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      Google, victime du dilemme de l’innovateur avec ChatGPT ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 7 February, 2023 - 03:40 · 6 minutes

    Le robot conversationnel ChatGPT , un moteur de recherche « intelligent », représente une rupture majeure. On aurait pu s’attendre à ce que ce soit Google, le leader des moteurs de recherche depuis vingt ans, et qui depuis des années investit dans l’intelligence artificielle, qui en soit à l’origine, mais il n’en a rien été.

    Google est-il la nouvelle victime du dilemme de l’innovateur, un syndrome souvent observé qui voit un leader se faire dépasser par un nouvel entrant ?

    Interpellé par des employés qui l’interrogeaient sur « l’opportunité manquée » de lancer un concurrent à ChatGPT, son PDG Sundar Pitchai s’est défendu en expliquant qu’un robot conversationnel représentait un risque réputationnel important pour une grande entreprise, ajoutant que Google devait être géré de façon plus prudente qu’une start-up comme OpenAI (à l’origine de ChatGPT). La réponse de Pitchai semble très raisonnable. Il agit de façon responsable pour protéger son entreprise, conscient des risques encourus à se précipiter sur une nouvelle technologie qui n’a pas fait ses preuves. Elle est pourtant caractéristique du dilemme de l’innovateur , un syndrome décrit par le chercheur Clayton Christensen dans ses recherches il y a plus de vingt ans.

    Le dilemme de l’innovateur

    Le dilemme de l’innovateur part d’une observation assez simple : malgré leurs moyens souvent considérables, les entreprises leaders ont tendance à échouer face à une innovation de rupture. C’est rarement dû à un aveuglement sur les ruptures en cours, un manque de moyens ou de compétences.

    Mais alors à quoi ? Christensen explique que lorsque se produit une rupture, l’acteur en place est confronté à un dilemme qui est le suivant : s’il mise sur la rupture, il risque de compromettre son activité historique sans pour autant être certain de réussir. Il peut donc se retrouver avec une perte massive, immédiate et certaine, tout cela pour un gain limité, à un horizon éloigné et pas du tout certain. En substance, il lâche la proie pour l’ombre. Mais s’il refuse de miser sur la rupture pour protéger son activité historique, il prend le risque de rater l’opportunité et de péricliter.

    Dans mon ouvrage Relevez le défi de l’innovation de rupture , je montre ainsi que le dilemme explique l’ échec de Kodak . Parfaitement conscient de l’émergence du numérique, l’entreprise a néanmoins cherché à préserver son activité argentique le plus longtemps possible, ce qui était rationnel, avant de tout miser, mais bien trop tard, sur le numérique. Marconi, une société de technologie d’électronique très en pointe dans les années 1990 offre l’exemple inverse : poussée par les analystes, elle a abandonné son activité traditionnelle pour tout miser sur Internet, juste avant l’éclatement de la bulle en 2000. Elle a disparu peu après.

    C’est ainsi qu’on peut lire la situation de Google.

    L’entreprise, créée en 1998, gagne principalement de l’argent avec son moteur de recherche et la publicité associée. Elle a depuis lancé de nombreuses initiatives d’innovation, dont beaucoup ont cependant échoué. ChatGPT représente une rupture pour Google Search parce qu’on peut imaginer que les gens abandonnent ce dernier pour ne plus se servir que de ChatGPT. Après tout, pourquoi utiliser un « bête » moteur de recherche quand on peut avoir un outil beaucoup plus sophistiqué ? Il y a donc une vraie menace de substitution. Il faut évidemment nuancer cette menace parce que la substitution n’est jamais complète (le magnétoscope n’a pas tué le cinéma). Google search est plus simple, plus rapide, moins coûteux en temps machine et gratuit, ce qui ne restera probablement pas le cas pour ChatGPT. Il n’empêche, il est quand même étonnant que ce ne soit pas Google, qui depuis des années est le spécialiste de la recherche et a investi des milliards en IA, qui ait sorti ChatGPT.

    Cela ressemble fort à ce qui est arrivé à Sony : à partir des années 1980, l’entreprise japonaise a investi des milliards pour marier le contenu (musique, films) au contenant (électronique). C’est pourtant Apple qui a gagné le marché du lecteur MP3. Pourquoi ? Parce que Sony craignait que le MP3 développe le piratage et compromette ses ventes de CD.

    Bien qu’ayant toutes les cartes en main pour sortir un équivalent de ChatGPT et y aller à fond, Google est pourtant victime du dilemme de l’innovateur :

    D’une part, il y a la crainte que GoogleGPT (appelons-le ainsi) cannibalise Google Search et fasse donc baisser les revenu publicitaires.

    D’autre part, ChatGPT, tout impressionnant qu’il soit, a encore de nombreuses limitations. C’est typiquement le cas d’une rupture: elle offre un service séduisant, mais souffre de nombreuses faiblesses. Son niveau de performance reste longtemps insuffisant pour l’acteur en place. Les premières automobiles tombaient tout le temps en panne et personne de « sérieux » ne les utilisait. Une entreprise « sérieuse » (grande) va donc attendre que la technologie soit suffisamment performante à ses yeux, avant de miser sur elle; ce-faisant, elle laisse la place aux autres.

    Enfin, comme le souligne Pitchai, GoogleGPT représenterait un risque réputationnel. On se souvient sans doute de Tay , le robot conversationnel, ancêtre de ChatGPT, lancé par Microsoft en 2016. En quelques heures, il s’est mis à émettre des messages racistes et misogynes. Il fut retiré précipitamment et causa un tort considérable à Microsoft. Après cet épisode, on comprend la prudence du PDG de Google qui ne veut pas revivre la même chose. Cette prudence, tout à fait rationnelle et défendable, laisse néanmoins de facto le champ libre à des concurrents qui ne courent pas le même risque, notamment les startups. Le fait de laisser le champ libre à des concurrents sur une rupture n’est donc pas dû à l’aveuglement ou à l’incompétence. C’est le résultat d’une réaction rationnelle de l’acteur en place qui doit gérer son risque.

    Les avantages des nouveaux entrants

    Face à un acteur en place comme Google, les startups ont donc trois avantages :

    1. Elles n’ont pas d’activité historique à protéger
    2. Elles peuvent déjà prospérer avec la nouvelle technologie, même si elle est moins performante
    3. Elles courent un risque réputationnel bien moindre. On peut tolérer des choses d’une startup qu’on ne pardonnerait pas à une très grande entreprise comme Google.

    C’est pour cela que les startups auront toujours un avantage sur les grandes entreprises en place dans les situations de rupture.

    Le dilemme de l’innovateur touche toutes les entreprises, y compris les plus en pointe. Ce qui est intéressant avec Google c’est que nous n’avons pas à faire à un vieux mastodonte de « l’ancienne économie », mais à une entreprise de la Silicon Valley. Pour paraphraser Karl Marx, les disrupteurs d’hier sont disputés à leur tour. L’histoire se répète. Ce qui est étonnant ici, c’est que le dilemme a été décrit depuis plus de vingt ans et que des dirigeants aguerris comme ceux de Google ne semblent pas conscients qu’ils jouent contre eux en ce moment. On ne peut que leur recommander, ainsi qu’aux leaders de n’importe quel autre secteur, de s’y intéresser fortement s’ils ne veulent pas finir comme Kodak.

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      Grands projets d’innovation : faut-il condamner les lubies de riches ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 4 February, 2023 - 03:40 · 6 minutes

    Que fait un riche quand il s’ennuie ?

    Il se lance dans un projet d’innovation. Conquérir Mars, traverser l’Atlantique, prolonger la vie humaine, inventer une intelligence artificielle fondamentale, créer un robot, etc. Expression de l’ego de leurs promoteurs, ces projets sont souvent jugés inutiles et qualifiés de lubies, c’est-à-dire d’envie capricieuse et déraisonnable.

    Mais est-ce si sûr ? Et si les lubies d’aujourd’hui étaient les innovations utiles de demain ? Et s’il fallait se garder de porter un jugement moral à la fois sur ce qui se fait (inutile !) et sur ceux qui le font (les riches et leurs caprices) ?

    Lorsqu’on évoque les lubies de riches, les noms de Elon Musk et Jeff Bezos viennent immédiatement à l’esprit. Tous les deux se sont lancés dans l’aventure spatiale. Musk veut installer une colonie humaine sur Mars , ce que de nombreux spécialistes jugent irréalisable. Le très sérieux hebdomadaire The Economist les a même qualifiés d’activité ploutocratique (en gros, un sport de riches).

    Il y a deux modèles mentaux derrière cette critique : le premier porte sur l’inutilité supposée de tels projets ; le second sur l’illégitimité supposée de ceux qui les portent.

    L’utilité d’une innovation est souvent impossible à évaluer a priori

    La plupart de ces projets semblent largement inutiles. À quoi cela peut-il bien servir d’installer une colonie sur Mars, se demandent beaucoup d’entre nous, à l’heure de [insérez ici votre problème majeur actuel : réchauffement climatique, guerre en Ukraine, inflation, etc.]. Ne peuvent-ils pas faire des choses utiles ? Déterminer ce qui est déraisonnable est cependant un jugement de valeur, en général en référence aux modèles mentaux dominants. L’innovation, qui par définition correspond à des modèles alternatifs, est donc facilement jugée déraisonnable.

    En outre, l’utilité d’une innovation est souvent impossible à évaluer a priori. Il y a des cas évidents mais rares : on savait qu’un vaccin contre la covid serait utile avant de réussir à le produire. La plupart des innovations ont été jugées inutiles au début. Ce fut le cas notamment de la photocopieuse Xerox, du laser, d’Internet, de la téléphonie mobile, de Nespresso, pour ne citer que quelques exemples. « Laser à quoi ? Laser à rien ! » titrait ainsi Le Monde dans les années 1970.

    Certaines de ces « lubies » réussissent et se révèlent très utiles après coup. Starlink , d’Elon Musk encore, est un fournisseur d’accès Internet par satellite créé en 2018. L’idée était un peu étrange. À quoi cela pouvait-il bien servir ? Pourtant aujourd’hui, Starlink est pleinement opérationnel et permet à l’armée ukrainienne de coordonner ses opérations. La lubie de riche est devenue vitale pour les Ukrainiens en l’espace de moins de cinq ans.

    C’est donc le défi de l’innovateur que de consacrer sa vie à quelque chose que tout le monde trouve inutile aujourd’hui et trouvera peut-être indispensable demain.

    L’illégitimité de l’innovateur

    La seconde chose qui insupporte nombre d’observateurs c’est que ces projets sont portés par des riches qui ne semblent le faire que pour s’amuser. Le côté gratuit de l’entreprise est insupportable. Les frères Wright sont des fabricants de vélo qui s’ennuient. Ils sont convaincus que l’on peut faire voler un avion, ce qui semble ridicule à nombre de leurs contemporains. Après de nombreux essais, ils réussissent un vol historique en décembre 1903, qui marque la naissance de l’aviation.

    Insupportable aussi le fait que, comme ils sont riches, ils n’ont besoin de rien demander à personne et en particulier à aucune autorité pour se lancer dans leurs projets et les financer. Pour les moralistes qui, souvent, ont une vision aristocratique de la société, cette liberté est dangereuse, comme est dangereux l’orgueil que ces projets traduisent. Les premiers efforts d’Elon Musk dans le domaine spatial ont été marqués par plusieurs échecs qui ont suscité des moqueries. Ainsi, après l’explosion au sol d’une de ses fusées en 2016, la journaliste Dominique Nora dans L’Obs cachait ainsi à peine sa satisfaction en écrivant : « L’explosion du lanceur Falcon 9 de Space X révèle l’incroyable fragilité d’un entrepreneur qui promet toujours plus qu’il ne peut tenir. La fin d’un mythe ? » On sait ce qu’il est advenu : aujourd’hui, SpaceX lance en moyenne plus d’une fusée par mois, libère son contenu dans l’espace et revient se poser sur Terre ; une performance technique extraordinaire absolument inenvisageable il y a dix ans.

    Toutes les « lubies » ne réussissent cependant pas.

    Howard Hughes était le Elon Musk des années 1950. Il fut l’un des hommes les plus riches du monde, à la fois producteur de films et pionnier de l’aviation. Il acheta et développa la Trans World Airline pour en faire l’une des plus grandes compagnies aériennes de l’après-guerre. Mais sa grande lubie fut le projet H-4 Hercules , un hydravion géant… en bois, conçu pour l’armée. Achevé en 1947, l’avion ne vola qu’une seule fois, et avec difficulté, puis le projet fut abandonné. Hughes aura dépensé 300 millions de dollars actuels en pure perte.

    Est-ce qu’il y a une part d’ego, parfois démesuré, dans ces entreprises ? Bien évidemment. L’ego n’est pas à la mode ces temps-ci mais c’est un moteur historique des grands projets innovants. Sans ego démesuré, pas de Léonard de Vinci ni de Steve Jobs . Ces projets traduisent donc une caractéristique profondément humaine, celle d’essayer de résoudre des grands problèmes, de rêver très haut, parfois de façon démesurée.

    Tous les milliardaires peuvent se permettre des lubies. Certaines sont ridicules, comme se payer un 747 et y installer une piscine en or . D’autres sont potentiellement utiles, mais il est souvent difficile de distinguer lesquelles. Mais tous les milliardaires ne cherchent pas à être des pionniers. Ainsi Bernard Arnault finance des musées ou des journaux, des activités plus traditionnelles pour des gens fortunés. Les lubies ne sont donc pas le fait de milliardaires qui s’amusent, mais de pionniers qui ont les moyens de réaliser leurs rêves, ou du moins d’essayer.

    Les lubies de riches, un bon deal pour la société

    Parce qu’il va à l’encontre des modèles mentaux dominants, l’innovateur se retrouve face à une hostilité sociale qui peut largement entraver sa réussite.

    Les débuts de la radio au XIX e siècle ont ainsi suscité des tentatives de boycott et d’interdiction de la part des syndicats de musiciens. Face à cette hostilité qui peut rapidement se traduire par un assèchement des financements, le riche a un avantage évident : il peut financer son projet sur ses propres fonds. C’est sa lubie, il la finance, et si ça échoue, eh bien ce n’est pas grave, il lui restera toujours quelques milliards pour faire bouillir la marmite. Autrement dit, ce que les lubies de milliardaires offrent au système, c’est l’optionalité, c’est-à-dire le fait de permettre de créer des options alternatives auxquelles il ne croit pas. Le système ne croit pas que le vol d’un objet plus lourd que l’air soit possible. Pas grave, un milliardaire essaie de prouver le contraire. Si ça ne marche pas, c’est lui qui en est de sa poche. Si ça marche, le système en bénéficie sans avoir dépensé un centime. Que le milliardaire en bénéficie amplement aussi est anecdotique. Et donc, n’en déplaisent aux moralistes, les lubies de riches sont un bon deal pour la société. Ils sont une source efficace, même si elle n’est pas la seule, de progrès humain.

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      Réussir, et après ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 31 January, 2023 - 03:40 · 6 minutes

    Dans l’entreprise, surtout les grandes, mais aussi les autres, la réussite consiste à gravir les échelons, à être nommé à des postes de plus en plus élevés dans la hiérarchie toujours pyramidale de l’entreprise. Certains salariés passent leur vie à ce jeu, jusqu’à atteindre les sommets et à se demander ensuite ce qu’ils vont faire de leur vie.

    Mais cette « réussite » acquise échelon par échelon, c’est aussi le meilleur moyen d’ancrer des croyances qui peuvent justement empêcher d’aller plus loin. C’est le sujet du livre, et la spécialité de la pratique professionnelle de Marshall Goldsmith , expert coach en leaders qui ont réussi, pour les aider à aller plus loin, ce qu’il appelle « de la réussite à l’excellence ». Il permet de comprendre pourquoi certains n’arriveront jamais à se sortir de cette « réussite » sans pouvoir aller au-delà. Parce qu’il le dit dans le titre le l’édition originale en anglais : What got you here won’t get you there .

    Ces croyances sont au nombre de quatre et il est facile de les observer quotidiennement dans les comportements autour de nous ou en nous-mêmes si nous sommes concernés par cette griserie de la réussite.

    Première croyance : j’ai réussi

    Comment ne pas croire que la réussite n’est due qu’à l’habileté et au talent de celui qui a réussi ?

    D’où sa croyance intime qu’il possède les talents et habiletés qui en font un gagnant qui va continuer à gagner. Cela se remarque facilement dans les histoires qu’il aime bien raconter : celles de ses réussites, des contrats qu’il a gagnés, de grandes réalisations. Même lorsqu’il nous parle des réussites collectives d’une équipe, il garde cette conviction que sa contribution était quand même plus significative que ne pourraient le laisser entendre les faits.

    Cette croyance n’est pas si négative ; elle peut nous donner envie de prendre des risques, d’entreprendre. Mais elle peut aussi être un obstacle lorsqu’elle conduit certains à se comparer systématiquement aux autres en comme le dit Marshall Goldsmith, « faisant pencher la balance en leur faveur ».

    Deuxième croyance : je peux réussir

    C’est la conséquence logique de la croyance précédente.

    « C’est une autre façon de dire : je suis certain que je peux réussir ».

    C’est la manie de ceux qui ont connu le succès de croire qu’ils ont en eux la capacité de toujours réussir, que grâce à leurs talents ou leurs ressources intellectuelles, ils peuvent toujours faire basculer une situation en leur faveur. Leur croyance, c’est que le succès est un « gain » résultant de leur habileté, même lorsque ce n’est pas le cas, et qu’il y a toujours un lien entre ce qu’ils ont accompli et la position qu’ils occupent, même si rien ne démontre ce lien.

    L’erreur dans ce type de croyance c’est « Je réussis. J’adopte tel comportement. Donc je réussis à cause de ce comportement ! ». Alors que c’est peut-être l’inverse : ils réussissent parfois en dépit de ce comportement. Pas facile alors de les faire changer de comportement.

    Troisième croyance : je réussirai

    « C’est une façon de dire : j’ai la motivation qu’il faut pour réussir ».

    « Si j’ai réussi fait référence au passé, et je peux réussir au présent, alors je réussirai fait référence à l’avenir » .

    C’est cet optimisme inébranlable qui persuade que le succès est un dû à celui qui a réussi.

    Mais le revers de la médaille c’est de mettre la pression sur ses collaborateurs en leur faisant faire des promesses ou fixer des objectifs que même les plus dévoués ne parviendront pas à tenir. Cette attitude systématique peut même aller jusqu’à un surmenage des effectifs et une équipe qui s’affaiblit, obtenant de moins en moins de résultats.

    Quatrième croyance : je choisis de réussir

    C’est la croyance qui fait croire à ceux qui réussissent que ce qu’ils font résulte d’un choix personnel.

    Le risque, ici, est ce qu’on appelle la « dissonance cognitive » et que Marshall Goldsmith décrit ainsi :

    « C’est l’écart entre ce que nous croyons dans notre esprit et ce que nous vivons ou voyons dans la réalité. Plus nous voulons croire que quelque chose est vrai, moins il est probable que nous acceptions de croire que le contraire est vrai, même lorsque tout prouve que nous avons tort ».

    À lire Marshall Goldsmith, on comprend que ces quatre croyances cumulées peuvent faire de nous une personne moyennement, voire pas du tout appréciée de ses collaborateurs et de son entourage.

    Et comme ces croyances sont bien ancrées, il est très difficile d’en faire changer. D’où cette grande difficulté de passer de la réussite à l’excellence, c’est-à-dire de devenir un leader entraînant pour les autres, capable de développer l’intelligence collective et la puissance des équipes.

    Marshall Goldsmith a recensé les vingt habitudes, les mauvaises habitudes de ceux qui ont réussi et qui les empêchent d’aller plus loin. Toutes ces habitudes ne sont pas réunies dans une même personne et certaines sont moins néfastes que les autres. Tout est question de dosage. Mais toutes concernent des problèmes interpersonnels qui peuvent être agaçants en milieu professionnel, et peuvent ruiner notre réputation. Ce sont tous ces problèmes qui, malgré la « réussite », empêchent d’être admirés et aimés, et peuvent décourager les autres. Ce sont les habitudes qui rendent bien solitaires ces personnes qui ont réussi et se retrouvent entourées de collaborateurs et relations qui ne les supportent pas.

    Toutes ces habitudes tournent autour de l’information et de l’émotion.

    L’information : celle que l’on garde pour soi ou le genre de remarques pour doucher les propositions des autres, comme « ça ne marchera pas », « je le savais déjà », commencer ses phrases systématiquement par « Non », « Mais » ou « Cependant », vouloir toujours en rajouter (« c’est une bonne idée, mais ce serait mieux si tu… »).

    Parce que nous croyant plus intelligent que tout le monde, toutes ces habitudes nous font toujours en rajouter et répondre pour étaler notre intelligence. Nous pouvons croire que cela permet d’éduquer les autres, de les inspirer, alors que cela provoque au contraire les frustrations et le découragement.

    L’émotion : ce sont ces habitudes qui nous font mettre en colère un peu trop souvent, qui nous font omettre d’exprimer notre reconnaissance ou de dire simplement « Merci », qui nous font revendiquer des honneurs que nous ne méritons pas vraiment, qui nous font refuser d’exprimer des regrets.

    Les conseils de Marshall Goldsmith pour sortir de ces habitudes ont l’air simples : avant de s’exprimer, et lorsque nous partageons de l’information ou de l’émotion, il suffit de se demander si elle est appropriée et si elle est bien dosée .

    À tous ceux qui ont réussi et qui traînent ces mauvaises habitudes, parfois même sans s’en rendre compte, qui les empêchent d’aller plus loin, l’auteur adresse un message d’espoir :

    « Vous êtes ici.

    Vous pouvez choisir votre destination.

    Le voyage commence maintenant. »

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      Patrons, on vous prend pour des blaireaux !

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 25 January, 2023 - 04:20 · 3 minutes

    Il ne se passe pas un jour sans que nous soyons envahis par quantités de mails émanant d’organes de conseil, de formation, d’aide au management qui veulent nous apprendre à :

    >   Gérer les situations de conflit
    >   Mieux gérer son temps
    >   Manager les nouvelles générations
    >   Réussir dans un contexte de changement
    >   Managers des équipes à distance
    >   Réussir ses recrutements
    >   Mener les entretiens d’évaluation
    >   Mener les entretiens professionnels
    >   Tutorat-Monitorat
    >   Les comportements observables par les couleurs (Arc-en-Ciel Disc)
    >   Formation de formateurs
    >   Management de projet
    >   Améliorer la relation client et l’efficacité commerciale
    >   Accompagnement individuel (coaching)

    Soit on nous prend pour des enfants à qui il faut tout apprendre, soit on considère que l’ entreprise est un lieu d’éducation qui attend vivement les conseils d’adolescents retardés n’ayant jamais travaillé dans une entreprise mais ont tout appris dans nos fameuses écoles qui brillent dans les classements internationaux par leur médiocrité !

    La lecture du programme livré plus haut laisse à penser que l’entreprise est un véritable champ de bataille où les incompétents tiennent la barre et dont le patron est un abruti qui ne sait ni manager, ni gérer les personnels, ni juger les enjeux ou les objectifs ou les forces et faiblesses de sa boutique. Bref, il faut le formater et l’empêcher de mener son entreprise au désastre…

    Cela indique également la vision qu’ont nos enseignants, surtout ceux des grandes écoles : eux savent et il est grand temps d’éduquer les bouseux…

    Malheureusement ces programmes ne donnent pas les clés pour réussir. Au mieux ils obligent l’entreprise à recruter des ingénieurs ou autres community manager ou responsables qualité dont la tâche consiste à formater les différents services dans le standard appris dans les écoles et repris par les normes officielles elles-mêmes issues du même moule. On standardise, on introduit des procédures  qu’on contrôle et sanctionne par des certifications innombrables. Bref, l’entreprise est muselée par des éléments extérieurs et surtout perd tout sens de la responsabilité de chacun mais aussi de créativité, de courage et de prise de risque. On exécute un point c’est tout et le patron essaye de passer entre les gouttes…

    Tout cela conduit à un contexte de peur et de mal-être des salariés que les médecins sanctionnent par des arrêts maladie (39 jours moyenne française) et les syndicats par des grèves et autres blocages. L’entreprise quant à elle perd toute attractivité : les patrons rêvent de vendre leur affaire à bon prix et les salariés de partir en retraite au plus vite.

    Si on ajoute à cela le terrorisme effectué pas l’Urssaf, la médecine du travail, l’inspection du travail, le fisc, les impôts, les normes, les seuils, on oblige l’entreprise à muscler sérieusement son service comptable, juridique et administratif. Toutes ces actions ne produisent pas de richesse alors que c’est pourtant le but de l’entreprise, mais elles coûtent et empêchent de libérer les énergies, l’esprit d’entreprendre et pourquoi pas de grandir.

    Ce n’est pas comme ça qu’on redressera notre pays. Mais comme nos politiques sont eux aussi dans une logique de court terme et profit immédiat et n’ont aucune vision ni courage, le pays continuera de s’enfoncer avec des procédures, des normes, des règlements… jusqu’à couler !

    Signé : un patron désabusé…

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      Quand les processus tuent la créativité de l’organisation

      Philippe Silberzahn · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 16 January, 2023 - 03:50 · 7 minutes

    Une organisation sans processus ne peut pas fonctionner au-delà d’une certaine taille.

    Pourtant, il arrive souvent que le développement de processus étouffe la créativité, c’est-à-dire la capacité de l’organisation à continuer de répondre aux défis de son environnement. Comment résoudre ce paradoxe ? La clé réside dans la conception que l’on a de ce qu’est un processus.

    « Par lassitude devant l’effroyable multiplicité des problèmes, la complexité et les difficultés de la vie, la grande masse des hommes aspirent à une mécanisation du monde, à un ordre définitif, valable une fois pour toutes, qui leur éviterait tout travail de la pensée. » Stefan Zweig

    C’était il y a plus de vingt ans et il y a prescription. Le client de ma startup était une très grosse entreprise qui avait lancé un très ambitieux projet de rupture. Ce projet avait été lancé dans des conditions acrobatiques, sans structure, avec une petite équipe et un mandat assez bref : créer et lancer un service très novateur en quelques semaines. Nous étions sous-traitants, chargés d’une partie de la réalisation. Comment nous avions eu le contrat et les conditions dans lesquelles celui-ci a été réalisé, mériteraient un article à eux seuls ; mais bon, le service fut lancé dans les temps et inauguré en grande pompe par le dirigeant de l’entreprise.

    Fort de ce succès, le projet a eu pour ambition de grandir. Sont alors arrivés les managers. Je me souviens en particulier de l’un d’entre eux, appelons-le Jean-François, qui a repris la direction de notre projet. Enfin pris, pas repris, car il n’y avait personne avant. Donc Jean-François me convoque un jour et m’explique que c’en est fini du chaos du projet. « Il faut mettre plus de process », me dit-il. Et de s’y appliquer, avec force powerpoint et feuilles Excel. Pour lui, le manque de structure initial était une tare. Pas un seul instant il ne s’est dit que c’était peut-être la raison du succès.

    Un mauvais modèle mental de ce qu’est un processus

    Le problème de Jean-François, qui était sincèrement convaincu qu’il allait apporter beaucoup au projet, est qu’il n’avait pas le bon modèle de ce qu’est un processus.

    Les personnes comme lui pensent qu’un processus est comme une recette de cuisine. Elles voient l’organisation comme une mécanique qu’il faut bien concevoir et bien huiler. Elles sont obsédées par l’idée de simplifier car la complexité leur répugne. Elles y voient du désordre et du gaspillage. Or, un processus ce n’est pas ça du tout. Au sens premier, un processus (le terme français est procès , mais personne ne l’emploie) n’est rien d’autre qu’un ensemble de phénomènes reliés qui se déroulent dans le temps. En management, il sous-entend souvent l’idée d’organisation de ces phénomènes, de structure et derrière, d’intention et de méthode.

    Mais d’où viennent les processus ?

    Le chercheur en innovation Clayton Christensen observe qu’au début de son existence, ce qu’une organisation sait faire est attribuable à ses ressources et principalement ses ressources humaines (fondateurs et premiers associés/employés).

    Des problèmes surgissent, ils sont résolus directement, de façon informelle. Au cours du temps, la résolution, notamment des problèmes récurrents, devient formalisée en des processus. Cette formalisation permet à l’entreprise de grandir : les nouveaux employés n’ont plus à redécouvrir une solution par eux-mêmes ; ils appliquent les processus développés par leurs prédécesseurs. La présence des fondateurs n’est plus nécessaire pour cette résolution, leur savoir est en quelque sorte encapsulé dans ces processus. Leur création est une condition sine qua none pour la startup de passer de l’ère entrepreneuriale où la présence des fondateurs est nécessaire à la résolution de problèmes à celle de la croissance où la résolution de ces problèmes est déléguée à un nombre croissant d’individus.

    Peu à peu, la résolution des principaux problèmes devient inconsciente. Elle repose de plus en plus sur des hypothèses et des principes dégagés du succès de la résolution des problèmes passés et non plus sur des prises de décision conscientes. Ces processus et ces principes constituent le modèle mental de l’organisation, c’est-à-dire un ensemble de croyances et de valeurs apprises collectivement par l’organisation et vues par elle comme des évidences.

    Ce qui apparaît très clairement ici, c’est combien les processus, loin d’être des recettes abstraites et génériques, sont au contraire l’expression de l’identité profonde de l’organisation. Ils traduisent les choix qui ont été faits pour répondre de façon originale aux défis qu’elle a rencontrés. Ils sont l’expression de sa singularité. Autrement dit, un processus chez Peugeot n’a rien à voir avec un processus chez Tesla ou Renault. Le mot peut être le même mais ce que chaque organisation met derrière peut être radicalement différent. Quand Jean-François arrive avec ses recettes de cuisine, il attaque frontalement ce modèle mental, ce qui ne manque pas d’entraîner une réaction immunitaire. Étant attaqué, le système cherche à se protéger et éjecte Jean-François. Du moins, il essaie. En l’occurrence, après un paquet de slides et de réunions, Jean-François a disparu moins de six mois après son arrivée au grand soulagement de tous les acteurs du projet qui ont pu se remettre à travailler.

    Cela ne signifie pas qu’une organisation doit rester figée dans son modèle, ni qu’elle ne doit pas développer de formalisation de son fonctionnement.

    Cela signifie qu’un effort de formalisation, indispensable à la croissance, doit se faire en respectant le modèle mental, c’est-à-dire l’identité et donc l’histoire de l’organisation. Or, il est caractéristique des Jean-François du monde qu’ils ne sont absolument pas intéressés par cet aspect. Leur mépris pour le passé leur semble une attitude rationnelle, ils le revendiquent d’ailleurs fièrement le plus souvent. Ils veulent refonder le projet sur des bases saines et c’est leur plus grande erreur. Si le système n’arrive pas à les éjecter, ils étouffent la capacité créative et mettent l’organisation en danger. Leur conception du processus a-historique, a-sociale et simplifiante tend en effet à ne considérer que ce qui se voit et qui est mesurable. Ils oublient qu’une large partie de la création de valeur se fait dans l’informel, et qu’une organisation est un système complexe, qu’on le veuille ou non.

    En outre, ce système n’est pas mécanique mais social : la seule façon de le faire évoluer est par une approche sociale, c’est-à-dire en cocréation du changement. En somme, Jean-François nie la réalité pour plaquer un modèle abstrait au lieu de partir de la réalité pour la faire évoluer et pense qu’on peut appliquer une solution simple à un problème complexe.

    Il est toujours fascinant d’observer les Jean-François et j’en ai vu un paquet dans ma vie : ils se voient comme des pragmatiques avant tout mais sapent systématiquement les bases de leur action par leur attitude dogmatique.

    Tension créatrice

    Préserver sa capacité créative tout en formalisant sa façon de travailler n’a rien de simple.

    C’est un peu la quête du Graal des organisations. La tension entre formalisation et créativité n’est jamais résolue, elle est un exercice d’équilibriste toujours renouvelé. Les processus le rendent possible lorsqu’ils sont créés à partir de l’identité de l’organisation, c’est-à-dire lorsqu’ils sont l’expression de ce qu’est l’organisation et le reflet de sa façon singulière de résoudre les défis auxquels elle est confrontée. Ce lien entre processus et identité, qui n’est pas conçu comme un enfermement mais comme un ancrage, souligne à quel point la distinction entre stratégie et exécution est malvenue dans les situations de changement, et catastrophique en situation de crise.

    Sur le web

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      Riche grâce à un « dur labeur » ? Brisez les chaînes

      Rainer Zitelmann · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 15 January, 2023 - 04:30 · 5 minutes

    Les employés projettent leurs propres critères de performance et de rémunération sur les cadres supérieurs et pensent qu’il doit y avoir une relation étroite entre, d’une part, l’intensité et la durée du travail et d’autre part, le salaire de la personne.

    En ce qui concerne les salaires des cadres supérieurs , les répondants ne voient manifestement pas un tel lien. Ils en concluent donc que les salaires des managers sont excessifs car aucun manager ne travaille 100 fois plus longtemps ou aussi dur qu’un employé moyen.

    En revanche, pratiquement aucune des personnes interrogées n’a compris que les salaires des cadres supérieurs sont déterminés par l’offre et la demande sur le marché des cadres de haut niveau. Seule une personne interrogée sur cinq en Allemagne est d’accord pour dire que les entreprises ne peuvent embaucher et retenir les meilleurs cadres que si elles leur versent des salaires très élevés (l’enquête a spécifié des salaires 100 fois supérieurs à ceux d’un employé moyen), car sinon ces cadres iraient dans une autre entreprise qui paie mieux ou travailleraient pour eux-mêmes.

    Il existe un marché concurrentiel pour les cadres supérieurs. Il fonctionne selon d’autres mécanismes et ni l’éducation formelle ni l’apport en temps ne jouent un rôle. Cela est vrai non seulement pour les personnes les plus performantes dans les entreprises, mais aussi dans le sport , par exemple. Prenez Lionel Messi et Christiano Ronaldo, qui ont tous deux gagné à certains moments plus de 100 millions de dollars par an, selon Forbes . S’entraînent-ils 1000 fois plus ou transpirent-ils 1000 fois plus qu’un joueur de football qui gagne 100 000 dollars par an ? Bien sûr que non. Mais leur rémunération – comme celle des cadres supérieurs – n’est pas basée sur l’intensité de leur travail ou sur le nombre d’heures travaillées.

    Et la comparaison est également valable à un autre égard : la rémunération d’un athlète d’élite est fixée lorsqu’il signe un contrat avec l’équipe pour laquelle il joue. Sa rémunération est basée sur une prévision de ses performances futures et cette prévision est basée sur une extrapolation de ses performances passées. Si les performances de l’athlète sont moins bonnes à l’avenir, alors le club a effectivement payé trop cher.

    Mais il serait presque impossible d’éliminer de tels cas car nous ne connaissons pas l’avenir. Parfois, les performances d’un athlète seront conformes aux attentes, parfois elles seront encore meilleures et parfois elles seront pires. Mais si elles sont pires, ce n’est pas la société qui en pâtit, mais le club.

    Dans le monde des affaires, le parallèle serait un manager de haut niveau dont les performances ne répondent pas aux attentes et dont le contrat doit néanmoins être respecté. Si les performances du manager sont insuffisantes, il reçoit en effet un salaire « trop élevé ». Mais ce n’est pas au détriment de l’entreprise, mais des actionnaires .

    Et ce qui vaut pour les cadres supérieurs vaut encore plus pour les entrepreneurs. Même les salaires d’un million de dollars des PDG de grandes sociétés sont souvent dérisoires par rapport aux salaires perçus par des entrepreneurs très prospères. Les employés pensent que les salaires doivent être basés sur la durée et l’intensité du travail d’une personne. Les entrepreneurs pensent tout autrement. Ils savent que leurs clients ne se soucient pas de la durée ou de l’intensité de leur travail. Ils savent qu’ils sont payés en fonction des résultats, en fonction des avantages que leurs produits ou services créent pour les consommateurs.

    Pour les entrepreneurs, les revenus élevés sont généralement une récompense pour des idées particulièrement bonnes. La personne la plus riche est celle qui a les meilleures idées et qui invente ou fabrique des produits et services commercialisables qui répondent aux besoins du plus grand nombre de personnes.

    Il suffit de penser à Larry Page et Sergey Brin, qui ont inventé Google, au fondateur d’Amazon, Jeff Bezos, ou à Bill Gates de Microsoft. Bien sûr, Jeff Bezos n’a pas travaillé un million de fois plus longtemps ou plus dur que le travailleur moyen mais il a eu de grandes idées qui ont créé des avantages substantiels pour des millions de personnes. Des idées que d’autres n’avaient tout simplement pas ou ne pouvaient pas mettre en œuvre.

    Mais ce monde où les compétences rares et les grandes idées sont récompensées est hors de portée de la plupart des travailleurs et des employés. D’après leur expérience, les personnes plus qualifiées gagnent généralement plus. Et les employés qui font des heures supplémentaires, travaillant 50 heures au lieu de 40, par exemple, gagnent plus parce qu’ils travaillent plus longtemps.

    Ce concept est toutefois largement étranger à un cadre supérieur ou à un entrepreneur qui sait que personne ne le paie en fonction de ses efforts ou de sa durée de travail. Une grande partie du salaire d’un PDG typique est liée à l’évolution du cours de l’action de l’entreprise, c’est-à-dire qu’elle est liée aux performances. Ce n’est donc pas le fait de travailler plus longtemps qui conduit à des salaires très élevés mais la croissance de la valeur de l’entreprise.

    Une fois, j’ai gagné un million de dollars en quelques jours. Et le travail n’était même pas pénible. Un entrepreneur immobilier germano-américain m’a demandé de trouver quelqu’un pour acheter 50 % de sa société. Je connaissais bien les forces et les faiblesses de son entreprise et je connaissais les forces et les faiblesses de l’entreprise que j’avais identifiée comme un acheteur potentiel. Ma connaissance du marché et ma compréhension des deux entreprises étaient plus importantes que le temps que j’ai passé sur l’affaire. Seul le résultat comptait. Et bien sûr, je n’avais pas accepté d’être payé en fonction du nombre d’heures passées à mettre en place l’opération mais en fonction d’un pourcentage de la valeur totale de l’opération. Tant que vous restez prisonnier de la mentalité de l’employé, vous n’avez aucune chance de devenir riche.

    Rainer Zitelmann est l’auteur du livre The Rich in Public Opinion

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      ChatGPT, l’outil d’intelligence artificielle controversé

      Philippe Silberzahn · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 21 December, 2022 - 03:30 · 8 minutes

    À moins d’avoir vécu sur Mars ces dernières semaines, vous n’avez pas pu échapper à ChatGPT , l’outil d’intelligence artificielle qui répond à toutes vos questions : résumer un article, faire une synthèse sur la crise économique, écrire un poème, etc.

    Comme pour toute nouvelle technologie, elle est présentée comme révolutionnaire par certains et futile, inutile, voire dangereuse par d’autres. S’il faudra du temps pour que la lumière se fasse, on peut néanmoins éviter quelques écueils, et surtout des positions tranchées, en s’appuyant sur l’histoire de l’innovation qui offre au moins sept leçons pour une approche plus nuancée du débat.

    L’histoire de l’innovation est compliquée

    Elle est parsemée de technologies promises à un grand avenir mais qui n’ont rien donné. D’autres ont mis des années avant de réussir : la première automobile naît en 1765 mais il faut attendre la fin des années 1880 pour qu’on puisse en acheter. D’autres, enfin, sont nées dans l’indifférence, totalement sous-estimées à leurs débuts. Le premier vol des frères Wright en 1903, un événement historique, a fait trois lignes dans le journal local et il a fallu très longtemps pour voir l’aviation comme autre chose qu’un caprice de riches. Les plus grands esprits se sont trompés dans leur estimation du potentiel et de l’impact d’une nouvelle technologie et l’auteur de ces lignes n’a pas l’intention d’ajouter son nom à cette liste.

    Voici toutefois sept leçons historiques pour mieux réfléchir au potentiel de ChatGPT.

    1) La réussite d’une nouvelle technologie résulte rarement de ses seules performances techniques

    La diffusion est en effet un processus social : le corps social accepte la technologie mais son utilisation conduit généralement à une modification. C’est donc un processus complexe. Une très bonne technologie peut donc être rejetée en raison de critères sociaux liés aux modèles mentaux dominants. Par exemple, les OGM sont rejetés en France parce qu’il existe un modèle mental « OGM = danger » qui s’est opposé avec succès au modèle « OGM= excellente solution ».

    Les conséquences économiques, sociales et politiques d’une nouvelle technologie sont donc impossibles à prévoir. Ce qu’il advient d’une technologie est le produit d’un processus à la fois technique (son invention et son amélioration) et social (son adoption, son rejet, son adaptation pour des usages parfois inattendus). Quand on pense au potentiel de ChatGPT, on ne peut donc se limiter à une discussion sur ses performances techniques. On sait par exemple que certaines de ses réponses iront nécessairement à l’encontre des croyances de certains groupes, ce qui pourra entraîner des réactions hostiles. ChatGPT va donc être « modéré » (c’est-à-dire censuré) ce qui va entraîner d’autres réactions hostiles.

    2) Comme tout outil toute technologie a ses limites

    Ce n’est par sur celles-ci qu’il faut la juger. Aucune n’est universelle. Ainsi, les limites de ChatGPT ont très rapidement été pointées : manque de références, positions discutables, résultats parfois bizarres, manque de créativité, faiblesses dans certaines tâches, etc.

    Il est essentiel de comprendre ces limites pour déterminer où la technologie sera pertinente et où elle ne le sera pas. Pointer ces limites pour la rejeter en bloc est une erreur. Un logiciel de dessin ne peut pas vous transformer en artiste, ce n’est pas pour ça qu’il n’a pas d’utilité. Ce qu’il faut, ce n’est pas rejeter une technologie à cause de ses limites mais se focaliser sur son potentiel pour comprendre ce qu’elle nous permet de faire de nouveau.

    3) On tend à juger une nouvelle technologie à l’aune de la technologie actuelle

    Or, une nouvelle technologie introduit de nouveaux critères de performance et c’est sur eux qu’il faut la juger. Les imprimantes 3D n’offrent pas la qualité d’une fabrication traditionnelle en usine et elles sont donc comparées défavorablement à cette dernière. Mais ce n’est pas ce qu’elles essaient de faire. Dans les domaines où la qualité qu’elles offrent est suffisante, elles apportent une souplesse et une personnalisation très utiles. Elles sont donc pertinentes pour certains usages et pas pour d’autres.

    Le fait que la performance d’une nouvelle technologie soit inférieure sur certains critères et supérieure sur d’autres à la technologie existante explique ainsi pourquoi elle remplace rarement complètement cette dernière. Nous continuons à utiliser des fours traditionnels en plus des fours à micro-ondes, des avions à hélice et pas seulement des avions à réaction, des agendas papier et pas seulement électroniques, etc. Parfois, elle va rester inférieure sur les critères historiques (un téléphone mobile peut être à court de batterie ou perdre le réseau au contraire d’un téléphone fixe) et parfois elle va finir par dépasser la technologie actuelle sur tous les critères comme ce fut le cas pour la photographie numérique à partir des années 2000, auquel cas le basculement devient total et l’ancienne technologie disparaît.

    4) Une nouvelle technologie améliore ses performances au cours du temps

    Pour l’évaluer, il faut donc regarder non pas où elle est à ses débuts mais où elle peut aller, ce qui est évidemment difficile voire impossible. Le service de traduction automatique en ligne Google translate a été lancé en 2006. Quelle magie de soumettre un texte qui revenait traduit en anglais en quelques secondes ! Bien sûr, celui-ci nécessitait un retravail important. Disons que Google translate faisait environ 50 % du travail mais le gain de temps était considérable. Puis la qualité s’est progressivement améliorée. En 2017 est apparu DeepL , qui a marqué un progrès notable. Un texte traduit ne nécessitait plus que quelques minutes de finition, on arrivait à environ 80 %. Aujourd’hui, la qualité est devenue remarquable. Il n’y a pratiquement plus besoin de retravailler le texte. Si on avait jugé la traduction automatique en 2006 à l’aune de la traduction humaine, on l’aurait définitivement rejeté.

    Adoption et rejet de la nouvelle technologie

    5) Une nouvelle technologie tend à être adoptée d’abord par des non-consommateurs

    La qualité de la traduction automatique à partir de 2006 était très inférieure à celle d’un traducteur professionnel sauf que je n’avais ni le temps ni les moyens de m’en payer un sans compter qu’aucun d’entre eux ne travaillerait pour traduire trois paragraphes par-ci, par-là.

    Malgré sa performance médiocre, la traduction automatique me rendait déjà un service immense. Pour moi, l’alternative c’était Google translate ou rien. Or, quelle que soit sa médiocrité, Google translate était mieux que rien ; sa performance était donc suffisante pour le non-consommateur que j’étais. C’est pour cela qu’une nouvelle technologie est adoptée par les non-consommateurs malgré sa performance limitée. Elle leur apporte quelque chose qu’ils ne pouvaient pas avoir avant.

    6) Les utilisateurs de la technologie existante tendent à rejeter la nouvelle technologie

    C’est le corollaire du point précédent. Cela est dû au fait que cette dernière n’est généralement pas assez performante pour eux. J’ai commencé à utiliser la téléphonie sur Internet à partir de 1998. La qualité était exécrable mais je pouvais appeler à l’étranger pour le prix d’une communication locale. Autrement dit, la performance de la téléphonie Internet était suffisante pour moi au regard de son coût. En revanche, pour une entreprise il était hors de question de l’utiliser, la performance étant insuffisante au regard de ses exigences. Pour elle, « ça ne marchait pas », ce qu’il faut entendre par « au regard de mes exigences, ses performances sont insuffisantes, donc je ne peux pas l’utiliser ». Fort logiquement, les entreprises ont initialement rejeté la téléphonie par Internet, qui a donc décollé par les usages individuels.

    7) On tend à mettre en avant les inconvénients d’une nouvelle technologie plutôt que ses avantages

    Parlez robots, on vous répond chômage . Parlez biotech et génétique, on vous répond Frankenstein. Parlez IA, on vous répond Skynet et domination des machines. Ce n’est pas nouveau. L’apparition de la photo a fait craindre la disparition des artistes et de la radio celle des musiciens.

    On se focalise sur ce qui va disparaître ou risque de disparaître, sans imaginer ce qui peut naître : le livre imprimé de Gutenberg a fait disparaître les magnifiques manuscrits enluminés, véritables ouvrages d’art, privant les moines copistes d’une source de revenu, mais il a ouvert la lecture et l’écriture à tous. Avec les livres, un érudit n’avait plus besoin d’apprendre les textes par cœur ; il pouvait donc utiliser la capacité de son cerveau ainsi libérée pour des tâches bien plus créatives. Impossible de ne pas penser à un possible effet similaire pour ChatGPT, qui va nous libérer de certaines tâches pour nous permettre d’en effectuer d’autres.

    Homo ludens

    L’histoire de l’innovation est complexe et il est difficile, voire impossible, de prédire l’impact d’une technologie sur la société.

    Son succès dépend souvent de facteurs sociaux et de modèles mentaux sociétaux et son potentiel ne doit pas être jugé uniquement sur ses limites ou ses performances techniques. Son succès dépend de ce qu’on en fera et donc d’une danse étrange entre ses promoteurs et ses utilisateurs.

    Et donc, si vous voulez vous forger une idée sur chatGPT, commencez à l’utiliser pour en découvrir les forces et les faiblesses. Tirez parti des premières et soyez indulgents pour les secondes ; regardez-le évoluer comme pour la traduction automatique. En bref, ignorez les professeurs de morale et les experts trop sûrs d’eux-mêmes et jouez avec. Amusez-vous bien !

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      Deux conceptions de l’entreprise « responsable » : Friedman contre Freeman

      The Conversation · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 18 December, 2022 - 03:40 · 8 minutes

    Par Michel Villette.

    Dans la littérature sur la gouvernance d’entreprise, deux principes s’opposent : celui énoncé par l’économiste Milton Friedman en 1970, dans un célèbre article intitulé The social responsability of business is to increase its profits (« La responsabilité sociale des entreprises est d’accroître leurs profits » ) , à celui proposé près de 40 ans plus tard par les universitaires Edward Freeman, Kristen Martin, et Bidhan Parmar dans leur article Stakeholder capitalism (« Le capitalisme des parties prenantes »).

    D’un côté, Milton Friedman, qui a été brillamment traduit en français par Alain Anquetil, affirme que la poursuite des intérêts égoïstes des actionnaires sera finalement la meilleure contribution possible à la prospérité générale de la nation. De l’autre, le philosophe américain Freeman et ses co-auteurs affirment que le capitalisme ne peut survivre et se légitimer qu’en prenant en compte et en conciliant les intérêts de tous ceux qui sont impactés par l’activité des entreprises. En un mot, pour le bien de l’humanité, les entreprises devraient toutes devenir « socialement responsables ».

    Ces doctrines peuvent paraître inconciliables.

    À lire ce qui s’écrit en France en 2022 et tout particulièrement depuis la publication de la loi Pacte en 2019 , on peut avoir l’impression que cette opposition radicale subsiste. En France, les partisans d’un État interventionniste auquel on demande de « réguler » des marchés semblent en outre plus nombreux que les tenants de la ligne de Friedman. Dans ce contexte, on demande aux entreprises de s’autocontrôler et de s’autoréguler.

    Le débat gagnerait aujourd’hui à se rééquilibrer car d’un point de vue analytique les travaux de Friedman rendent en effet toujours compte de nombreuses pratiques qui persistent dans les entreprises.

    L’observation attentive de la conduite des dirigeants, qui fait l’objet de nos recherches ethnographiques , et de la manière dont les décisions se prennent montre même que, partant de prémisses opposées, les partisans de l’une ou l’autre de ces doctrines parviennent, in fine , s’ils sont placés devant les mêmes choix et dans les mêmes circonstances, à des résultats semblables.

    Autrement dit, deux doctrines qui paraissent incompatibles et suscitent des mouvements idéologiques d’adhésion pour l’une et de rejet violent pour l’autre peuvent aboutir en pratique et une fois la complexité du réel prise en compte à des résultats quasi identiques. Les chercheurs disent que dans ce cas il y a « équifinalité ».

    L’explication réside dans le fait que les doctrines qui définissent des grands principes de gouvernance sont inévitablement des formes stylisées de la réalité du gouvernement privé des entreprises. Elles énoncent des normes, disent comment les choses devraient se passer, définissent des intentions mais négligent évidemment les détails de la mise en pratique.

    Concessions

    Considérons d’abord le cas d’un dirigeant conforme à l’idéal de Milton Friedman : il serait à la tête d’une industrie polluante, dangereuse, exploitant une main-d’œuvre étrangère dans des conditions difficiles pour approvisionner les riches habitants d’un pays riche. S’il veut continuer à verser de gros dividendes à ses actionnaires et voir ses actions prendre de la valeur, ne sera-t-il pas le premier à vouloir se concilier les bonnes grâces des gouvernements des États-nations dont dépend la bonne marche de ses affaires ?

    Ne sera-t-il pas aussi le premier à annoncer des mesures environnementales dès que des études marketing lui indiqueront qu’il s’agit là d’un thème auquel les clients sont devenus sensibles ? Aussi cynique soit-il – et il ne l’est pas forcément – aussi soucieux de servir en priorité ses actionnaires, s’il est intelligent et bien informé il se glissera dans les politiques sociales et environnementales du moment. En effet, c’est pour lui la meilleure solution pour rétribuer au mieux et sécuriser le capital .

    On peut même montrer que c’est précisément parce que l’industrie qu’il dirige est polluante, risquée et avec de fortes externalités négatives qu’il fait de gros investissements dans le socialement et écologiquement responsable . Ce faisant, il protège l’intérêt bien compris des actionnaires.

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    Dans un tel cas, tout dépend de la pression exercée de l’extérieur par les puissances publiques et la société civile. Si celles-ci ont des exigences morales, notre dirigeant cynique, intelligent et rusé en tiendra compte. Si ce n’est pas le cas (par exemple si les responsables politiques sont corrompus et indifférents à l’intérêt général), il corrompra au lieu de contribuer au bien commun car il a de toute façon besoin d’une solide alliance avec les dirigeants des États-nations pour développer son business. Il doit leur faire des concessions.

    Tant que l’entreprise est profitable…

    Considérons maintenant le cas opposé d’un dirigeant se comportant selon les vœux de Edward Freeman mais qui dirige par chance une entreprise peu polluante, employant une main-d’œuvre peu nombreuse, hautement qualifiée et très bien payée dans un pays riche. Il peut parfaitement se faire passer pour le plus écolo et le plus socialement responsable des dirigeants d’entreprise. Cela ne lui coûte pas très cher.

    À la différence de son collègue pollueur, il peut annoncer un excellent bilan carbone et un excellent bilan social. Moyennant quelques efforts supplémentaires il peut annoncer chaque année quelques menus progrès en la matière, par exemple en remplaçant un emballage plastique par un emballage en carton, en posant des panneaux solaires sur le toit de ses entrepôts ou en augmentant le nombre de femmes dans son comité de direction. Tant que son entreprise est profitable, il peut aussi s’adonner au plaisir du mécénat et distribuer des fonds pour lutter contre la pauvreté ou soutenir les activités culturelles et sportives.

    Cependant, il ne peut pas aller trop loin dans cette voie. Si la rentabilité de son entreprise vient à baisser, si le chiffre d’affaires stagne, si le cours de bourse commence à s’effondrer, notre dirigeant malmené par les marchés financiers et critiqué par des investisseurs influents concentrera immédiatement sa stratégie sur la maximisation du rendement du capital et réduira discrètement ses dépenses en matière de responsabilité sociétale et environnementale (RSE).

    Alors que l’année précédente le rapport annuel insistait sur la dimension sociale, écologique et vertueuse de l’entreprise, le nouveau discours de politique générale insistera sur la rentabilité des capitaux investis. Ce dirigeant sera simplement réaliste. Il se souviendra que pour pouvoir donner à toutes les « parties prenantes » ce qu’elles demandent, l’entreprise doit être profitable.

    Nouveau « paternalisme »

    Même dans les phases les plus dures du capitalisme au XIX e siècle un industriel qui construisait une usine au milieu de nulle part et qui avait besoin d’une main-d’œuvre fidèle et de qualité devait inévitablement se mettre à faire du social et s’attaquer à des problèmes de logement, d’éducation et de santé.

    On a appelé cela le « paternalisme ». Or, à y regarder de près, ce n’était pas toujours parce que le patron était inspiré par une doctrine religieuse ou par une utopie socialiste qu’il se mettait à prendre en compte le sort des ouvriers. C’était tout simplement indispensable pour assurer la réussite du projet industriel. Il fallait faire de la nécessité une vertu.

    Une entreprise qui importe et installe des panneaux solaires dans les régions françaises n’aura évidemment aucun mal à se définir comme « écologiquement responsable » puisqu’elle est en pleine croissance précisément en raison du boum écologique et de l’explosion du prix de l’énergie.

    En revanche, la tâche sera plus difficile pour le concessionnaire qui vend et entretient des camping-cars. Ces lourds véhicules de loisir qui marchent au diesel sont évidemment le type même de l’objet technique très polluant né de la société de consommation des années 1970.

    Qu’importe ! Le dirigeant de cette entreprise pourra tout de même se présenter comme extrêmement vertueux sur le plan écologique puisque ses engins permettent aux habitants des villes un retour à la nature. S’il annonce de surcroît qu’il va poser des panneaux solaires sur le toit de ses hangars, il peut tout à la fois empocher une subvention, réduire ses coûts d’énergie et entrer dans la catégorie enviée des entreprises socialement responsables.

    Entre la doctrine de Freeman et celle de Friedman, il n’y a qu’une différence d’intention et de justification. Un cynique Friedmanien, s’il dirige une industrie très polluante a toute chance de faire plus pour lutter contre le dérèglement climatique qu’un missionnaire Fremanien dont les activités sont peu polluantes. Un cynique Friedmanien qui gagne beaucoup d’argent et emploie peu de main-d’œuvre à toute chance de payer beaucoup mieux son personnel qu’un missionnaire Freemanien dont l’entreprise ne fait que des pertes.

    Michel Villette , Professeur de Sociologie, Chercheur au Centre Maurice Halbwachs ENS/EHESS/CNRS, professeur de sociologie, AgroParisTech – Université Paris-Saclay

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’ article original .

    The Conversation

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      « On n’a pas le choix » ou la démission du stratège

      Philippe Silberzahn · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 16 December, 2022 - 03:30 · 5 minutes

    L’importance des ruptures auxquelles nous sommes parfois soumis et le côté impératif de certaines d’entre elles peut nous empêcher de penser sereinement et nous amener à conclure que nous n’avons pas le choix de telle ou telle action.

    C’est pourtant faux. On peut même arguer que plus la rupture est importante, plus la crise est pressante, plus le stratège doit éviter de tomber dans le piège de la voie unique. Les organisations qui survivent aux crises sont en effet celles qui, précisément, trouvent une réponse originale et créative aux défis auxquels elles sont confrontées. « On n’a pas le choix », c’est la démission du stratège.

    L’exemple de Kodak et Fuji

    À partir de la fin des années 1990, Kodak est de plus en plus confronté à la rupture du numérique qui rend ses films argentiques inutiles.

    Pour tous les experts en stratégie et les analystes, c’est une évidence : Kodak doit basculer vers le numérique. Mais l’entreprise hésite à mettre en péril son activité historique. C’est un cas classique de dilemme de l’innovateur mis en évidence par le chercheur Clayton Christensen : miser sur la rupture au risque de sacrifier son activité historique sans être certain de réussir ou défendre cette dernière le plus longtemps possible au risque de rater la rupture.

    Finalement, après des années de tergiversations, Kodak tranchera pour le numérique mais trop tard et l’entreprise fera faillite en 2012.

    Pourtant, le choix du tout numérique était-il si évident ? Loin s’en faut. Comment le sait-on ? En observant ce qu’a fait son concurrent de toujours , le japonais Fuji. Confronté à la même rupture, en crise aiguë en 2007, Fuji se pose et se demande : « Qui sommes-nous? » Réponse : « Nous sommes des chimistes, donc le monde de la photo numérique n’est pas pour nous. » À partir de là, Fuji va abandonner le marché de la photo en gérant intelligemment le déclin de son activité films argentiques tout en se redéployant dans des activités liées à la chimie comme la cosmétique ou la pharma.

    Ce cas illustre bien les dangers de la posture selon laquelle « On n’a pas le choix ». Car on a toujours le choix, même si souvent les choix ne sont pas forcément visibles et si l’un d’entre eux nous est présenté comme évident et impératif. Or, c’est précisément l’enjeu de la stratégie de résister aux pressions institutionnelles et aux fausses évidences, pour identifier, ou mieux, créer un choix souhaitable. L’enjeu de la stratégie, c’est précisément d’éviter le « On n’a pas le choix », ou pire encore « Il faut faire comme les autres. » La capacité de Fuji à éviter ces deux écueils est remarquable et a permis à l’entreprise d’être aujourd’hui florissante alors que Kodak a disparu.

    Générer des choix souhaitables, un acte créatif

    La théorie entrepreneuriale de l’effectuation souligne l’importance de substituer une logique de contrôle à une logique de prédiction.

    Autrement dit, elle souligne que si l’on ne contrôle pas forcément ce qui nous arrive (crise, épidémie, guerre, évolutions de marché, etc.), on peut néanmoins contrôler la façon d’y répondre et en particulier la façon dont on peut en tirer parti. Elle souligne ainsi la part importante de créativité face à l’événement inattendu sur lequel on n’a pas la main.

    Lorsque madame Tao , une chinoise quasi-analphabète et sans aucune formation, se retrouve à la rue avec ses deux enfants suite à la mort brutale de son mari, elle pourrait se dire qu’elle n’a pas de choix autre que devenir mendiante. Or, ce n’est pas ce qu’elle fait. Elle se débrouille pour se procurer du riz et vend des portions aux étudiants de son quartier pour gagner quelques centimes. Par sa créativité, elle échappe ainsi à la fausse évidence de devenir mendiante. Vendre des portions de riz, ce n’est pas très original en Chine mais cela suffit à ouvrir une brèche dans la fausse évidence. De fil en aiguille, elle finira par ouvrir un restaurant puis à produire une sauce épicée aujourd’hui vendue dans le monde entier. Star de l’entrepreneuriat en Chine, elle a simplement refusé l’idée qu’elle n’avait pas le choix. La faussement modeste madame Tao a ainsi compris quelque chose qui semble échapper à nombre de stratèges, qui est que leur rôle est de trouver une réponse créative aux défis auxquels est confrontée l’organisation. Une organisation qui conclut « On n’a pas le choix » abdique sa capacité stratégique. Elle se conforme au modèle dominant, ce qui est la voie la plus sûre vers le déclin.

    Sur le plan plus individuel, énoncer « On n’a pas le choix », c’est user d’un argument d’autorité pour interdire toute objection. C’est la phrase préférée des experts et des idéologues quand ils parlent aux gueux comme nous (ou des hauts fonctionnaires comme j’en ai fait moi-même l’expérience récemment). Elle permet de clore le débat d’entrée de jeu pour se focaliser sur une solution toute faite. « On n’a pas le choix », veut en effet souvent dire « On n’a pas le choix autre que ma solution », et derrière : « On n’a pas de choix autre que ma façon de penser et de voir le problème. »

    C’est penser que le problème est simple, qu’il ne fait pas en lui-même l’objet de débat, et que la solution sera simple aussi. Or, que ce soit le covid, l’inflation, les ruptures de chaîne logistique ou le changement climatique, les défis sont des phénomènes très complexes qui ne sont pas réductibles à un simple problème résoluble par une solution simple.

    Dans un monde complexe et incertain, on devrait passer plus de temps à proprement définir le problème qu’à se jeter sur une solution toute faite et faussement évidente.

    Pensez en stratège

    Alors la prochaine fois qu’on vous jette un « On n’a pas le choix » à la figure, ayez simplement le réflexe de vous dire « Si, on a le choix » pour échapper à l’enfermement et à la voie unique du conformisme si rassurant. Pensez en stratège et demandez-vous quel autre choix vous pourriez faire émerger. Ne soyez pas Kodak, soyez Fuji.

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