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      Comment la Bolivie a échappé au retour des « présidents en uniforme »

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Wednesday, 3 July - 14:18 · 16 minutes

    Ce 26 juin 2024, la démocratie bolivienne a vacillé. Pendant plusieurs heures, le chef d’état-major des armées, le Général Juan José Zuñiga a tenté de destituer le président Luis Arce et de prendre le pouvoir. Cette tentative de putsch ne peut se comprendre comme un simple coup d’éclat. Elle s’inscrit dans une situation politique et économique explosive. L’aventure du Général Zuñiga rappelle aussi qu’en Bolivie – davantage que dans d’autres pays latino-américains – l’armée demeure une institution insuffisamment dépolitisée, faisant craindre le retour des « présidents en uniforme ».

    15h00, La Paz. Autour de la plaza Murillo, qui concentre les sièges du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, une effervescence peu commune. Des fonctionnaires, sortis de leurs bureaux, quittent précipitamment les alentours de la place, des commerçants ferment boutique, paniqués. Parvenu à l’un des coins de la plaza Murillo, nous constatons que l’accès à cette dernière est bloqué. Des unités de la police militaire – une branche de l’armée de terre bolivienne – en empêchent l’accès, fusils levés. Ils sont flanqués de blindés.

    Rapidement, des groupes de manifestants, appelés par le président bolivien Luis Arce sur les réseaux sociaux à « soutenir le gouvernement et à lutter pour la démocratie » se forment et vont à l’affrontement. Les militaires les repoussent à coups de balles en caoutchouc et de gazs lacrymogènes. Certains exhibent ensuite leurs plaies ensanglantées devant les caméras des télévisions. On crie : Lucho no esta solo carajo ! (Lucho [ surnom du président Luis Arce NDLR] n’est pas seul, bordel!) ou Democracia si, dictadura no ! (oui à la démocratie, non à la dictature). Des femmes en pleurs s’adressent aux médias. « Nous ne voulons pas revivre les événements de 2019 , nous ne voulons pas de nouveau coup d’État, nous voulons vivre en paix et en démocratie ».

    [article url=”https://lvsl.fr/evo-morales-les-nationalisations-ont-permis-des-progres-sociaux-historiques/”]

    La plupart des manifestants présents semblent hagards, comme confrontés à une situation irréelle. Soudain, à 17h30, soldats et blindés opèrent un repli éclair et disparaissent de la place. Les centaines de manifestants se précipitent alors devant le Palacio Quemado [ le palais présidentiel NDLR]. À gorge déployée, ils entonnent l’hymne bolivienne, poing levé. Des ministres descendent sur la place et se joignent aux manifestants, qui les serrent dans leurs bras. L’effusion est totale. Quelques instants plus tard, le président Luis Arce, accompagné de son vice-président David Choquehuanca et de plusieurs ministres, apparaît au balcon présidentiel et salue la foule : « avec vous, avec le peuple, personne ne pourra nous obliger à nous rendre. Personne ne peut nous enlever la démocratie que nous avons gagné dans les urnes et avec le sang du peuple bolivien ». Voilà les événements tels que les manifestants ont pu les vivre, alternant entre confusion, effroi puis sentiment de libération et effusion.

    Des mouchoirs blancs agités par les manifestants en signe de refus d’une potentielle dictature © Tristan Waag pour LVSL

    Mais que s’est-il passé durant ces trois heures ? Qui a dirigé ce que le président Arce a qualifié d’ « opérations militaires irrégulières » ?

    « Je n’ai obéi qu’aux ordres du président » : anatomie d’un coup d’État manqué

    Pour comprendre les événements du « 26 juin », il faut remonter quelques jours auparavant. Le lundi 24, dans une interview au programme « No Mentiras », le chef d’état-major des armées, le Général Juan José Zuñiga déclare, suite à une question portant sur une nouvelle candidature aux élections de l’ancien président Evo Morales : « Légalement, Evo Morales ne peut pas se représenter. La Constitution Politique de l’Etat (CPE) dit clairement qu’il ne peut y avoir plus de deux gestions, et monsieur Morales a déjà été réélu (en 2014). Les forces armées ont pour mission de faire respecter la CPE. Ce monsieur ne peut pas se représenter ». Zuñiga faisait référence à un arrêt polémique du Tribunal Constitutionnel Plurinational, la plus haute autorité juridique du pays, empêchant Evo Morales d’être candidat aux élections présidentielles de 2025.

    Dans cet arrêt, le tribunal réinterprétait un article de la constitution déclarant qu’un président ne peut être élu que « deux fois consécutivement ». Selon le Tribunal, Evo Morales, ayant été élu deux fois, ne peut se représenter, sauf à se placer hors de la légalité constitutionnelle. En réalité, cette réinterprétation était bancale : si la Constitution limite bel et bien les mandats consécutifs au nombre de deux, elle n’empêche nullement un président deux fois élus de se représenter à nouveau après des élections auxquelles il n’aurait pas participé…

    Depuis son bastion du Chaparé (une région productrice de feuilles de coca située dans le département de Cochabamba), Evo Morales s’insurge immédiatement, déclarant que ce type de déclarations ne s’était « jamais vues dans une démocratie ». Il ajoutait que si le général n’était pas immédiatement sanctionné par le président Luis Arce, il s’agirait de facto d’un autogolpe (« auto-coup d’État ») – entendu comme un putsch institutionnel fomenté par le président pour barrer la route à son concurrent Evo Morales .

    [article url=”https://lvsl.fr/les-divisions-profondes-de-la-bolivie-post-evo-morales/”]

    Le lendemain, Luis Arce décide de destituer son chef d’état-major . Un geste interprété par celui-ci comme brutal et irréfléchi de la part de « son » président, qu’il a toujours soutenu, notamment dans sa lutte de pouvoir contre Evo Morales. Alors que dans l’après-midi du 26 juin, Zuñiga doit être officiellement remercié par Luis Arce, celui décide plutôt de réunir des régiments de la Police militaire de La Paz ainsi que des unités blindées et de se rendre sur la Plaza Murillo, cœur du pouvoir politique bolivien. Alors que ses hommes bloquent les accès de la place et gazent les passant qui s’attardent un peu trop, des blindés enfoncent les portes du Palacio Quemado. Plusieurs dizaines de militaires font irruption dans et à l’intérieur du palais présidentiel. Un face-à-face a lieu entre le président Arce et le général Zuñiga, entouré de quarante soldats. Le dialogue, tendu, dure plusieurs minutes . Luis Arce somme l’officier de rentrer dans le rang. Entre plusieurs réponses négatives, Zuñiga prononce une première phrase sibylline qui fera couler beaucoup d’encre : « Je ne peux accepter tant de mépris de votre part après tant de loyauté de la mienne ».

    Après avoir consommé un ultime refus de la part du général rebelle, Luis Arce et ses ministres quittent le Palacio Quemado pour se réfugier au sein de la Casa Grande del Pueblo, siège de l’assemblée bolivienne, à quelques mètres du palais présidentiel. Arce et ses ministres s’emploient alors, pendant plusieurs heures, à appeler à la défense de la démocratie et au respect des institutions. Alors que des manifestants se groupent aux abords de la place afin d’affronter les militaires, de nombreuses personnalités de l’opposition telles que Carlos Mesa ou Jorge Tuto Quiroga appellent au « respect de la démocratie ». Au niveau continental, les alliés d’Arce soutiennent le gouvernement – notamment Lula (Brésil) et Nicolas Maduro (Venezuela), qui dénonce dans le cas du second, un « coup d’État fasciste ».

    L’ONU et l’Organisation des États américains (OEA) préparent quant à elles des communiqués condamnant le putsch. Tout cela ne suffit pas à entamer la détermination du général Zuñiga qui annonce à la presse : « les forces armées ont l’intention de restructurer la démocratie pour qu’elle soit enfin une vraie démocratie, pas celle de quelques-uns qui sont au pouvoir depuis 30 ou 40 ans ». Il déclare dans le même temps vouloir libérer « les prisonniers politiques » désignant par-là l’ex-président par intérim Jeanine Añez et l’ancien leader civique de la région de Santa Cruz, Fernando Camacho, tous deux emprisonnés pour leur participation au coup d’État de 2019 contre Evo Morales

    Aux alentours de 17 heures, le président Arce destitue le général Zuñiga et le remplace par un nouveau chef d’état-major des armées : le Général José Wilson Sanchez Velasquez. Ce dernier ordonne alors aux militaires présents sur la Plaza Murillo, désormais sous son commandement, de « retourner dans leurs casernes ». Quelques minutes plus tard, ceux-ci s’exécutent et quittent la place, laissant se déverser une foule de manifestants pro-Arce dont les clameurs victorieuses résonnent jusqu’à la tombée de la nuit. Le Général Zuñiga, devenu alors instantanément l’homme le plus recherché du pays, est interpellé par les forces spéciales de la police bolivienne devant une caserne de La Paz, en train de donner une interview.

    Avant d’être embarqué, il a juste le temps de déclarer « je n’ai obéi qu’aux ordres du président, c’est lui qui m’a demandé de faire ça pour remonter sa cote de popularité », – propos destinés à jeter le trouble chez de nombreux Boliviens, en particulier ceux qui sont opposés au gouvernement de Luis Arce. Pourtant, cette théorie du complot désormais reprise par une partie de l’opposition bolivienne ne tient pas.

    Un putsch imprévisible ?

    Ce putsch manqué ne peut se comprendre qu’à l’aune des tensions entre l’actuel président Luis Arce dit « Lucho » et son ancien mentor Evo Morales , président de 2006 à 2019 – tous deux membres du « Mouvement vers le socialisme » (MAS), parti de gauche hégémonique en Bolivie. Ces tensions ont fortement polarisé le pays au cours de ces derniers mois. Elles remontent à la fin de l’année 2020, qui voient l’élection de Luis Arce, un an après la destitution d’Evo Morales à la faveur d’un coup d’État .

    [article url=”https://lvsl.fr/des-coups-detat-a-lere-de-la-post-verite/”]

    Alors que nombre d’observateurs ne perçoivent en Arce qu’un président sans envergure, choisi par Evo Morales pour pouvoir être contrôlé, il décide rapidement de prendre ses distances. Il ne nomme aucun soutien de l’ancien président, et critique à plusieurs reprises les « erreurs » commises par ce dernier – en particulier sa volonté de se présenter à un troisième mandat en 2019, l’un des leitmotivs qui avaient mené au coup d’État .

    Evo Morales

    Ces tensions n’ont fait que croître. En décembre 2023, un arrêt du Tribunal suprême interdit à Evo Morales de se présenter aux élections de 2025. Cet arrêt est éminemment polémique car il a été émis par des juges proches de Luis Arce, dont le mandat aurait du être achevé. Arce s’emploie également à évincer Morales de la tête du MAS – par le truchement du même Tribunal suprême.

    Evo Morales n’est pas resté sans réagir. À plusieurs reprises, il a qualifié le gouvernement de Luis Arce de « gouvernement de droite néolibérale » désireux de « commettre un coup d’État ». Ses partisans les plus proches, notamment les cocaleros (cultivateurs de coca) de la région du Chaparé ont déjà menacé de bloquer le pays et de créer le chaos si Morales, était interdit d’élections pour 2025. Des dirigeants syndicaux proches de l’ancien président ont même menacé de « faire couler le sang » si ses droits politiques venaient à ne pas être respectés. À la suite de ces tensions, le président Arce avait d’ailleurs appelé l’armée à le défendre face à de « possibles tentatives de coup d’État », mobilisant par là les hauts gradés, et notamment le Général Zuñiga.

    Alors que l’ensemble des moyens de l’appareil d’Etat sont mobilisés par Arce dans sa lutte son rival, il n’est pas illogique de penser qu’un militaire haut-gradé proche de Luis Arce ait voulu, lui aussi, mobiliser un pan des moyens étatiques – en l’occurrence les forces armées- afin de freiner les ambitions d’Evo Morales. En sortant ainsi de sa réserve et de son rôle constitutionnel, Zuñiga a cependant mis un pied dans l’arène politique, ce qui a pu effrayer Arce, affaibli politiquement par une crise économique d’une certaine ampleur. Une fois Zuñiga démis de ses fonctions, celui-ci se voyait frustré dans son ambition personnelle. C’est l’une des interprétations d’une réplique du général au président lors du dialogue qui les a opposés devant le palais présidentiel : « Je ne peux accepter tant de mépris de votre part après tant de loyauté de la mienne ».

    L’armée bolivienne demeure organiquement liée aux classes supérieures.

    Il faut cependant ajouter que Zuñiga n’aurait probablement pas tenté l’aventure si la situation économique du pays avait été au beau fixe. Depuis début 2023, les réserves de dollars de la Banque centrale de Bolivie (BCB) connaissent un niveau historiquement bas . Les retraits de dollars sont limités à 100 euros par mois. Cette situation est notamment due à la raréfaction le production minière bolivienne, ce qui oblige le pays à importer davantage et préserver sa réserve de dollars.

    Or le billet vert, monnaie internationale, est essentielle pour de les importateurs comme les exportateurs. Cette situation se couple à une inflation qui ne cesse de croître sur certains produits essentiels, provoquant une augmentation sans précédent du commerce de contrebande et une érosion du revenu des ménages. Il est fort probable que Zuñiga ait voulu profiter de ce mécontentement. Cela n’a pas empêché les civils de se ranger du côté des institutions, et non du coup de force.

    Dépolitisation inachevée de l’armée bolivienne

    Le 26 juin se comprend pas mieux à la lueur du rôle historique joué par l’armée depuis l’indépendance du pays. Au XIXème siècle, dans un pays miné par les pertes territoriales à la suite de défaites militaires – région pacifique perdue au cours de la Guerre du Pacifique contre le Chili en 1879, territoires du Chaco perdu dans la Guerre du Chaco contre le Paraguay en 1935 – l’armée devient une institution essentielle, tant pour espérer récupérer un jour les territoires perdus que pour éviter de futures pertes.

    L’armée ne se contente cependant pas d’une fonction purement « externe » : elle entend assumer des prérogatives politiques à l’intérieur du pays. De 1825 jusqu’à 2024, plus de 190 coups d’État ont été tentés en Bolivie – un record à l’échelle continentale. À chaque fois, les « présidents en uniforme » jurent de pacifier et d’unir un pays profondément conflictuel et divisé. La société bolivienne est en effet structurellement fragile, marquée par des conflits ethniques et de classes particulièrement intenses, opposant une mince élite créole – mais détenant l’essentiel des capitaux économiques et culturels – à une majorité indigène paysanne historiquement exclue.

    Ces conflits parcourent le XXème siècle, menant parfois le pays à des situations insurrectionnelles voire révolutionnaires – comme en 1952, qui voit le Mouvement nationaliste révolutionnaire prendre le pouvoir. L’armée bolivienne se charge alors elle-même de réguler ces conflits, principalement en assumant elle-même le pouvoir. Elle le fera de manière quasi ininterrompue de 1964 à 1982 à travers une succession de coups d’État. Dans un pays où les classes moyennes et supérieures sont incapables de proposer un projet d’intégration nationale pouvant inclure l’ensemble des secteurs sociaux, l’armée constitue le seul acteur capable de conserver le pouvoir . Il faut ajouter que l’armée bolivienne demeure une institution organiquement liée à la bourgeoise. Un état des choses entretenu par la mode de recrutement des hauts gradés et aux valeurs d’ordre et d’autorité enseignées dans les collèges militaires .

    A partir de 1982, l’armée bolivienne se retire des affaires civiles et politiques et rentre dans ses casernes. Du moins en apparence. En réalité, l’armée demeure en charge de nombreuses missions de maintien de l’ordre. C’est notamment le cas à la fin des années 1990, lorsque l’armée bolivienne est chargée, conjointement avec la Drug Enforcement Agency (DEA, l’agence anti-drogues étatsunienne), de réprimer les cultivateurs de coca. À partir de l’élection du MAS en 2005, l’armée demeure mobilisée pour assurer ponctuellement des tâches d’ingénierie civile et d’assistance sociale à certains secteurs sociaux. Evo Morales tente d’investir l’armée d’une véritable mission de défense du Proceso de cambio , le programme de transformation sociale et politique engagé par le MAS. Une défense tournée à la fois contre les « ennemis externes » de nature impérialiste, mais aussi contre des « ennemis internes » : l’oligarchie de la région de Santa Cruz qui tente de faire sécession dans les années 2000 bien sûr, mais plus largement, les acteurs qui tenteraient de déstabiliser le gouvernement.

    Cette dépolitisation inachevée de l’armée bolivienne a brutalement resurgi à la faveur du coup d’État de 2019 . À la suite de plusieurs semaines de manifestations violentes organisées par des groupes civiques contre le gouvernement d’Evo Morales – ces derniers l’accusant de fraude électorale – le chef d’état-major des armées de l’époque William Kaliman avait alors décide alors d’outrepasser son rôle constitutionnel et d’intimer à Evo Morales l’ordre de renoncer au pouvoir. Pendant plusieurs semaines, et malgré la prise du pouvoir anticonstitutionnelle de la vice-présidente du Sénat, Jeanine Añez , l’armée détenait de facto les pleins pouvoirs en terme de maintien de l’ordre. Appuyée par l’oligarchie et par des groupuscules de droite issus notamment de la région de Santa Cruz et de Cochabamba, l’armée avait activement réprimé les partisans d’Evo Morales. À Sacaba, ville-banlieue de Cochabamba et à Senkata, un quartier d’El Alto, la métropole indigène qui surplombe La Paz, les militaires font feu et tuent plus de 60 personnes.

    Dans le même temps, de nombreux militaires retirent symboliquement la Wiphala – le drapeau qui représente la majorité indigène quechua et aymara du pays – en signe d’allégeance au nouveau régime. La tentative de coup d’État du Général Zuñiga du 26 juin 2024, comme celui de 2019, révèle ainsi que l’armée bolivienne, institution historiquement élitaire et anti-démocrate, n’a pas achevé son processus de dépolitisation.

    Reste maintenant à déterminer si les événements du 26 juin ne sont que les premières secousses d’un tremblement de terre à venir, ou si les plaques tectoniques de la démocratie bolivienne finiront par s’assembler de nouveau.

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      Javier Gerardo Milei : diable ou sauveur du libéralisme ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 21 April, 2023 - 03:20 · 3 minutes

    Tel un diable sorti d’une boîte, Javier Gerardo Milei surgit sur la scène politique argentine sous le drapeau du libéralisme. Une très bonne nouvelle dans un pays dominé par les péronistes, une mafia politique vaguement keynesienne et franchement calamiteuse associée à des syndicats puissants.

    S’il était élu à l’élection présidentielle du 22 octobre prochain, hypothèse incertaine mais pas impossible, Milei introduirait un choc libéral inédit dans un pays de tradition autoritaire.

    Cet homme de 52 ans dont le parti s’appelle La Libertad Avanza ( « La liberté avance » ) rassemble actuellement 17 % des intentions de vote et se trouve en troisième position derrière Frente de Todos, (« Le Front de tout le monde »), l’organisation péroniste qui n’a toujours pas désigné son candidat en raison des bisbilles habituelles entre Cristina Kirchner et le président Alberto Fernández (25 %), et Juntos por el Cambio (« Ensemble pour le changement »), une coalition qui rassemble les fidèles, mais aussi les déçus de l’ancien président Mauricio Macri (27 %).

    Face à ces adversaires, Milei tranche non seulement par ses idées, mais aussi par son comportement. Très demandé sur les chaînes de télévision et soutenu principalement par de jeunes électeurs de moins de trente ans, le candidat libéral (que la gauche qualifie d’extrême droite) apparait sur les plateaux tout de cuir vêtu, un regard perçant et une masse de cheveux bruns coiffée comme un casque. Il dénonce les politiciens qu’il traite de « rats » formant « une caste de parasites » et insulte tout interlocuteur qui n’est pas d’accord avec lui. « Zurdos de mierda », leur dit-il, « gauchistes de merde ».

    Son programme est radical

    Suppression de la Banque centrale, privatisation des monnaies (et espérance déclarée du retour du dollar américain), mais aussi un tantinet complotiste. Il croit à la théorie du « marxisme culturel » qui prétend qu’un complot d’intellectuels marxistes venu de « l’école de Francfort » s’active à saper les sociétés occidentales, leurs valeurs chrétiennes et leur conservatisme traditionnel.

    Pour lui, le réchauffement climatique, le féminisme et le mouvement LGTB sont au cœur de ce « marxisme culturel ». Cette théorie n’est cependant pas exempte de relents antisémites totalement étrangers au libéralisme.

    D’où la question de savoir si Milei est un vrai libéral ou s’il raconte n’importe quoi. Pour un libéral, il est toujours difficile de questionner le libéralisme des autres. Mais Milei démontre dans ses choix un certain autoritarisme et des erreurs de jugement.

    Par exemple, il considère que Carlos Menem a été le meilleur président de l’Argentine. Or ce dernier, au pouvoir de 1989 à 1999, était un politicien notoirement corrompu et condamné en 2015 à quatre ans et demi de prison auxquelles il échappera grâce à son immunité parlementaire. Par ailleurs, au début de son premier mandat, Menem a autorisé la parité entre le peso argentin et le dollar américain, une tragique illusion qui a fait baisser l’inflation et a attiré des capitaux étrangers, mais ce faisant a créé une énorme « bulle » financière qui éclatera en l’an 2000 et que l’Argentine continue à payer très cher. Dans une tribune dans El Pais , Mario Vargas Llosas avait écrit que les réformes de Menem « étaient un rideau de fumée cachant la corruption ».

    Milei s’égare donc avec Menem mais avance tout de même des propositions libérales. Ce célibataire ne pense rien de bon du mariage, mais ne s’oppose pas au mariage gay. Il se montre libéral également face à la prostitution qu’il considère « un service comme un autre ». Mais il condamne l’avortement par un raisonnement spécieux affirmant que si la femme est propriétaire de son corps, celui de son futur enfant est un « autre corps » qui ne lui appartient pas. Il est par ailleurs en faveur du port d’armes, sujet délicat pour les libéraux.

    Il est jugé essentiel par certains libertariens, mais le libéralisme classique peut l’estimer contraire au contrat social qui réserve à l’État le monopole de la force. Le libre usage des armes aux États-Unis induit des massacres réguliers commis dans des collèges ou des supermarchés pour de sombres raisons n’ayant rien à voir avec la défense de nos libertés.

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      Un employé déprimé parmi des étagères vides, reflet du malheur de Cuba

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 19 January, 2023 - 03:40 · 2 minutes

    Par Juan Diego Rodríguez et Olea Gallardo.
    Un article de 14ymedio

    Il y a quelques années, à l’occasion d’une de ces divertissantes conférences TED qui se répandent comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux, Barry Schwartz a popularisé l’expression « le paradoxe du choix » qui peut se résumer ainsi : choisir entre trop d’options produit de la paralysie et de l’insatisfaction, ce qui peut provoquer une sorte de stress très négatif dans les sociétés industrielles modernes.

    Rien de tout cela n’arrivera aux clients du magasin Panamericana des avenues Rancho Boyeros et Camagüey, à La Havane, où les rayons semblaient presque complètement vides ce lundi.

    « Comment ça se fait que ce soit comme ça ! » , s’étonne un client, l’un des rares du magasin à exiger un paiement en monnaie librement convertible (MLC).

    Un employé lui répond en soupirant de résignation : « Vous voyez comment c’est ? La dernière fois qu’il y a eu un assortiment plus ou moins décent ici, c’était en décembre et nous sommes comme ça depuis. »

    Sur les étagères, il n’y avait pratiquement pas de produits très chers que les clients n’ont pas l’habitude d’acheter, comme du bœuf inabordable pour le Cubain moyen, ou des munchies de Noël à 16 MLC, ou encore l’occasionnel paquet de haricots froissé et cher.

    Finies les images de l’ establishment où les réfrigérateurs semblaient pleins et où les files d’attente à la porte s’étendaient sur quatre pâtés de maisons. C’était en juillet 2020, juste après que le gouvernement a annoncé la vente de nourriture et de toilettes en MLC, une mesure sévèrement critiquée par la population, dont une grande partie n’a pas accès aux devises étrangères.

    Bien qu’un an plus tard, ce même marché, l’un des plus importants de la capitale avec Cuatro Caminos , à Centro Habana, et 3rd and 70th, dans la municipalité de Playa, était en crise en raison de pénuries, il ne peut être comparé à son état actuel. .

    « Il n’y a rien, c’est dépouillé, allons-y « , commente un couple entre eux.

    Pour expliquer le « paradoxe du choix », il existe des études scientifiques qui parlent, par exemple, des dommages d’une « surcharge d’alternatives » dans le cerveau s’il y a beaucoup d’options à choisir. Grâce à la Révolution, le cerveau des Cubains est en sécurité.

    Traduction Contrepoints

    Sur le web

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      Leonel Fernández : « De la diplomatie du dollar à une relation d’égal à égal »

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Thursday, 29 December, 2022 - 20:05 · 6 minutes

    Nous avons rencontré Leonel Fernández, président de la République dominicaine à trois reprises (1996-2000, 2004-2008, 2008-2012). Il revient dans cet entretien sur l’histoire de son pays, marquée du sceau de l’impérialisme américain. Sur les défis géopolitiques de l’Amérique latine et l’intégration régionale, à laquelle il cherche à contribuer en s’investissant dans le Grupo de Puebla . Et sur sa propre présidence, caractérisée par des relations cordiales aussi bien avec les États-Unis de Barack Obama que le Venezuela de Hugo Chávez.

    LVSL – Votre pays possède une longue histoire conflictuelle à l’égard des États-Unis. À quand cela remonte-t-il, et quels ont été les principaux épisodes de friction ?

    Leonel Fernádez – L’émergence des États-Unis comme empire remonte à la fin du XIXème siècle. L’impérialisme s’est étendu via la diplomatie du dollar , sous la présidence de William Howard Taft. Il s’est servi de la dette contractée par notre peuple. Initialement, c’est auprès d’institutions financières européennes que la République dominicaine était endettée. Puis, ce sont les Américaines qui sont devenus les créanciers de la République dominicaine, de Haïti, du Nicaragua, etc.

    Il faut rappeler à quel point la situation politique de ces pays était chaotique : il ne s’agissait pas de démocraties consolidées. Un état de guerre civile permanent subsistait. Les risques de défaut sur la dette ont fourni une justification à l’occupation militaire des États-Unis. Bien sûr il s’agissait d’un prétexte, d’une instrumentalisation de la diplomatie du dollar pour déployer une force militaire.

    En 1965, nous avons subi une nouvelle occupation de la part des États-Unis. Elle faisait suite à une insurrection populaire commencée dix ans plus tôt, que nous avons nommée Révolution d’avril . Elle était dirigée contre un groupe putschiste qui avait renversé le gouvernement démocratiquement élu de Juan Bosch. Celui-ci incarnait des demandes démocratiques et sociales largement partagées par la population dominicaine mais a été pointé du doigt comme communiste . Cela a fourni une justification à son renversement par la caste militaire, des secteurs de l’Église catholique et les États-Unis dirigés par John F. Kennedy. Celui-ci ne souhaitait pas que la République dominicaine se convertisse en un second Cuba.

    Raison pour laquelle nous avons été envahi en 1965… alors que nous n’avons jamais conçu cette révolution comme socialiste. Nous souhaitions simplement que Juan Bosch revienne au pouvoir. Il n’avait rien d’un communiste, c’était un démocrate progressiste avec des vues amples sur les questions sociales. C’était également un grand intellectuel et un grand écrivain, important pour l’identité nationale dominicaine.

    Regardez ce qui s’est passé en Europe après 2008 : à cause de l’euro, seule l’Allemagne a pu sortir sans douleur de la crise. Regardez le sort terrible qui a été réservé à la Grèce : il montre bien le péril que représente une monnaie unique.

    Aujourd’hui, 10% de la population dominicaine vit aux États-Unis. C’est une population bi-culturelle, bien intégrée. Raison pour laquelle nous souhaitons avoir des relations apaisées avec les États-Unis, constituée notamment d’échanges culturels, scientifiques, universitaires. Ce, malgré ce passé sombre.

    LVSL – Les relations se sont-elles améliorées avec les États-Unis ?

    LF – Du fait des occupations militaires, il existait un sentiment anti-impérialiste très fort dirigé contre les Américains. Le parti auquel j’appartenais, fondé par Juan Bosch, s’intitulait Parti de la libération dominicaine – libération contre une forme de domination impériale. J’ai baigné dans une atmosphère de nationalisme révolutionnaire. De nombreuses voies – celle de la révolution armée, notamment – ont constitué une impasse. Seule l’option électorale a abouti.

    Et je pense que les temps ont changé. De par notre proximité géographique, nous nous situons nécessairement dans la sphère d’influence des États-Unis. Une grande partie du tourisme des investissements, viennent des États-Unis – dans une moindre mesure, du Mexique. La géographie s’impose : nous devons nous entendre avec les États-Unis.

    LVSL – L’idée d’une monnaie commune pour le sous-continent, visant à libérer l’Amérique latine du dollar, a été défendue par plusieurs leaders progressistes, notamment par Lula. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

    LF – C’est une question complexe. L’Amérique latine est en crise. Avoir une monnaie commune avec des pays si différents n’est pas chose que l’on pourrait facilement instituer. Il faudrait passer outre la résistance des banques centrales de chaque pays. Je dirais donc que c’est une option à discuter plus en détails.

    Il faut prêter attention à un phénomène important en matière monétaire : celui des crypto-monnaies. Je les perçois comme une réaction du secteur privé face au monopole des États en matière monétaire. J’y vois le dernier visage du néolibéralisme : il s’agit de la privatisation du privilège régalien de battre monnaie. Certains États ont répliqué, avec justesse, en instituant des moyens de paiement électroniques. Une éventuelle monnaie commune devrait prendre en compte cette révolution numérique.

    Je ne crois pas que le futur de l’Amérique latine réside dans la mise en place d’une monnaie unique. Regardez ce qui s’est passé en Europe après 2008 : à cause de la monnaie unique, seule l’Allemagne a pu sortir sans douleur de la crise. Regardez le sort terrible qui a été réservé à la Grèce : il montre bien le péril que représente une monnaie unique.

    LVSL – En tant que président, vous avez vécu une période constituée par d’importants projets d’intégration régionale, portés notamment par le président vénézuélien Hugo Chávez et le président brésilien Lula da Silva. Quel rôle a tenu la République dominicaine ?

    LF – Nous avons joué un rôle sous-régional, qui correspond à notre ancrage caribéen. Nous entretenons des liens étroits avec la communauté caribéenne (CARICOM), et nous sommes membres de l’association des États des Caraïbes (AEC).

    Le président vénézuélien Hugo Chávez (1999-2013) et Leonel Fernádez © PSUV

    À une échelle plus large, nous sommes membres du système d’intégration d’Amérique centrale (SICA) de la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes (CELAC). Nous avons ainsi adhéré à toutes les organisations dans lesquelles nous pouvions jouer un rôle significatif, pour promouvoir une identité latino-américaine dans une optique d’intégration.

    Il faut ajouter que nous avons été exclu de plusieurs programmes d’aide internationale depuis que nous avons acquis le statut de pays à revenu moyen – les aides se focalisant sur les pays à faibles revenus.

    LVSL – L’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA), menée par Cuba et le Venezuela, demeure l’organisation régionale la plus « politique » de cette période. Pourquoi la République dominicaine n’en est-elle pas devenue membre sous votre présidence ?

    LF – Ce n’était pas une organisation qui correspondait à notre zone géographique, ou dans laquelle nous aurions pu jouer un rôle significatif.

    En revanche, nous avons été membres de Petrocaribe, une organisation très importante pour la République dominicaine. Elle est née d’un geste de solidarité du président Hugo Chávez. L’idée était de permettre aux pays-membres d’avoir accès au pétrole à un prix préférentiel : le Venezuela nous le fournissait à 40 % en-dessous du prix du marché. Cela a beaucoup joué dans la stabilité macro-économique de la République dominicaine sous ma présidence.

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      Brésil : quel tournant pour le bolsonarisme ?

      The Conversation · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 4 November, 2022 - 03:50 · 8 minutes

    Par Bruno Ronchi et Lucas Camargo Gomes.

    Lula vient de remporter d’une courte tête le second tour de l’élection présidentielle au Brésil face au président sortant, Jair Bolsonaro, à l’issue d’une campagne émaillée de troubles jusqu’au dernier jour .

    Cette campagne extrêmement tendue aura confirmé l’emprise durable du bolsonarisme sur la société brésilienne.

    En effet, malgré la résurgence de l’insécurité alimentaire, les presque 700 000 décès provoqués par la pandémie de Covid-19 et la hausse de la déforestation , Jair Bolsonaro et son gouvernement ont conservé tout au long de son mandat une forte popularité auprès d’une partie importante de la population. Le dernier sondage Datafolha organisé avant le scrutin indiquait que 38 % des Brésiliens considéraient le gouvernement « bon » ou « très bon », tandis que 22 % le jugeaient « moyen » et 39 % « mauvais » ou « très mauvais ».

    Si le débat reste ouvert, les recherches en cours montrent que l’adhésion aux idées bolsonaristes peut s’expliquer par plusieurs facteurs, le premier étant la stratégie de communication du désormais ex-président . Malgré les critiques récurrentes des médias traditionnels à l’égard de Bolsonaro et de son gouvernement, le bolsonarisme parvient à créer un circuit d’informations indépendant, étendu et perméable, notamment sur Internet.

    Envers et contre tous

    Le contenu reproduit par ces moyens de diffusion contribue lui aussi au maintien du bolsonarisme. Malgré ses divergences internes, le discours bolsonariste conçoit le leader et ses partisans comme des soldats dans la lutte contre « le système ». Ce « système » comprend, entre autres, les établissements d’enseignement supérieur, les institutions judiciaires, les ONG nationales et internationales, et même les Nations Unies.

    De ce fait, toute critique émanant de ces institutions et de leurs membres voit sa légitimité remise en cause, ce qui contribue à justifier les difficultés que rencontre le gouvernement dans la mise en œuvre de ses politiques.

    En outre, le discours bolsonariste insiste sur la nécessité de moraliser la société brésilienne . Cette moralisation ravive la mémoire des scandales de corruption qui ont éclaté durant les gouvernements du Parti des travailleurs et exalte les valeurs traditionnelles – comme en témoigne le slogan bolsonariste souvent répété, « Dieu, patrie et famille ». Dans ce contexte, l’utilisation de symboles nationaux et religieux renforce l’effet de moralisation, éveillant des sentiments tels que la peur et la haine.

    De surcroît, il est important de souligner le soutien économique et moral apporté à Bolsonaro par certains secteurs, comme une partie des Églises évangéliques (en particulier pentecôtistes), de l’agrobusiness, du monde de l’entreprise, de la police et de l’armée.

    Une représentation restreinte du peuple

    L’enracinement du bolsonarisme dans la société brésilienne passe dans une large mesure par la construction d’une certaine représentation du peuple. Reposant sur la figure du « bon citoyen », le peuple que Bolsonaro et son camp entendent représenter se construit avant tout par opposition aux représentations faites de l’ennemi commun bolsonariste, incarné par la gauche.

    Dans une perspective de lutte du bien contre le mal, les autres sont ici les « vagabonds », qu’ils soient intérieurs – tous ceux qui menaceraient l’intégrité des Brésiliens et de leurs familles – ou extérieurs – en ce sens, les nombreuses comparaisons avec les pays d’Amérique latine gouvernés par des partis de gauche servent à mettre en garde contre leur retour au pouvoir.

    Dans ce contexte, Lula apparaît comme la personnification de cette contre-image, soudant le « nous » bolsonariste autour d’un rejet profond. On lui attribue notamment la volonté de détruire les familles brésiliennes – sur fond de lutte contre « l’idéologie du genre », associée à la « sexualisation des enfants » – et de persécuter les chrétiens, au risque de voir leurs temples fermés – en invoquant l’exemple du Nicaragua .

    Panique morale autour de Lula

    On fustige également les politiques de lutte contre la pauvreté mises en œuvre par le Parti des Travailleurs en y voyant une forme de manipulation électorale – même si Bolsonaro cherche à mettre en avant sa propre « générosité » à l’égard des bénéficiaires de ces mêmes politiques. De plus, on présente Lula comme le candidat  du « système », soutenu à la fois par les grands médias et par les institutions chargées de réguler les élections – en particulier le tribunal suprême fédéral , représenté dans la personne de son président, le ministre Alexandre de Moraes.

    Avec la panique morale créée autour du camp Lula, se développe l’idée que le Brésil est spirituellement malade, car dominé par des forces maléfiques. Bolsonaro apparaît alors comme le seul à pouvoir lutter contre ces forces et à « guérir » le Brésil en le débarrassant d’un système profondément corrompu.

    Ce discours sous-tend une forme de rapprochement avec les électeurs, marquée par la mise en valeur de l’authenticité et de la simplicité comme des qualités intrinsèques du leader et du peuple qu’il entend représenter. L’emploi de termes vulgaires, la revendication du sens commun contre un certain intellectualisme perçu comme élitiste, ou encore son style vestimentaire traduisent une représentation quelque peu caricaturale du « citoyen ordinaire ».

    Le poids de l’électorat populaire

    D’après les derniers sondages (Datafolha, 28 octobre 2022), les électeurs dont le revenu familial est inférieur ou égal à deux smic brésiliens (environ 460 euros) ont tendance à voter pour Lula (61 % Lula, 33 % Bolsonaro). Cet écart se reproduit dans la plupart des strates où les classes populaires sont majoritaires, comme parmi les électeurs qui se déclarent noirs (60 % contre 34 %), les moins diplômés (60 % contre 34 %) et ceux qui habitent dans la région du Nord-Est, la plus pauvre du Brésil (67 % contre 28 %). Malgré cela, dans un pays où 48 % des électeurs ont un revenu familial inférieur ou égal à deux smic, le soutien de l’électorat populaire reste fondamental pour le maintien du potentiel électoral de Bolsonaro.

    Ce potentiel peut s’expliquer en partie par l’appui dont il bénéficie auprès des évangéliques . Pour autant, le camp évangélique, qui en 2018 était fortement favorable à Bolsonaro (près de 70 % des voix), est devenu aujourd’hui un camp disputé , comme le souligne Esther Solano. Cette professeure de relations internationales à l’Université fédérale de São Paulo observe que certains fidèles manifestent leur insatisfaction quant à l’instrumentalisation de leur religion à des fins politiques et note l’existence de ce qu’elle appelle le « pentecôtisme oscillant » entre Lula et Bolsonaro. Selon la chercheuse, une partie des fidèles des Églises pentecôtistes regrettent d’avoir soutenu Bolsonaro, soit en raison du manque de prise en charge de la population pendant la pandémie, soit en raison de leur désespoir économique.

    Outre les questions religieuses, le discours bolsonariste paraît trouver une certaine résonance dans la révolte des classes populaires face à la criminalité – plus intense dans la périphérie des grandes villes et dans les zones rurales. Face à cette colère, la réponse est une proposition répressive, que ce soit par la police ou par les citoyens – devenant alors libres de porter des armes à feu.

    De plus, le discours bolsonariste met en valeur l’importance de la corruption comme clé explicative de tous les problèmes. Cela contribue à la construction d’une image de l’État en tant qu’obstacle à l’épanouissement individuel et collectif – raison pour laquelle, de ce point de vue, les fonctions publiques devraient être confiées au secteur privé, affirmait Paulo Guedes, le ministre de l’Économie de Bolsonaro.

    Les effets à long terme

    Au vu de l’enracinement bolsonariste dans la société brésilienne, il est important d’envisager les effets à court et à long terme qu’il a produits sur cette jeune démocratie. Les attaques incessantes dirigées vers les autres pouvoirs, en particulier la Cour suprême, accentuent la méfiance à l’égard des institutions dont la mission est de sauvegarder l’État de droit. Ancré dans la Constitution de 1988, dont la promulgation scelle la fin de la dictature militaire, ce cadre institutionnel affichait des signes de corrosion bien avant l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir.

    Face à la succession de crises et de reconfigurations survenues depuis la dernière décennie, marquée par la destitution de Dilma Rousseff en 2016, ainsi que par de nombreux scandales de corruption, le mécontentement généralisé devient de plus en plus palpable. Le bolsonarisme apparaît alors comme l’expression de l’antipolitique , partant de l’idée que tous ceux qui se soumettent au système sont corrompus. Une construction non dépourvue de contradictions – étant donné la longue trajectoire de l’ancien capitaine en tant que député, et surtout le fait que lui aussi est amené à faire alliance avec de vieilles forces politiques pour se maintenir au pouvoir –, mais très puissante dans une société traversée par des scandales et un certain discours moralisateur.

    Les scénarios qui se dessinent pour l’avenir de la démocratie brésilienne ne laissent pas entrevoir un « retour à la normalité démocratique » facile à opérer. Le phénomène observé actuellement se caractérise bien davantage par la déstructuration d’un cadre institutionnel historiquement situé qui montrait déjà ses limites.

    Même si la victoire de Lula était acceptée par Bolsonaro et ses partisans, il faudrait un travail de fond du nouveau gouvernement pour se réadapter aux nouvelles méthodes d’action politique, face à une opposition bolsonariste qui sera sans doute féroce et déterminée à revenir au pouvoir au plus vite.

    Bruno Ronchi , Doctorant en science politique, Université de Rennes 1 et Lucas Camargo Gomes , Doctorant en sociologie, Université Federal du Paraná, Universidade Federal do Paraná (Brazil)

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons . Lire l’ article original .

    The Conversation

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      La fracture existentielle qui sépare le Brésil en deux

      Michel Faure · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 1 November, 2022 - 04:20 · 4 minutes

    Luíz Inácio Lula da Silva, élu de justesse (50,9 % des voix) le 30 octobre 2022, va présider deux Brésil irréconciliables : le sien et celui de Jair Bolsonaro, son adversaire et mauvais perdant (49,1 % des voix).

    Le premier promet l’illusion d’un retour au passé, celui d’un socialisme tropical assez inopérant, dépensier et solidaire avec des dictatures locales comme Cuba ou le Vénézuéla , mais aussi plus lointaines, avec la Russie et la Chine, cette dernière étant devenue son premier et encombrant partenaire commercial depuis 2009. Un passé par ailleurs révolu, alors que le présent annonce une récession mondiale, et pas très glorieux aussi pour avoir été entaché par la corruption et l’inaptitude à investir à long terme dans les infrastructures, l’industrialisation, les écoles et la santé.

    Le pays bénéficiait pourtant alors du boom des matières premières et des échanges commerciaux, et Lula en a profité pour subventionner les pauvres, ce qui suggère une empathie envers ces derniers – lui-même eut une enfance misérable -, mais aussi un clientélisme bien brésilien. Les pauvres sont les plus nombreux, et ils votent. Lula dit vouloir créer des emplois pour relancer l’économie. Mais avec quel argent ?

    Il exprime également son désir de préserver ce qui reste de l’Amazonie, mais en a-t-il les moyens ? Jadis farouche adversaire du projet de Washington d’une zone de libre commerce des Amériques, il va sans doute tenter de revitaliser sa diplomatie Sud-Sud et chercher à dominer l’arc de la gauche latino américaine, désormais articulé autour de Cuba, du Mexique, du Nicaragua, du Vénézuela, de la Colombie, du Pérou, de l’ Argentine et du Chili .

    Lula va également relancer les BRICS, une association dont l’intérêt reste à prouver. Brésil et Inde se retrouvent ainsi liés à une dictature communiste , la Chine, à une Russie soviétisée et belliqueuse, enfin à l’Afrique du Sud, démocratie à la probité problématique.

    Durant sa présidence, Jair Bolsonaro , ancien militaire et député obscur, ne s’est pas révélé un grand champion de la démocratie, et n’a pas non plus inventé l’eau tiède. Comme Lula, il fait référence au passé, mais un passé radicalement différent quand il chante les louanges d’une longue dictature militaire (1964-1985) au bilan économique calamiteux qui laissa à la démocratie renaissante une inflation à trois chiffres et un bilan humain désolant.

    Bolsonaro, traditionaliste radical, fervent évangéliste hostile à l’avortement, se présente comme le défenseur de la famille et de la liberté. Il a fait campagne en 2017 sur un programme économique très libéral, avec aux manettes un vieux banquier « Chicago Boy », Paulo Guedes, qui promit de déréguler  l’économie, privatiser des entreprises publiques, instaurer une flat tax et une réforme des retraites, alors extraordinairement inégalitaires. C’est finalement la seule réforme qui sera accomplie. La pandémie de la covid – que Bolsonaro traite de grippette pour ne pas entraver l’économie – met la politique entre parenthèses et frappe le Brésil, causant la mort de 600 000 personnes.

    À l’heure où sont écrites ces lignes, Bolsonaro n’a pas encore accepté sa défaite et reste silencieux. Dans un pays de 215 millions d’habitants, seuls deux millions de voix lui ont manqué. Il a perdu, mais avec un score honorable. Le sera-t-il, lui aussi ? Ou va-t-il refuser sa défaite et menacer le pays d’un coup d’état militaire dont on peut espérer qu’il n’aura pas lieu, mais qui doit inquiéter.

    La fracture du Brésil

    Le Brésil est cassé en deux, non pas entre les riches et les pauvres, ni entre les blancs et les autres, ou le sud contre le nord. La fracture est existentielle.

    Les partisans de Bolsonaro, parmi lesquels se trouvent de nombreux déçus de Lula, veulent la sécurité, la défense de leurs droits, voient la famille comme le réseau essentiel de la vie et du bonheur. Ils croient à la liberté d’entreprendre et à la défense de la propriété. Beaucoup sont croyants, et parmi eux, nombreux sont évangélistes. Tout cela ressemble à une classe moyenne conservatrice, mais en réalité elle se sent fragile, craint de tomber dans la pauvreté, laquelle est une réalité, et souvent un souvenir familial. Son inquiétude la conduit à chercher une autorité qui prône la main ferme et la foi en Dieu. De telles caractéristiques forment un Brésil idéal. Un Brésil d’extrême droite ? Je le vois plutôt conservateur.

    Les fidèles de Lula ont eux aussi une vision essentialiste de la gauche. Ils se souviennent de la générosité des subsides de Lula, de son charisme d’ancien ouvrier champion des pauvres et des démunis.L’emprisonnement de Lula pour corruption ne fut pas pour eux la justice rendue, mais un piège tendu par la droite. Dès lors, Bolsonaro est vu comme un militariste obtus, un personnage détestable et dangereux, ami de l’agro-business prêt à dévorer la forêt amazonienne .

    On voit mal ces « deux Brésil »  se réconcilier un jour alors que chacun d’eux incarne un pays singulier. Le rapport de force est équilibré, ce qui risque d’attiser des affrontements. Bolsonaro bénéficie de la majorité au Congrès et du soutien de nombreux gouverneurs de région. Lula a le peuple avec lui, lequel se voit, lui aussi, en incarnation d’un Brésil idéal.

    La désillusion, d’un côté comme de l’autre, est pour bientôt.

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      Au Chili, la menace d’un refus plane sur la nouvelle Constitution

      news.movim.eu / Mediapart · Tuesday, 16 August, 2022 - 11:14


    Face aux crispations sur certains points de la nouvelle Constitution, le gouvernement chilien prévoit déjà des réformes au texte en cas d’adoption par référendum le 4 septembre. Une position défensive qui témoigne de l’étroitesse du chemin vers la victoire du «oui».
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      En Colombie, Francia Márquez, première afro-descendante à la vice-présidence, suscite attentes et espoirs

      news.movim.eu / Mediapart · Sunday, 7 August, 2022 - 09:20


    Francia Márquez entre en fonctions aux côtés du nouveau président Gustavo Petro dimanche 7 août. Cette femme noire et activiste écoféministe a promis d’«éradiquer le patriarcat» en Colombie et de lutter contre les discriminations, mais les écueils seront nombreux.
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      A Cuba: l'explosion d'un hôtel de luxe à La Havane fait plus d'une vingtaine de morts

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Saturday, 7 May, 2022 - 08:37 · 1 minute

    LA HAVANE - Le bilan est encore provisoire, mais déjà lourd. Les quatre premiers étages de l’hôtel Saragota de la Havane (la capitale de Cuba ), classé 5 étoiles ont été soufflés par une explosion liée à une fuite de gaz. “Les premières constatations indiquent que l’explosion a été provoquée par une fuite de gaz”, a précisé sur Twitter le compte de la présidence cubaine.

    Au 7 mai, 22 morts sont à déplorer ainsi qu’une cinquantaine de blessés.

    L’hôtel de luxe était en travaux lors de la déflagration et aucun touriste ne s’y trouvait selon les autorités. Les victimes sont principalement des ouvriers qui y travaillaient alors. Quelques minutes après la déflagration, un épais nuage de fumée et de poussière s’étendait sur l’avenue du Prado, où se trouve cet établissement, à deux pas du célèbre Capitole.

    Il y a eu “une énorme” explosion et “un nuage de poussière qui est arrivé jusqu’au parc (en face de l’hôtel, NDLR), beaucoup de gens sont sortis en courant”, a témoigné à l’AFP Rogelio Garcia, conducteur d’un vélotaxi qui passait devant le Saratoga au moment du drame.

    Une dizaine d’ambulances et cinq véhicules de pompiers ont été mobilisés. Plusieurs véhicules ont également été détruits à proximité de cet hôtel connu pour avoir hébergé ces dernières années plusieurs célébrités dont Mick Jagger, Beyoncé et Madonna. Construit en 1880 pour y abriter des magasins, l’immeuble avait été transformé en hôtel en 1933 et rénové afin d’en faire établissement de luxe en 2005.

    À voir également sur Le HuffPost: À Cuba, le gouvernement veut “défendre la révolution coûte que coûte” face aux manifestants