous avons des expressions réelles de ces principes dans le monde, et elles inspirent des idées sur ce que cela signifierait de faire évoluer d’autres pouvoirs institutionnels dans cette direction.

    Si vous deviez rassembler un grand nombre de ces éléments – des idées sur la façon dont les investissements pourraient être dirigés plus démocratiquement, sur la façon dont le logement pourrait être organisé plus démocratiquement, sur la façon dont les soins de santé pourraient être organisés plus démocratiquement ; tous ces éléments font l’objet de discussions au sein des facultés de droit, ainsi qu’en dehors de celles-ci – ils constitueraient les éléments d’une vision beaucoup plus affirmée d’un avenir qui n’est pas organisé selon des lignes néolibérales. C’est l’assemblage de toutes ces pièces, et le fait de leur donner un nouveau nom, qui n’a pas encore été accompli.

    Mais je pense que ces éléments sont beaucoup plus intéressants que ce qu’on avait dans les années 2000, par exemple les mouvements autour du libre accès et des Creative Commons auxquels vous avez fait allusion, parce qu’ils abordent aussi directement la nécessité de disposer de certaines formes de pouvoir public pour créer ces choses. Et ils ne reposent pas sur une idée purement volontariste de ce que nous pouvons attendre ou réaliser.

    EM – Je suis d’accord pour dire qu’il s’agit d’une vision radicale, mais elle est conservatrice à mon goût en ce qui concerne son mélange institutionnel. Je reconnais que la démarchandisation est radicale après 50 ans de néolibéralisme, mais elle n’est pas radicale si on la compare à l’État-providence britannique des années 1940.

    AK – Je vous propose à présent de vous interroger sur les alternatives.

    EM – La personne qu’il faut convaincre que le règne du marché est révolu n’est pas tant le juge ordinaire que quelqu’un comme Habermas. Or, il n’y a pas grand-chose qui puisse le convaincre que nous nous sommes éloignés du marché et du droit comme les deux formes dominantes à travers lesquelles la modernité prend forme.

    Je ne vois pas beaucoup de réflexion sur les autres façons de formater la modernité. Sans elles, la seule chose que nous pouvons changer est l’équilibre entre les deux formes – que, bien sûr, je préférerais du côté de l’État plutôt que du côté du marché.

    AK – Quels sont les nouveaux véhicules qui vous viennent à l’esprit ? Un rapport avec le socialisme numérique ?

    EM – En fin de compte, je pense qu’il s’agit de formes alternatives de génération de valeur, à la fois économique et culturelle. Et cela implique de comprendre la contrepartie progressiste adéquate au marché. Pour ma part, je ne pense pas que le pendant progressiste du marché soit l’État. Je pense qu’il devrait s’agir de la culture, définie de manière très large – une culture qui englobe les connaissances et les pratiques des communautés.

    AK – En ce sens, vous vous situez davantage dans la lignée des biens communs que dans celle de l’État ?

    EM – Oui, c’est un moyen de fournir des infrastructures pour susciter la nouveauté et s’assurer que nous pouvons ensuite nous coordonner pour appréhender les effets qui s’ensuivent. La technologie est un élément clé à cet égard.

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      L’augmentation des profits des entreprises est la cause principale de l’inflation, selon le FMI

      alt.movim.eu / LaReleveEtLaPeste · Wednesday, 28 June, 2023 - 15:09

    Les industries agroalimentaires sont particulièrement gourmandes, le taux de marge est à son plus haut niveau depuis vingt ans. A tel point que même Bruno Le Maire a menacé de les taxer si elles ne restituaient pas leurs marges aux consommateurs.

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      L’Allemagne lance un pass train illimité à 49 euros par mois pour le pouvoir d’achat et le climat

      alt.movim.eu / LaReleveEtLaPeste · Wednesday, 3 May, 2023 - 10:17

    Le Deutschland-Ticket permet un accès illimité à presque tous les bus, métros, trains locaux et régionaux. Seuls les trains à grande vitesse ne sont pas inclus. Le gouvernement cherche par l’intermédiaire de cette initiative à soutenir la population face à l’inflation et encourager les automobilistes à prendre des transports moins polluants.

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      Railcoop : la privatisation ferroviaire sous façade citoyenne

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Friday, 28 April, 2023 - 09:41 · 14 minutes

    Autoproclamée « première entreprise ferroviaire coopérative d’Europe » depuis 2020, Railcoop a récemment annoncé la suspension de son service de fret. Cette annonce survient alors que la coopérative a accumulé les éloges pour son engagement en faveur des petites lignes de chemin de fer abandonnées, notamment grâce à son projet phare de rouvrir la ligne Bordeaux-Lyon. Cependant, cette suspension révèle les limites de la coopérative et soulève des interrogations quant au modèle ferroviaire qu’elle promeut.

    Railcoop est une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) ferroviaire qui ambitionne de « redonner du sens à la mobilité ferroviaire en impliquant citoyens, cheminots, entreprises et collectivités autour d’une même mission : développer une offre de transport ferroviaire innovante et adaptée aux besoins de tous les territoires ». Cette ambition se concrétise par différents projets de liaisons ferroviaires, parmi lesquels l’ouverture d’un service de voyageurs direct reliant Bordeaux à Lyon via le Massif Central, prévue pour l’été 2024, occupe une place centrale. Outre la promotion de l’implication citoyenne dans le domaine du ferroviaire, Railcoop insiste sur la complémentarité de ses activités avec le service public et sur une démarche écologique visant à proposer des alternatives à la voiture.

    Une communication citoyenne et volontariste basée sur l’effet d’annonce

    Le discours d’une coopérative citoyenne, visant à relancer les petites lignes délaissées a suscité un grand intérêt médiatique. Qu’il s’agisse de la presse régionale ( Sud-Ouest , La Montagne , La Dépêche , Le Télégramme …), nationale ( France Télévision , L’Express , Le Monde , LCI , Europe 1 , Brut … ), internationale ( El Pais , RTBF , France 24 …) ou spécialisée ( Aiguillages , La Vie du Rail … ), les médias ont été très nombreux à relayer cette initiative. Nombre de médias « engagés » ont également participé activement à la promotion de la société ( Médiapart , Radio Parleur , Reporterre , Alternatives Economiques , La relève et la peste , Socialter , Sans transition , Libération , PositivR , L’âge de faire , Basta! , Pioche ).

    En annonçant régulièrement des ouvertures de lignes, la société s’offre une forte couverture médiatique, en particulier dans la presse locale, intéressée par la perspective de « réouverture prochaine » d’anciennes lignes délaissées.

    Le caractère publicitaire et la source des informations de ces articles sont sujets à questionnement. En effet, la majorité de ces publications reprennent directement les éléments de l’ imposant dossier de presse proposé par la société. Ce dossier construit un récit, celui de la réouverture des petites lignes abandonnées par la SNCF grâce à une initiative citoyenne qui agit concrètement.

    © Ugo Thomas

    La carte des futurs trajets proposés fait rêver les amoureux du rail : nombre de liaisons aujourd’hui mal desservies sont évoquées, alors que la priorité donnée au TGV a délaissé de nombreuses gares et trajets. C’est sur cet effet d’annonce, poussé à son paroxysme, que repose la communication de Railcoop. En annonçant régulièrement des ouvertures de lignes, la société s’offre une forte couverture médiatique, en particulier dans la presse locale, intéressée par la perspective de « réouverture prochaine » d’anciennes lignes délaissées. Railcoop a ainsi annoncé la réouverture de 10 lignes différentes, de Bâle – Le Croisic à Thionville – St Etienne. Pourtant, ces projets, à l’exception de la ligne Bordeaux – Lyon, ne restent à ce jour qu’à l’état d’ébauche.

    Au-delà des annonces, une société en crise

    Derrière cette façade de sauveur des petites lignes, la réalité est bien moins reluisante. Deux projets sont mis en avant en priorité par la société : un service de fret en Occitanie et un service voyageur entre Bordeaux et Lyon. Aujourd’hui, aucun de ces services ne circule. Le service fret, inauguré avec grande pompe le 15 novembre 2021, reliant Capdenac à Toulouse, a été suspendu le 19 avril dernier, faute de rentabilité économique. La ligne Gignac-Saint-Gaudens, inaugurée en avril 2023, a connu le même sort. Le service voyageur, dont le lancement était initialement prévu pour l’ été 2022 , avec deux allers-retours par jour entre Bordeaux et Lyon a lui été reporté successivement en décembre 2022 , puis à l’ été 2024 avec un aller-retour sur deux jours et un service en deux phrases : Lyon-Limoges à l’été et Limoges-Bordeaux à l’horizon de l’hiver 2025 .

    Outre cette érosion des promesses à mesure que la mise en service se précise, le modèle coopératif mis en avant par Railcoop semble lui aussi bien loin de la réalité. Entreprise coopérative rassemblant, au 26 avril 2023, 14.171 sociétaires, qui doivent chacun débourser 100€ minimum pour obtenir une part de la SCIC, Railcoop promettait une gouvernance très ouverte. En réalité, une récente enquête de Médiapart révèle que la direction est assurée par Nicolas Debaisieux, en tant que directeur général, et par sa sœur Alexandra Debaisieux en tant que directrice générale déléguée. Un fonctionnement très centralisé et vertical donc, en décalage avec le modèle citoyen que prône la coopérative. Suite aux récentes difficultés, celle-ci doit être remaniée prochainement, avec le départ d’Alexandra Debaisieux et la mise en place d’une direction bicéphale.

    Une réforme de la gouvernance qui fait suite à une crise sociale interne mise en lumière par Médiapart . En effet, sur les 32 salariés et alternants que compte l’entreprise – dont seulement trois conducteurs pour une vingtaine d’encadrants -, dix d’entre eux ont quitté leur poste, pour partie dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Toujours selon Médiapart, la gestion des fonds de la part de la coopérative serait entachée d’investissements hasardeux. Ainsi, une partie des fonds de Railcoop aurait été dépensée dans l’achat et la location de wagons et locaux au final jamais utilisés par l’entreprise. Interloqués par cet usage des fonds, certains salariés se plaignent également de devoir appliquer des « priorités qui changent du jour au lendemain » et de l’absence d’écoute de leurs suggestions par la direction.

    Un modèle économique qui interroge

    Si le climat social interne est mauvais, les difficultés de Railcoop sont également liées à l’objectif que s’est fixé la société. Le transport ferroviaire est une activité peu lucrative, avec des marges limitées voire inexistantes, et requiert des investissements de départ très importants. La ligne Bordeaux-Lyon sur laquelle la société compte opérer est ainsi historiquement déficitaire. Avec des tarifs attractifs et un prix d’appel de 42€ par billet, le modèle économique interroge sur la capacité de l’entreprise à maintenir une rentabilité durable.

    Pour assurer les investissements et les frais de fonctionnement nécessaires, la coopérative semble s’appuyer sur la constitution d’un capital important garanti par les parts sociales de ses membres. Toutefois, Railcoop a vite réalisé que cela ne serait pas suffisant pour couvrir les coûts liés à la mise en place de ses services, évalués à environ 40 millions d’euros . Ainsi, depuis octobre 2022, elle a lancé une levée de fonds à hauteur de 34 millions d’euros dont 5 millions d’euros devraient être issus des sociétaires , afin de garantir une trésorerie minimale et de rassurer les prêteurs bancaires.

    Pour atteindre la viabilité financière, une solution possible serait d’attirer en permanence de nouveaux investisseurs.

    Mais la constitution d’un capital important ne résoudra pas la question de la rentabilité à long terme de Railcoop. Pour atteindre la viabilité financière, une solution possible serait d’attirer en permanence de nouveaux investisseurs. A ce titre, Railcoop indique que : « La trésorerie de la société étant étroitement liée à sa capacité à collecter régulièrement des souscriptions, la stabilité des souscriptions est importante pour la pérennité de la société . » De ce point de vue , les campagnes médiatiques sur la réouverture imminente de nouvelles lignes apparaissent comme un moyen d’assurer la survie financière de la société, et ce d’autant plus que le bilan actuel de la coopérative est assez décevant. Ainsi, le résultat de l’exercice 2021 était déficitaire à hauteur de 1,4M€ dont 1M€ pour les charges de personnel. Sur ce point, il est légitime de se demander quel sera l’état de la trésorerie de Railcoop lors du lancement de la ligne Lyon-Bordeaux prévu en 2024 après quatre années sans recettes.

    En Allemagne, une expérience similaire à celle de Railcoop appuie ces inquiétudes. La société Locomore, financée par crowdfunding, a fait faillite après seulement cinq mois d’activité . Interrogée à ce sujet dans sa FAQ , Railcoop a éludé le fond du modèle économique en indiquant que l’échec de Locomore était dû au fait qu’elle n’était pas une coopérative, sans expliquer en quoi son propre modèle économique était différent.

    Dans les faits, Railcoop s’appuie sur le recours aux fonds publics. Alors que sur son site on peut lire que « Railcoop fera rouler des trains de passagers et de marchandises sans subvention d’exploitation » (elle précisait auparavant « sans subvention publique »), le rapport de Railcoop aux fonds publics est plus complexe. La société permet en effet aux collectivités territoriales de devenir coopératrices, avec une contribution minimale de 100 €. Cette participation est ensuite calculée selon un barème dégressif en fonction du nombre d’habitants de la collectivité, allant de 50 centimes à 10 centimes par habitant (bien que ce modèle ne semble plus exclusif). Actuellement, les contributions des collectivités territoriales atteignent presque un million d’euros , avec une participation au capital social évaluée a minima à 933 600 €. À ces prises de participation s’ajoutent également des aides indirectes, comme la cession de rames à un prix symbolique de la part de la région Auvergne-Rhône-Alpes, dirigée par Laurent Wauquiez. Ironie du sort, les rames en question étaient celles de trains régionaux du même type que l’ancienne liaison Bordeaux-Lyon.

    Les premières liaisons devaient se faire à l’aide de neuf rames X 72500 cédées à un prix « symbolique » de la part de la région Rhône Alpes. Finalement, seule une rame circulera et la seconde servira de pièce détachée. © Patrick Janicek, Flickr

    Railcoop, un laboratoire de la privatisation du rail

    Plus largement, le modèle économique de Railcoop s’inscrit dans un contexte plus large, celui de l’ouverture à la concurrence du système ferroviaire. A cet égard, il peut être considéré comme un pionnier pour les futurs entrants privés dans le réseau. Le secteur ferroviaire nécessite des investissements considérables (construction et entretien des voies, infrastructures électriques, signalisation, gares, matériel roulant…), traditionnellement assurés par la puissance publique, qui a pris en charge les investissements pour assurer l’unité du réseau. Cette approche a permis de réduire le déficit du système ferroviaire, les liaisons rentables compensant les coûts des infrastructures et des services régionaux généralement déficitaires. Cependant, avec l’ouverture à la concurrence, les acteurs privés se positionnent uniquement sur les liaison les plus rentables tandis que l’entreprise publique historique doit assumer seule le déficit demeure des liaisons secondaires.

    Faute de pouvoir rivaliser avec les acteurs historiques formés et financés par les pouvoirs publics, Railcoop opte pour une stratégie d’externalisation de ses activités. N’ayant pas de centre de formation, elle fait appel à des agents formés par la SNCF ; n’ayant pas d’opérateurs au sol, elle fait appel aux filiales de la SNCF ; n’ayant pas de locomotives, elle loue celles de la Deutsche Bahn ; enfin, n’ayant pas de wagons, elle loue celles d’une filiale privatisée de la SNCF .

    Contrairement à la complémentarité affichée, Railcoop agit donc dès aujourd’hui en concurrent des activités de la SNCF.

    Contrairement à la complémentarité affichée, Railcoop agit donc dès aujourd’hui en concurrent des activités de la SNCF. Sud Rail a ainsi critiqué l’impact de Railcoop sur les activités de la SNCF avec la cession de plusieurs locaux de la SNCF, y compris une salle de pause pour les cheminots à Guéret. Cette concurrence s’étend également aux trains régionaux. En Normandie, une décision du 2 décembre 2021 de l’Autorité de Régulation des Transports a révélé que les services de Railcoop pourraient directement concurrencer dix-huit trains régionaux, suscitant des craintes chez les usagers quant au remplacement de leurs liaisons. En Auvergne-Rhône-Alpes, le comité des usagers de trains de l’Auvergne dénonçait la suppression d’un service Limoges-Montluçon en raison de l’hypothétique arrivée prochaine de Railcoop .

    Railcoop ne s’arrête pas là. Non-contente de s’engouffrer dans le nouveau marché ferroviaire, elle milite activement en faveur de la poursuite du processus de libéralisation du secteur. La société a ainsi adhéré au lobby AllRail qui représente les concurrents ferroviaires aux opérateurs historiques et a participé à la campagne European Startup Manifesto on Rail qui prône une plus grande libéralisation du ferroviaire européen. Alexandra Debaisieux, la directrice générale déléguée de Railcoop, a également plaidé auprès du Sénat pour « dénoncer les barrières » limitant le développement de nouvelles sociétés ferroviaires et en particulier l’absence de libéralisation des centres de maintenance et de formation de la SNCF.

    Ce que Railcoop dit du ferroviaire

    Railcoop illustre l’attachement profond des Français au ferroviaire, qui s’inscrit dans une histoire longue, un engagement pour l’écologie et une plus grande accessibilité des territoires isolés. L’initiative proposée par Railcoop, qui vise à rouvrir des lignes et à sortir de l’actuelle résignation, trouve donc naturellement un public attentif et enthousiaste.

    Cette initiative est également bien accueillie par les collectivités locales, qui y voient une opportunité d’agir concrètement en faveur du retour du train et de développer des territoires en proie à de nombreuses difficultés. C’est ce sentiment que l’on retrouve par exemple dans le procès verbal du conseil communautaire du Grand Guéret où les élus mettent en avant l’apport en terme d’emplois et d’activité sur leur territoire tout en craignant, s’il n’y a pas d’investissement à la hauteur, que le centre technique promis par Railcoop n’ouvre pas dans l’agglomération.

    La société apparaît comme un pionnier de la libéralisation ferroviaire, cause principale de l’abandon des petites lignes qu’elle dit pourtant vouloir rouvrir.

    Dans ce contexte, Railcoop apparaît comme la solution miracle pour sortir de la fatalité actuelle et c’est sur ce discours qu’elle parvient à lever des fonds. Pourtant, loin d’apporter une solution pérenne à ces difficultés, Railcoop est en réalité une impasse. En encourageant les collectivités – dont ce n’est pas la compétence – et les citoyens dans un projet difficilement viable, tout en déchargeant l’État de ses responsabilités, elle offre de faux espoirs. Pire, la société apparaît comme un pionnier de la libéralisation ferroviaire, cause principale de l’abandon des petites lignes qu’elle dit pourtant vouloir rouvrir.

    Si l’État agissait concrètement pour le rail, « l’aventure Railcoop » n’aurait jamais existé. La ligne Lyon-Bordeaux, projet phare de la coopérative, l’illustre parfaitement. Jusqu’en 2013, cette ligne existait sous la forme d’un Train d’Equilibre du Territoire (Intercités) subventionné par l’Etat avant que ce dernier n’abandonne la liaison. En 2017, la section ouest de la ligne est rouverte par la Région Nouvelle Aquitaine mais la Région Auvergne-Rhône-Alpes, sollicitée, n’a pas donné de suite . Laurent Wauquiez annonçait alors que « la région ne se substituera pas à l’État. » C’est pourtant ce même président de Région « très favorable » à Railcoop qui déclarait en 2021 que : « ce projet est plus que symbolique puisque, depuis des années, on ferme des lignes dans notre pays . »

    Déjà profondément dysfonctionnelle, Railcoop semble destinée à échouer. Son modèle économique, qui repose sur une perfusion constante de nouveaux apports de capital, notamment par les collectivités, paraît en effet insoutenable à terme. Mais d’ici-là, elle aura servi de faire-valoir aux détracteurs du service public, qui trouvent ainsi un moyen de légitimer leurs attaques contre la SNCF. Loin de pallier aux insuffisances de l’ancien monopole public, Railcoop aura donc joué le rôle d’enfant-modèle de la libéralisation et d’écran de fumée pour masquer les décisions d’abandon de nombreux territoires par un service public ferroviaire national de plus en plus mal en point. Espérons au moins que sa probable faillite serve de leçon.

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      Osons Comprendre : « L’Avenir de l’énergie »

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Friday, 7 April, 2023 - 15:32 · 9 minutes

    Quel mix énergétique pour demain ? Peut-on se passer du nucléaire ? Parviendra-t-on au 100 % renouvelable ? Dans L’Avenir de l’énergie (Éd. Flammarion), Ludovic Torbey et Stéphane Lambert s’attaquent à un sujet lourd qui nous concerne tous. Simple et richement documenté, le livre des fondateurs d’ Osons Causer et Osons Comprendre répond avec exhaustivité à toutes les questions indispensables d’un débat dont tout le monde doit urgemment s’emparer. Entretien.

    LVSL – Le débat sur l’énergie a pris beaucoup d’importance ces dernières années, en lien notamment avec une préoccupation grandissante pour les enjeux climatiques. Sommes-nous sur la bonne trajectoire pour réaliser notre transition énergétique ?

    Osons Comprendre – En un mot : non. En une phrase, la France diminue ses émissions, même en comptant celles qui sont faites dans d’autres pays pour notre consommation, mais à un rythme trop faible, et notre dépendance au pétrole et au gaz reste très forte.

    Le gouvernement communique sur les premières estimations des émissions de gaz à effet de serre qui indiquent une baisse de 2,8 % pour 2022. L’essentiel de cette baisse est due à la météo clémente et à la hausse des prix de l’énergie qui ont contraint de nombreux ménages et entreprises à réduire leur consommation. Ces baisses seront-elles pérennes ? Pas sûr et, plus fondamentalement, elles ne sont pas suffisantes. Si on suit les recommandations du Haut Conseil pour le Climat, la France devrait réduire ses émissions de 4,7 % par an pour tenir ses objectifs pour 2030. Nous ne sommes pas du tout sur cette trajectoire aujourd’hui. Les causes de ce retard sont multiples. La France accuse un grand retard sur la rénovation énergétique des bâtiments, on est bien loin du rythme de croisière des 500 000 rénovations performantes par an environ que la France doit tenir jusqu’à 2050. Sur la mobilité, le fret ferroviaire est quasiment au point mort, le démarrage de la voiture électrique est encore timide et le gouvernement a abdiqué sur les 110 km/h sur autoroute, alors que le bouclier tarifaire sur l’essence et le diesel lui fournissait une opportunité unique. Les émissions du transport ont augmenté de 2 % en 2022. Même l’électricité, havre bas carbone depuis l’achèvement du programme nucléaire dans les années 1990, a augmenté ses émissions à cause de la sécheresse et de l’indisponibilité des centrales nucléaires due aux programmes de maintenance et aux problèmes de corrosion. Le retard sur les énergies renouvelables n’aide pas non plus. Bref : le compte n’y est pas.

    LVSL – Le nucléaire fait un retour en force après avoir été critiqué pendant deux décennies. Comment expliquez-vous le revirement de l’opinion française malgré les difficultés actuelles de la filière ?

    Osons Comprendre – Le contexte de crise énergétique, avec tension d’approvisionnement et flambée des prix, a probablement joué dans ce regain d’intérêt pour l’énergie nucléaire. Remplacer les énergies fossiles – charbon, pétrole et gaz – qui fournissent encore aujourd’hui les deux tiers de la consommation énergétique annuelle, demandera d’augmenter notre production d’électricité.

    Le nucléaire apparaît aujourd’hui comme une source d’électricité bas carbone, et capable de produire en continu.

    Même avec de la sobriété, il faut plus d’électricité pour remplacer les chaudières au fioul et au gaz, les voitures thermiques à essence, etc. Le nucléaire apparaît aujourd’hui comme une source d’électricité bas carbone, et capable de produire en continu. C’est un atout majeur à côté du développement nécessaire du solaire et de l’éolien. Avec la prise de conscience accrue de l’enjeu climatique, la lutte historique de l’écologie politique contre l’énergie nucléaire semble passer aujourd’hui au second plan.Beaucoup de gens se disent, y compris à gauche et chez les écolos : d’abord on s’assure d’avoir assez d’électricité bas carbone, en utilisant toutes les armes dont on dispose, nucléaire et renouvelables – et ensuite seulement on sortira du nucléaire si on est sûrs de pouvoir y parvenir sans problèmes.

    LVSL – Peut-on atteindre un mix énergétique 100 % énergies renouvelables et sortir du nucléaire à horizon 2050 ?

    Osons Comprendre – Il existe des scénarios qui prévoient une sortie du nucléaire et un mix 100 % énergies renouvelables en 2050, notamment dans le rapport RTE paru fin 2021. Cela dit, il reste de fortes incertitudes techniques et économiques sur ce pari. Il n’est pas certain qu’on parvienne à stocker les grandes quantités d’hydrogène nécessaires pour produire l’électricité quand le vent et le soleil manquent. Au-delà de cette inconnue technique, RTE est formel : un système électrique 100 % renouvelable coûtera plus cher qu’allier renouvelables et nucléaire. Si l’électricité est plus chère, ce sont les précaires qui en pâtiront le plus. Cela pénalise les emplois électro-intensifs – coucou les boulangers – et ça peut ralentir l’électrification des secteurs qui utilisent encore le gaz et le charbon pour produire de l’énergie, notamment dans l’industrie ou le chauffage, ce qui serait mauvais pour le climat. Enfin, les scénarios 100 % renouvelables peuvent avoir du mal à faire face à des besoins plus élevés que prévu en électricité. Si la rénovation énergétique des bâtiments ne décolle pas ou si l’on relocalise certaines activités industrielles, la consommation électrique de la France de 2050 sera difficile à absorber pour un système s’appuyant uniquement sur les renouvelables. Construire de nouveaux réacteurs nucléaires en plus du solaire et de l’éolien permet bien plus facilement d’encaisser une consommation d’électricité supérieure.

    LVSL – Quelles sont les énergies renouvelables les plus utiles pour réaliser la transition énergétique ?

    Osons Comprendre – Il y a d’abord la « biomasse ». Ce mot inutilement technique désigne les énergies issues des végétaux : les biocarburants liquides, le biogaz et la « biomasse solide » alias, le bon vieux bois de chauffage. Ces énergies sont renouvelables et supposées bas carbone puisque le CO 2 émis lors de leur combustion est « compensé » par celui capté par photosynthèse lors de la croissance de la plante ou de l’arbre. Selon la Stratégie nationale bas carbone toujours en vigueur – elle sera révisée dans l’année – la biomasse devra fournir 45 % de l’énergie du pays en 2050. Ce chiffre nous semble grandement optimiste. Suivant un rapport de France Stratégie de 2021, nous doutons qu’une telle quantité d’énergie puisse être extraite de nos forêts et de nos champs sans entrer en conflit avec d’autres objectifs – notamment d’agriculture durable. C’est un point important et peu connu, qu’on développe dans notre livre. Voilà pourquoi nous estimons important de déployer principalement les énergies renouvelables électriques.

    Les barrages hydroélectriques à réservoir ont l’immense avantage d’être pilotables : on les fait produire quand on veut. Les barrages au fil de l’eau produisent en continu, ce qui est très pratique aussi. Mais d’une part, le réchauffement climatique va impacter cette production avec la hausse des sécheresses, et de l’autre, le potentiel de nouveaux barrages en France est limité.

    Le solaire et l’éolien sont complémentaires de nos deux sources d’électricité historiques.

    Les stars des renouvelables sont sans conteste le solaire et l’éolien, dont les prix se sont effondrés. Leur principal défaut, quand on vise le 100 % renouvelable, reste la gestion de leur production variable ou intermittente. Quand vent et soleil manquent, la production d’électricité est basse. Les barrages et les centrales nucléaires peuvent prendre le relais. Voilà pourquoi, selon nous, le solaire et l’éolien sont complémentaires de nos deux sources d’électricité historiques.

    LVSL – Des observateurs comme Jean-Marc Jancovici considèrent que le nucléaire est quasi sans risques. Est-ce le cas ? À quels problèmes se heurte-t-on ?

    Osons Comprendre – Comme toute activité industrielle, le nucléaire comporte des risques. On a tous l’image des pires accidents : Tchernobyl et Fukushima. Après de longues recherches sur le sujet que nous avons déclinées en vidéos sur notre chaîne et sur notre site Osons Comprendre , nous estimons que les risques liés aux déchets et aux accidents nucléaires en France sont correctement gérés et très faibles. L’indépendance de notre instance de contrôle, l’ASN, armée de l’expertise de l’IRSN, n’y est pas pour rien. Cela dit, le risque zéro n’existe pas.

    Le pari du 100 % renouvelable comporte un risque, celui de ne pas parvenir à produire suffisamment d’électricité décarbonée et à un prix modeste.

    Si le pari du 100 % renouvelable ne comportait aucun risque, le risque nucléaire, même infime, condamnerait tout de suite le pari de l’atome. Mais ce n’est pas le cas. Le pari du 100 % renouvelable comporte un risque, selon nous majeur, celui de ne pas parvenir à produire suffisamment d’électricité décarbonée et à un prix modeste.

    Si on reste dépendants au gaz fossile plusieurs dizaines d’années, si on produit une électricité plus chère, si on manque d’électricité, alors on risque de détruire davantage le climat et d’avoir une énergie chère et limitée qui pénalisera les emplois et le niveau de vie de tous, à commencer par les plus pauvres.

    On développe ça bien plus en détails dans notre livre, mais on est donc face à un choix entre deux risques : les risques faibles d’un grave accident nucléaire vs les risques plus élevés de rater notre transition énergétique si on se prive de l’outil de décarbonation qu’est l’électricité nucléaire. À chacun de choisir.

    LVSL – La solution, en définitive, ne passe-t-elle pas par un grand effort de sobriété comme démontré cet hiver ?

    Osons Comprendre – Dans tous les scénarios, la sobriété énergétique facilite la transition énergétique. Cela dit, elle ne résout pas tout. Pour le comprendre, il suffit d’explorer le scénario proposé par Négawatt, l’association en pointe sur la sobriété énergétique. Malgré des efforts de sobriété conséquents au niveau national – la fin des vols intérieurs, la division par 2 du transport de marchandises, la hausse du nombre de personnes par logement malgré le vieillissement de la population et la hausse des divorces – Négawatt estime que la France sobre de 2050 consommera environ 10 % d’électricité en plus qu’aujourd’hui. Ça se comprend très bien : même si on consomme moins d’énergie, l’électrification du chauffage, de la mobilité, de l’industrie demandera de l’électricité.

    Osons Comprendre. L’Avenir de l’énergie
    Éditions Flammarion, 13,90 €

    Conclusion : la sobriété, c’est utile, et au moins dans certains secteurs comme l’aviation, c’est même nécessaire, mais ça ne nous fait faire qu’un (petit) bout du chemin vers une énergie 100 % bas carbone.

    La sobriété ne doit pas non plus être un mot cache-sexe pour la pauvreté face à une énergie rare et chère. La sobriété c’est choisi. Quand c’est subi, c’est de la pauvreté. La sobriété demande une volonté individuelle et collective, et certainement aussi de la justice : difficile de demander des efforts de sobriété si les plus riches explosent les bilans carbone. Si l’enjeu de la sobriété vous intéresse, on le développe bien plus en détail dans notre livre L’Avenir de l’énergie , et en vidéos sur notre site de vulgarisation Osons Comprendre .

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      De la capitalisation à la capitation

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 13 March, 2023 - 04:15 · 5 minutes

    Je constate avec plaisir qu’après quelques années de travaux citoyens sur la réforme des retraites la capitalisation fait une percée que j’oserai qualifier d’inespérée. Des sénateurs du parti LR ont demandé qu’on fasse une place à la capitalisation dans le débat qui vient de s’ouvrir dans la Haute Assemblée . Progressivement on pourrait abandonner l’opinion selon laquelle la retraite par répartition serait un « trésor national ». On apprend aussi que Jean Jaurès et les socialistes avaient plaidé pour la capitalisation en 1910.

    Je constate aussi que les sénateurs ont eu le courage d’aller contre la pensée unique, il faut « oser » la capitalisation. Mais leur position me semble plus timide sur deux points : d’une part leur proposition devrait « préserver le système par répartition » et d’autre part ils souhaitent que la capitalisation soit « collective ».

    Conserver et bricoler la répartition au cœur du système actuel n’est pas une vraie réforme puisque l’explosion prochaine est fatale avec une population vieillissante, sauf à admettre une immigration massive immédiate ou une politique nataliste qui porterait ses fruits au plus tôt dans vingt ans. Quant à la capitalisation, pourquoi ne serait-elle pas « personnelle », c’est-à-dire offrir à chacun le libre choix du placement de son épargne au lieu de la verser à la Sécurité sociale ?

    À juste titre les sénateurs observent qu’un Français sur quatre a aujourd’hui les moyens de financer sa propre retraite : assurance-vie, achat d’un logement, portefeuille d’actions et toutes formes d’un patrimoine suffisant. Si les sénateurs estiment qu’il n’est pas juste que le privilège de la capitalisation soit restreint à ce quart, ils ont raison et ils pourraient dire, comme leur président Bruno Retailleau, que la capitalisation « tout seul » pénalise les pauvres.

    En revanche je soutiens que la capitalisation « collective » qui condamne les Français à s’en remettre à l’État, à la CNAM, voire même aux comptes d’épargne d’entreprise n’est qu’une caricature de la capitalisation. La vraie capitalisation est ce que l’on pourrait appeler la « capitation » : chacun garderait la tête de son épargne, chacun n’en ferait qu’à sa tête. Ainsi définie, c’est bien cette capitalisation-ci qui caractérise les réformes réussies dans la plupart des pays de l’OCDE. Elle est donc banale mais elle aussi doublement efficace : et du point de vue financier et du point de vue social.

    Du point de vue financier lier le montant de sa pension future à la gestion de l’État et de la Sécurité sociale qui pratiquent la répartition avec une population vieillissante n’est évidemment pas une bonne opération, tout le monde en convient. Mais lier obligatoirement la pension future à la vie d’une entreprise n’est pas non plus rassurant car l’entreprise peut dilapider ou voler l’épargne des adhérents (cela a été le cas d’Enron, de Madoff, etc.) et, plus simplement, les résultats des entreprises peuvent fortement varier et réduire le montant finalement perçu, comme on peut l’observer entre autres avec les comptes-épargne retraite prévues au titre de l’intéressement.

    Les avantages de la capitalisation

    Par contraste les rapports de la capitalisation sont évidents.

    Au lieu d’être purement et simplement gaspillé (la masse des cotisations sociales encaissées par l’URSSAF est immédiatement engloutie dans le paiement des pensions du moment) l’argent capitalisé va pouvoir être recyclé dans l’économie et les investissements vont créer des emplois et des richesses nouvelles. En 15 ans la valeur des placements à un taux de 5 % réels est doublée et sans aucun risque (sinon celui du détournement de fonds par le gestionnaire, risque propre à tout contrat mais délit gravement puni).

    Il est vrai que les bienfaits financiers de la capitalisation exigent des conditions qui peuvent aujourd’hui sembler utopiques : d’une part la stabilité monétaire, puisque l’inflation fausse et détruit toute anticipation rationnelle ; d’autre part la conscience et la confiance du futur, alors qu’aujourd’hui c’est le carpe diem , l’instabilité et les loisirs qui animent en particulier trop de jeunes – faute d’un accompagnement familial et scolaire stable et de qualité.

    C’est ici que la dimension sociale de la capitalisation prend toute son importance : il s’agit d’un vrai choix de société. C’est le privilège contre le mérite, c’est l’activité contre l’assistanat, c’est la sécurité contre le désordre, c’est l’économie contre la politique.

    Je me permets de rappeler quelques sentences bien frappées par Gary Becker , prix Nobel, lors d’une conférence à Paris en 1996 :

    C’est un retour au travail

    Plus de gens seront actifs et plus longtemps. Cela suppose évidemment que les pouvoirs politiques cessent d’intervenir sur le marché du travail et lui rendent la liberté et la souplesse nécessaires.

    C’est un retour à l’épargne

    Alors que la répartition dilapide l’argent gagné et détruit le capital humain et la richesse nationale, la capitalisation place l’argent gagné, le fait fructifier. Cela suppose aussi que toute fiscalité sur l’épargne soit éliminée.

    C’est un retour à la responsabilité personnelle

    La répartition contient tous les germes de la collectivisation et aboutit à faire disparaître toute idée de progrès personnel. La capitalisation a le mérite de mettre chacun face à son propre progrès. S’il y a des individus laissés pour compte on peut prévoir un filet social à leur intention, mais ces cas doivent demeurer marginaux ; il faut se garder comme on le fait maintenant de construire tout un système d’État providence sur des hypothèses extrêmes qui ne concerneraient normalement qu’une infime minorité de la population.

    Demeure cependant une vraie question : quand la classe politique acceptera-t-elle enfin ce choix de société et va-t-elle réformer pour libérer ? Quand allons-nous retrouver l’espoir en faisant confiance aux êtres humains animés du désir d’un progrès responsable ?

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