• Co chevron_right

      Bilan économique : la France est sur une mauvaise pente

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 31 January, 2023 - 04:00 · 9 minutes

    On se souvient de la grave crise grecque en 2009. L’endettement du pays était devenu considérable et l’agence de notation Fitch avait abaissé sa note en dessous de A. C’était la première fois qu’une telle dégradation survenait dans un pays européen.

    Il s’ensuivit une panique en Europe. La zone euro fut jetée dans la tourmente et le FMI, la BCE et la Commission européenne durent intervenir à trois reprises. On imposa à la Grèce des mesures drastiques qui conduisirent au pouvoir en 2015 le parti anti austérité d’Alexis Tsipras . Après six années de crise le PIB se trouva réduit d’un quart et le taux de chômage monta jusqu’à 25 %. La Grèce se remit très difficilement de cette crise : il y eut plusieurs plans de sauvetage et le bilan social fut catastrophique.

    Il semble que la France se trouve sur la même pente que celle qui a conduit la Grèce à la faillite , avec une crise ayant duré de 2010 à 2015. Il avait même été envisagé sa sortie de l’Europe et de la zone euro.

    Pour l’instant la notation de l’agence Fitch classe la France en AA , ce qui est tout à fait honorable, mais avec la mention « perspective négative » ; sachant que la première catégorie comprend AAA, puis AA, et ensuite A, la France a tout simplement reculé d’un cran. Vient ensuite la catégorie des B avec à nouveau trois degrés différents ; puis enfin la catégorie F.

    Pourquoi craindre que le pays se trouve engagé sur la même pente dangereuse que la Grèce ?

    Il convient de distinguer d’un côté les éléments qui ont un caractère causal, c’est-à-dire de nature à expliquer la dégradation de l’économie du pays, et de l’autre ceux qui en sont la conséquence mais ne constituent pas moins des freins au redressement d’une économie mal engagée.

    Pour marquer les étapes de la dégradation de l’économie française, les points de repère seront la Suisse, un pays exemplaire à l’économie très dynamique et parfaitement équilibrée, ainsi que la moyenne de l’OCDE. Les données statistiques seront celles fournies par la Banque mondiale, pour l’année 2021, afin d’avoir des séries homogènes.

    Les éléments à caractère causal

    Nous retiendrons essentiellement les critères suivants :

    • Les dépenses en Recherche et Développement
    • Les taux d’industrialisation
    • Les taux de population active
    • Le solde de la balance commerciale
    • La durée de la vie active

    Les taux de R&D des pays

    Des dépenses de Recherche et Développement importantes caractérisent les pays développés qui investissent pour préparer leur avenir. Elles permettent de rester dans le peloton de tête grâce à l’innovation.

    Dépenses de R&D en pourcentage du PIB

    • Suisse….. 3,15 %
    • OCDE….. 2,96 %
    • France…. 2,35 %
    • Grèce…… 1,50 %

    Le taux d’industrialisation

    L’industrie est un élément clé pour créer de la richesse dans un pays depuis la première révolution industrielle. Des trois secteurs de l’économie , à savoir l’agriculture, l’industrie et les services (selon la classification de Colin Clark) c’est celui où le progrès technique augmente le plus vite. Le secteur secondaire est un secteur à forte valeur ajoutée et fournit aux pays l’essentiel de leurs exportations. Les taux d’industrialisation de la France et de la Grèce sont très faibles, ces deux pays sont les plus désindustrialisés de tous les pays européens.

    Taux d’industrialisation en pourcentage du PIB, y compris la construction

    • Suisse….. 24,6 %
    • OCDE….. 22,3 %
    • France…. 16,7 %
    • Grèce…… 15,3 %

    Le taux de population active

    On entend par taux de population active la proportion entre les personnes en emploi ainsi que les chômeurs, et la population totale.

    Taux de population active en pourcentage de la population

    • Suisse…… 57,0 %
    • OCDE…… 49,2 %
    • France….. 46,1 %
    • Grèce……. 43,5 %

    Le solde de la balance commerciale

    Les exportations réalisées par un pays présentent un double avantage : elles accroissent les marchés des entreprises locales et fournissent les devises permettant de financer les importations. Leur volume dépend de la nature et de la qualité de la production du pays et du dynamisme de ses entreprises.

    Solde de la balance commerciale en pourcentage du PIB

    • Suisse……………………  119 %
    • Union européenne….     0 %
    • France…………………… – 1,9 %
    • Grèce…………………….. – 7,7 %

    Durée de la vie active

    La durée de la vie active dépend de l’âge d’entrée dans la vie professionnelle et de l’âge de cessation d’activité professionnelle déterminé en fonction de l’âge légal de départ à la retraite.

    Durée de la vie active

    • Suisse………………….. 42,6 ans
    • Union européenne… 35,6 ans
    • France………………….. 35,0 ans
    • Grèce……………………. 33,2 ans

    Tous les graphiques ci-dessus montrent que la France se situe systématiquement à mi-chemin entre les moyennes OCDE et la Grèce. On aurait préféré qu’elle se place à gauche, entre les moyennes OCDE et la Suisse.

    Les éléments induits à caractère aggravant

    Les dépenses publiques

    On constate toujours dans les pays à l’économie en difficulté que les dépenses publiques sont importantes en regard du PIB. Les besoins de la population sont là et il faut les satisfaire : éducation, santé, appareil judiciaire, entretien et création des infrastructures, sécurité… et les PIB n’étant pas à la hauteur de toutes ces exigences, le taux des dépenses publiques est élevé.

    Dépenses publiques en pourcentage du PIB

    • Suisse…… 20,1 %
    • OCDE…… 34,9 %
    • France….. 51,9 %
    • Grèce……. 58,5 %

    Les prélèvements obligatoires

    Pour couvrir ses dépenses l’État procède à ce que les économistes appellent des « prélèvements obligatoires ». Ceux-ci sont de plus en plus importants à mesure qu’augmentent les dépenses publiques.

    Prélèvements obligatoires en pourcentage du PIB

    • Suisse…… 28,5 %
    • OCDE…… 34,2 %
    • France….. 47,6 %
    • Grèce……. 42,3 %

    La France se situe donc déjà au-dessus du niveau de la Grèce.

    Taux de chômage

    La conséquence d’une économie qui fonctionne mal est une proportion élevée de la population au chômage : la France est bien dans ce cas. Selon les estimations du BIT le pays compte 2 252 000 chômeurs ; les catégories A, B et C de Pôle emploi en totalisent un nombre bien plus élevé soit 5 163 000 chômeurs sensés être en recherche active d’emploi. Le taux est bien plus élevé que celui calculé par le BIT.

    Taux de chômage (BIT)

    • Suisse….. 5,3 %
    • OCDE….. 6,3 %
    • France…. 8,1 %
    • Grèce…… 14,8 %

    Endettement du pays

    Dans une économie dysfonctionnelle et donc à la création de richesse insuffisante, les États s’endettent pour boucler leurs budgets annuels. Le coût de la dette les alourdit chaque année un peu plus.

    Endettement du pays en pourcentage du PIB

    • Suisse…… 20,9 %
    • France….. 113,0 %
    • OCDE…… 129,3 %
    • Grèce……. 197,1 %

    Le cas de la France : attention danger !

    Le problème est que lorsqu’un processus de détérioration de l’économie s’installe il s’entretient de lui-même et le pays entre dans un cycle pernicieux. C’est précisément ce qui se produit en France depuis une vingtaine d’années. Tous les ratios se dégradent d’année en année. Les dépenses sociales ne cessent de croître régulièrement, d’où une augmentation constante des dépenses publiques et pour y faire face un accroissement constant des prélèvements obligatoires ; ceux-ci n’étant jamais suffisants, le recours régulier à de l’endettement est nécessaire et ne cesse d’augmenter.

    Les pouvoirs publics sont incapables de rompre ce cercle vicieux. Nous en arrivons au point où ce processus a atteint ses propres limites. Les prélèvements obligatoires étant parvenus à des niveaux insupportables il n’y a plus d’autre solution pour les pouvoirs publics que d’augmenter encore davantage la dette. C’est ce qui se produit dans notre pays : elle est passée de 2380 milliards d’euros à la fin de 2019 à 2916 milliards à la fin de 2022, soit un accroissement de 536 milliards en trois ans.

    Il faut comprendre quelle est l’origine du phénomène, ce que les pouvoirs publics ont été très longs à saisir et sans être certain qu’ils aient véritablement pris conscience du cercle vicieux dans lequel ils se trouvent enfermés.

    L’origine du problème est la grave dégradation du secteur secondaire, le secteur industriel . Les effectifs de l’industrie sont passés de 6,5 millions de personnes à la fin des Trente glorieuses à 2,7 millions aujourd’hui. Le secteur industriel français ne concourt plus que pour 10 % à la formation du PIB (chiffre hors construction), alors que ce taux devrait se situer à 18 % environ. En incluant la construction dans le secteur secondaire, il faut ajouter 5 à 6 points aux précédents ratios.

    Les pouvoirs publics se sont laissés piéger par la thèse d’évolution des trois secteurs de l’économie développée par Jean Fourastié dans son livre Le grand espoir du XX e siècle paru en 1949. Cet économiste a travaillé sur des séries longues et a raisonné nécessairement en termes d’emplois et non de valeur ajoutée. Certes, les effectifs du secteur industriel se réduisent mais en termes de valeur ajoutée il est toujours présent du fait que la valeur ajoutée par employé a fortement progressé. Cela a été mal compris et dans les universités a très vite enseigné qu’une économie moderne n’est plus constituée que par les activités de services. Les sociologues qui ont mal compris Jean Fourastié ont diffusé très vite le concept de « société postindustrielle », lequel s’est installé solidement dans les esprits, jusque chez les dirigeants du pays.

    Pour redresser la situation, il n’y a pas d’autre solution que de procéder au redressement du secteur industriel mais l’environnement n’est guère favorable : guerre en Ukraine, coût très élevé de l’énergie en Europe.

    De plus, en initiant l’ Inflation Reduction Ac t (IRA), le gouvernement de Joe Biden va subventionner les entreprises américaines en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dans ce cadre, un budget de 369 milliards de dollars est prévu pour les épauler.

    À Bruxelles, Thierry Breton prépare une riposte : il évoque un plan à hauteur de 2,5 % ou 3 % du PIB de l’Europe des 27.

    Nous n’en sommes pas là : pour l’instant, les entreprises industrielles quittent l’Europe et la France est particulièrement affectée par ce mouvement.

    L’entreprise singapourienne REC Solar qui devait fabriquer en Moselle des panneaux photovoltaïques renonce à son projet pour se tourner vers les États-Unis.

    Le Chinois Quechen qui devait installer une usine à Marseille pour produire de la silice pour les fabricants européens de pneumatiques jette l’éponge .

    Le groupe industriel Safran qui devait créer un nouveau site de production près de Lyon pour les freins carbone destinés à l’aéronautique suspend son projet d’investissement.

    Le secteur industriel français est loin de se redresser et le plan « France 2030 » lancé en octobre 2021 par Emmanuel Macron « pour répondre aux grands défis de notre temps » est un dispositif complètement sous-dimensionné.

    Il serait souhaitable de ne pas en arriver à une situation à la grecque.

    Nombreux sont ceux qui n’ont plus les moyens d’accéder aux soins, des hôpitaux ont dû interrompre momentanément leur activité, les cas d’ infections au virus HIV ont augmenté de 50 % et le paludisme est réapparu en Grèce . Le port du Pirée a été vendu aux Chinois et celui de Thessalonique a été cédé à un consortium. Quatorze aéroports régionaux ont été repris par un groupe allemand. Et selon une étude britannique, depuis le début de la crise le nombre des suicides a doublé .

    • chevron_right

      Règles budgétaires européennes : une réforme qui ne résout rien

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Wednesday, 7 December, 2022 - 14:53 · 9 minutes

    Après des mois de pourparlers, la Commission européenne a dévoilé, début novembre, les contours de la réforme du Pacte de Stabilité et de croissance, dont les règles sont suspendues depuis mars 2020 en raison du besoin de financement massif des pays européens pour lutter contre la crise sanitaire puis en raison de la guerre en Ukraine. Malgré une flexibilité accrue, les pays frugaux refusent toujours une modification profonde du Pacte, pourtant jugé obsolète par de nombreux États, dont la France. Alors que la zone euro s’apprête déjà à entrer en récession, le retour de ces règles inapplicables laisse craindre le retour de l’austérité.

    Émanation du courant néolibéral, le Pacte de Stabilité et de croissance (PSC) voit le jour le 17 juin 1997, au Conseil européen d’Amsterdam. Appliqué au moment de la création de la monnaie unique en 1999, il a pour mission d’assurer la rigueur budgétaire des États membres à travers le respect du maintien du déficit public en dessous de 3% du PIB et un ratio dette/PIB inférieur à 60%.

    Si la plupart des pays parviennent à s’aligner sur ces critères au début des années 2000, la crise financière de 2007-2008, déclenchée aux États-Unis, engendre un profond creusement de la dette et du déficit des pays européens, et le non-respect des seuils exigés. Lors de l’éclatement de la crise des dettes souveraines, apparue quelques années plus tard sous les effets du krach financier de 2008, les règles budgétaires européennes sont toutefois conservées, et de nouvelles mesures d’autant plus strictes sont instaurées, malgré les déclarations critiques de nombreux hauts fonctionnaires et économistes à l’égard du Pacte. Sur volonté de l’Allemagne, ces règles seront même renforcées grâce à la création du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (aussi appelé TSCG) le 2 mars 2012, où est introduit de nouvelles exigences budgétaires, dont le principe de la « règle d’or 1 ».

    Du fait de la structure de la zone euro et son manque de fédéralisme, les chocs asymétriques entraînés par la crise des dettes souveraines sont traités séparément, et des programmes d’austérités sont imposés à de nombreux pays, avec en premier lieu la Grèce, l’Espagne, le Portugal, Chypre, l’Irlande, et dans un moindre degré la France et l’Italie. Le bilan de cette politique est désormais bien connu : ralentissement économique, accroissement des inégalités, dégradation des services publics, et profondes divergences au sein de la zone euro. Si l’objectif cible de 3% est atteint par l’ensemble des pays fin 2019 grâce à ces « cures », nombre d’entre eux ne retrouvent pas le seuil de 60% de dette/PIB, et s’en trouvent même particulièrement éloignés.

    Face à la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine, le déficit budgétaire et la dette des États se sont profondément aggravés. À ce jour, près du tiers des pays de la zone euro affichent un ratio dette/PIB supérieur à 100% (Grèce, Italie, Portugal, Espagne, France, Belgique) et la moyenne des 19 se situe autour de 95%, soit bien au-delà des 60% exigé. Le déficit public moyen, situé à 5.1% en 2021, reste, lui aussi, au-dessus du seuil de 3%.

    Changer pour que rien ne change

    Peu d’observateurs se risquent désormais à affirmer que les dispositions actuelles du Pacte sont efficaces. Le Commissaire aux Affaires économiques et monétaires, Paolo Gentiloni, a récemment déclaré que « nous n’avons pas investi comme nous l’aurions dû, et le désendettement a échoué. » Étant donné l’erreur historique d’avoir exigé un retour accéléré aux critères de 3% et de 60% lors de la décennie passée (la Grèce est à cet égard un exemple probant), une réforme en profondeur s’impose. D’autant que la crise sanitaire et la baisse du pouvoir d’achat des ménages lié à l’inflation obligent les États européens à d’importantes dépenses d’urgence.

    Pourtant, si l’on se plonge dans les détails de cette réforme, les mesures proposées ressemblent sensiblement à celles exigées au lendemain de la crise des subprimes , malgré quelques souplesses qui laissent paraître un semblant de progressisme. Dans les faits, les critères de 3% et de 60% sont conservés, mais la soutenabilité budgétaire des États tient désormais compte des dépenses primaires (hors intérêts de la dette et dépenses d’assurance chômage), et non des dépenses publiques dans l’ensemble.

    Par ailleurs, les pays européens disposeront de quatre années pour retrouver 3% de déficit public et 60% de dette/PIB à partir de 2023, et trois années supplémentaires si des facteurs conjoncturels interviennent (crises, guerres…) ou si de nouveaux investissements s’avèrent nécessaires (à condition toutefois que la stratégie budgétaire du pays s’aligne sur les critères). Alors que de nombreux pays souhaitaient un traitement différencié pour certains investissements et un plafond de dette différent pour chaque pays ( comme le proposait la France ), ce léger compromis laisse plutôt paraître une victoire du conservatisme des pays frugaux dans les négociations. Certains Etats, comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou l’Autriche, font en effet de la rigueur budgétaire une priorité absolue.

    D’autre part, si ce « délai supplémentaire » de trois ans permet de mieux prendre en compte la situation de chaque pays (et donc les divergences économiques structurelles de la zone euro), la proposition initiée par la vice-présidente espagnole, Nadia Calviño, visant à ce que chaque pays puisse définir la trajectoire de réduction de sa dette et de son déficit, n’a visiblement été que partiellement prise en compte, car la stratégie budgétaire des États resterait conditionnée à l’approbation de la Commission européenne et du Conseil européen, comme c’est le cas par le biais du « Semestre européen » depuis 2011. De surcroît, la procédure concernant les déficits excessifs (PDE) est maintenue, et la PDE fondée sur la dette est même renforcée. Ainsi, si un pays dont la dette excède 60% du PIB s’écarte de la trajectoire des dépenses convenues par le Conseil, il s’expose alors à diverses sanctions.

    Par ailleurs, l’écart de production (aussi appelé « output gap ») ou PIB potentiel, reste la référence de mesure de la soutenabilité de la dette des pays européens, malgré le fait que son calcul dépend d’hypothèses discutables, de plus en plus fragiles à mesure que les crises se succèdent.

    Un cadre inadapté à un monde en pleine mutation

    À travers cette révision, la Commission européenne cherche officiellement à « permettre aux pays de la zone euro d’exécuter les investissements nécessaires, en réduisant les ratios élevés de dette publique de manière réaliste, progressive et soutenue afin de bâtir une économie verte, numérique et résiliente. »

    Si cette trajectoire est à première vue souhaitable, elle a tout d’une chimère : comment parvenir à réduire les ratios de dette publique des pays membres tout en mettant en place les « investissements nécessaires » (très coûteux en ce qui concerne ceux dans la transition écologique, mais aussi dans le numérique où les pays de la zone euro affichent un retard significatif face aux grandes puissances) ? Pour ne donner qu’un seul exemple, la France devra dépenser 100 milliards d’euros sur quinze ans si elle entend doubler la part du train dans les déplacements . Par ailleurs, la charge de la dette, c’est-à-dire les intérêts à rembourser, augmentera à terme sous l’effet de la hausse des taux directeurs de la BCE.

    Dans ce monde multipolaire où se dessine une nouvelle globalisation, l’industrie et la balance commerciale des pays européens se dégradent, menaçant ainsi la croissance du Vieux-continent.

    Comment réussir à investir massivement afin de « bâtir une économie résiliente » alors que la guerre en Ukraine – impliquant la plupart des puissances du globe -, et la multiplication des guerres commerciales affaiblissent profondément le Vieux-continent ? En effet, dans ce monde multipolaire où se dessine une nouvelle globalisation, l’industrie et la balance commerciale des pays européens se dégradent, menaçant ainsi la croissance du Vieux-continent à court et moyen-terme (celle-ci étant déjà atone depuis deux décennies).

    L’inflation serait-elle la solution pour réduire la dette tout en permettant les investissements nécessaires ? Si celle-ci permet effectivement en théorie de réduire le poids accumulé des dettes, le ralentissement de la croissance, les dépenses massives des États pour lutter contre la hausse des prix et la hausse des taux d’intérêt laissent peu d’espoir quant à une véritable baisse du ration dette/PIB. De surcroît, le choix de certains États d’émettre des obligations dont la valeur est indexée sur l’inflation protège les investisseurs de pertes financières… mais engendre un coût massif pour les finances publiques.

    Il semble dès lors utopique de croire que les pays de la zone euro dont le ratio dette/PIB est supérieur à 100% puissent parvenir à réduire leur dette publique pour atteindre le seuil de 60% d’ici 4 ou 7 ans, tout en exécutant les « investissements nécessaires. » Alors que trois d’entre eux (la France, l’Italie et l’Espagne) figurent parmi les cinq plus grandes puissances du continent, le risque d’un nouvel accroissement des divergences entre pays de la zone euro, la perte de crédibilité de cette dernière, et plus largement celle du projet européen, est à craindre.

    Sans harmonisation budgétaire et fiscale, avec des divergences de structures productives et un taux d’intérêt unique pour 19 pays différents, la zone euro est donc vouée à une régression permanente. Or, ce scénario est systématiquement rejeté par les pays frugaux, qui refusent de « payer pour les autres », et les paradis fiscaux européens (Irlande, Malte, Chypre, Pays-Bas), qui auraient trop à perdre d’une convergence des niveaux d’imposition.

    Si la proposition de la Commission européenne fera l’objet d’une proposition législative début 2023, avant d’être validée par les ministres des Finances et le Parlement européen (dans l’objectif d’arriver à un consensus pour 2024, sans quoi le cadre budgétaire restera inchangé), la trajectoire envisagée laisse donc penser que l’Europe s’apprête à répéter une faute historique.

    Note :

    1 : Selon la règle d’or, le déficit structurel ne doit pas dépasser 0.5% du PIB pour les pays dont la dette publique excède 60% du PIB, et 1% pour les pays dont la dette publique est inférieure à 60% du PIB.

    • Co chevron_right

      Bientôt Paris sous tutelle ? Puis ensuite, la France ?

      h16 · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 2 December, 2022 - 12:00 · 6 minutes

    Le vendredi, c’est poisson et la morue en est un excellent qu’on peut par exemple déguster en brandade. Sans rapport aucun, signalons qu’ Anne Hidalgo fait actuellement parler d’elle alors que la ville dont elle a la charge serait en très fâcheuse posture budgétaire.

    Il est vrai que la situation économique du pays et l’inflation galopante finissent par toucher tout le monde, même la Ville des Lumières . Ajoutons-y une petite guerre à l’Est, un méchant covid qui a nettement pénalisé les activités touristiques et voilà la capitale française dans la tourmente.

    Ou disons, voilà l’explication fournie par la maire de Paris pour expliquer la brandade panade dans laquelle la ville se trouve actuellement sur le plan financier. Mais à bien y regarder, les causes extérieures n’ont que peu à voir avec la dette colossale et la déroute budgétaire, visuelle, urbanistique et hygiénique de la municipalité parisienne.

    En effet, lorsque Anne Hidalgo a pris les rênes de la municipalité en 2014, la dette se situait à 4,18 milliards d’euros (au 31 décembre) alors qu’elle s’établit à présent à 8,37 milliards d’euros au 31 décembre 2021 selon la direction générale des Finances publiques. Voilà qui représente un coquet doublement, ce qui, par les temps qui courent, représente une étonnante performance pour une ville dont ni le nombre d’habitants ni la superficie n’ont doublé. Et est-il nécessaire d’évoquer l’attractivité qui n’a pas doublé non plus pour s’interroger sur l’accumulation de ces plus de 8 milliards d’euros de dette.

    Si le chiffre ne dit pas grand-chose en lui-même tant les Français ont été habitués par leurs gouvernements à jongler avec les dizaines voire les centaines de milliards, il faut comprendre que cette dette représente 3800 euros par habitant (contre 1640 euros fin 2014), ce qui est déjà une somme rondelette. Certes, d’autres municipalités françaises importantes cumulent parfois plus de dettes par habitant mais aucune n’atteint cependant le montant total de Paris qui bénéficie pourtant d’arrangements et de largesses comptables et financières assez spécifiques.

    Lorsque cette dette est mise en rapport avec les réalisations visibles au profit de la capitale, on ne peut que rester pantois. Et lorsqu’on épluche les chiffres , il y a de quoi.

    Avec un coût d’administration de la Ville de Paris bien supérieur à ceux qu’on peut comparer pour Lyon (13 % supérieur) ou Marseille (10 % supérieur) par exemple, on se demande en réalité où passe l’argent des contribuables parisiens : depuis 2014, la masse salariale municipale n’a cessé d’augmenter avec une création constante de nouveaux postes salariés (plus de 400 sont ainsi prévus en 2022). À présent, la capitale française compte plus d’un agent pour 39 habitants là où on en compte un pour 95 à Rome et un pour 107 à Londres. S’aligner sur ces chiffres ferait économiser plus d’un milliard et demi d’euros à la capitale…

    Rassurez-vous, il n’en est pas question.

    On pourrait se consoler en espérant qu’à cette pléthore d’agents correspond un service public au taquet. Las : non seulement ces agents se battent pour travailler toujours moins, mais de surcroît le travail réalisé laisse à désirer. Il suffira de constater l’état lamentable de l’ hygiène , de la sécurité, du trafic routier dans la capitale par exemple en butinant les meilleures pages du site Saccage Paris pour mesurer l’ampleur du véritable trou noir qu’est devenu la municipalité parisienne : des sommes colossales y pénètrent pour ne plus jamais revoir la lumière du jour, sans qu’aucune information claire ne fuite jamais sur ce qui s’est passé entre la collecte et la dépense. La multiplication des bric-à-brac en palettes de ZAD, aussi écolobranchouilles soient-ils, ne permet vraiment pas d’expliquer la dérive des finances parisiennes (même s’il est vrai que cela aide à comprendre l’accroissement notable de sa population de rongeurs ).

    Devant ce trou noir, la maire ne semble pas s’inquiéter outre mesure. D’ailleurs, elle a une solution toute simple.

    La main sûre, la voix posée, elle annonce donc il y a quelques semaines une sympathique augmentation de la taxe foncière à 20,5 %. En plus, comme Paris est une ville réputée pour avoir une taxe foncière un peu moins élevée qu’ailleurs, cela lui laisse de la marge : les gueux pourront bien rouspéter un peu mais après tout, ce n’est qu’un alignement sur les autres villes du pays.

    C’est du reste en partie vrai : même avec cette augmentation, la taxe foncière de 2022 reste moins élevée en regard de ce que d’autres citadins payent. Mais il y a un hic : cette taxe réhaussée a été calculée sur les valeurs locatives de 2022. L’année prochaine, qui verra ces valeurs recalculées à la hausse (et pas qu’un peu), promet donc quelques surprises salées au contribuable parisien…

    Il n’en reste pas moins que devant l’écart maintenant affolant des entrées et des sorties d’argent, on commence à murmurer que ces improvisations taxatoires ne suffiront pas. Et alors que le nombre d’habitants de la ville (et donc, de cibles taxables) diminue franchement depuis l’arrivée au pouvoir d’Hidalgo – franchement, on se demande pourquoi, alors que la municipalité redouble d’efforts pour transformer certains quartiers en véritables havres du vivrensemble sous crack – certains évoquent même une petite mise sous tutelle qui reviendrait en substance à retirer les clefs du budget des mains de l’actuelle dispendieuse socialiste.

    La surprise est modérée.

    Comme toute gestion clientéliste basée sur un accès à l’argent facile (dettes contractées alors que l’inflation et les taux d’emprunt sont faibles et les perspectives riantes), la mairie de Paris a maintenant largement dépassé les années de vaches grasses pour arriver à celles des vaches maigres en étant auparavant passée par celles des rats dodus. En s’obstinant à renouveler à leur place les équipes municipales les plus déconnectées du réel (de plus en plus souvent composé de saleté repoussante, de travaux idiots et d’ insécurité galopante ), les Parisiens se retrouvent maintenant avec une facture particulièrement salée et aucune réelle possibilité d’y échapper.

    Il apparaît en effet que la situation parisienne n’est pas unique : non seulement, d’autres villes sont aussi en difficultés financières, mais à vrai dire tout le pays a également été piloté par des équipes de branquignoles économiques comparables à celle de Paris, avec – sans surprise là encore – les mêmes résultats catastrophiques, des dettes à gogo, un système de santé ou d’éducation en déroute complète, une insécurité galopante et un régalien qui ne sert même plus de faire-valoir.

    Il faut se résoudre à l’évidence : la gestion par la dette, la multiplication des cadeaux électoraux facturés aux générations futures, ça ne marche jamais. Le socialisme, qu’il soit appliqué au niveau d’une ville ou au niveau d’un pays, aboutit toujours à la faillite.

    D’ailleurs, les prochains mois pourraient être amusants et le sort ironique : alors que Paris sera peut-être mis sous tutelle par l’État français, ce même État français pourrait être à son tour mis sous tutelle par le FMI .

    Sur le web

    • chevron_right

      Grèce : la tragédie qui n’en finit pas

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Sunday, 6 November, 2022 - 12:10 · 11 minutes

    En 2009, la crise de la dette grecque débutait. Depuis, de nombreux plans de « sauvetage » comprenant des « réformes » sous la tutelle de la « Troïka » (FMI, BCE et Commission européenne) se sont succédés. Si les banques ont effectivement été sauvées, le bilan social d’un tel programme est catastrophique. Fortement appauvrie, la Grèce est devenue un Club Med géant où les infrastructures stratégiques ont été privatisées et où les services publics ont été bradés. La population, elle, se résigne ou quitte le pays .

    Le 20 août dernier, la Grèce est sortie de la surveillance économique renforcée de la Commission européenne. Un jour qualifié d’« historique » par le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis, tandis que la Présidente de la Commission Européenne vantait la « résilience » de la Grèce et l’enjoignait à « envisager l’avenir avec confiance ». Le bilan des « réformes » et de ce programme d’« aides » est pourtant peu reluisant, pour ne pas dire catastrophique.

    Une saignée qui aggrave le mal

    Mis en place à la suite de la crise de la dette grecque, commencée en 2009, ce dispositif de surveillance avait pour but de vérifier que les « réformes nécessaires » (comprendre le dépècement de l’État grec) pour diminuer la dette publique étaient bel et bien mises en place. En échange de ces réformes, la Grèce recevait de l’aide financière internationale, notamment de l’Union européenne. L’objectif ? Réduire la dette publique, considérée comme dangereusement élevée. Pourtant, étant donné la chute du PIB, c’est-à-dire de la production de richesses, la dette est aujourd’hui bien plus élevée qu’au début du programme de surveillance : alors que le PIB de 2009 s’élevait à 237 milliards d’euros, il est tombé à 182 milliards en 2021. En conséquence, le niveau de la dette, en % du PIB, se maintient à un niveau toujours bien plus élevé que celui de 2009 : fin 2021, celui-ci était de 193 % du PIB tandis que fin 2009 il était de 127% du PIB.

    Ce bilan catastrophique se lit aussi sur le taux de chômage : celui-ci est passé de 10 % fin 2009 à plus de 13% fin 2021. Ce fléau touche plus particulièrement les jeunes : le taux de chômage des moins de 25 ans dépassait les 36 % en avril 2022 tandis qu’en décembre 2009 il était de 29%. Ce qui entraîne qu’une partie importante de cette jeunesse, surtout la plus diplômée, émigre : entre janvier 2008 et juin 2016, la Banque de Grèce estime que plus de 427.000 grecs ont quitté leur pays alors que la population de la Grèce se situe légèrement en-dessous des 11 millions d’habitants.

    De manière corrélée, le taux de suicide a aussi augmenté : celui-ci est passé de 3,6 pour 100 000 habitants en 2009 à 5,1 en 2019 . Les coupes successives dans le budget de la santé n’y sont sans doute pas étrangères : le budget de la santé était d’environ 4,3% du PIB en 2009 alors qu’en 2020, ce budget se situait à 3,6% du PIB. En tenant en compte de la chute du PIB entre ces deux dates, cela signifie en clair une coupe dans le budget de la santé de 4 milliards d’euros. Soit un peu moins de la moitié des 10 milliards estimés nécessaires pour sauver la Grèce début 2010.

    En plus des coupes sévères dans les pensions des retraités grecques et des coupes dans la fonction publique , une autre des « réformes » demandées était la privatisation d’infrastructures clés du pays. Ainsi, le célèbre port d’Athènes, le Pirée, a été privatisé au profit du groupe chinois de transport maritime Cosco en échange d’une promesse d’investissement qui n’a pour l’heure toujours pas été tenue, provoquant la colère des travailleurs locaux. Cette acquisition par un groupe chinois est aussi teintée d’une cruelle ironie pour l’Union européenne qui ne cesse de répéter son ambition de s’opposer à la Chine.

    Le Pirée n’est pas le seul port à avoir été privatisé. Il en est de même du deuxième port grec, Thessalonique , tandis que d’autres ports régionaux, comme ceux d’Alexandroupolis et d’Igoumenitsa, semblent destinés à suivre cette même voie… Il faut ajouter à cette liste de privatisations celles de 14 aéroports régionaux au profit du consortium allemand Fraport-Slentel et celles à suivre cette année de l’autoroute Egnatia (la plus longue du pays, reliant l’ouest de la Grèce à la Turquie) et des infrastructures de l’entreprise gazière DEPA . Seule la privatisation des sites archéologiques et des musées grecs, qui toucherait aux racines même de l’identité grecque, a pour l’heure été empêchée .

    En parallèle, la Grèce s’est désindustrialisée au profit du secteur tertiaire, la part de l’emploi dans le secteur industriel, en % de l’emploi total, chutant de 22% en 2009 à environ 15 % en 2019 tandis que la part du secteur des services passait de 67% en 2009 à 73% en 2019 . En particulier, le secteur du tourisme est en plein essor, le nombre de touristes annuel étant passé de 15 millions en 2009 à 34 millions en 2019 , chiffre qui pourrait être dépassé cette année. Mais un tel développement du tourisme fait craquer les fragiles infrastructures (d’eau, d’électricité, etc.) grecques tandis que le prix de la vie, et a fortiori des vacances, monte en flèche pour les locaux. Une grande part d’entre eux s’est donc vue privée de vacances au sein de leur propre pays. L’organisation d’une « réserve » (1) grecque est donc sur de bons rails.

    Toutes ces « réformes » ont été entreprises dans le but de recevoir de l’aide internationale, c’est-à-dire celle de la zone euro et du FMI. Au total, alors que début 2010 on estimait à 10 milliards d’euros l’apport nécessaire pour sauver la Grèce, celle-ci aura reçu 273 milliards d’euros d’aide ! Quand le remède aggrave la maladie…

    La raison d’un tel gaspillage d’argent public et d’un tel massacre social ? Les banques allemandes et françaises étaient très exposées à la dette grecque. Au lieu d’annuler une partie de celle-ci, c’est-à-dire de faire en sorte que le secteur privé subisse quelques milliards de pertes, on a préféré déverser de l’argent public. Ce qui a permis in fine aux banques allemandes et françaises de se dégager de ces titres de dette risqués. Ainsi, comme d’habitude, les acteurs privées qui justifient leur intérêts par le risque qu’ils prennent ont en réalité vu leurs pertes être socialisées.

    La mise en marche de la machine infernale

    La crise de la dette grecque a commencé en 2009. Celle-ci est en réalité une conséquence de la déréglementation financière commencée dans les années 1980. Lorsque, en 2008 la crise des subprimes éclate avec la chute de la banque Lehman Brothers, tout le secteur financier mondial se crispe, les flux de capitaux sont bloqués, la confiance se rompt. Les gouvernements publics décident alors d’injecter massivement de l’argent public dans le sauvetage des banques. C’est en particulier le cas de la Grèce.

    Dans le même temps, les investisseurs délaissent les actifs peu sûrs pour les dettes souveraines des États, des actifs sûrs puisque les États ne peuvent pas disparaître. Le principal défaut des actifs pour ces investisseurs à ce moment-là est que ceux-ci ne rapportent pas assez : leurs taux d’intérêts sont trop faibles. Mais c’est sans compter sur la publication d’un rapport établissant que les déficits grecs sont plus importants que prévus du fait de dissimulations effectuées sous la tutelle de la banque Goldman Sachs .

    Il n’en faut pas plus aux marchés financiers pour lancer la machine infernale. Une attaque spéculative débute, les taux d’intérêts de la dette grecque grimpent. La perspective d’un défaut sur la dette grecque apparaît à tous les acteurs. La troïka (la Commission européenne, le FMI, la BCE) intervient et conclut un accord en 2010 avec Giórgios Papandréou, le premier ministre issu du Mouvement socialiste panhellénique (le Pasok). Celui-ci doit mettre en place un programme d’austérité visant à « maîtriser les dépenses publiques » pour réduire le déficit grec.

    En 2011, face à un mouvement populaire anti-austérité et alors que la troïka continue d’exiger la saignée du pays, M. Papandréou évoque la possibilité d’un référendum. Celui-ci abandonne rapidement l’idée, se rendant compte que les élites européennes n’hésiteraient pas à pousser la Grèce vers la porte de sortie.

    Syriza, le faux espoir

    Jusque début 2015, les « réformes » se succèdent. En parallèle, le mouvement populaire anti-austérité s’est développé. Finalement, la coalition de gauche radicale Syriza, avec à sa tête Aléxis Tsípras, remporte les élections législatives de janvier 2015. Dans son programme, plusieurs mesures sont avancées pour sortir de la crise de la dette : suspendre le paiement de la dette, en effectuer un audit pour évaluer la part qui est illégitime, appeler à la participation citoyenne, décréter la fin du mémorandum d’austérité.

    Cependant, il faut noter que la campagne de 2015 de Syriza ne s’est pas faite sur une rupture avec l’Union européenne. Le but a toujours été de négocier avec la troïka mais à aucun moment n’a été envisagé une sortie de l’euro ou de l’UE. Les élites européennes, en premier lieu duquel la Banque centrale européenne, vont exploiter cette faille. Moins de 10 jours après la victoire de Syriza, la BCE ferme le principal canal de financement des banques grecques .

    La tension va continuer à s’accroître durant les six premiers mois de 2015 sans, toutefois, que ni Aléxis Tsípras, ni Yanis Varoufakis, son ministre des finances, ne remettent en cause leur conviction pro-européenne et ne radicalisent l’opinion publique grecque vis-à-vis de l’UE. Ce faisant, ils ne tiennent pas compte de l’épisode de 2011 et la sortie de l’Union ne reste qu’une idée dans quelques têtes de l’aile gauche de Syriza.

    La machine infernale écrase le peuple grec

    Et ce qui devait arriver, arriva. Dans la nuit du 26 au 27 juin 2015, après des négociations pour un autre plan d’« aide » pour la Grèce, Tsípras fait part de son intention de soumettre au référendum du peuple grecque le projet proposé par la troïka. Si le oui l’emporte, Tsípras acceptera et l’austérité continuera. Si le non l’emporte, Tsípras refusera le projet. Mais ce référendum est promu par le gouvernement de l’époque comme un outil pour continuer les négociations et non comme une première étape pour sortir de l’Union, le but étant de faire advenir une « Europe solidaire ».

    À partir du 29 juin 2015, soit 6 jours avant le référendum, les banques grecques sont fermées du fait d’un défaut de liquidité provoqué par la BCE. Malgré cela, le « oxi » (non en grec) l’emporte de manière univoque : plus de 62% des suffrages exprimés se sont portés sur lui. Le 9 juillet, 3 jours après la victoire du « non », Tsípras envoie un projet reprenant les principales préconisations de la troïka (coupe dans les retraites, dans la fonction publique, hausse de la TVA …). Tsípras a dû choisir entre le peuple et la troïka. N’ayant pas mis en place les conditions matérielles suffisantes et étant pro-européen, un seul choix s’offrait à lui : renoncer à ses promesses et obéir à Bruxelles.

    Une autre voie était pourtant possible. Celle de la rupture avec l’Union en sortant de celle-ci. Les premières mesures qu’il aurait fallu prendre sont connues : retour de la souveraineté monétaire en se dotant d’une monnaie nationale, contrôle des capitaux, contrôle et nationalisation des banques, dévaluation du nouveau Drachme de l’ordre de 20 à 30%, mesures exceptionnelles pour s’assurer que les besoins de base de la population (nourriture, médicaments, carburants, etc.) soient assurés… La principale inconnue est la même que celle que connaît le Royaume-Uni à l’heure actuelle : celle de l’issue des négociations commerciales avec l’UE ainsi que leur durée. S’il faut bien sûr se garder d’un optimisme exagéré quant à la réussite d’une sortie de la Grèce de l’UE, les conséquences du maintien étaient elles certaines. Elles sont désormais sous nos yeux : les plans d’austérité n’ont fait qu’aggraver la situation. Bien évidemment, la troïka le savait : les exemples d’échec de la rigueur sont légion, de l’Algérie à l’Argentine en passant par l’Éthiopie ou le Kenya.

    Alors que la Grèce est désormais frappée de plein fouet par la crise sociale et que les méga-incendies se succèdent chaque été, aucun parti de gauche ne semble pouvoir incarner la colère populaire. La population est en effet totalement désabusée par les renoncements de Syriza. La crise énergétique et la dépendance énergétique de la Grèce à la Russie , en faisant exploser les taux d’intérêts de sa dette, ranime le spectre d’une crise financière. La tragédie va-t-elle se répéter ? Si aucune certitude n’est possible, on voit cependant mal pourquoi les élites européennes, qui ont toutes applaudi les mémorandums successifs, feraient des choix différents.

    (1) Frantz Fanon, Les damnés de la terre, La Découverte, janvier 2004

    • chevron_right

      Le Portugal au bord du « capitaclysme »

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Friday, 28 October, 2022 - 18:00 · 16 minutes

    Il y a la carte postale et l’envers du décor. D’un côté, un pays vu de l’étranger comme le nouvel Eldorado . De l’autre, une population qui, avec de petits revenus, ne s’en sort plus face à une inflation galopante et à un marché du logement de plus en plus inaccessible. Selon les dernières données publiées[1], près d’un Portugais sur cinq vivrait sous le seuil de pauvreté, dont nombre de personnes âgées, qui doivent survivre avec un minimum vieillesse de 268 euros. l’Instituto Nacional de Estatistica (INE) a calculé qu’en 1974, au sortir des années noires du salazarisme, celui-ci était de 260 euros… Une décennie après le plan de sauvetage de la Troïka , le Portugal a certes retrouvé une capacité d’investissement mais la réalité du quotidien le situerait plutôt au bord du capitaclysme – pour reprendre un néologisme localement à la mode. Un reportage de Nicolas Guillon.

    C’est leur nouvelle route des Indes. Le Portugal a annoncé fin septembre la construction d’ici à 2031 d’une ligne de TGV reliant Lisbonne à Porto en 1h15. Au-delà de l’utilité d’un chantier aussi gigantesque pour relier deux villes distantes d’à peine 300 kilomètres et reliables en 2h30, une question se pose : qui montera dans ce train de la « modernité » ? Antonio Costa, le premier ministre portugais, a donné une partie de la réponse : « C’est un projet stratégique qui favorisera la compétitivité », en cohérence avec la volonté portugaise d’attirer des entrepreneurs et des investisseurs étrangers. All right , répond l’écho qui commence à parler la langue du business. « Qui montera dans ce TGV ? Des touristes riches car désormais le Portugal veut des touristes riches », complète Joao [2], en position d’observation en retrait de l’emblématique pont Dom-Luis, qui enjambe le Douro. Son Portugal à lui ne prend le jour que par des soupiraux mais sa longue vue offre néanmoins une belle visibilité.

    Les alentours immédiats peuvent en témoigner : le Portugal s’est amouraché des riches étrangers. Sur cette rive Sud du fleuve, qui jouit d’une vue imprenable sur la vieille ville de Porto, Vila Nova de Gaia, siège des plus grandes maisons de vin de Porto, s’est semble-t-il découvert un goût immodéré pour les projets immobiliers tape-à-l’oeil. Le plus spectaculaire d’entre eux, comme son acronyme l’annonce : le WoW, pour World of Wine. Impossible de passer à côté : dès l’aéroport, c’est dans cette direction que le voyageur est invité à s’engager. Inauguré en 2020, le WoW se présente comme le nouveau quartier culturel de la ville mais il serait plus juste de parler de parc d’attractions lié à la culture de la ville.

    Sachant que le seuil de pauvreté s’établit à 554 euros de ressources mensuelles – on notera que le salaire minimum net s’en rapproche dangereusement – ce sont aujourd’hui 1,9 million de Portugais qui doivent vivre avec moins, soit 18,4 % de la population

    Le projet a été imaginé par le propriétaire des marques Taylor’s et Croft, Adrian Bridge. Le magnat anglais a investi 106 millions d’euros pour transformer 35 000 m 2 d’entrepôts et de chais en un vaste espace de loisirs comprenant six musées, neuf restaurants, une école du vin, une galerie d’expositions, des lieux événementiels, des bars, des boutiques et un hôtel Relais & Châteaux avec son indispensable spa. Si les travaux de réhabilitation sont indéniablement de belle facture, l’ostentation du lieu (des carrés Hermès aux murs des couloirs et des escaliers) confine, de la part d’un lord, à la faute de goût dans une société qui cultive la simplicité. Inutile de préciser que tout est cher, et même très cher à l’échelle du niveau de vie portugais. Le manant peut néanmoins profiter gratuitement de la vue panoramique sur la ville.

    Mais le WoW « en jette » et c’est précisément l’image filtrée que le Portugal veut aujourd’hui donner de lui-même : un pays qui a définitivement tourné le dos à la misère pour entrer avec ses plus beaux habits dans la salle de bal. Le futur TGV procède de cette même stratégie de développement mais Antonio Costa a beau en appeler au « consensus national » dans cette bataille du rail, le client des chemins de fer portugais, qui doit actuellement débourser une soixantaine d’euros pour un aller-retour en 2 e classe Porto-Lisbonne, a d’autres préoccupations que celle de filer comme l’éclair du Nord au Sud. Car depuis qu’en 2011 la troïka (Fonds monétaire international, Commission européenne et Banque centrale européenne) est passée par là, les Portugais ont de très faibles revenus. Selon l’Instituto Nacional de Estatistica (INE), l’équivalent portugais de l’INSEE, la rémunération brute mensuelle moyenne était de 1 439 euros au 2 e trimestre 2022, le salaire minimum s’élevant à 822,50 euros[3].

    Toujours selon l’INE, la pension moyenne en 2021 s’élevait à 487 euros par mois. Au Portugal, le minimum vieillesse n’est que 268 euros. L’INE a calculé qu’en 1974, au sortir des années noires du salazarisme, celui-ci était de 260 euros. Sachant que le seuil de pauvreté (60% du revenu médian selon le mode de calcul de l’Observatoire des inégalités) s’établit à 554 euros de ressources mensuelles – on notera que le salaire minimum net s’en rapproche dangereusement – ce sont aujourd’hui 1,9 million de Portugais qui doivent vivre avec moins, soit 18,4 % de la population, sur la base des dernières données sur le niveau de vie divulguées par l’INE, largement commentées par les media portugais cet automne.

    Et encore ! Les aides sociales retouchent le tableau : sans elles, ce sont quelque 4,4 millions de citoyens qui ne franchiraient pas la barre[4]. Au Portugal, travailleur pauvre est presque devenu un statut. Déjà effrayants dans le contexte européen, ces chiffres de la misère explosent si l’on prend en considération la privation matérielle, l’éloignement du monde du travail et l’exclusion sociale : près d’un quart du pays connaîtrait une ou plusieurs de ces situations. Les enfants ne sont, malheureusement, pas épargnés : 10,7 % d’entre eux souffraient, l’an passé, de manque matériel et de coupure sociale (source : INE).

    On ne se rend sans doute pas compte à Bruxelles de ce qu’on a demandé au Portugal, de s’humilier, et aux Portugais, de se sacrifier. Les dégâts commis ne sautent, c’est vrai, pas immédiatement aux yeux. Depuis la dictature, les gens d’ici ont une capacité à encaisser assez phénoménale, comme si leur principal trait de caractère était de subir. Et vous ne les entendrez jamais se plaindre. Livreur pour des multinationales de l’ameublement, Sergio confie « passer 15 heures par jour sur la route, six jours sur sept ». Et depuis deux ans, on lui a retiré son binôme pour l’aider à porter les colis. Il continue pourtant de faire sa tournée avec le sourire. Il s’estime bien loti avec un travail et 1 100 euros net mensuels. Ici, c’est une serveuse dans un bar de centre-ville dont le salaire pour 40 heures par semaine et des horaires difficiles peine à dépasser les 600 euros ; là, une institutrice qui, au terme d’une carrière complète, va devoir se contenter d’une retraite de 500 euros. Tout ça fait d’excellents Portugais.

    « Il entre au Portugal beaucoup trop de capitaux étrangers au regard du nombre d’opportunités. » Ce n’est pas un altermondialiste qui parle mais Francisco Sottomayor, le PDG de Norfin, une des principales sociétés de gestion immobilière portugaises

    Les « bons élèves de l’Europe » ont, en effet, souvent été cités en exemple. En remerciement des efforts colossaux consentis durant la récession, ils voient aujourd’hui le robinet des crédits communautaires couler à gros débit. Les travaux du premier tronçon de la future ligne TGV, à hauteur de 2,9 milliards d’euros, seront financés au tiers par des fonds européens. « Le pays réunit aujourd’hui les conditions financières pour pouvoir réaliser ce type de projet », se félicite Antonio Costa, de la famille des socialistes convertis au modèle néolibéral. Le nouvel Eldorado a peut-être des finances saines mais en attendant, le citoyen doit faire face à l’inflation bondissante : 9,3% à l’amorce du dernier trimestre, 22,2% pour l’énergie et 16,9% pour l’alimentation (source : Trading Economics). L’Association portugaise des entreprises de la distribution (APED) a constaté depuis septembre une recrudescence des vols de produits alimentaires de base : morue congelée, boîtes de thon, bouteilles d’huile d’olive et briques de lait. Retraité de l’industrie pharmaceutique depuis dix ans, Rui sait qu’il compte parmi les privilégiés. Dans la ferme qu’il a rénovée à une heure de Porto, il coule une vie paisible entre son jardin et ses animaux. Tout en conservant une louable lucidité : « Après toutes ces années d’austérité, nous commencions à retrouver un peu de souffle, à voir le bout du tunnel. Et puis la pandémie est arrivée. Et maintenant c’est la guerre en Ukraine et l’inflation. Quand le week-end je reçois mes filles encore étudiantes, entre les courses et le plein d’essence j’en ai pour 300 euros. Combien de Portugais peuvent se le permettre ? Et je ne vous parle pas de la facture de chauffage. »

    Se chauffer a toujours été un problème au Portugal et pas seulement pour les plus modestes. Héritage d’une autarcie qui dura un demi-siècle – « mieux vaut la pauvreté que la dépendance », avait l’habitude de dire Salazar -, peu de logements sont bien isolés et équipés. Et c’est une idée reçue de croire qu’il fait toujours beau et chaud en Lusitanie. Mais la crise de 2009, encore elle, n’a rien arrangé. En retour des 78 milliards d’aides reçus, le Portugal a dû privatiser des pans entiers de son économie, dont le secteur de l’énergie. Le groupe chinois China Three Gorges a ainsi repris en 2011 les 21% détenus par l’Etat portugais dans EDP (principale entreprise de production d’électricité du pays). Après ça, allez exercer le moindre contrôle sur les prix.

    Bons princes, les Chinois se sont également portés acquéreurs d’une partie de la dette portugaise. Le Portugal et l’Empire du Milieu entretiennent depuis 1557 une relation étroite par le biais de l’administration de Macao, rétrocédée en 1999. Energie, banque, assurance : l’investissement chinois au Portugal est estimé à environ 3% du PIB.

    L’immobilier n’échappe pas, bien sûr, à cet afflux de fonds étrangers, en provenance de Chine mais aussi des Pays-Bas, d’Espagne, du Royaume-Uni ou du Luxembourg. Dans certains quartiers de Lisbonne ce sont des rues entières qui sont rachetées, ce qui pose évidemment un problème : l’envolée des loyers, qui ont augmenté de 42,4 % en moins de cinq ans, un chiffre affiché en une, fin septembre, par le journal Publico et confirmé dans la foulée par l’INE. A Lisbonne et Porto, l’augmentation atteint même 50 %, voire 60 % dans certaines communes périphériques de la capitale, dont Vila Nova de Gaia – l’effet WoW sans doute. Le loyer moyen portugais s’élève désormais à 6,25 euros par mètre carré (9,29 euros dans la zone métropolitaine de Lisbonne). A Braga, Joaquim gère un portefeuille de locations modestes, issu d’un legs familial : « Nous avons beaucoup de locataires très anciens et si nous suivions le marché, ces gens ne pourraient plus payer leur loyer ni se reloger. Nous essayons donc d’entretenir nos logements sans engager de trop gros travaux afin de maintenir le statu quo et de préserver ces personnes que nous connaissons de longue date et qui ont toujours honoré les échéances. » Pour leur salut, les Portugais ont conservé cette fibre de l’entraide qui naguère était leur seul canal de survie.

    « Je déteste dire que le Portugal est un petit marché mais on ne peut pas dire non plus que c’est un très grand marché, et le fait est qu’il entre beaucoup trop de capitaux étrangers au regard du nombre d’opportunités. » Ce n’est pas un altermondialiste qui parle mais Francisco Sottomayor, le PDG de Norfin, une des principales sociétés de gestion immobilière portugaises. Résultat : pour ceux qui en ont encore les moyens, acheter un bien au Portugal coûte en 2022 50 % plus cher qu’en 2016.

    Il y a dix ans, le maire de Lisbonne était un certain Antonio Costa, qui, à l’époque, se battait pour maintenir les autochtones dans la place, en passant, par exemple, des accords avec les promoteurs : un terrain en échange de logements sociaux. Mais il semblerait que la lame de fond de la spéculation soit en train de tout emporter, avec la multiplication sur le marché de biens de luxe, comme, par exemple, un penthouse de 200 m 2 à Cascais, station balnéaire du grand Lisbonne, mis en vente au prix de 6 millions d’euros.

    Albert Alain Bourdon et Yves Léonard nous remémorent les circonstances de l’accession au pouvoir d’Antonio de Oliveira Salazar : « Une inflation galopante avait multiplié les prix par 25. (…) Et Salazar, magicien des finances , réussit à équilibrer le budget. » Le cauchemar qui s’ensuivit dura 45 ans

    Alors dans les quartiers, la résistance s’organise, comme, à Bonfim, à Porto. L’ adega Fontoura annonce sur une affichette la tenue d’un « événement convivial de contestation contre l’intimidation immobilière et les expropriations illégales ». Les bars ont toujours été les réseaux sociaux du Portugal : on y regarde le football mais pas seulement, on vient y boire son café pour 70 centimes, prendre des nouvelles des amis, parler politique et parfois, fomenter la rébellion. Coincé entre l’hyper centre et Das Antas, où l’appel d’air provoqué il y a dix-huit ans par la construction du nouveau stade du FC Porto a été épuisé, « Bonfim est le dernier terrain de jeu des investisseurs et la pression qui y est exercée sur les habitants est énorme », explique Antonio, le patron. Philippe, un Français qui vient une fois par mois pour son travail (la recherche de terrains pour l’industrie), est convaincu que « la bulle va exploser » Plus qu’une information, un oracle déjà ancien. Dans l’attente de la déflagration, bonne nouvelle : la mairie de Porto a suspendu pour une période renouvelable de 6 mois les agréments de logement touristique (Alojamento Local) dans le centre et à Bonfim. Mais 940 requêtes de propriétaire sont déjà parvenues sur ses bureaux.

    Car les investisseurs font feu de tout bois en rachetant, par exemple, des quintas , anciens domaines agricoles ou viticoles, qu’ils transforment en lieux événementiels. Une quinta dans la région de Porto peut se louer 25 000 euros la journée pour un mariage. Et prière d’avoir effacé toute trace de la fête au petit matin car une autre famille attend son tour. Les Portugais s’endettent pour offrir à leur enfants ces noces dignes d’une série Netflix, avec feu d’artifice et pool de photographes et vidéastes pour immortaliser la story d’une vie. C’est tout le paradoxe d’un pays pauvre qui n’a jamais autant consommé, notamment dans ces centres commerciaux à l’américaine dont les villes sont désormais truffées. Longtemps, le Portugal fut privé de tout alors, plutôt que de commander un plat du jour à 6 euros au restaurant du coin, on préfère s’attabler à la terrasse d’une enseigne de la malbouffe dans un food court , ce qui peut s’apparenter à une forme de liberté.

    « Non à la mine, oui à la vie. » A Montalegre, dans la région de Tras-o-Montes (littéralement : au-delà des montagnes), à l’extrême Nord-Est du pays, les habitants ont un autre souci : leur terre est classée au patrimoine agricole mondial des Nations Unies mais pour son malheur regorge en sous-sol de lithium, or blanc des fabricants de batteries de téléphone et autres véhicules électriques. Le Portugal serait assis sur un trésor de 60 000 tonnes qui n’a pas échappé aux industriels. Au nom de la transition énergétique et avec l’espoir de donner naissance à toute une filière, le gouvernement a donc donné son feu vert pour l’exploitation dans six endroits du pays, dont Covas do Barroso, à une trentaine de kilomètres au Sud de Montalegre, à proximité immédiate des parcs nationaux de Peneda-Geres et du Haut-Douro. La concession a été accordée à l’entreprise britannique Savannah Resources. Dormez tranquilles, notre projet est durable et conforme aux techniques les plus vertueuses, jure la société. Mais les locaux, qui vivent ici depuis toujours en harmonie avec la nature, n’ont que faire de la communication de Londres. « Nous ne sommes pas contre le lithium mais vaut-il vraiment l’éventration de cette montagne ? s’indigne Aida, l’une des voix de la contestation, en contemplant ce paysage de rêve où ruminent paisiblement de magnifiques vaches à longues cornes dont la race est réputée et où il n’est pas rare de croiser des hordes de chevaux sauvages. Cette nature est notre seule richesse, notre mère nourricière. Ici, pas de magasins mais nous ne manquons de rien. Et nous savons très bien ce qui va se passer avec la mine : nous allons devoir partir pour rejoindre la ville où l’on vit moins bien avec 1 500 euros qu’ici avec 500 euros. » Les agriculteurs des régions concernées affirment, en effet, que l’extraction va interférer avec l’irrigation des terres, ce qui à terme condamnera la production.

    Dans ce contexte explosif, l’extrême-droite n’a pas manqué de faire sa réapparition dans le débat politique pour la première fois depuis la Révolution des œillets et la chute de l’Etat nouveau en 1974. Fondé en 2019, le parti Chega est arrivé en troisième position des élections législatives en janvier dernier, avec plus de 7 % des suffrages : un véritable choc dans le pays, dont chaque enfant a dans les yeux une image en gris de la dictature. Quelle que soit leur génération, les émigrants qui reviennent chaque été au village perpétrer la tradition, n’ont rien oublié, même si une certaine pudeur les rend discrets sur ce sujet ô combien douloureux. Dans Histoire du Portugal (Ed. Chandeigne, 2020), Albert Alain Bourdon et Yves Léonard nous remémorent les circonstances de l’accession au pouvoir d’Antonio de Oliveira Salazar : « Une inflation galopante avait multiplié les prix par 25. (…) Et Salazar, magicien des finances , réussit à équilibrer le budget. » Le cauchemar qui s’ensuivit dura 45 ans.

    Notes :

    [1] www.ine.pt

    [2] Certains prénoms ont été modifiés.

    [3] ec.europa.eu/eurostat

    [4] www.pordata.pt

    • Co chevron_right

      La dette : potion magique ou poison mortel ?

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 18 February, 2021 - 04:15 · 10 minutes

    la dette

    Par Johan Rivalland.

    « La France peut-elle encore tenir longtemps ? » , interroge Agnès Verdier-Molinié. Suscitant des adversités qui atteignent leur point culminant , comme vous pouvez le constater dans cette séquence montrant une opposition de points de vue qui atteint son paroxysme entre un Jean-Marc Daniel et un Christian Chavagneux connus pour avoir des idées très divergentes mais que l’on a connus plus mesurés et courtois dans leurs échanges.

    La dette : potion magique ou poison mortel ?

    Le recours massif à la dette n’a, en effet, jamais atteint de tels niveaux dans le monde. Et si certains y voient une sorte de potion magique, ainsi que le suggère le titre de cet ouvrage, prétextant du niveau historiquement bas des taux d’intérêt pour affirmer haut et fort que c’est le moment d’en profiter pour investir et stimuler l’économie à bon compte, d’autres mettent en garde contre le poison mortel que peut représenter cette dette qui n’en finit pas d’enfler, jusqu’à sembler hors de contrôle. C’est plutôt le point de vue défendu par la plupart des auteurs de cet ouvrage, quelles que soient les nuances entre eux.

    Surtout, une certaine frange de politiciens et d’économistes très à gauche militent de manière que l’on peut juger inconséquente pour un effacement tout aussi magique d’une partie substantielle de la dette. Suivis en cela également par les partisans de la « nouvelle théorie monétaire », celle contre laquelle met en garde entre autres Jacques de Larosière, la qualifiant de fausse recette . Mais également, dans une large mesure, les auteurs du Cercle Turgot ici réunis, qui, il y a seulement trois ans, dans un contexte pourtant moins dramatique que celui que nous connaissons à présent, alertaient déjà contre les dérives des dettes publiques .

    Une question épineuse

    La question est loin d’être anecdotique, quand on sait par exemple que plus des deux-tiers des Français seraient partisans soit d’annuler la dette contractée par l’État pendant la pandémie de Covid-19, soit de la faire rembourser par les « riches » , à travers une contribution exceptionnelle des grandes fortunes. On imagine bien à quelle surenchère pourront se livrer certains politiciens à l’approche des prochaines élections présidentielles…

    C’est pourquoi, même si les points de vue des auteurs de cet ouvrage sont loin d’être tous motivés par une vision très libérale de l’économie, le présent ouvrage n’en est pas moins utile pour mettre en cause un certain nombre de dogmes ou d’idées fausses sur le sujet de la dette. En faisant appel à la connaissance, aux références historiques et à un certain sens de la pédagogie, il est susceptible de faire entendre la voix de la raison à ceux qui pourraient se laisser tenter par le chant de la facilité, ou de la démagogie .

    L’endettement : jusqu’où ?

    Les questions posées dans cet ouvrage sont toutes celles que l’on peut se poser actuellement : les taux d’intérêt très faibles, voire négatifs, vont-ils durer ? Et après ? Comment rembourser ? Est-ce les prochaines générations qui vont devoir payer ? À quel prix ? Avec quelles conséquences ? Pouvons-nous continuer ainsi à nous endetter indéfiniment ?

    Pour y répondre, il est utile de se référer aux enseignements de l’Histoire. C’est ce que fait, entre autres, le même Jean-Marc Daniel que nous citions plus haut. Qui rappelle les nombreux épisodes historiques au sujet des banqueroutes et de leurs conséquences (la dernière date, en France, de 1797 et on sait qu’y recourir de nouveau reviendrait à atteindre fortement la crédibilité de la signature française, ce qui se paierait au prix fort. La plupart des économistes conviennent d’ailleurs que cela ne présente aucun intérêt aujourd’hui, sur un plan financier).

    Mais aussi qu’hormis la banqueroute, la dette se paye

    • soit par la voie de l’inflation que certains appellent de leurs vœux, malgré les conséquences que l’on sait sur la richesse et l’érosion du pouvoir d’achat ; c’est d’ailleurs elle qui a permis de solder les dettes des deux guerres mondiales ;
    • soit par la généralisation de la dette perpétuelle , qui n’est autre, nous dit Jean-Marc Daniel, que ce que nous pratiquons déjà depuis près de deux siècles en ne payant que les intérêts de la dette et en contractant en permanence de nouveaux emprunts pour rembourser les emprunts précédents ;
    • soit enfin en pratiquant les rachats de dette par les banques centrales , ce qui se pratique allègrement aussi ces dernières années, donnant l’illusion que l’on peut exercer un endettement sans limite.

    Mais c’est ne pas voir, nous dit Jean-Marc Daniel :

    « D’abord, que toute dépense publique non financée par un prélèvement sur la dépense privée augmente la demande. Si cette augmentation se pérennise, elle entraîne soit un apport d’offre extérieure, c’est-à-dire un creusement du déficit commercial, soit une possibilité offerte aux entreprises d’augmenter leurs prix, c’est à dire une relance de l’inflation. Ensuite, que l’augmentation de la dette publique provoque des anticipations négatives chez les acteurs privés. Dans un premier temps, le réflexe d’épargne pour affronter un avenir fiscal incertain conduit à une augmentation du prix des actifs. C’est ce que les économistes appellent l’« équivalence ricardienne ». Enfin, que ces anticipations négatives finissent par éroder la crédibilité de la monnaie. Contenir la dette publique devient donc indispensable, et réclame une baisse significative des dépenses publiques. »

    Toujours en référence à l’Histoire, on notera la participation au débat de Nicolas Baverez, qui, dans une intervention intitulée « la démocratie, antidote au piège de la dette » montre notamment en quoi l’hélicoptère monnaie fait partie des illusions sur « l’argent gratuit », qui se sont toujours terminées par des catastrophes économiques et financières, et qui met en garde contre les dangers du surendettement, ne se montrant pas pour autant hostile à une certaine politique monétaire. Nicolas Bouzou , quant à lui, surprend, défendant un « bon usage de Keynes » face à la situation actuelle qui justifierait selon lui de sortir de sa vision traditionnelle pour tenir compte de l’ampleur inhabituelle de cette crise.

    Des problématiques multiples, mais des points de vue hétéroclites sur la dette

    C’est aussi au niveau mondial que le problème de la dette se pose.

    Anne-Laure Kiechel évoque les différences d’origine des financements selon les pays (on pense notamment au Japon ou à l’Italie, qui détiennent l’essentiel de leur dette), ce qui peut dans certains cas poser un problème de souveraineté.

    Christian Saint-Étienne, lui, montre comment, en s’endettant de manière inconséquente par le financement davantage des dépenses courantes que des investissements d’avenir, l’Europe prend le risque d’accroître son retard sur les États-Unis et la Chine, menaçant ainsi à la fois son indépendance et sa prospérité.

    Isabelle Job-Bazille, quant à elle, met en garde contre les dangers du surendettement au profit d’une bulle financière, la perfusion monétaire ayant bien du mal à se diffuser dans l’économie réelle et risquant d’aboutir aux mêmes maux qu’en 2008 si on n’y prend garde.

    Les enjeux de la dette publique sont ensuite analysés par divers auteurs connus (Gilles Dufrénot, François Ecalle, Eric Heyer et Xavier Timbaud, Vivien Lévy-Garboua et Gérard Maarek, Hubert Rodarie), selon différents angles de vue ; avant que l’approche plus micro-économique du point de vue de l’entreprise soit abordée par Jean-Paul Betbèze, puis sous un angle un peu plus large par Jean-Jacques Pluchart. Il peut être ainsi intéressant de connaître la diversité des approches, tout en se replongeant dans le fonctionnement des mécanismes économiques, parfois assez techniques.

    Cependant, non seulement les chapitres me semblent souvent un peu courts pour entrer dans des raisonnements vraiment de fond, mais je m’interroge surtout sur le caractère relativement hétéroclite des idées présentées. En fait, je ne comprends pas bien ce qui définit le Cercle Turgot, si ce n’est l’expression d’une diversité de points de vue. Et je ne vois pas bien le lien avec Turgot lui-même et ses idées.

    Quoi de commun, par exemple, entre un Hubert Rodarie, qui semble dans une certaine mesure favorable à un effacement partiel des dettes publiques (là où Natacha Valla et Christian Pfister se méfient de « l’illusion du repas gratuit » ) et un Jean-Marc Daniel ou encore un Jacques de la Rozière, qui met quant à lui sévèrement en garde à la fois contre les politiques de quantitative easing , d’hélicoptère monnaie (par ailleurs en partie défendue par François-Xavier Oliveau un peu plus loin) et de rachats de dettes par les banques centrales, ou encore d’annulation même partielles de dettes, politiques actuellement dominantes ?

    Une douce illusion

    Je doute aussi beaucoup de cette idée de nombre d’économistes selon laquelle des déficits ou un endettement, à condition d’en finir avec la tentation de s’en servir pour colmater des brèches ou des besoins courants de simple fonctionnement, pourraient se justifier si on ne les consacre qu’aux seules dépenses d’investissement dits « d’avenir ». Belle intention. Mais, non seulement ces paris sur la transition énergétique et la « croissance verte » – puisque c’est ce dont il est bien souvent question – me semblent bien hasardeux (et pourquoi par le financement public ?), mais surtout cela me paraît bien naïf. On sait très bien comment les choses fonctionnent : les politiques (tout au moins en France) finissent toujours par en revenir à leurs vieux démons (ou plus exactement, obsédés par leur réélection, ils ne les quittent jamais). A savoir continuer indéfiniment à se servir de la « manne » publique pour subventionner, éponger, colmater, tout ce qui peut l’être. Et, comme ce n’est pas vraiment le courage qui les caractérise, croyez-vous que face à de nouvelles révoltes du type de celle des Gilets Jaunes, ils se montreront capables de ne rien lâcher ? Aucune chance. Surtout maintenant que l’argent facile tombé du ciel à la manière d’un déluge est passé par là. Qui se contentera désormais d’un « petit » 10 milliards d’euros lâché au prix d’une lutte acharnée quand on a connu les montants prodigieux qui étaient annoncés presque chaque jour durant la période actuelle ?

    C’est en cela que cet ouvrage me laisse un peu circonspect et me semble manquer de ligne de force, en dehors de l’intérêt de la juxtaposition d’opinions diverses dont on peut éventuellement apprécier l’étendue des idées. Et ce, malgré la conclusion de Philippe Dessertine, coordonnateur de l’ouvrage qui, à la suite de la question de la soutenabilité de la dette abordée par Denis Ferrand, établit une synthèse montrant comment les records d’endettement avaient été pulvérisés – pourtant en temps de croissance assez vigoureuse (du moins aux États-Unis et en Chine) – avant même la crise de la Covid, rendant les marges de manœuvre plus qu’étroites et conduisant à simplement tenter d’éviter à l’économie mondiale de sombrer complètement dans le chaos.

    La seule issue demeurant selon lui, et cela reflète bien l’esprit consensuel des auteurs de l’ouvrage, que cette course sans fin à l’endettement s’achève par la fin des dépenses publiques de fonctionnement ou de bulles (financières notamment), remettant ainsi en cause les modèles passés.

    Réel espoir ou illusion un peu vaine ?…

    Cercle Turgot (Collectif), La dette – Potion magique ou poison mortel ? , éditions Télémaque, décembre 2020, 206 pages .