Dans le cadre du mois de la petite enfance organisé par la mairie écologiste de Bordeaux jusqu’au 11 février prochain, la bibliothèque municipale Mériadeck offre un grand nombre d’animations sur le thème de l’égalité filles-garçons. Parmi elles, un atelier maquillage destiné aux enfants à partir de 18 mois provoque la polémique : il est animé par Serge, un drag queen, autrement dit un homme ostensiblement travesti en femme. Tous les parents ne voient pas d’un bon œil le fait que leurs très jeunes enfants soient exposés à une sexualité aussi assumée et « spectaculaire ».
La mairie de Bordeaux se défend : « Ces artistes savent s’adapter à leur public. On veut juste montrer qu’on peut faire les choses parce qu’on a envie de les faire et pas en fonction des stéréotypes. » L’idée est en effet de proposer aux enfants de se maquiller, à l’instar de Serge, quel que soit leur sexe.
Une question de contexte
Que les petits garçons aient la possibilité de se maquiller comme les petites filles n’est pas choquant en soi ; s’ils en ont envie, pourquoi les en empêcher ?
L’initiative devient critiquable si on la replace dans son contexte : un atelier sur l’égalité des sexes. L’égalité passe-t-elle par la transformation ? Les individus sont-ils plus égaux lorsqu’ils se ressemblent ? Faut-il gommer les différences pour disposer des mêmes droits, des mêmes devoirs, des mêmes possibilités ? Le personnel de la bibliothèque présuppose que l’on ne respecte que ce que l’on a expérimenté soi-même. Un garçon n’ayant jamais souligné son regard d’un trait de kohl ne peut-il pas comprendre et respecter les femmes ? Étrange tout de même…
Par ailleurs, on sait bien que la majorité des enfants n’aiment pas être exposés à la sexualité des adultes.
Qu’un mini-couple totalisant huit ans à deux joue à « touche-pipi » ou s’embrasse sur la bouche ne signifie pas qu’il a envie de comprendre la sexualité des adultes qui l’entourent. Les enfants vont à leur rythme. Il faut leur laisser le temps d’explorer. C’est aussi à cela que servent les livres : les petits lecteurs s’en saisissent, les feuillettent et les referment lorsque les textes ou illustrations les mettent mal à l’aise. Comment peuvent-ils échapper à une animation devant laquelle ils sont placés par des adultes dont on peut se demander au passage quelle est la motivation profonde…
Cet atelier n’étant pas proposé dans le cadre scolaire, rien n’oblige les parents bordelais à y inscrire leurs enfants.
Mettons donc de côté pour un moment les questions psychologiques et éducatives pour nous intéresser à quelques considérations financières : avec ses 27 000 m 2 , la bibliothèque Mériadeck est l’une des plus grandes bibliothèques municipales de France. Elle doit son nom au prince cardinal de Rohan, Ferdinand Maximilien Meriadec, archevêque de Bordeaux, qui offrit des terres à la ville. Elle dépense plus de 11 millions d’euros chaque année pour des recettes de 66 000 euros… Chaque Bordelais contribue donc à hauteur de plus de 40 euros par an au fonctionnement de cette bibliothèque. Cela représente plus de 200 euros pour une famille de 5 personnes… Partir du principe que toutes les familles bordelaises sont d’accord de consacrer cette somme à des choix culturels aussi marqués me semble pour le moins risqué et malhonnête.
Au grand dam des idéologues de tout poil, l’écrasante majorité des parents souhaitent que leurs enfants aient accès aux œuvres classiques. Ils sentent bien que l’édification se fait par la lecture des contes de fées, des fables de La Fontaine et des nouvelles de Maupassant, non par des ateliers verts, égalitaires et citoyens. On risque de les pousser à l’exaspération comme dans l’État du Montana aux États-Unis où l’on projette d’ interdire les « lectures drag » dans les bibliothèques recevant de l’argent public.
L’argent public ne doit servir aucun Dieu
Je ne vis pas à Bordeaux mais j’ai arrêté de fréquenter la bibliothèque de ma ville lorsque j’ai compris qu’on avait envoyé Shakespeare croupir à la cave pour le remplacer par un rayon enfants « cote 300 – Vivre ensemble » comprenant notamment : Je ferme le robinet ; J’ai deux papas qui s’aiment ; Amin sans papiers ; Voyage au pays du recyclage . Si des bibliothécaires souhaitent véhiculer leurs choix de société par l’intermédiaire des lectures et animations, qu’ils le fassent dans un cadre privé. Chacun choisira alors de payer pour un catalogue féministe, écologiste ou cancel-culturiste. L’argent public ne doit servir aucun Dieu.
Il reste la question du happening : une bibliothèque n’est pas une salle de spectacle !
Elle est un lieu de concentration. Comment entrer dans les langues de Montaigne, de Montesquieu ou de Mauriac, pour ne prendre que les « 3 M » bordelais, en étant cerné par des ateliers maquillage, papier mâché ou frissons ?
Georges Bernanos écrivait :
« On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas tout d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ».
Les bibliothécaires ont finalement rejoint la conspiration. Ils sont recrutés davantage pour leurs capacités d’animateurs que pour leur culture littéraire ou leur érudition. Internet regorge de ressources pour « monter des animations lecture ». Pourtant, la lecture est le contraire de l’animation.
Tiens, il faudrait inventer des lieux qui mettraient de beaux et grands livres à disposition d’un public à la recherche de calme, d’intériorité, de profondeur et de distanciation…