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      Quelle transformation de l’économie marocaine à l’horizon 2035 ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 1 February, 2023 - 03:30 · 8 minutes

    Au Maroc, la volonté du changement est exprimée au plus haut sommet de l’État. Sous l’impulsion du Roi Mohammed VI que Dieu l’assiste, et conformément à une méthode de travail qui a donné ses preuves, le souverain a mis au travail une Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) qui a passé au scanner tous les sujets anxiogènes, notamment les inquiétudes et insatisfactions des citoyens marocains. À cet effet, la transformation de l’ économie marocaine comme moteur de développement et d’essor du pays et de sa population, occupe une place de choix dans le rapport du Nouveau modèle de développement remis au Roi le 26 mai 2021 par le président de la Commission.

    Ainsi, la question qui se pose est de savoir quelle transformation de l’économie marocaine à l’horizon 2035 dans le cadre du modèle de développement ?

    Réussir la transformation de l’économie marocaine nécessite une nouvelle génération de réformes plus complexes, inscrites sur le long terme et portées par un soutien politique fort. Afin de déclencher une dynamique économique systémique mobilisant l’ensemble des acteurs, le nouveau modèle de développement propose une feuille de route fondée sur cinq choix stratégiques :

    1. Sécurisation de l’initiative privée pour éliminer les entraves réglementaires, les barrières administratives et l’économie de rentes.
    2. Orientation des acteurs économiques vers les activités productives à forte valeur ajoutée à travers un dispositif complet d’appui et d’incitations.
    3. Choc de compétitivité pour réduire les coûts des facteurs de production et améliorer leur qualité.
    4. Cadre macroéconomique au service du développement.
    5. Émergence de l’économie sociale comme nouveau pilier du développement.

    Les choix stratégiques proposés par le nouveau modèle de développement doivent être mis en œuvre d’urgence pour construire l’économie de l’après Covid-19 , lit-on dans le rapport. L’épidémie de la Covid-19 a provoqué une crise économique d’une profondeur inédite qui a révélé les faiblesses du tissu productif national et altéré fortement son potentiel de croissance.

    Selon les membres de la CSMD, cette crise nécessite une action volontariste pour la sauvegarde des entreprises, et laisse présager de nouvelles opportunités avec le développement des industries de la vie et la relocalisation des chaînes d’approvisionnement, qu’il s’agira de saisir pleinement par une libération de l’initiative entrepreneuriale et par l’émergence d’une nouvelle génération d’entreprises porteuses de transformation productive.

    Sécuriser l’initiative entrepreneuriale

    La sécurisation de l’initiative privée vise à garantir des règles stables et impartiales à tous les opérateurs économiques qui doivent trouver dans l’administration publique un partenaire de confiance.

    La libération des énergies entrepreneuriales requiert une amélioration notable de l’environnement des affaires pour résorber les foyers de blocage, d’incertitude et de corruption. Pour instaurer une nouvelle relation de confiance, les membres de la CSMD proposent entre autres d’éliminer de manière systémique les barrières administratives et réglementaires.

    À cela doit s’ajouter impérativement une concurrence saine et une régulation renforcée. Garantir un fonctionnement sain et concurrentiel des marchés est une condition nécessaire à la dynamisation de l’initiative privée. Et ce sans oublier une meilleure protection des entreprises grâce à des mécanismes de recours efficaces.

    Orienter les acteurs économiques vers les activités productives

    Selon le rapport de la CSMD remis au Souverain par son président, Chakib Benmoussa, les interventions publiques doivent encourager les opérateurs privés à s’orienter vers de nouvelles activités porteuses de modernisation, de diversification, de montée en gamme et d’internationalisation.

    Pour concrétiser cet objectif, plusieurs actions sont formulées notamment l’élaboration d’une politique nationale de transformation économique pour libérer le potentiel de croissance du Maroc sur tous les secteurs. Ceci doit impérativement s’accompagner par la mise en place d’un mécanisme de pilotage et de mise en œuvre harmonisés pour réaliser les ambitions sectorielles stratégiques.

    Le rapport appelle à une révision du cadre incitatif pour orienter les investisseurs vers les activités productives et soutenir plus fortement le développement des PME. De même que financer de manière volontariste la diversification productive et la montée en gamme de l’économie. Un accompagnement des entreprises pour renforcer leurs capacités managériales, organisationnelles et technologiques est également préconisé.

    Par ailleurs, le rapport recommande la mise en place d’un cadre favorable pour promouvoir l’innovation au sein des entreprises et faire émerger des start-ups de dimension régionale et mondiale.

    Il réitère l’importance de la commande publique comme levier stratégique de développement productif. Enfin, le rapport appelle à intégrer l’informel par une logique incitative, progressive et adaptée à la nature des acteurs.

    Réaliser un choc de compétitivité

    Un choc de compétitivité est indispensable pour créer les conditions de la transformation productive et concrétiser la vocation du Maroc en tant que hub régional attractif pour les investissements.

    Bien que le Maroc dispose de nombreux atouts compétitifs, les facteurs de production sont relativement chers au regard de leur qualité, ce qui limite la compétitivité des entreprises marocaines et pénalise l’attractivité du pays auprès des investisseurs étrangers.

    Le nouveau modèle de développement préconise quatre actions pour que le Maroc devienne le pays le plus compétitif de la région en investissant dans la qualité des facteurs de production et en réalisant les réformes structurelles nécessaires pour optimiser leurs coûts.

    Il s’agit particulièrement de réduire les coûts de l’énergie par la réforme du secteur et le recours aux énergies renouvelables et à bas carbone, ainsi que de réduire les coûts logistiques et améliorer la qualité des services par la restructuration du secteur.

    Le rapport souligne l’impératif de développer des zones d’activité de qualité et à prix compétitifs accessibles à toutes les entreprises et de faire du numérique et des capacités technologiques un facteur majeur de compétitivité, de modernisation des entreprises et de développement de nouveaux métiers et secteurs en phase avec les transformations mondiales.

    Il appelle par ailleurs à un dialogue social régulier intégrant les transformations en cours et à venir du monde du travail.

    Un cadre macroéconomique au service du développement

    La stabilité et la compétitivité du cadre macroéconomique sont déterminantes pour l’initiative privée.

    Le Maroc bénéficie d’un environnement macroéconomique et d’un système financier stables qu’il convient de préserver. Néanmoins, ce cadre doit être amélioré pour servir davantage la croissance économique, à travers quatre actions :

    1. Optimiser les dépenses budgétaires par de nouveaux instruments de gestion.
    2. Réduire la charge fiscale pesant sur les activités productives et concurrentielles.
    3. Prendre en compte l’objectif de multiplication des acteurs et de diversification des mécanismes de financement de l’économie dans les politiques monétaires et bancaires.
    4. Mettre en place les conditions pour développer les marchés des capitaux.

    Faire émerger l’économie sociale comme pilier de développement

    Aux côtés du secteur privé et du secteur public, le nouveau modèle vise à faire émerger plus fortement le troisième pilier de développement porté par l’économie sociale. Ce pilier sera animé par une diversité d’acteurs afin de concilier activité économique et intérêt général (associations, coopératives, entreprises sociales, etc.).

    Il s’agit de rompre avec une vision de l’économie sociale dominée par les activités de subsistances à faible valeur ajoutée pour en faire un secteur économique à part entière, porté par des entrepreneurs dynamiques, structurés et innovants, pourvoyeur d’emplois en complémentarité avec les emplois marchands et publics, producteur de services publics notamment dans la santé et l’éducation, et vecteur de promotion des territoires.

    Trois actions sont proposées pour initier la dynamique d’émergence de la nouvelle économie sociale.

    D’abord, adopter un cadre fondateur pour la nouvelle économie sociale. L’émergence d’une nouvelle économie sociale est une innovation majeure du Nouveau Modèle de Développement.

    Ensuite, promouvoir la délégation de services publics aux acteurs de l’économie sociale par une démarche expérimentale. Certains domaines prioritaires du nouveau modèle de développement peuvent mettre à contribution l’économie sociale à travers la délégation de services publics, notamment dans les domaines de la santé, l’assistance sociale, l’éducation, la petite enfance, la culture, l’économie circulaire et l’insertion professionnelle.

    Enfin, développer l’entrepreneuriat social innovant.

    Afin de structurer les acteurs de l’économie sociale et faire émerger une nouvelle génération d’entrepreneurs sociaux innovants, il est proposé de :

    • mettre en place des programmes d’accompagnement dédiés à l’entrepreneuriat social dans les territoires, à travers notamment des incubateurs spécialisés ;
    • développer des centres de recherche et développement pour l’innovation sociale en collaboration avec les établissements d’enseignement supérieur destinés à élaborer et diffuser des pratiques innovantes productrices d’impact ;
    • créer un nouveau statut juridique adapté à l’entreprise sociale.

    Prospérité, capacitation ( empowerment ), inclusion, durabilité, et leadership régional : tels sont les objectifs de développement fixés par les membres de la CSMD pour changer la face du Maroc d’ici 2035. Reste à savoir si ladite commission sera au rendez-vous.

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      « Tirailleurs » avec Omar Sy est « un film assez juste sur le plan historique », commente un historien

      Mathias Poujol-Rost ✅ · Sunday, 8 January, 2023 - 14:48 edit

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      Coupe du monde de football : la défaite du Maroc n’est pas celle de l’Afrique

      Jean-Michel Lavoizard · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 16 December, 2022 - 04:30 · 3 minutes

    Au lendemain d’une demi-finale attendue de la Coupe du monde de football, la défaite (par 2 buts à 0) de l’équipe du Maroc n’est pas plus celle de l’Afrique que la victoire des « pays du Nord », d’Europe, sur les « pays du Sud ».

    On ne s’étendra pas ici sur les allégations soutenues de corruption dans le processus d’organisation des championnats internationaux de football, y compris de cette Coupe du monde exotique et controversée au Qatar, que renforcent les scandales actuels de conflits d’intérêts, de trafic d’influence et d’enrichissement illicite au sein de l’Union européenne. La série Netflix bien documentée FIFA : Ballon rond et corruption , éclairante sur le règne croissant de l’argent sans odeur dans le milieu du football professionnel depuis cinquante ans suffit à dégoûter tout public exigeant sur les valeurs supposées saines du sport.

    Autre tendance, depuis l’Afrique on entend avec lassitude les nombreux et bruyants commentaires média politisés et idéologisés en provenance de la France sur cette Coupe du monde.

    Les « décoloniaux » français, Français de souche renégats ou d’adoption ingrats, voudraient imposer dans ce feuilleton mondialisé le scenario d’une revanche imaginaire. La vengeance fantasmée des pays du Sud (Noirs et métissés) où ils ne vivent pas, contre ceux du Nord (Blancs) où ils ne s’intègrent pas ; des opprimés qu’ils n’ont jamais été contre d’anciens dirigeants dont ils ne retiennent que les excès ; des victimes d’un passé qu’ils invoquent indument contre leurs exploiteurs dont ils convoquent injustement les descendants au tribunal mémoriel. Les Français éclairés d’aujourd’hui intenteraient-ils un procès contre l’Italie, au titre de dommages infligés par l’Empire romain dont les bienfaits de la colonisation ont largement contribué au développement ?

    Cette tentative idéologique de récupération et de manipulation s’appuie sur une vision simpliste, anhistorique et décontextualisée.

    En effet, cette vision assimile le Maroc, pays du Maghreb, à l’Afrique. Or, le continent africain se définit avant tout par sa diversité politique, ethnique et culturelle. Le projet de panafricanisme reste plombé par des ambitions rivales, nationales et claniques.

    Le roi Mohammed VI a fait sienne cette phrase de son père , Hassan II :

    « Le Maroc est un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe » .

    Or, depuis le ralentissement de la croissance économique en Europe, il mène une campagne très active de diplomatie politique et d’investissement économique sur le continent africain pour rejoindre la CEDEAO (Communauté Économique des Pays d’Afrique de l’Ouest), tout en maintenant des liens particuliers avec les pays du pourtour méditerranéen et une relation spéciale avec les États-Unis (premier pays à avoir reconnu le Maroc). Cette ambition dominante d’un puissant pays arabo-musulman souvent admiré et respecté en Afrique suscite toutefois une certaine crainte de domination auprès des populations d’Afrique noire, occidentale et centrale.

    Lors de cette demi-finale, tandis que l’équipe du Maroc (composée exclusivement de Marocains de souche) était unanimement soutenue par les pays musulmans d’Afrique, du Golfe et d’ailleurs, de nombreux Africains d’Afrique noire soutenaient ouvertement l’équipe de France pour la raison politique évoquée et du fait de sa composition ethnique très métissée dans laquelle ils se reconnaissaient.

    Dans La haine de l’Occident , essai publié en 2008, Jean Ziegler, ancien député socialiste de Genève et rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, confondait les termes « Occident, Nord, Blancs » pour cibler et justifier la « méfiance viscérale » des pays de l’hémisphère sud face à leur arrogance et à leur aveuglement, et « l’exigence de réparations » de leurs « crimes historiques ».

    Soixante ans après les indépendances, cette rhétorique persistante et dépassée entre Nord et Sud exonère toute responsabilité des dirigeants et des peuples africains dans leur sous-développement chronique. On retiendra et soutiendra plutôt cet appel final et salutaire de Jean Ziegler :

    « C’est dans leurs cultures autochtones, leurs identités collectives, leurs traditions ancestrales, que les peuples du Sud puiseront le courage d’être libres. ».

    En attendant, on espère voir avant tout du sport de qualité dans la finale prochaine d’une Coupe du monde décidément très politisée.

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      Francophonie, état des lieux

      Yves Montenay · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 11 December, 2022 - 04:30 · 18 minutes

    Début 2015, dans La langue française : une arme d’équilibre de la mondialisation je dressais un panorama de la situation du français dans le monde, point d’appui pour les militants de la langue française et avec l’espoir de les multiplier.

    Sept années ont passé, voyons comment la situation a évolué.

    Les Français ont l’impression que leur langue est en recul

    Ils constatent l’invasion des mots anglais dans leur environnement et l’usage de l’anglais à Bruxelles malgré le Brexit.

    À l’inverse les études de l’OIF sont plutôt optimistes et les déclarations d’ Emmanuel Macron au sommet de la francophonie à Djerba 19 novembre 2022 sont offensives, bien qu’il évoque un recul dans le même discours : « La francophonie s’étend par la démographie de certains pays […] mais il y a aussi des vrais reculs ».

    Mon livre sur la francophonie exposait l’histoire du français et sa situation géographique et professionnelle. Il signalait notamment que, sauf postes ou métiers particulier, l’utilisation de l’ anglais dans l’entreprise n’allait souvent pas dans le sens de l’efficacité .

    Sept années ont passé

    Voyons comment la situation a évolué.

    Ceux qui veulent des explications plus détaillées pourront se référer à mes récents articles sur la francophonie que je signalerai au passage au fur et à mesure de cet état des lieux.

    Tout d’abord le nombre de francophones est en forte augmentation, atteignant 321 millions, selon l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie). Pour la petite histoire, je rappelle que Philippe Rossillon m’avait chargé il y a une cinquantaine d’années de compter le nombre mondial de francophones. Nous en avions trouvé alors entre 60 et 70 millions. Il y en a donc aujourd’hui cinq fois plus.

    La France est toujours le principal pays francophone mais ne représente maintenant qu’un francophone sur cinq (20 %).

    La montée de l’anglais en France

    Dans notre pays les défenseurs du français sont pessimistes car ils constatent un envahissement du vocabulaire et des noms propres (entreprises, marques…) par des mots anglais auxquels s’ajoutent maintenant des expressions, mais pas (encore ?) des phrases entières.

    Et une grande partie des contacts avec l’étranger, que ce soit en France ou hors de France, se font en anglais. Pour cette raison, et « pour l’avenir de nos enfants » les parents poussent les institutions de l’enseignement supérieur à avoir de plus en plus de cours en anglais.

    Certains relativisent cette anglicisation du vocabulaire : « Si certain nombre d’anglicismes sont poussés par les nouvelles technologies, il y a une vivacité de la langue française qui les remplace peu à peu et des anglicismes d’il y a trente ans ont disparu des dictionnaires. »

    Cet envahissement du français s’est accéléré après la Première Guerre mondiale et surtout la Deuxième dans un contexte de domination économique et culturelle des États-Unis. L’inflation de l’usage de l’anglais est manifeste aussi bien dans les milieux dirigeants du fait de leurs obligations internationales que dans des milieux populaires, via les films, chansons, marques et autres moyens de l’influence américaine.

    Depuis quelques dizaines d’années s’ajoute à cette influence américaine un usage de l’anglais plus technique et indépendant de l’américanophilie, celui d’une langue internationale commune. Bref l’anglais n’est plus seulement la langue du monde anglo-saxon et de ses anciennes colonies mais aussi une sorte de « latin du Moyen Âge » à l’occasion de la mondialisation.

    Dans les entreprises et institutions, grande est l’influence des services chargés de la communication. Ils flattent leurs dirigeants en leur faisant miroiter une audience internationale alors que ce n’est pas toujours le cas et que la numérisation leur permet aujourd’hui de segmenter la communication par langue. Parallèlement, la traduction automatique est devenue de bonne qualité à l’écrit et progresse à l’oral.

    Face à cette évolution, les militants de défense de la langue crient à la trahison alors qu’il s’agit d’un choix considéré – à tort ou à raison – comme pratique ou inévitable.

    Les partisans de l’anglais, y compris dans la hiérarchie moyenne ses entreprises, sont impressionnés par l’usage de l’anglais parmi les couches supérieures et à l’étranger et ne demandent même plus à leur interlocuteur s’il parle français, alors que ça reste relativement fréquent dans beaucoup de pays : en Arabie Saoudite réputée anglophone, j’ai travaillé en français avec les très nombreux Libanais qui avaient des postes qualifiés.

    Oublier de poser la question : « Parlez-vous français ? » a des conséquences psychologiques catastrophiques puisque celui qui se voit aborder en anglais par un Français en déduit qu’il n’a aucun intérêt à apprendre le français.

    En politique, le français souffre d’être surtout défendu par la droite identitaire et une partie de la gauche, notamment les communistes. Bien qu’extrêmes, ces courants politiques insistent sur un argument tout à fait valide à mon avis : la langue française constitue une partie essentielle de la France.

    Mais à l’étranger, cette assimilation du français à la France peut être contre-productive.

    En effet, comme le soulignait le président Macron le 20 mars 2018, « Le français s’est émancipé de la France, il est devenu une langue monde ». Non seulement c’est exact et depuis longtemps : les officiers russes avaient beau être francophones, ça ne les empêchait pas de se battre contre Napoléon.

    Cette assimilation du français à la France irrite à l’étranger, un peu en Belgique, Suisse et Canada, mais surtout en Afrique ! Il faut insister sur le fait que le français y est une langue africaine et non une langue coloniale.

    De plus il est de notre intérêt et de celui de francophones de bien rappeler aux États-Unis, à la Chine et bien d’autres que le français ce n’est pas seulement la France, mais une bonne partie du monde et que 80 % des francophones sont aujourd’hui installés ailleurs qu’en France.

    Remarquons que ce que nous venons d’écrire à propos de la pression de l’anglais sur le français en France est valable pour toute l’Europe et d’autres parties du monde. Dans certains pays l’enseignement supérieur est totalement en anglais, ce qui déclenche d’ailleurs des réactions nationales. Quant à l’affichage et au vocabulaire, la situation est souvent pire qu’en France.

    En Europe, une lointaine deuxième place derrière l’anglais

    En Belgique, au Luxembourg et en Suisse

    Outre la France, l’Europe comprend trois pays francophones : la Belgique, le Luxembourg et la Suisse.

    En Belgique et en Suisse, le français est minoritaire et la situation linguistique est figée, dans le calme dans ce dernier pays mais dans l’hostilité réciproque en Belgique, tandis que le plurilinguisme avec l’allemand et le luxembourgeois l’emporte massivement au Luxembourg.

    Dans ces trois pays le français est enseigné à l’ensemble de la population.

    En Suisse où le poids du français augmente doucement tout en restant très minoritaire (21 %), son enseignement est critiqué comme deuxième langue dans la partie germanophone qui préférait l’anglais, demande refusée jusqu’à présent.

    Le reste de l’Europe

    En dehors de ces trois pays partiellement francophones, le français est la deuxième langue enseignée après l’anglais, mais loin derrière, et dans les pays où il y a deux langues étrangères au programme.

    Il garde une place honorable dans certains pays : la Roumanie, Chypre et le Portugal mais inférieure à l’époque où il était obligatoire comme représentant la culture humaniste. Concernant notre plus important partenaire européen, l’Allemagne, seulement 15 % des élèves de chaque pays apprennent la langue de l’autre.

    Mais quand on parle du français en Europe, beaucoup pensent à sa place dans des institutions européennes, symbolisées par le mot « Bruxelles ». À ne pas confondre avec la capitale de la Belgique, francophone à 85 %.

    Le Brexit n’a pas freiné le recul du français à Bruxelles

    L’Union européenne de Bruxelles a commencé à fonctionner en français seulement, puis en français et anglais à partir de l’acceptation de l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne par Georges Pompidou.

    Depuis l’admission des pays d’Europe centrale et orientale, la part du français à Bruxelles s’est malheureusement écroulée.

    Aujourd’hui, malgré le Brexit, l’anglais est devenu langue commune dans les institutions européennes.

    Cela s’explique par le remplacement du français par l’anglais pour les nouvelles générations des cadres européens qui ont été diplômées aux États-Unis.

    C’est particulièrement le cas en Europe centrale et orientale, où la bourgeoisie francophone a été éliminée par les nazis puis les communistes et où se sont précipitées des universités américaines et leurs bourses dès la chute du mur en 1990. La langue commune entre un Français et un Tchèque est maintenant l’anglais.

    Résultat : l’ usage du français dans l’Union européenne post Brexit est devenu marginal.

    E n 2017, 84,4 % des textes pour lesquels une traduction est demandée à la Commission européenne étaient en anglais, 2,6 % en français, 2 % en allemand. » ( source Vie Publique )

    Au Québec, une francophonie contrastée

    En Occident, on cite souvent le Québec comme un autre pays francophone. La réalité est plus complexe.

    Le Québec est juridiquement et économiquement une province canadienne où l’anglais a les mêmes droits que le français malgré quelques textes symboliques.

    De plus le Canada est un pays confédéral où le pouvoir est partagé entre Ottawa, à dominante anglophone, et Québec. À titre d’illustration, remarquons que le Québec et, séparément, le Canada font tous les deux partie de l’Organisation Internationale de la Francophonie.

    Le poids du français dans l’ensemble du Canada diminue du fait du développement de certaines provinces plus rapides que le Québec et donc de l’immigration qui les alimente. Il n’est plus aujourd’hui que de 23 % de la population canadienne, auxquels on peut ajouter quelques points d’anglophones bilingues.

    Au Québec, la métropole de Montréal, 2,7 millions d’habitants, se « bilinguise » de plus en plus. La majorité francophone y est minorisée, notamment par le nombre d’Américains et de Canadiens anglophones de passage. Ça ne se constate pas statistiquement mais plutôt culturellement.

    Un symptôme en est qu’une petite partie de la jeunesse francophone veut y faire ses études secondaires en anglais : « En 2018, 3000 étudiants de langue maternelle française sont inscrits au cégep (enseignement secondaire ) anglais à Montréal » avec comme résultat paradoxal de diriger l’argent des contribuables québécois vers l’anglicisation . « Ce nombre a doublé depuis 1995. Et si les immigrés francophones (maghrébins, africains, haïtiens) se tournent vers l’enseignement en français, les autres s’inscrivent massivement au cégep anglais. » Et ces immigrants francophones ne suffisent pas pour maintenir l’effectif de l’enseignement secondaire en français du fait de la chute de la fécondité des Québécois.

    Ce phénomène, parmi d’autres, illustre une certaine diminution de l’identité québécoise à Montréal : la « révolution tranquille » de 1963 qui avaient relancé le français au Québec s’appuyait sur le mépris de la minorité anglophone. Maintenant que ce mépris a largement disparu, la motivation communautariste en faveur du français a diminué : la révolution est menacée par son succès !

    Par contre, presque tout le reste du Québec est largement unilingue français et y assimile les immigrants.

    La situation en Afrique contraste avec ce tour d’horizon globalement pessimiste.

    Grands progrès du français en Afrique

    En francophonie, il y a le Maghreb et l’Afrique subsaharienne.

    Au Maghreb, on note à juste titre la pression de l’arabe par l’enseignement et les médias de la péninsule arabique, et celle de l’anglais, favorisée par la mondialisation et les gouvernements. Mais tout cela fait oublier la profonde imbrication des sociétés maghrébines et francophones du nord, concernant tant les entreprises que les individus avec des familles à cheval sur le nord et le sud et de nombreuses entreprises et institutions fonctionnant en français.

    Dans la presque totalité des pays francophones d’Afrique subsaharienne, l’enseignement primaire, secondaire et supérieur se fait quasiment exclusivement en français. Le problème pour l’instant est que les niveaux d’éducation et d’alphabétisation y sont particulièrement faibles.

    Le nombre de francophones africains – plus de de 200 millions – y est donc en augmentation rapide, sauf dans les zones de guerre au Sahel où l’école recule.

    En effet, dans le monde entier, lorsque l’école n’est enseignée qu’en une seule langue et que cette dernière est différente de la ou des langues parlées ( comme c’était le cas en France jusqu’au début du XX e siècle où les langues locales étaient largement pratiquées), la langue de l’école s’impose en trois générations.

    Or, en Afrique francophone, si la scolarisation est loin d’être générale, il y a de plus en plus d’endroits où la troisième génération a été formée en français ; et à cela s’ajoute une croissance démographique rapide. Plusieurs mondes cohabitent donc, l’un « vraiment » francophone, l’autre multilingue et d’autres où le français est peu ou mal connu.

    La zone où le français est parlé à la maison touche ainsi surtout les zones de scolarisation ancienne, notamment la zone côtière de la Côte d’Ivoire au Gabon et la bourgeoisie des villes.

    Richard Marcoux, spécialiste en la matière, en déduit un plurilinguisme africain généralisé.

    Je vais plus loin : une langue parlée à la maison est une langue maternelle quelles que soient les autres langues connues. Le français est donc (aussi) une langue africaine.

    Les régions bilingues et parfois multilingues sont notamment celles de la zone du bambara au Mali ou du wolof au Sénégal.

    Et les régions où le français était peu implanté du fait de la faible scolarisation sont aussi celles des régions sahéliennes plus ou moins sous le contrôle de divers groupes djihadistes et d’où les représentants de l’État, notamment les instituteurs, sont souvent partis.

    Les djihadistes interdisent l’école aux filles et envoient les garçons à l’école coranique où l’on n’apprend ni la langue locale ni le français… ni aucune autre matière utile au développement du pays d’ailleurs.

    La République démocratique du Congo, ex Congo belge, mérite une place à part du fait de ses quelques 110 millions d’habitants.

    Le colonisateur belge a eu la sagesse de ne pas y introduire le flamand. Le français s’y diffuse et il y a maintenant une cinquantaine de millions de francophones d’après l’OIF.

    Enfin, la diffusion de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar a illustré la francophonie des équipes africaines auprès de 5 milliards de téléspectateurs.

    La francophonie n’empêche pas la francophobie

    Il y a une explosion, au moins apparente, de francophobie notamment au Mali et au Burkina.

    Je dis « au moins apparente » parce qu’une partie des manifestants et des intervenants sur les réseaux sociaux seraient largement payés par les Russes. Mais il est difficile d’en connaître la proportion.

    En tout cas ils noient les messages beaucoup plus réalistes de ceux qui alertent sur les dangers russes et sur les conséquences militaires et humanitaires d’une rupture avec la France. Et la propagande malienne se déchaîne, diffusée par la junte au pouvoir au Mali, appuyée par les mercenaires russes qui se payent sur la production d’or locale.

    Le charnier de Gossi proclamé comme provenant de l’armée française , s’est révélé être du fait des Russes comme les images aériennes l’ont prouvé, tandis qu’un ministre malien a proclamé à l’ONU que les djihadistes étaient armés par la France , nouvelle intox avérée.

    Vous pouvez lire par exemple les réactions sur « le ressentiment anti-français » dans Jeune Afrique ou la situation dégradée de la France au Sahel.

    Je publie mes articles sur des groupes Facebook africains pour voir les réactions du public et je constate une francophobie délirante et une idéalisation des Russes qui semble un peu artificielle, les « vive Poutine ! » apparaissant quel que soit le sujet de discussion.

    Quoi qu’il en soit, l’excès des propos est tel qu’il me paraît inévitable qu’il retombe, d’autant qu’il a de plus en plus de personnes sérieuses rappelant l’importance de la diaspora en France : « et si la France les renvoyait en Afrique ? » ou encore l’importance des ONG financées par la France… que le Mali vient justement d’interdire.

    À l’époque de la Françafrique, le régime malien aurait été balayé par la France ou par un parti soutenu par elle. Il est probable que certains Maliens demandent à la France de le faire mais elle ne veut pas retomber dans les accusations de néocolonialisme particulièrement exacerbées actuellement.

    Le reste du monde : de la culture à Internet

    Dans le reste du monde, le français qui était une langue de culture et à ce titre la deuxième langue des élites de nombreux pays, y compris l’empire ottoman, a perdu une partie de ce statut.

    En effet ces élites ont souvent été éliminées suite aux révolutions (URSS, Europe orientale, Turquie, Iran, Indochine…).

    Une autre raison est que la culture est devenue moins littéraire et davantage sociologique, économique, technique… Bref plus utilitaire.

    Mais on peut également remarquer l’absence de fortes personnalités françaises de réputation internationale.

    Certes, les deux derniers prix Nobel de littérature, Patrick Modiano en 2017 et Annie Ernaux en 2022 nous mettent encore en situation honorable ainsi que le grand succès de Guillaume Musso, peut-être le français le plus lu depuis onze ans avec 1 278 000 exemplaires vendus en 2021.

    Certes également le déclin relatif de la littérature française est en partie normal puisqu’au fur et à mesure de leur développement, les élites des pays concernés prennent leur place. Ce phénomène touche tous les pays occidentaux, pour la production littéraire comme pour l’économie en général.

    Certes encore, la culture française s’appuie sur son passé : Jules Verne est le deuxième auteur le plus traduit au monde, après Agatha Christie. D’autres disent que Le petit prince est le livre le plus traduit au monde après la Bible et le Coran.

    Mais la francophonie culturelle va maintenant probablement être relayée par une percée de l’élite africaine.

    Le phénomène a déjà joué dans le monde anglophone avec les succès des auteurs indiens, dont Salman Rushdie et d’innombrables écrivains africains et antillais. En langue française, citons Alain Mabankou, l’écrivain africain francophone le plus connu. Mais il enseigne aux États-Unis à l’UCLA (Los Angeles), et non dans un pays francophone… tout comme Souleymane Bachir Diagne, autre figure francophone internationalement connue, mais en histoire et sociologie cette fois.

    Le reste du monde, c’est aussi Internet.

    Dans ce domaine, citons Daniel Pimienta, le responsable de l’ Observatoire de la diversité linguistique et culturelle dans l’Internet qui nous donne les chiffres de 2022 : on y voit que l’anglais est maintenant très minoritaire sur Internet et a été rejoint par le mandarin (langue officielle de la Chine), avec 20 % des contenus de la Toile pour chacune de ces deux langues (moyenne des fourchettes ci-dessous). On constate également la grande diversité des langues de la Toile :

    Les langues dans l

    Après l’espagnol, le français est maintenant en 4ième place avec le russe, l’hindi, le portugais et l’arabe. Je pense que ces deux dernières langues, ainsi que peut-être le russe, seront bientôt distancées par le français pour des raisons démographiques et géopolitiques.

    Pour l’avenir, deux tendances contradictoires vont s’affronter : d’une part le raccordement Internet des populations indiennes s’exprimant en hindi (au moins 500 millions) ; et d’autre part le raccordement de l’Afrique francophone.

    Au-delà de ce classement, l’avenir de la francophonie se joue en partie dans les câbles et les satellites.

    En conclusion : l’Afrique et la dégradation de l’anglais

    Finalement on s’aperçoit d’un glissement du français du statut de langue de culture de tout l’Occident et d’une partie du reste du monde à celui d’ une langue de masse , notamment africaine. Et c’est ce volet africain qui devrait assurer son avenir !

    Mon éternel optimisme m’amène également à penser qu’un renouveau culturel est possible, forcément partiellement africain, du fait de la banalisation de l’anglais.

    Ce dernier pourrait souffrir de sa dégradation au rang de globish , une langue simplifiée et réduite à un rôle de communication basique. On peut alors rêver pour le français d’une place analogue à celle du grec de l’empire romain…

    Sur le web

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      Défaillance de l’éducation au Maroc : les causes

      Ihssane El Omri · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 7 December, 2022 - 03:30 · 6 minutes

    Avant de parler de l’ éducation en tant que secteur public ou domaine relevant des responsabilités de l’État, il est incontournable d’évoquer sa dimension spirituelle. Elle est la voie de la vertu, le pouvoir de l’être humain d’agir sur sa vie et décider librement ce qu’il envisage pour son avenir. La gestion du secteur est attribuée exclusivement à l’État tandis que la responsabilité à assumer est partagée entre celui-ci, les parents, les élèves et les enseignants.

    L’État est appelé à assurer une offre inclusive en qualité et en quantité, à savoir des équipements suffisants répondant aux normes de qualité, des infrastructures facilitant l’accès à l’offre pédagogique, un personnel bien formé et psychiquement équilibré et surtout des curricula en adéquation avec la demande des élèves, renouvelables et aptes à suivre l’évolution du progrès technique.

    L’importance de l’éducation

    L’éducation est un secteur public parmi les plus sensibles. Sa performance se répercute sur le pays tout entier et notamment sur ses relations étrangères.

    En effet, l’éducation est liée directement au capital humain, qui n’est que le stock de compétences, de connaissances, de qualifications et d’expériences qu’un individu acquiert et accumule durant son parcours cognitif, pour l’employer dans le processus de production des richesses et du développement de son pays. L’augmentation de la productivité de l’individu est issue de l’augmentation de ce stock de ses acquisitions, ce qui a été approuvé par plusieurs études empiriques ayant démontré qu’une seule année d’études de plus engendre une hausse de la productivité des agents. Ainsi, il a été communément admis dans la littérature économique ancienne et récente que l’investissement dans le capital humain est indispensable à la croissance économique mais n’est à lui seul pas suffisant. Volonté, stabilité politique, compétences des dirigeants et souveraineté : toutes ces conditions doivent être combinées.

    Dictature et éducation sont deux éléments contradictoires qui ne riment pas et jamais, sauf quelques exemples de dictatures à compter sur le bout des doigts qui ont réussi à être l’exception en maintenant la dichotomie entre l’éducatif et le politique. Entre ces deux éléments réside un conflit d’intérêt sanglant et permanent : l’éducation cherche à éclairer les esprits, diffuser le savoir et atteindre les vérités, ce qui menace l’existence du tyran dont le règne se fonde sur des sujets ignorants, gouvernés selon une politique d’institutionnalisation de l’ignorance et de l’abrutissement.

    Les régimes politiques autoritaires cherchent à contrôler le système éducatif du pays, ils choisissent de le noyer dans la fragilité et la défaillance pour assurer leur survie et pérennité. À cet égard ils emploient un arsenal de programmes éducatifs faibles en qualité et forts en quantité dans l’intention d’anéantir l’esprit critique chez l’étudiant. Le régime conçoit une machine à produire des sujets ignorants, obéissants et privés de valeurs et de principes dont la mission est de produire, se reproduire et ne rien opposer.

    Au Maroc, la défaillance du système éducatif ne remonte pas à hier.

    Le système a été la cible de nombreuses politiques réformatrices qui n’ont pas atteint des résultats significatifs hormis l’augmentation du nombre des étudiants inscrits dans les écoles après l’accession au trône de Mohammed VI. La qualité du système est médiocre, il conçoit des chômeurs incapables de s’insérer dans le marché du travail et des jeunes « obsolètes » ne poursuivant ni leurs études ni des formations professionnelles.

    La question qu’on ne cesse de se poser est de savoir où réside exactement le problème ?

    Sans aucun doute, la volonté du régime est un problème de poids qui nous a permis d’expliquer cette défaillance du système éducatif marocain pendant longtemps. Mais il apparaît que ce n’est pas le facteur explicatif unique.

    La question de souveraineté

    La question de souveraineté est un facteur à introduire dans l’équation.

    Ce problème s’est étalé même sur les sujets régaliens de l’État marocain qui en est conscient et responsable. L’éducation en fait parti. Le Maroc est impliqué depuis des années dans des affaires étrangères qui dépassent ses capacités et son potentiel, il est in fine un pays qui n’a pas encore connu un vrai développement, se positionnant au 123e rang sur 190 pays en termes de développement humain, derrière ses voisins maghrébins et même les pays qui éprouvent d’immenses problèmes de stabilité politique et économique, l’Irak et la Libye notamment. Mais il joue avec des pays incroyablement développés par rapport à son stade de développement, ou si l’on peut dire, il s’adapte en fonction des intérêts de ces pays et le bien-être de leur population, lui qui privilégie les intérêts de ses élites et même de ses pays amis par rapport à ceux de ses citoyens. Sans doute, la souveraineté des États sur leur territoire est fondamentale, mais en l’absence de souveraineté sur les sujets régaliens : santé, éducation et sécurité alimentaire, principalement, cette souveraineté se trouve elle-même en danger.

    La souveraineté du Maroc est mise en question depuis fort longtemps. Même après son indépendance en 1956 le pays s’est trouvé impuissant à la restaurer, sans parler des Marocains qui considèrent que cette indépendance concerne l’État et non pas le peuple qui se trouve encore soumis à la fois aux forces étrangères et locales.

    L’imposition du protectorat français en 1912 relève de l’absence de souveraineté, l’imposition du plan d’ajustement structurel en 1983 est le résultat de cette absence aussi. Après 1912, l’État français a généralisé une transcription de son propre système éducatif laïc, reprenant le paradigme pédagogique français dans le but de former des profils particuliers au service de la colonisation française et de modifier l’idéologie de la société marocaine particulièrement musulmane et conservatrice. Alors qu’auparavant, le système éducatif marocain faisait partie d’un système général d’éducation islamique et traditionnel.

    En 1983, la Banque bondiale et le Fond monétaire international ont imposé au Maroc de se désengager de l’investissement massif dans les secteurs publics, notamment l’éducation ; la prédiction et l’accompagnement des mesures apportées par le PAS relèvent des deux institutions financières internationales qui interviennent désormais dans la gestion des fonctions régaliennes de l’État.

    La dette est le point commun entre les deux événements ci-dessus. Le Maroc dont les besoins dépassent largement ses ressources et ses avoirs a bel et bien mordu à l’hameçon, celui de l’endettement. À l’époque précoloniale, les sultans n’arrivaient pas à assurer la prise en charge de leurs besoins et ceux de leur armée ; à cet effet, le recours massif à l’emprunt étranger a aplani la voie de pénétration européenne. Id est , à l’ère postcoloniale, l’État s’engage dans des réformes massives pour rétablir sa souveraineté, dont le financement s’est assuré par des emprunts étrangers. Il s’est retrouvé finalement insolvable, et la souveraineté mise en question.

    Et si nous admettons, comme Abdellah Laraoui, que l’État marocain a cessé d’exister dès 1880 , à qui appartient la souveraineté marocaine ?

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      La droite ne se redressera que si elle redresse l’industrie

      Claude Sicard · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 2 December, 2022 - 03:40 · 7 minutes

    Le débat du 21 septembre sur LCI entre les trois candidats à la présidence des Républicains a été fort décevant.

    Comme à son habitude, Éric Ciotti a joué la carte de la fermeté en défendant une droite « qui ne s’excuse plus d’être elle-même » ; Bruneau Retailleau s’est fait le partisan d’une droite « fière de ses valeurs avec une ligne claire sur le régalien et l’économie » ; Aurélien Pradié n’a rien trouvé de mieux que de vanter son expérience de maire et de pompier.

    Dans son éditorial du journal Le Figaro des 26 et 27 novembre dernier Yves Thréard déplore :

    « Elle [la droite] ressasse, hésite et doute : il lui manque un projet solide et surtout quelqu’un pour l’incarner ».

    Valérie Pécresse a fait le score désastreux de 4,8 % à l’élection présidentielle. Et ce n’est pas avec l’un de ces trois candidats que la droite va se redresser.

    Pourquoi donc ce débat a-t-il été aussi décevant ? Parce qu’aucun des sujets importants concernant le redressement de notre pays n’a été abordé : rien sur la manière de procéder pour redresser l’économie du pays, rien sur l’Europe et la sauvegarde de notre autonomie de décision face aux oukases de la  Commission de Bruxelles et rien sur la manière de faire face, demain, au déversement sur l’Europe de flux migratoires qui vont la submerger.

    Il faut dire que les deux journalistes qui ont interrogé ces trois candidats n’ont pas été non plus très brillants en posant des questions chrono en main pour faire respecter les temps de parole.

    Ce que nous aurions aimé entendre

    Le redressement de l’économie française

    Depuis des années, les clignotants sont au rouge :

    • chômage excessif bien plus élevé que celui des autres pays européens,
    • balance commerciale déficitaire depuis vingt ans,
    • dépenses publiques et prélèvements obligatoires les plus élevés de tous les pays de l’OCDE,
    • endettement extérieur croissant d’année en année.

    Les trois candidats n’ont rien eu à dire sinon qu’il fallait réduire les dépenses publiques, ce qui est le discours habituel des libéraux, un propos de café du commerce formulé par des personnes qui n’ont pas compris que le mal dont souffre le pays est sa très grave désindustrialisation .

    Le secteur industriel n’a pas cessé de fondre depuis la fin des Trente glorieuses. Ses effectifs sont passés de 6,5 millions de personnes à 2,7 millions aujourd’hui. Depuis Jean Fourastié , ce secteur désigné comme le « second secteur de l’économie » n’intervient plus que pour 10 % dans la  formation du PIB au lieu de se situer à minimum 18 %. C’est donc en redressant le secteur industriel que l’économie du pays se redressera : il n’y aura plus de chômage, la balance commerciale redeviendra positive, les dépenses sociales pourront être réduites puisque le pays sera devenu beaucoup plus riche. Et l’économie ayant retrouvé sa vigueur l’endettement ne sera plus nécessaire.

    Relations avec Bruxelles et construction d’une nouvelle Europe

    La France doit-elle se fondre dans une vaste communauté européenne ou bien doit-elle conserver la maitrise de son destin ? Cette question est essentielle.

    Emmanuel Macron n’a qu’un seul projet : dissoudre la France dans l’Union européenne et confier aux autorités de Bruxelles le destin du pays. Il plaide pour une Europe de la défense et la constitution d’une armée européenne : cela suppose qu’une autorité suprême à Bruxelles soit capable de décider de l’emploi de cette force, au lieu des décisions à prendre à l’unanimité dans 27 pays.

    Du fait de la faiblesse de son économie la France ne peut pas s’extraire de la zone euro, mais doit-elle pour autant abandonner à une autorité étrangère la maitrise de son destin ? Il est curieux que sur une question de cette importance les trois candidats n’aient rien eu à dire.

    Maitriser les flux migratoires

    Ils ne vont pas manquer de se renforcer en direction de notre continent.

    Il s’agit de s’attaquer à la racine du mal et de se donner les moyens de surmonter l’obstacle constitué par les refus systématiques des pays africains de récupérer leurs nationaux lorsque le pays souhaite renvoyer chez eux des migrants qu’il ne peut pas prendre en charge.

    La coopération avec l’Afrique

    La seule solution consiste à lancer un grand plan européen de coopération avec le continent africain visant à aider certains de ses pays à se développer économiquement. C’est indispensable puisque ces migrations sont l’expression de l’extrême pauvreté dans laquelle ils se trouvent. Par ailleurs, cela procurerait des moyens de négociation efficaces pour amener les pays qui font les sourds à rapatrier leurs nationaux.

    Il s’agirait donc de modifier totalement la politique de coopération avec les pays africains en limitant cette aide aux trois objectifs suivants :

    Grands travaux d’infrastructures

    Ils seraient réalisés par les entreprises européennes et répondraient aux besoins de ces pays : routes, voies ferrées, réseaux d’électricité et de communication, ports, aéroports…

    Alimentation d’un fonds d’indemnisation

    Il serait alimenté par l’UE et destiné à couvrir les investissements contre les risques politiques africains.

    Aide à la réinstallation dans leur pays d’origine

    Elle concernerait les migrants faisant l’objet d’une procédure d’expulsion, comme par exemple les  OQTF en France.

    Actuellement, les aides à l’Afrique sont complètement dispersées et totalement inefficaces, chaque pays européen menant sa propre politique d’aide au développement. La Commission européenne  intervenant elle aussi via le Fonds européen de développement devenu « Europe dans le Monde » en 2021.

    Il faut renoncer à ce type d’aide. Avec cette nouvelle manière d’opérer, les pays européens renonceraient donc à procéder à de l’aide bilatérale, tous les moyens se trouvant dorénavant concentrés dans les mains de la Commission. L’Europe ne s’occuperait plus que des pays africains, et non plus, comme actuellement, de tous les pays sous-développés du monde.

    La création d’un système d’assurance des investissements des entreprises dans les pays africains serait un élément essentiel de ce plan : en effet des pays en voie de développement ne peuvent pas évoluer sans le concours d’investissements étrangers, ce que les économistes nomment des investissements directs étrangers. Les entreprises étrangères apportent non seulement des capitaux pour créer des usines ou mettre des territoires en valeur mais aussi les know-how dont ces pays sont dépourvus, et elles forment sur place la main-d’œuvre. De surcroît, leur concours est indispensable car ce sont elles qui vont nourrir les exportations avec leurs réseaux de distribution dans les pays développés, là où précisément se trouvent les marchés.

    C’est d’ailleurs de cette manière que s’est développée la Chine.

    Selon une étude de la CNUCED, en 2007 les capitaux étrangers intervenaient en Chine pour 30,9 % dans la production industrielle du pays et pour 60 % dans les exportations.

    Actuellement, l’Afrique bénéficie très peu des investissements directs étrangers car les entreprises redoutent d’être spoliées. D’où la nécessité d’un système d’assurance européen contre les risques politiques à l’exemple de la MIGA créée à Washington par la Banque mondiale.

    L’Europe interviendrait donc dans tous ces pays en retard en termes de développement pour les doter des grandes infrastructures qui leur font défaut. Elle ouvrirait ainsi la voie à ses entreprises pour leur permettre d’agir en Afrique. On en serait à l’objectif OCDE de 0,7 % du revenu national brut de l’Europe, c’est-à-dire environ 100 milliards d’euros par an. On agirait sans intervenir dans les affaires internes de ces pays, la seule préoccupation étant d’être efficaces car il y a urgence.

    Un sondage OpinionWay pour le Cevipof du 10 janvier 2022, indiquait que 32 % des Français se considèrent de droite.

    Pour que le parti LR soit en mesure de les mobiliser, il faudrait qu’il puisse se doter d’un programme d’action bien structuré traitant des trois questions fondamentales qui conditionnent l’avenir du pays :  le redressement économique, construire l’Europe de demain et éviter la submersion de flux migratoires incontrôlables.

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      Maroc : le marketing au service des jeunes diplômés contre le chômage

      Kaoutar Zaidane · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 1 December, 2022 - 03:40 · 4 minutes

    Selon le Haut-Commissariat au plan marocain, « entre le troisième trimestre de 2021 et celui de 2022, avec une création de 136 000 postes en milieu urbain et une perte de 194 000 en milieu rural, l’économie nationale a perdu 58 000 postes d’emploi au niveau  national » et le taux de chômage a atteint au troisième trimestre de l’année 2021 12,3 % au niveau national,

    Effrayant et réel, les jeunes Marocains ont du mal à décrocher un emploi. Chaque entreprise publique ou privée voulant conjuguer croissance et bénéfice passant par la conception d’offres de produits (ou services) en fonction des attentes des consommateurs doit impérativement commencer par des études de marchés pointues lui permettant de mieux cerner le besoin des consommateurs potentiels.

    Découper le marché en des groupes homogènes sur la base d’un ensemble de critères (sociodémographiques, psychologiques, comportementaux…) est la deuxième étape connue sous l’appellation de segmentation. Cette dernière ouvre le bal pour le ciblage qui consiste à choisir le ou les segments sur lesquels l’entreprise sera la plus compétitive, pour enfin déterminer sa position dans l’esprit des consommateurs, choisir un positionnement adéquat à la vision stratégique de l’entreprise.

    La phase de réflexion vient d’être achevée et l’entreprise devra passer à l’action.

    Le marketing mix (ou 4P) devra prendre place : l’organisation détermine les caractéristiques spécifiques du produit (ou service) offert, tranche pour le prix, choisit la politique de communication la plus adaptée à la nature de l’offre et enfin distribue son produit pour une meilleure couverture du marché.

    Nous avons maintenant un aperçu de la démarche suivie par les entreprises avant de voir le jour et lancer des appels de recrutement.

    Fraîchement diplômé ? Vous n’arrêterez pas d’entendre la fameuse question :

    « Khdmti wla mazal ? » (as-tu trouvé un poste ou pas encore ?)

    Et si vous répondez par non, la société vous aide à trouver des excuses : nous sommes en pleine crise ;  les offres d’emploi sont limitées ; si vous n’avez pas de piston vous n’obtiendrez jamais d’un job digne de votre niveau académique et intellectuel.

    Vous confirmez ? Secouez-vous et pensez-y encore une fois. Vous êtes capables d’être parmi les meilleurs. Vous saurez décrocher l’une des offres d’emploi plus en plus nombreuses. Vous devriez vous convaincre que si vous ne trouvez pas un emploi ce n’est pas intégralement à cause de la crise financière mais plutôt à celle des profils.

    Êtes-vous déjà remis en question ? Avez-vous une idée claire sur ce que vous voulez réellement ? En avez-vous les acquis demandés ?

    Que font les entreprises pour vous faire une place sur le marché ?

    Ne croyez-vous pas que je, vous, ils, sommes des produits (compétences) à vendre ? Nous nous vendons à une entreprise ayant des attentes et besoins spécifiques que nous devrions satisfaire (vous êtes la solution).

    Propulsons les étapes du marketing dans notre quête d’ emploi . Vous verrez, c’est magique mais vous trouverez que c’est efficace.

    Vous ne pouvez pas être recruté sans avoir exploré les tendances du marché de l’emploi, les entreprises opérant dans le secteur de votre spécialité, les évolutions du métier recherché…

    L’évidence dit qu’il faut commencer par une étude de marché. Puis il faut que vous découpiez l’ensemble de ces entreprises en petits groupes en prenant par exemple le domaine d’activité, le chiffre d’affaires, la présence à l’international comme critères de  segmentation. Vous avez maintenant une vision de plus en plus claire de là où vous voulez travailler, il faut donc cibler les entreprises qui vous font le plus vibrer. En dernier lieu, de cette phase invisible, vous devriez déterminer la position que vous voulez détenir dans l’esprit de votre recruteur (par exemple je veux qu’il pense à moi à chaque fois qu’il évoque le dynamisme).

    Vous êtes désormais prêts à passer à l’action. Vous avez entre les mains toutes les données permettant d’intégrer le monde de l’entreprise.

    Comme évoqué plus haut tout en restant fidèle à la démarche marketing suivie par les entreprises, il faut parler du mix marketing. Il s’agit d’abord du produit qui est vous-même : vous devriez donc vous connaître avant de vous vendre. Se remettre en question, connaître ses points forts, ses lacunes, ses ambitions ainsi que son projet professionnel, tel est la clé du succès dans sa quête de travail.

    Vous devriez en suite connaître votre propre valeur et réussir à négocier votre salaire qui constituera votre prix sur le marché de l’emploi.

    Personne ne peut nier qu’actuellement, le monde est connecté à internet et nous avons tous au moins un compte sur les réseaux sociaux. Il faut en profiter et se faire une e-notoriété qui incitera les entreprises à vous contacter. Faites-vous de la publicité en répondant présent sur les sites d’embauche (Rekrute.ma, dreamjob.com… la liste est longue)

    Enfin soyez mobiles et distribuez-vous partout, soyez prêts à vous être disponibles pour toute proposition d’entretien ; ceci vous aidera à vous y habituer et à vaincre votre stress.

    Je conclue mon article en attirant votre attention sur le fait que si vous vous organisez et que vous suiviez ces étapes vous aurez toujours votre piston sur vous, c’est désormais vous. Je vous souhaite à tous bonne chance.

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      Sénégal : le PIB par habitant dépasse de 93 % celui du Rwanda

      Ilyes Zouari · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 21 November, 2022 - 03:30 · 12 minutes

    Avec un PIB par habitant de 1606 dollars début 2022, le Sénégal, pays du train le plus rapide d’ Afrique subsaharienne , affiche désormais un niveau de richesse par habitant près de deux fois supérieur à celui du Rwanda, parfois surnommé le « Singapour africain ». Le dynamisme sénégalais s’accompagne d’une modernisation rapide du pays, qui maîtrise dans le même temps sa dépendance aux aides publiques étrangères au développement et démontre par ailleurs que progrès et démocratie ne sont pas incompatibles.

    Selon les dernières données publiées par la banque mondiale, le PIB par habitant du Sénégal s’établissait à 1606 dollars début 2022, contre seulement 834 dollars pour le Rwanda, qui affiche ainsi un des niveaux les plus faibles du continent, où il se classe à la 38 e position. L’écart ne s’est donc guère réduit au cours de la dernière période quinquennale 2017-2021 et a même légèrement augmenté puisque les deux pays affichaient respectivement un PIB par habitant de 1267 dollars et 745 dollars fin 2016.

    Le dynamisme sénégalais

    Le niveau relativement élevé atteint par le Sénégal par rapport au reste de l’Afrique subsaharienne, résulte du grand dynamisme économique du pays, dont la croissance du PIB s’est établie à 5,1 % en moyenne annuelle sur la période de cinq années 2017-2021, malgré la grave crise économique ayant secoué le monde en 2020. Une année particulièrement difficile et à l’issue de laquelle le Sénégal avait d’ailleurs fait partie de la minorité de pays africains ayant connu une évolution positive (+1,3 %).

    En tenant compte des taux de croissance et du niveau de richesse par habitant déjà atteint (deux éléments nécessaires pour toute comparaison sérieuse, les pays les plus pauvres réalisant plus facilement des taux de croissance élevés), le Sénégal fait ainsi probablement partie des trois pays les plus dynamiques du continent, avec la Côte d’Ivoire et le Kenya. En effet, la Côte d’Ivoire a enregistré une croissance annuelle de 5,9 % en moyenne sur la période 2017-2021, soit la deuxième plus forte progression du continent (derrière l’Éthiopie), alors même qu’elle affichait un PIB par habitant déjà assez élevé et atteignant 2579 dollars début 2022 (contre seulement 944 dollars pour l’Éthiopie, un des pays les plus pauvres d’Afrique).

    Une forte croissance qui lui a d’ailleurs permis de devenir le pays le plus riche de toute l’Afrique de l’Ouest continentale malgré de modestes richesses naturelles en comparaison avec le Ghana et le Nigeria voisins (qui connaissent actuellement une grave crise économique).

    De son côté, le Kenya, qui était déjà le pays le plus riche d’Afrique de l’Est (hors très petits pays insulaires et Djibouti), a tout de même observé une évolution annuelle assez robuste de 4,3 % pour atteindre un PIB par habitant de 2007 dollars début 2022.

    Quant au Sénégal, et malgré une richesse très largement supérieure, il est parvenu à avoir un niveau de croissance comparable à celui du Rwanda, qui a enregistré un taux de 5,8 % en moyenne annuelle sur la période 2017-2021. Ce qui ne permit guère à ce dernier de combler son retard par rapport au Sénégal, qui a même légèrement creusé l’écart compte tenu du fait que l’évolution du PIB par habitant, calculé à prix courants, dépend également d’autres facteurs, comme l’évolution du cours de la monnaie nationale et des produits d’exportation.

    PIB par habitant sénégal rwanda 2017-2021

    Les bonnes performances économiques du Sénégal sont elles-mêmes le fruit des nombreuses mesures prises au cours des dernières années et s’inscrivant en bonne partie dans le cadre du Plan Sénégal émergent (PSE). Débutée en 2014, la mise en œuvre de cette stratégie décennale permit de doubler le taux de croissance annuel moyen du pays grâce aux réformes accomplies en matière d’amélioration du climat des affaires, à une politique de grands travaux et à une politique active de diversification des sources de revenus, en s’appuyant notamment sur le développement du secteur agricole, des industries agroalimentaires, des industries des matériaux de construction ou encore du secteur du numérique et des nouvelles technologies.

    À titre d’exemple, le secteur agricole a connu une forte expansion de la culture du riz dont la production a presque triplé au cours de la dernière décennie dans un pays où cette céréale est un des piliers de l’alimentation locale et qui ambitionne d’atteindre prochainement l’autosuffisance en la matière. La hausse spectaculaire de la production avait d’ailleurs été initiée à la suite des émeutes de « la faim » de 2008, preuve que le Sénégal aurait pu commencer bien plus tôt, comme certains pays arabes et asiatiques avant lui…

    Quant aux nouvelles technologies, et grâce à un cadre réglementaire de plus en plus propice à l’investissement, le Sénégal a vu se multiplier les entreprises liées au numérique et à l’internet. Le secteur connaît un tel dynamisme que le pays vient de faire son entrée parmi les dix pays les plus innovants du continent africain, selon le dernier classement international publié par l’Organisation internationale de la propriété intellectuelle (Indice mondial de l’innovation, 2022).

    Si le Sénégal, classé 99 e au niveau mondial et 10 e au niveau africain, demeure encore assez largement derrière l’Afrique du Sud (61 e place mondiale) et le Maroc (67 e ), le pays fait désormais presque aussi bien que l’Égypte (89 e , et 7 e en Afrique), et dépasse des pays comme le Rwanda (respectivement 105 e et 11 e ) et le Nigeria (114 e et 15 e ). De même, le Sénégal dépasse désormais quelques pays d’Amérique centrale, à savoir le Salvador, le Nicaragua, le Guatemala et le Honduras.

    Par ailleurs, il est également à noter que le Sénégal continue à s’affirmer comme pôle majeur de la médecine en Afrique. Chose qu’il fut encore possible de constater lors de la signature d’un accord, en juillet 2021, avec des pays et institutions de l’Union européenne, les États-Unis et la Banque mondiale, portant sur la construction d’une usine de production de vaccins destinés au continent (contre le Covid-19 et des maladies endémiques).

    Une modernisation rapide du pays

    Les nombreuses avancées en matière de création de richesse sont allées de pair avec une modernisation rapide du pays, où se sont multipliés les grands chantiers d’infrastructure au cours des quelques dernières années : ponts, autoroutes, aéroports, centrales électriques ou encore installations sportives (comme avec la récente inauguration, en février 2022, d’un stade ultramoderne de football de 50 mille places, souvent présenté comme « le plus beau stade d’Afrique »).

    Quant aux transports publics, le pays s’est dernièrement distingué par la mise en service en décembre 2021 d’un train express régional pouvant atteindre la vitesse de 160 km/h dans l’agglomération dakaroise et faisant de lui le train le plus rapide de toute l’Afrique subsaharienne, à égalité avec le Gautrain sud-africain (le TGV marocain étant, pour sa part, le plus rapide de l’ensemble du continent, avec une vitesse de 320 km/h).

    Parallèlement à cette politique de grands travaux, le Sénégal a également accompli de grandes réalisations en matière d’amélioration du niveau et de la qualité de vie de la population. Ainsi, et selon les dernières données de la Banque mondiale, le taux d’accès à l’électricité a atteint 70,4 % de la population fin 2020, plaçant ainsi le Sénégal à la septième place des pays d’Afrique subsaharienne, hors minuscules États insulaires (ne pouvant être pris en compte pour de pertinentes comparaisons).

    Le pays fait ainsi largement mieux que le Rwanda, qui affichait un taux de seulement 46,6 %, soit moins de la moitié de la population et en dessous de la moyenne subsaharienne de 48,4 % (malgré la petite taille du territoire, sept fois et demie moins étendu que le Sénégal). De même, et toujours hors très petits pays insulaires, le Sénégal se classe à la sixième position en Afrique subsaharienne pour ce qui est du pourcentage de la population utilisant internet, avec un taux de 43 % en 2020, contre 27 % pour le Rwanda, qui se situe là aussi en dessous de la moyenne subsaharienne, mais qui est parfois surnommé le « Singapour africain » (le pays étant un important client des agences de communication internationale).

    Quant à la mortalité infantile, le Sénégal arrive à la deuxième place avec un taux de 29 décès pour 1000 naissances vivantes, se classant tout juste derrière l’Afrique du Sud (26) et devant le Rwanda (30), qui arrive en sixième position. Toutefois, si le Rwanda a réalisé d’importantes avancées en matière d’accès aux soins et de santé publique, les inégalités sociales et le taux d’extrême pauvreté y demeurent encore très élevés, une importante partie de la population vivant avec moins de 2,15 dollars par jour en parité de pouvoir d’achat (nouveau seuil d’extrême pauvreté retenu par les institutions internationales, depuis la rentrée 2022). Ainsi, et selon les dernières données de la banque mondiale, parfois relativement anciennes mais permettant de se faire une idée approximative, le taux d’extrême pauvreté atteignait non moins de 52 % de la population rwandaise en 2016, contre seulement 9,3 % pour le Sénégal en 2018.

    Il est d’ailleurs à noter que la réalisation d’études en la matière est assez difficile au Rwanda, qui s’était même distingué en 2005 en obligeant les agents de la Banque mondiale à détruire sur place l’intégralité de leurs études sur la pauvreté dans le pays. Un acte assez inhabituel au niveau international mais qui n’a pourtant fait l’objet d’aucune protestation officielle de la part de cette grande institution, grâce à l’opposition des États-Unis.

    Par ailleurs, il convient de rappeler qu’une partie de la richesse produite par le Rwanda provient de l’exploitation illégale des ressources minières de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). S’il n’est pas si rare de voir des pays puiser illégalement dans les richesses de leurs voisins (comme, par exemple, avec l’exploitation du bois précieux sénégalais par la Gambie), le Rwanda se distingue toutefois en étant le seul et unique pays au monde à le pratiquer à grande échelle, au point de se classer souvent parmi les deux principaux producteurs et exportateurs mondiaux de tantale, un élément stratégique extrait à partir d’un minerai appelé coltan, alors que son sous-sol en est pratiquement dépourvu. Une situation ubuesque dont est victime la RDC depuis de nombreuses années, mais qui est rendue possible par une féroce protection diplomatique américaine et britannique au profit des autorités rwandaises… facilitée par une certaine indifférence des pays africains et de l’Union africaine.

    Transparence et bonne gouvernance

    Les grands progrès économiques et sociaux réalisés par le Sénégal se sont accompagnés d’importantes avancées en matière de lutte contre la corruption, de transparence et de bonne gestion des deniers publics.

    Ainsi, et en se positionnant à la 73 e place mondiale dans le dernier classement établi par l’organisation non gouvernementale Transparency international (Indice de perception de la corruption, 2022), le Sénégal fait désormais partie des pays les moins corrompus du continent Africain, et fait même presque partie du premier tiers des pays les plus vertueux en la matière dans le monde. Sur le plan africain, le Sénégal se classe maintenant à la 11 e place, au même niveau que la Gabon (11 e , ex æquo), juste derrière l’Afrique du Sud (10 e , et 70 e au niveau mondial), et loin devant des pays comme le Kenya et le Nigeria, qui occupent respectivement la 128 e et la 154 e place mondiale.

    De plus, il est à noter que les progrès économiques et sociaux accomplis par le Sénégal s’accompagnent également d’une maîtrise de la dépendance aux aides extérieures, contrairement au Rwanda qui continue à faire partie des dix pays africains les plus dépendants de la charité internationale. En effet, et selon les dernières données de la Banque mondiale, l’ensemble des aides publiques au développement (APD) reçues par le Sénégal en 2020 n’ont représenté que 6,7 % du Revenu national brut, contre non moins de 16,3 % pour le Rwanda, qui occupait la neuvième place continentale, comme en 2019, en se classant entre la Gambie et le Niger. Une situation plutôt inattendue pour un pays dont les plus hautes autorités ont régulièrement affirmé que l’Afrique devait apprendre à se développer par elle-même (et dont le Président avait même déclaré que le continent n’avait pas besoin de baby-sitter).

    Par ailleurs, il est également à noter que l’importance des aides reçues par le Rwanda n’a nullement empêché la hausse constante de l’endettement du pays, dont la dette publique devrait connaître la cinquième plus forte hausse d’Afrique subsaharienne sur la période de trois années 2019-2021, selon le FMI, pour atteindre 68,1 % du PIB fin 2022, en hausse de 18,3 points de pourcentage (et 77,3 % pour le Sénégal, en hausse de 13,7 points, avec une baisse attendue à partir de 2023).

    En faisant partie de l’Afrique francophone, le Sénégal fait d’ailleurs également partie de la zone la moins dépendante du continent à l’égard des aides étrangères (hors grands pays pétroliers et miniers), mais aussi globalement la moins endettée, la plus dynamique économiquement (ayant réalisé en 2021 les meilleurs performances économiques du continent pour la huitième année consécutive, et la neuvième fois en dix ans), la plus stable, la moins inégalitaire et la moins violente.

    Les différentes réussites du Sénégal lui permettent ainsi de démontrer que démocratie et liberté d’expression ne sont pas incompatibles avec le progrès économique et social. De même, le Sénégal peut se féliciter d’être parvenu à atteindre ce niveau de développement avant de devenir un producteur de gaz et de pétrole, suite à la découverte d’assez importants gisements au large de ses côtes.

    Mais afin de lui être réellement profitable, cette nouvelle et importante manne qui s’annonce ne devra pas entraver la poursuite des réformes et des efforts de diversification et d’industrialisation du pays. Celui-ci devra notamment s’inspirer des pays pétroliers du Nord (Norvège, Royaume-Uni, Canada, États-Unis), qui ont toujours su développer les différents pans de leur économie, au nom de l’indépendance nationale, tout en atteignant un niveau élevé en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption et les détournements de fonds.

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