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      La premier libertarien de l’histoire est chinois

      Foundation for Economic Education · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 1 November, 2022 - 03:50 · 4 minutes

    Le Livre de L Ecclésiaste nous dit : « il n’y a rien de nouveau sous le soleil » . Cette citation nous rappelle que peu de choses que nous considérons comme nouvelles le sont réellement, et la philosophie économique ne fait pas exception.

    Si Karl Marx est considéré comme le père du communisme, ses idées n’étaient pas aussi originales que beaucoup le pensent. Son précurseur intellectuel était François-Noël Babeuf (1760-1797), un proto-socialiste de la Révolution française qui a été exécuté pour avoir participé à un coup d’État manqué visant à renverser le Directoire. Des décennies avant la naissance de Marx, Babeuf réclamait l’équité absolue et l’interdiction de la propriété privée.

    Adam Smith , l’homologue libéral classique de Marx, a son propre sosie intellectuel. Anders Chydenius est né quelques années seulement après Smith (la date de naissance exacte de Smith est inconnue). Comme le plus célèbre des Écossais, Chydenius était un champion du libre-échange, de la liberté de la presse et de l’égalité des droits devant la loi. Dix ans avant que Smith ne publie La richesse des nations , Chydenius décrivait un processus économique similaire à la main invisible de Smith.

    Dans Le Gain national (1765) Chydénius écrit :

    « Chaque individu cherche spontanément à trouver le lieu et le métier où il peut le mieux augmenter le gain national, si les lois ne l’en empêchent pas. La richesse d’une nation consiste dans la multitude des produits ou plutôt dans leur valeur ; mais la multitude des produits dépend de deux causes principales, savoir, le nombre des ouvriers et leur diligence. La nature produira l’une et l’autre, si on la laisse libre de toute entrave… ».

    Bien que ni Smith ni Chydenius n’aient utilisé le terme ordre spontané – il n’est apparu qu’au XXe siècle – le phénomène est clairement ce que les deux philosophes décrivent. C’est l’idée que l’ordre et l’harmonie sociale émergent des actions volontaires des individus, et non d’une planification centrale.

    Pourtant, aucun de ces deux grands philosophes n’a été le premier à formuler cette idée. Cette distinction revient à Zhuang Zhou (alias Zhuangzi), un philosophe et poète chinois qui a vécu au IVe siècle avant Jésus-Christ.

    Zhuang Zhou a rejeté le confucianisme de l’époque, qui mettait l’accent sur l’obéissance à l’autorité nationale en plus de ses enseignements éthiques plus généraux, et a adopté et développé les enseignements de Lao-Tseu, un contemporain de Confucius qui s’opposait à la domination de l’État et mettait l’accent sur le laissez-faire économique.

    Zhuang Zhou, que l’on pourrait considérer comme le premier libertarien de l’histoire, écrivait :

    « Le bon ordre résulte spontanément de l’abandon des choses. »

    Il est difficile de trouver une définition plus distillée de l’ordre spontané que celle-ci, et l’économiste Murray Rothbard attribue à Zhuang Zhou (qu’il appelle Chuang-tzu) le mérite d’être le premier penseur à en avoir rendu compte. Et bien que le concept soit assez simple, Zhuang Zhou précise que la pratique de l’ordre spontané est loin d’être simple et extrêmement rare.

    Zhuang Zhou écrit :

    « Il y a eu une chose telle que laisser l’humanité seule. Il n’y a jamais eu une chose telle que gouverner l’humanité [avec succès] ».

    La raison pour laquelle l’ordre spontané est si difficile à pratiquer était la même dans la Chine ancienne qu’aujourd’hui : la présence de la force.

    La force est une constante dans les pages de l’Histoire. Qu’il s’agisse de Plutarque, de la Bible ou de Zhuang Zhou, l’histoire est à bien des égards une chronique d’humains s’agressant les uns les autres. C’est probablement la raison pour laquelle Zhuang Zhou suggère que les humains ne se laisseront jamais tranquilles, et que le mieux que nous puissions faire est de créer un ordre social qui limite l’agression.

    Comme tout étudiant de philosophie 101 peut vous le dire, c’est la raison pour laquelle les humains concluent un contrat social . La présence de la force incite à la création d’une autorité pour tenir en échec les agresseurs. Comme l’a noté l’économiste du XIXe siècle Frédéric Bastiat , le problème est que l’État s’écarte rapidement de sa mission et devient lui-même un agent d’agression, souvent sous couvert de faire le bien.

    Dans La loi , Bastiat écrit :

    « La mission de la loi n’est pas d’opprimer les personnes et de les dépouiller de leurs biens, même si la loi peut agir dans un esprit philanthropique. Sa mission est de protéger la propriété ».

    Une grande partie de la dysharmonie que nous observons dans le monde d’aujourd’hui découle de points de vue différents sur l’objectif de la loi. Le gouvernement existe-t-il pour protéger la propriété privée ou pour la redistribuer, voire l’abolir ?

    Les gens ont des opinions différentes sur la question, tout comme Adam Smith et Karl Marx. Mais il est clair que la discussion n’a rien de nouveau.

    Il est également clair que Zhuang Zhou vous dirait que la vision d’Adam Smith est la voie vers une société pacifique, prospère et harmonieuse, et non celle de Karl Marx. Parce que les bonnes choses ont tendance à suivre toutes seules quand on laisse les choses tranquilles.

    Sur le web

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      Carrefour racheté par un groupe canadien : Bruno Le Maire se fâche

      Jacques Garello · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 16 January, 2021 - 10:29 · 10 minutes

    carrefour

    Par Jacques Garello.

    Couche-tard : un cauchemar pour Bruno Le Maire, il n’en a pas dormi. Il y a de quoi : la chaîne canadienne veut faire main basse sur Carrefour, pourtant « chaînon essentiel de la souveraineté et la sécurité alimentaire des Français ».

    Et, pour faire clair, le ministre de l’Économie nous fait toucher du doigt le danger : s’il le désire, le Canadien pourrait affamer le peuple français :

    « Carrefour est un chaînon essentiel de la souveraineté et la sécurité alimentaire des Français, qui est en jeu dans cette opération, a souligné Bruno Le Maire sur France 5. Le jour où vous allez chez Carrefour et qu’il n’y a plus de pâtes, plus de riz, plus de biens essentiels, vous faites comment ? Je ne suis a priori pas favorable à l’idée que Carrefour se fasse racheter par un groupe étranger. » ( Le Figaro )

    Je crois qu’il faut d’abord mettre les choses au point.

    1. C’est Carrefour qui cherche à se vendre, et Couche-Tard n’a fait que répondre à l’offre de vente.
    2. Pour les actionnaires de Carrefour, la réponse de Couche-Tard serait une excellente affaire, le Canadien proposant une prime de 30 % sur la valeur actuelle du titre.
    3. À l’heure actuelle rien n’est arrêté .

    Et j’en arrive tout de suite à la conclusion : ou bien Bruno Le Maire est réellement nul en économie , ce qui serait étonnant pour un ministre de Bercy, et ce que je ne saurais imaginer, ou bien il a tenu une fois de plus un discours purement politique et électoraliste pour séduire l’électorat souverainiste de droite, ou de gauche, et l’électorat anti-mondialiste de gauche, ou de droite.

    En ma qualité d’économiste, je préfère m’intéresser à ma première hypothèse.

    Protectionnisme et richesse des nations

    Le protectionnisme est une vieille lune anti-économique, qui remonte au moins aux mercantilistes, qui ont fait croire aux rois et souverains que le commerce extérieur était un danger pour la nation : acheter à l’étranger c’est devoir puiser dans les réserves d’or et d’argent, symbole et source de la richesse nationale.

    Heureusement pour eux, les Anglais et les Hollandais, qui n’avaient aucune richesse ni en métaux précieux ni en labourages et pâturages ont misé sur les échanges internationaux. Ce faisant ils ont imité les Vénitiens et les Florentins qui dès le XIIe siècle avaient compris qu’il y avait un marché européen pour des produits venus du reste du monde.

    Ce pari sur la mondialisation s’explique facilement. Il n’est pas dû à la spécialisation internationale, comme l’a soutenu Ricardo (chaque pays aurait intérêt à se spécialiser dans les produits où il serait le plus compétitif, où il aurait l’avantage comparatif le plus important), il est dû à la circulation des idées, à la concurrence qui fait que les innovations se diffusent.

    Adam Smith avait expliqué que la richesse des Nations était liée à l’élargissement des espaces d’échange, en passant de la ville à la région, puis à la nation, puis au monde entier. Aujourd’hui 70 % des échanges mondiaux sont croisés, ils portent sur des biens et services produits dans les deux pays qui échangent : automobiles fabriquées et vendues en Allemagne aussi bien qu’en France, tourisme en Europe aussi bien qu’en Asie, etc.

    Une automobile française est construite avec des éléments et pièces en provenance de huit pays au moins, un appareil de mesure électrique doit son existence à 18 pays.

    En réalité le choix du protectionnisme est, comme son nom l’indique, de protéger les producteurs nationaux contre la concurrence étrangère, soit-elle loyale ou déloyale. Les intérêts des consommateurs nationaux sont rarement pris en compte, car les producteurs sont mieux organisés, mieux ciblés pour faire pression sur l’État qui met en place les tarifs, normes, réglementations, subventions et crédits nécessaires.

    Après un désarmement économique bienfaisant à la fin du XXe siècle, nous avons vécu une surenchère protectionniste généralisée, y compris de la part de l’État américain, le président Trump ayant choisi de réveiller les sentiments isolationnistes de la doctrine de Monroe.

    Sécurité alimentaire

    En dépit de la relance protectionniste, l’idée d’une soudaine pénurie alimentaire est assez surprenante.

    D’une part et en dépit de la préférence désormais affichée pour les produits alimentaires français, la population française est et sera dépendante des importations.

    Malgré le savoir et les efforts de nos paysans (2 % de la population active) 75 % des fruits et légumes que nous consommons proviennent du reste du monde. La Politique Agricole Commune a fait beaucoup pour tuer notre production, en renchérissant les prix et en stimulant une concurrence européenne qui n’existait pas (Allemagne, Pays-Bas). Le développement des cultures et du commerce en Afrique, en Amérique Latine a fait le reste : le tiers monde devait-il être condamné à l’autarcie ?

    D’autre part qu’est-ce qu’un produit alimentaire français ? Un vin français, me disait un grand vigneron de Bandol, c’est un plan espagnol, un tracteur italien, des cuves allemandes, des pompes suisses, des bouchons portugais, des vendangeurs espagnols ; seuls les impôts sont français.

    Enfin il est vraisemblable que si le Canadien venait à priver les Français de produits alimentaires, d’autres distributeurs prendraient le relais, car la distribution est plus facile et plus rapide à organiser que l’approvisionnement.

    Les autres grands distributeurs ont démontré à plusieurs reprises leur capacité d’adaptation, et de nombreux distributeurs sont apparus depuis quelques mois, la crise sanitaire aidant. Mais d’ailleurs on ne comprend pas pourquoi un repreneur ferait une offre appétissante avec l’idée de liquider l’entreprise qu’il rachète à un prix si élevé.

    Nature et propriété de l’entreprise

    La réaction du ministre de l’Économie est incompatible avec la nature de l’entreprise et la propriété de l’entreprise.

    L’entreprise n’est pas une machine de guerre destinée à tuer les concurrents ou les salariés. C’est une machine de service qui va au-devant des besoins des clients. Entreprendre ce n’est pas tenter des coups de spéculation, ni pratiquer la destruction créatrice imaginée par Schumpeter.

    Le profit n’est pas la rémunération du risque, mais de la connaissance de ce que désirent les individus et qu’ils n’ont pas encore à leur portée. L’entreprise ne détruit rien du tout, puisqu’elle crée une valeur qui n’existait pas. L’entreprise se situe entre les ressources productives (travail, capital) et les besoins.

    C’est l’observation du marché, à travers les signaux des prix et des profits actuels, traduisant pénuries ou excédents, qui indique les innovations à mettre en œuvre. L’art d’entreprendre c’est l’attention, la découverte, c’est être à l’affût : « alertness » dit Kirzner ; c’est avoir l’antériorité de l’information, comprendre avant les autres ce qui manque, ce dont les gens ont besoin.

    Depuis quelques décennies de savants intellectuels, mais aussi quelques grands chefs ou cadres d’entreprises, laissent croire que l’entreprise n’a pas pour objectif majeur la rentabilité, mais quelque devoir de redistribution, ou quelque responsabilité sociale , ou quelque vocation citoyenne.

    Libre aux dirigeants d’entreprises de prendre en compte, et volontairement, certains de ces objectifs – souvent pour se laver du complexe d’exploitation et de cupidité qu’on leur prête.

    Mais ils ne peuvent réaliser aucun de ces objectifs s’il n’y a pas de profit, c’est-à-dire l’aval de la clientèle. Et en aucun cas l’État n’a le droit de leur imposer d’autre objectif que le profit, révélateur et rémunérateur de la bonne gestion.

    « La raison sociale de l’entreprise est de faire des profits. » – Milton Friedman

    Mais l’État respecte-t-il la liberté d’entreprendre ? Il se substitue maintenant aux  propriétaires de l’entreprise, qu’ils soient entrepreneurs individuels ou actionnaires dans des sociétés de personnes ou de capitaux. Les actionnaires sont considérés comme de simples apporteurs de capitaux, comme les prêteurs bancaires ou financiers.

    On feint d’ignorer qu’ils assurent la gouvernance de l’entreprise, en particulier dans les sociétés ouvertes aux offres publiques d’achat ou d’échange. Si les actionnaires de Carrefour ont mis leur entreprise à la vente, c’est parce qu’ils estimaient que l’affaire avait été remise en ordre par son président Alexandre Bompard et qu’ils pouvaient en retirer un meilleur prix qu’en tentant d’aller plus loin.

    Parmi les gros actionnaires je remarque que figure Bernard Arnaud, qui a sans doute pesé les opportunités. Si les actionnaires de Couche-Tard ont répondu à l’offre des actionnaires de Carrefour, c’est qu’ils estimaient en effet que l’affaire était en bon état et qu’ils pouvaient la valoriser. Il n’y a donc eu ni trahison, ni agression.

    Donc rien n’autorise notre ministre de l’Économie à faire usage d’un droit de veto dont il ne dispose pas, et dont il ne saurait disposer dans la logique de la propriété privée ; Bruno Le Maire dit être couvert par le droit. Mais quel droit ? Il vise les décrets d’exception pris dans le cadre français de la crise sanitaire, et qui sont autant d’infractions à la propriété privée.

    Dans le cadre des traités européens, des règles de l’Organisation Mondiale du Commerce, rien n’autorise Bruno Le Maire à s’opposer à l’opération, si elle se réalise. Couche-Tard pourra aisément démontrer qu’une telle initiative est contraire à tous les principes de la libre concurrence.

    Mais il est vrai que l’État, et particulièrement l’État français, se croit tout permis, et qu’il abuse de la « guerre » pour nationaliser et planifier l’économie

    Il ignore ou mieux encore il conteste les lois du marché, de l’échange, du contrat et de la propriété.

    Patriotisme économique à fins électorales

    Si le veto de Bruno Le Maire n’a rien à voir avec l’économie ni avec l’État de droit, j’en viens à ma deuxième hypothèse.

    Il s’agit d’un discours politique à vocation électorale. En cette année 2021 s’amorcera la campagne présidentielle, et peut-être au printemps celle des élections régionales et départementales (selon le calendrier de sortie de crise sanitaire et de vaccinations annoncé par Jean Castex, rien n’est moins sûr). Le pouvoir en place joue sur du velours en absence d’opposition aujourd’hui crédible. Les libéraux peuvent peut-être changer la donne .

    Alors il entonne les hymnes patriotiques, souverainistes. Il faut persuader les électeurs que la France peut à elle seule tenir tête aux Américains, au Canada, aux États-Unis ou au Brésil. La France pourrait le faire parce qu’elle aurait conquis le pouvoir à Bruxelles, Berlin s’alignerait désormais sur Paris.

    Nous mettons de l’ordre dans la démocratie mondiale, mais aussi dans la finance mondiale. Nous étions partis en croisade contre les GAFA , nous voici maintenant contre les Couche-Tard.

    Ce discours a le mérite électoral de séduire à droite, car le souverainisme est une tradition ( La France seule de Maurras, reprise par De Gaulle). Mais il plaît aussi à gauche car la mondialisation et le capitalisme leur sont doublement haïssables.

    D’autres électeurs trouveront encore chaussures à leurs pieds : âmes sensibles solidaires avec tous les artisans, paysans, commerçants français, écologistes avec le rejet de tous les transports internationaux, de tout ce qui n’est pas bio suivant les normes françaises, et de tous les dirigeants de pays capitalistes.

    Oui, vraiment, le discours du patriotisme économique est séduisant. Peu importe qu’il n’ait aucun sens économique. Ce qui compte, c’est l’arithmétique électorale.