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      Pourquoi le libéralisme n’est pas une idéologie

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 4 January, 2023 - 03:45 · 7 minutes

    Les définitions du terme « idéologie » abondent. Mais plutôt que de vous en apporter une ici, il convient surtout de relever qu’entre le sens initial du mot et les sous-entendus qu’il recèle désormais, la prudence s’impose.

    En effet, alors que ce terme avait une signification précise au départ, se référant à la science des idées , il a très vite subi les coups de boutoir de Napoléon, se moquant des intellectuels peu au fait de la politique concrète, puis surtout de Karl Marx, qui en marquera profondément le sens péjoratif aujourd’hui dominant, la présentant comme une « illusion idéaliste ».

    Le libéralisme est-il une idéologie ?

    Mais c’est surtout, aujourd’hui, sur son caractère prescriptif que l’on insiste lorsque l’idéologie est évoquée. Raymond Aron opposait ainsi ceux qui prétendent vouloir « changer l’Homme », en poursuivant des utopies ou croyances illusoires toujours pleines de bonnes intentions , mais se heurtant au réel, à ceux qui se réfèrent aux faits et, à ce titre, peuvent apparaître comme des briseurs de rêves .

    C’est pourquoi il considérait que le libéralisme, par essence, est anti-idéologique, car non-prescriptif.

    En quoi le libéralisme n’est-il pas prescriptif ?

    Le libéralisme n’a pas pour prétention de vouloir changer le monde ou de promouvoir un quelconque idéalisme. Il n’est pas là pour fantasmer la réalité, changer l’Homme ou faire rêver.

    C’est pourquoi certains préfèrent parler de doctrine, d’autres de philosophie, ou encore d’humanisme (ou les trois à la fois). En ce sens que le libéralisme est avant tout une conception de l’être humain, basée sur des rapports de coopération volontaire, de solidarité spontanée, de respect, de tolérance. Et qui ne cherche pas à imposer ses idées, comme le font des idéologies totalitaires ou simplement étatistes, par nature.

    Correspond-il à une forme d’extrémisme ?

    Comme le nom l’indique, le libéralisme vise avant tout à défendre les libertés individuelles. Ce qui passe par l’importance accordée au droit (nous y reviendrons), à la défense de la propriété (nous aurons certainement également l’occasion d’y revenir ; pas facile de ne pas déborder sur les prochains volets de cette série, ni de faire court) et implique de concevoir les libertés politiques et économiques comme un tout (idem).

    Il ne s’agit donc pas d’un extrémisme , loin de là et bien au contraire. Plutôt de principes visant à garantir les libertés fondamentales, fragiles par nature .

    Quelles sont ses prétentions ?

    Contrairement à l’État-providence qui a quasiment comme prétention de prendre totalement en charge les individus de leur naissance à leur mort , de manière que l’on peut croire bienveillante , le libéralisme entend au contraire leur faire confiance et s’appuyer sur leur capacité d’initiative pour développer une société où vivre en harmonie , tout en se sentant responsable. Ce qui n’exclut pas, d’ailleurs, de venir en aide aux plus démunis, contrairement à ce que certains souhaitent laisser penser.

    Dans le premier cas (État-providence), le risque de despotisme n’est pas loin. Voici ce qu’énonçait Alexis de Tocqueville à son sujet, se référant ici à ses citoyens :

    « L’État travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages, que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? […] il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige […] il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »

    Le libéralisme défend donc une vision contraire à celle de planisme, qui mène à la route de la servitude . Et une philosophie optimiste, pleine de confiance en l’homme, tout en étant consciente de ses limites, et profondément éthique. Loin de l’arbitraire des idéologies tendant à prendre en mains le destin des peuples.

    Les Français sont-ils majoritairement contre le libéralisme ?

    La falsification qui est faite de ce terme, notamment à travers les adjonctions de particule ( néo , ultra ), destinées à le décrédibiliser, peut laisser penser que oui.

    Maintenant, et au vu de ce que nous avons pu amorcer à travers les éléments développés ci-dessus, on peut imaginer que les valeurs du libéralisme sont très probablement compatibles avec ce que pense profondément une grande partie de la population.

    La crainte ou le rejet du libéralisme, à mon sens, résulte donc d’un grand malentendu, d’une ignorance entretenue par ses principaux ennemis et par ceux (très nombreux) qui jouent involontairement, du coup, la caisse de résonance de ces mensonges, de manière sincère, par ignorance réelle de ce qu’il est (même des personnes aussi sensées ou avisées qu’une Natacha Polony , véritablement obsédée et ennemie farouche depuis très longtemps de quelque chose qu’elle méconnaît et au sujet duquel elle se trompe de ce fait lourdement 1 ).

    Pour conforter l’idée, voici ce qu’en dit par exemple Jacques Garello dans son dernier livre (en reprenant la phrase complète de Francis Richard) :

    « Les idées libérales ne sont pas celles qu’on croit : beaucoup de Français se croient et se disent libéraux, mais ne le sont pas en réalité. À l’inverse, sont encore plus nombreux les Français qui sont libéraux mais ne le savent pas. Rien d’étonnant à cela puisque le libéralisme n’a que très rarement été enseigné, et presque jamais appliqué. Le libéralisme est ignoré, donc caricaturé, diabolisé, ou dévié.

    Libéral ? Pas libéral ?

    Car, en effet, au-delà de ceux qui se pensent anti-libéraux par simple ignorance, il existe aussi tous ceux qui se disent ou se sont déjà dits un jour libéraux, mais ne le sont qu’à la carte (je ne pense pas à un Emmanuel Macron, auquel vous aurez peut-être pensé spontanément, mais plutôt ou aussi à des politiques du type Jean-Pierre Raffarin ou tant d’autres du même acabit, libéraux un jour, et plus le lendemain, ou libéraux mais pas ultra-libéraux ou encore libéraux en politique mais pas en économie. Autant de points qui mériteraient d’être discutés, mais je m’aperçois que mon article finit par être à rallonge, alors que je le voulais court).

    Et nous revenons là à l’essence de notre sujet du jour (en attendant les volets suivants) : le libéralisme est-il une idéologie ?

    C’est parce qu’il ne l’est pas que rien ne sert de se présenter comme libéral sur tel plan et pas sur tel autre. Cela peut d’ailleurs se discuter, mais le fait est que nous parlons bien d’une doctrine, d’une philosophie qui, si elle n’est pas fermée et stéréotypée mais bien vivante et ouverte, révèle une essence profonde difficilement divisible ou modulable en fonction de ce qui arrange.

    Cette philosophie de la liberté s’oppose à tout ce qui assujettit d’une manière ou d’une autre des êtres ou des organisations, au risque de verser dans ce qui apparaît bien, si l’on fait référence au domaine économique, comme un capitalisme de connivence (là encore, nous aurons largement l’occasion d’y revenir, car il s’agit d’une source centrale du grand  malentendu).

    Et c’est aussi parce que beaucoup ont été déçus et se sont sentis floués par certaines idéologies auxquelles ils ont plus ou moins adhéré un temps par une sorte d’idéalisme bien compréhensible et parfaitement humaine, que certains d’entre eux, parmi les esprits les plus brillants ( Jean-François Revel , Jacques Marseille et d’autres encore, comme le rappelle un lecteur de l’article précédent) s’en sont détournés pour privilégier une approche plus philosophique (alors que les exemples inverses sont plus difficiles à trouver, comme ce lecteur le souligne).

    La liberté ne se décrète pas

    En conclusion de ce volet, et pour finir (même si je suis forcément très incomplet), on peut noter que la liberté que défend le libéralisme est quelque chose de spontané. Il ne s’agit pas d’un constructivisme , donc pas d’une idéologie. Ce qui n’exclut pas l’État, en tant que garant de ces mêmes libertés.

    Un article publié initialement le 7 avril 2017.

    1. Je découvre d’ailleurs, au passage, moi qui ai failli lui écrire gentiment il y a quelques mois en y ayant finalement bêtement renoncé par manque de temps, que Nathalie MP a justement écrit un article à ce sujet , que je vais m’empresser de lire avec délectation, où il est manifestement question de « malentendu »
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      « Le travail a remplacé la religion dans la Silicon Valley »

      news.movim.eu / Numerama · Sunday, 1 January, 2023 - 18:12

    Si l’heure est à la grande démission dans beaucoup de secteurs professionnels aux États-Unis, les grandes firmes américaines de la Tech semblent en partie épargnées par ce mouvement. Mais comment expliquer l’attachement des travailleurs qualifiés à leurs entreprises dans la Silicon Valley ? Une sociologue américaine, Carolyn Chen, apporte une réponse : selon elle, le travail est devenu une religion pour les salariés des grandes firmes de la vallée. [Lire la suite]

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      Idéologie et bureaucratie : le double enfer du socialisme

      Pascal Avot · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 17 December, 2022 - 04:30 · 9 minutes

    À la première page de son chef-d’œuvre, Les hauteurs béantes , plus grand roman de l’après-guerre sur le totalitarisme avec 1984 , le logicien dissident soviétique Alexandre Zinoviev écrit :

    « Comme toute ineptie anhistorique, le Socialisme possède sa théorie fausse et sa pratique erronée, mais il est impossible de dire en théorie et en pratique où commence la théorie et où finit la pratique. »

    L’énoncé semble absurde – il est pourtant d’une grande lucidité. Sous une apparence satirique, Zinoviev nous montre la difficulté de cerner le socialisme.

    En règle générale, le socialisme est considéré comme un courant politique et économique aboutissant à un système de gouvernement. Pourtant, à bien y regarder, il y a tout lieu de s’interroger sur cette définition. Il est fort possible qu’elle soit fausse.

    La non-économie

    Commençons par le versant économique. Nul besoin d’expliquer à un public libéral que l’économie socialiste n’est pas une économie, mais une entreprise de destruction des mécanismes de l’économie. La propriété privée, l’initiative, le profit, la croissance, le travail, l’entrepreneur, l’actionnaire, y sont constamment dénoncés comme des ennemis jurés.

    Que ce soit sous sa forme traditionnelle et rigide (le marxisme-léninisme triomphant du XX e siècle), dans ses manifestations plus opportunistes (le mitterrandisme ) ou à travers ses innombrables produits dérivés contemporains (altermondialisme, écologisme, décroissance), le socialisme est bien davantage une non-économie qu’une économie alternative. Il repose essentiellement sur un parasitisme plus ou moins progressif, plus ou moins prédateur, de l’économie réelle et il s’effondre aussitôt que celle-ci, agonisante, cesse enfin de le nourrir. Il n’a pas de substance propre : il ne sait que vampiriser et ne peut rien faire d’autre. Sans victime, il n’est qu’abstraction.

    La non-politique

    La politique, maintenant. « Tout est politique », écrit Marx . Un des élans les plus constants du socialisme est de politiser la société dans toutes ses dimensions, jusqu’au cœur des familles, jusqu’à la sexualité, afin de remplacer la société concrète, historique, par une société d’avenir, utopique, et d’effacer l’humain traditionnel pour faire advenir un Homme nouveau. On sait bien que cette mainmise socialiste sur la vie commune aboutit invariablement à une disparition du progrès, de la créativité, de la culture et, in fine, et c’est le plus important, à un anéantissement de la société elle-même, c’est-à-dire de la capacité de la collectivité à s’organiser en fonction de ses besoins et de ses désirs, indépendamment du pouvoir politique.

    La politique au sens où l’entend l’Occident libéral est inconcevable sans spontanéité de la société. Pour qu’une société s’exprime politiquement, il faut qu’elle puisse exister hors de la politique. En somme, pour que la vie politique soit possible, il faut que l’absence de vie politique le soit également. On observe ainsi dans les régimes socialistes un phénomène paradoxal, mais logique : plus ils imposent aux populations une politisation à outrance dans tous les domaines, plus la politique disparaît pour laisser place à une passivité généralisée, une indifférence au mieux pessimiste, au pire nihiliste, qui brise tout élan démocratique et éteint les oppositions.

    On a bien vu, par exemple, à quel point la stratégie sanitaire d’Emmanuel Macron, en socialisant la pandémie et en la politisant, en la présentant comme une « guerre », en interdisant aux citoyens de mener des jours raisonnables, autogérés et paisibles, a coïncidé avec une disparition quasi complète du débat politique en France. Le meilleur moyen de dépolitiser une population est de l’empêcher de commercer, de circuler à ciel ouvert et de palabrer dans les cafés : elle se détache alors mécaniquement de la pensée politique, comme un arbre sans terre se dessèche.

    Les fantasmes de Laurent Obertone sur un Big Brother effaçant la vérité et imposant le mensonge relèvent de la paranoïa dans le fond et de la bande dessinée dans la forme, car un confinement, des masques et des gestes-barrières suffisent largement à désocialiser le citoyen, donc à brouiller les messages de la démocratie. La censure n’est alors guère plus qu’une variable d’ajustement : le socialisme, en soi, produit l’essentiel de l’apolitisme. Macron n’a même pas besoin de le vouloir, ni de le comprendre – ne lui prêtons aucun génie maléfique, car il n’y a rien de génial en lui. Peut-être même croit-il vraiment être participer à l’édification du libéralisme.

    Mais alors, si le socialisme n’est ni économique, ni politique, qu’est-il donc ? D’où tire-t-il son effrayante puissance de coercition, de destruction et de ruine ? De l’idéologie et de la bureaucratie.

    L’idéologie

    L’idéologie n’est pas politique, car la politique se signale par une vision de la réalité et une volonté de la réformer pour l’améliorer.

    Or, l’idéologie ne veut pas transformer le réel : elle veut l’abolir. Soit en douceur, par l’effet d’une accumulation asphyxiante de transformations ponctuelles, comme sous Mitterrand, soit par un viol global, brutal et immédiat de ses fondamentaux, comme sous Lénine.

    Mais il y a bien pire encore : l’idéologie ne comprend pas le réel parce qu’elle ne le voit pas. Elle est, à proprement parler, une hallucination. Elle voit tout à l’envers. Où il y a de la richesse, elle détecte de la misère. Où il y a de la liberté, elle décèle de la contrainte. Où il y a du contrat, elle dénonce de l’esclavage. L’idéologie n’est pas une erreur de jugement, mais un anti-jugement, une observation en position du cochon pendu.

    Dénuée de tout point de contact avec la vérité, elle lui tourne le dos aussi longtemps qu’elle peut et ne se dirige vers lui que pour le prendre d’assaut et l’éliminer.

    La bureaucratie

    Sa prise du pouvoir peut s’opérer par étapes ou d’un coup selon les contextes historiques et les dogmes brandis, mais si l’idéologie veut maintenir son emprise sur la société, elle est condamnée à mettre en place une bureaucratie. Ici, entendons-nous : la bureaucratie n’est pas l’État. Si ce dernier peut se targuer d’une dimension légitime (nous laisserons de côté certaines thèses libertariennes, anarchistes ou marxistes), la bureaucratie est illégitime dans son essence même, absurde dans l’ensemble de son fonctionnement et toxique dans toutes ses conséquences. Elle n’est pas une excroissance de l’État, mais un anti-État : la tumeur qui dévore le régalien. Entre un fonctionnaire et un bureaucrate, il y a la même distance qu’entre un policier et un assassin ; les deux sont armés, mais le premier sert la justice, tandis que l’autre l’assaille. Le fonctionnaire honnête et utile existe. Le bureaucrate est l’homme qui s’est donné pour mission de parasiter le plus possible l’État à son seul profit : c’est un ennemi intérieur. Il est moralement condamnable et politiquement inexcusable.

    La seule chose qui puisse justifier l’essor de la bureaucratie, c’est l’idéologie. Et la seule chose qui puisse faire advenir le règne de l’idéologie, c’est la bureaucratie.

    L’idéo-bureaucratie

    Parce qu’elle n’entretient aucune relation avec le réel, l’idéologie ne peut s’incarner que dans une organisation fictive : la bureaucratie. Et parce que son envahissante inanité a besoin d’alibis imaginaires, la bureaucratie renforce sans cesse l’idéologie qui la produit. Elles sont indispensables l’une à l’autre.

    Bien sûr, historiquement il existe des idéologies « pures », qui ne trouvent pas leur aboutissement dans des bureaucraties, comme il existe des bureaucraties « pures », qui se passent de justifications idéologiques. Toutefois, c’est dans leur accouplement pervers qu’elles trouvent leur plein épanouissement à l’ère moderne. Que serait l’écologisme sans ses innombrables bureaux, associations, lois, règlements, ministères, colloques, sommets, partis, élus locaux, nationaux, européens et mondiaux, tous financés par le contribuable, et qui donnent corps et présence à son vertigineux vide intellectuel ? De même, que serait ce labyrinthe organisationnel déployé par les verts sur les cinq continents, sans les délires idéologiques sur le réchauffement, l’empreinte carbone et le devoir de sauver d’urgence la nature menacée de disparition par la plus abjecte des espèces, la nôtre ? L’idéologie est le dieu de la bureaucratie. Le formulaire Cerfa est l’hostie de l’idéologie. Le serpent idéologique et le serpent bureaucratique se mordent la queue l’un l’autre, la boucle est bouclée : l’humanité est encerclée.

    Une feuille de papier

    Et qu’y a-t-il, entre le ciel idéologique et la bureaucratie bassement terrestre ? Rien du tout. Regardez une feuille de papier. Le recto, c’est l’idéologie. Le verso, c’est la bureaucratie. L’épaisseur, c’est le mot « socialisme ».

    L’idéologie est un enfer des idées, la bureaucratie est un enfer de la matière, et le socialisme est le no man’s land contenu entre ces deux enfers. Vivre en pays socialiste ou national-socialiste, c’est se retrouver écrasé par cet étau. Le Goulag et le camp d’Auschwitz étaient deux bureaucraties reposant uniquement sur des idéologies : le communisme et le nazisme sont des mythes : ils n’ont jamais existé. Il n’y a rien eu d’autre que des concepts et à l’étage inférieur, des organigrammes, des législations, des fiches, des classeurs, des bureaux, des guichets, des cases cochées dans des questionnaires pour, en bout de course, couvrir l’horizon de cadavres d’innocents. En milieu socialiste, la politique et l’État sont des décors, des arrière-plans inhabités. L’idéologie fournit le but, la bureaucratie la méthode, avec la mort pour résultat.

    C’est pourquoi, chaque fois que le libéral attaque la bureaucratie, il doit en même temps frapper l’idéologie qui la fonde. Et chaque fois qu’il dénonce l’idéologie, il doit aussi condamner la bureaucratie qui la matérialise. Sans quoi il raye d’un trait de plume le recto de la feuille et oublie le verso, ou inversement ; dans les deux cas, il échoue.

    Lorsqu’on aura mis un terme à l’idéologie et à la bureaucratie prises ensemble, la France découvrira – non sans stupéfaction, mais avec un immense soulagement – l’authentique définition de la gauche qui la torturait au fer rouge dans la cave de l’Histoire : une billevesée. Nos plaies se refermeront bien plus vite que nous n’osons en rêver.

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      Alain Besançon : le libéralisme face au mal

      Pascal Avot · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 14 December, 2022 - 03:50 · 7 minutes

    Le fait est peu connu du public libéral, et il doit être souligné avec énergie, tant nos motifs de fierté intellectuelle sont rares quand notre pays sombre dans un inexorable socialisme : la France peut s’enorgueillir d’avoir donné naissance à une foule de très grands experts du communisme en général et de la Russie en particulier. Il faut évoquer Jean-François Revel , Annie Kriegel, Françoise Thom, Galia Ackerman , Stéphane Courtois , Thierry Wolton , Nicolas Werth, tous esprits de grande qualité, tous dévoués corps et âme à la double cause de la vérité et de la liberté, tous combattant pied à pied, bec et ongles, décennie après décennie, les mensonges planétaires du Kremlin.

    Mais le plus grand d’entre eux est indiscutablement Alain Besançon.

    La soviétologie

    La soviétologie est l’étude scientifique du régime soviétique. Elle s’appuie sur l’histoire et au-delà. Car un de ses présupposés est que le long règne du communisme soviétique sur la Russie, sur l’URSS et, via la propagande, la manipulation, la guerre et la corruption, sur le XX e siècle tout entier, est un phénomène entièrement neuf, qui exige de mobiliser plusieurs disciplines. L’histoire, bien entendu, mais également l’économie, la sociologie, la polémologie, l’anthropologie, la métaphysique et même, pour certains, la théologie.

    En somme, le soviétologue est un historien qui, confronté à la puissante énigme du collectivisme, bat le rappel des sciences disponibles pour en former une nouvelle, seule à même d’affronter les destructions sans précédents commises par Lénine , Staline , Mao , Castro , Pol Pot , la dynastie des Kim , d’autres encore. Dans cet exercice ô combien difficile, Alain Besançon est le maître.

    Le soviétologue

    Né en 1932 à Paris dans une famille de la bonne bourgeoisie travailleuse et appliquée, fils et petit-fils de médecins, il adhère au Parti communiste français en 1951. Il s’y montrera un militant discipliné, soumis et aveugle comme ses camarades, considérant Staline comme un génie, conformément aux injonctions de l’organisation politique la plus influente et la plus totalitaire de France.

    Mais, en 1956, survient la dénonciation des crimes de Staline par Krouchtchev. Elle détruit d’un coup les convictions d’Alain Besançon. Il se sent trahi, la colère l’envahit. Il quitte le PCF et décide de consacrer sa vie à comprendre pourquoi et comment il a été manipulé et sali. Il ne le fait pas uniquement par désir de prendre sa revanche, mais également et surtout par volonté de se racheter.

    Il écrit :

    « Tout ce temps que j’ai passé sur l’histoire russe et le communisme soviétique, à l’étudier et à l’analyser, j’espère qu’il me sera compté à pénitence ».

    Commence alors une brillante carrière d’historien universitaire. Il enseigne à Columbia, à Stanford, à Washington, à Princeton, à Oxford, à l’EHESS. Au long d’une œuvre qui fait aujourd’hui internationalement référence, il forge une vision originale du communisme. C’est elle que les libéraux français contemporains doivent impérativement connaître s’ils veulent, un jour, peut-être, vaincre le socialisme qui ravage leurs existences.

    L’idéologie

    Alain Besançon fixe un centre de gravité au phénomène communiste : l’idéologie.

    À la suite de Soljenitsyne , il considère qu’elle seule peut expliquer les catastrophes observées en Russie, en Chine et ailleurs. Certes, il y a les contextes différents, les événements imprévisibles, les individus, la complexité de leurs profils psychologiques et leurs dévorantes ambitions, mais ce qui lie ensemble l’histoire du communisme, ce qui la rend homogène et cohérente malgré sa folie, systémique malgré sa sauvagerie, et incomparable avec le reste de l’aventure humaine, c’est l’idéologie.

    « Qu’est-ce que l’idéologie ? » Voilà la question fondamentale de la pensée d’Alain Besançon.

    Il y répond en ouverture de son chef-d’œuvre, Les origines intellectuelles du léninisme . Dans cet essai d’une densité et d’une profondeur remarquables, le soviétologue signale que l’idéologie est à la fois un tout et un rien.

    Un tout parce qu’elle est le cerveau qui dirige tous les organes du communisme. Elle dicte leurs pensées, leurs paroles et leurs actes aux dirigeants, même les plus mégalomanes. Mao et Staline peuvent bien se faire passer pour des dieux vivants, il n’en sont pas moins les humbles esclaves du dogme marxiste-léniniste : ils lui doivent tout, ils le savent, et ils n’imaginent pas un seul instant lâcher cette rampe d’acier qui les a menés si haut dans la hiérarchie universelle. Ils sont hantés, possédés par elle. Jusqu’à la fin de sa vie, dans la solitude de ses insomnies, Staline l’étudiera avec fièvre, tel un alchimiste penché sur ses grimoires. Aujourd’hui encore, comme lui, malgré les dizaines de millions de morts qu’elle a occasionnés, d’innombrables étudiants de gauche tentent de percer les secrets du « matérialisme dialectique ».

    Et l’idéologie est un rien parce qu’elle se trompe invariablement sur tous les sujets, qu’elle peut se résumer en quelques formules incroyablement vaines et creuses, et qu’elle s’exprime dans une langue de bois d’une pauvreté sans égale. L’idéologie est d’une médiocrité qui saute aux yeux et devrait suffire, en soi, à dénoncer son inanité. Pourtant, elle se présente aux foules comme la science des sciences, le savoir le plus parfait, le plus définitif auquel soit jamais parvenu l’humanité. Elle prétend rendre obsolètes toutes les connaissances, y compris, chez Lénine, les sciences exactes, qu’il réécrit à grands traits de plume, démontrant que la dialectique annule et remplace la chimie, l’astronomie et la physique. Ainsi l’idéologie, dans sa criante nullité, s’arroge-t-elle le droit de ridiculiser le génie civilsationnel. Tout irait bien si son influence sur la réalité se maintenait à un stade groupusculaire, sous une forme sectaire et anecdotique. Or, elle a conquis sur les cinq continents une myriade d’esprits au XX e siècle, et son extension ne semble pas prête de s’éteindre. C’est que l’idéologie, explique Alain Besançon, est contagieuse. Le vaccin reste à inventer.

    L’œuvre

    De cette alignement de l’histoire du communisme sur l’étrangeté idéologique, Alain Besançon tire des livres passionnants.

    À un public libéral, on signalera Anatomie d’un spectre , formidable dissection de l’indigence économique du communisme.

    À qui veut saisir la différence exacte entre communisme et nazisme, on recommandera Le malheur du siècle .

    Les fans de 1984 se lanceront dans la lecture de La falsification du bien : Soloviev et Orwell .

    Quiconque s’intéresse au poutinisme trouvera dans Sainte Russie des éclairages décisifs.

    Et, bien entendu, Les origines intellectuelles du léninisme , monument d’érudition et de clairvoyance, où Alain Besançon nous plonge dans les méandres cauchemardesques de l’âme de Lénine. Mais notons que tous ces essais se trouvent désormais dans un très gros et très beau volume réunissant l’essentiel d’Alain Besançon : Contagions , aux éditions des Belles Lettres. 1500 pages superbement mises en page, d’une lisibilité idéale, pour 55 euros. Ne pas se le faire offrir pour Noël serait masochiste. Ne pas l’offrir serait sadique.

    Alain Besançon ne se contente pas d’être un auteur de tout premier ordre, à la culture spectaculaire, aux idées d’une précision chirurgicale et au style d’une admirable élégance – et, par moments, à l’humour délicieusement incisif. Il est un professeur de pensée. Si Galia Ackerman, Françoise Thom et bien d’autres, disent volontiers de lui avec une émotion particulière dans la voix « C’est mon maître », c’est que cet élève de Raymond Aron a fondé sa propre école invisible, à laquelle appartiennent à vie la plupart de ceux qui l’ont lu. Voyager dans l’univers conçu par Alain Besançon laisse une trace dans l’intelligence : c’est une expérience unique et elle fait un bien fou.

    Pour finir, signalons qu’Alain Besançon est un libéral. Vous n’avez donc maintenant plus guère d’alibi pour ne pas faire le salutaire achat de Contagions .

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      Croissance, pouvoir, puissance : les trois âges du mal idéologique

      Pascal Avot · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 7 December, 2022 - 03:40 · 10 minutes

    À la chute du Mur de Berlin , nombreux furent les théoriciens qui affirmèrent que l’idéologie de gauche allait s’effondrer. Moscou, la Mecque du socialisme pendant 70 ans, redeviendrait une capitale comme une autre. Privées du soutien idéologique, logistique et financier de l’Union soviétique, les filiales du Komintern allaient s’éteindre les unes après les autres. Sans le soutien électoral des communistes, le socialisme était voué à disparaître. En France, l’effondrement du PCF actait, croyait-on, la victoire des idées libérales.

    Jean-François Revel , pourtant, prévenait : « La bête n’est pas morte. Elle traverse un coma léger. Elle reviendra, et son nouveau visage nous surprendra tous. » Il avait raison. Trente ans plus tard, la gauche hante l’Occident sous des masques inédits, insensés, sans cesse renouvelés, qui feraient presque passer l’ancienne langue de bois stalinienne pour un moindre mal, plus stable et plus compréhensible.

    Jeunesse d’un monstre

    Que s’est-il passé ? L’idéologie de gauche est embryonnaire pendant la Révolution française. Elle entre dans une phase de croissance au XIX e siècle : elle s’approfondit philosophiquement, s’étend géographiquement et se durcit encore politiquement. D’un conglomérat d’idées confuses sous Robespierre , on se dirige vers les grandes architectures marxistes. La multiplication de groupuscules nihilistes dans toute l’Europe sert de tête de pont aux grands partis à venir. L’idéologie investit deux univers qui vont faire sa gloire : l’intellectualisme et le terrorisme.

    Cette phase de croissance a un centre de gravité : le Russe Mikhaïl Bakounine . À la fois théoricien bavard, prophète illuminé des grands bains de sang à venir et activiste souterrain, Bakounine incarne parfaitement l’incubation du mal idéologique moderne. Il a pour protégé – et peut-être pour amant – Sergueï Netchaïev, un terroriste adolescent dont le Catéchisme du révolutionnaire , ouvrage bref, glaçant, ouvertement maléfique, servira de bréviaire à une myriade de psychopathes communistes et anarchistes au siècle suivant.

    La bête prend le pouvoir

    Mais le chaos qui sort de la tête de Bakounine ne suffit pas à fonder une politique. Avec Marx, l’idéologie se dote d’un maître définitif. Son esprit de système historique et économique va offrir à la pensée idéologique une structure extrêmement cultivée et sophistiquée. Marx se trompe-t-il ? Oui, sur à peu près tous les sujets, mais il est logique, méthodique et convaincant. Il apporte à la pensée de gauche un immense décor aux apparences rationnelles – et mieux : scientifiques. Ce qui manqué à Robespierre et aux Communards est là, enfin prêt à l’emploi, adulte. La phase de croissance s’achève. La phase de pouvoir commence.

    En kidnappant la Russie en 1917, Lénine inaugure cette deuxième saison de l’aventure idéologique : des improvisations et des abstractions, on passe à la pratique disciplinée. Inutile de rappeler ici les catastrophes provoquées par ce leader politique à nul autre pareil, puis par ses disciples sur les cinq continents. Censure, terreur, déportations de peuples entiers, exécutions arbitraires de masse, anéantissement des économies et des cultures, destruction de toutes les institutions et de toutes les traditions : le léninisme au pouvoir ne laisse pas pierre sur pierre.

    La machine à détruire

    De Staline à Mao, de Castro à Pol Pot, de Ceaucescu à Andropov, les styles changent, les techniques de coercition changent, mais la ruine et l’épouvante sont les mêmes. Sans compter les conflits que le communisme déclenche ou aggrave : guerre civile russe, Deuxième Guerre mondiale, de Corée, du Viet-Nam, d’Afghanistan, la liste est longue. Aujourd’hui encore, Xi Jinping et Kim Jong Un maintiennent en bon état de marche la machine à détruire les civilisations, avec l’aimable collaboration de Cuba et de quelques autres contrées à parti rouge unique.

    Le XX e siècle fut le siècle de Lénine et nous entendons ses échos jusque dans nos vies quotidiennes. Un exemple ? Le directeur général de l’OMS depuis 2017, Tedros Adhanom Ghebreyesus , a appartenu à une organisation marxiste-léniniste et terroriste, le Front de Libération du Peuple du Tigray. Les accointances contemporaines de Tedros avec la Chine de Xi Jinping ne sont plus à démontrer : elle a financé sa campagne pour prendre la tête de l’OMS et, en échange, il a soutenu sans faillir la stratégie chinoise de confinement au début de la pandémie de Covid-19, laquelle politique a été aveuglément imitée par tous les pays du monde. Nous devons, pour une bonne part, la dureté de la politique sanitaire d’Emmanuel Macron au léninisme de ses initiateurs.

    Mais l’ère du pouvoir idéologique, sans être pleinement achevée, semble laisser place à une troisième phase : celle de la puissance. À ce stade, l’idéologie n’a plus besoin de monopoliser les ministères, ni d’emprisonner ses proies, et encore moins de tirer sur ses opposants : elle se diffuse de manière immatérielle, sans visage. Qu’observons-nous ? Un envahissement des esprits par le gauchisme dans toutes les strates de la société occidentale, y compris en des lieux où sa présence était autrefois inimaginable.

    Le capital et l’Église en PLS

    Prenons deux exemples : le capitalisme et le christianisme.

    Théoriquement, le capitaliste lutte bec et ongles contre ce qui veut détruire sa richesse. Mais ça, c’était avant. De nos jours, les services corporate et marketing des grands groupes industriels et commerciaux regorgent de jeunes idéologues dont l’obsession est de faire rendre gorge au capitalisme. Et d’injecter dans chaque artère du profit des doses maximales d’écologisme, d’antiracisme, de féminisme, de crétinisme post-bolchévique, comme si Google, l’Oréal ou Renault étaient des antennes de l’Internationale.

    Jamais, dans toute l’histoire de l’entrepreneuriat, de la production et des services, on n’avait vu les piliers de la richesse dénoncer de manière aussi acharnée le monde du profit. Jusque chez HEC, l’altermondialisme est au menu. Le résultat est une bureaucratisation galopante de la sphère économique privée, qui cherche désespérément à ressembler à une ONG progressiste. Les milliardaires miment Mélenchon. L’État les applaudit et les encourage à redoubler d’efforts, évidemment. Les cadres supérieurs votent Sandrine Rousseau .

    Pour ce qui est du christianisme, il suffit de citer un nom : le Pape François.

    Il est à l’Église ce que la Responsabilité Sociale et Écologique est à l’entreprise. Il n’a de cesse de culpabiliser l’Occident , de tracer des parallèles oiseux et toxiques entre charité et socialisme, de promouvoir les idéaux collectivistes, de couvrir d’anathèmes l’individualisme, de coiffer d’auréoles toutes les Greta Thunberg du moment, et de livrer sur un plateau les fidèles chinois à Xi Jinping. Si bien que de plus en plus de croyants se demandent si leur baptême se résume à une adhésion au gauchisme. Et, ce qui est peut-être plus grave encore, par réaction horrifiée, les traditionalistes voient en François un envoyé de Satan, plongent dans la mentalité apocalyptique et se réfugient dans les nuages d’encens envoûtants de Poutine. À force de mimer Che Guevara, le Pape joue avec les feux du schisme et de l’hérésie.

    Ce ne sont que deux exemples. Les signes allant dans le même sens fourmillent chaque jour dans les médias. La culture, la famille, l’éducation, ou ce qu’il en reste, sont arc-boutées sous un déluge de délires idéologiques, de réglementations, de lois, de censures et d’injonctions de gauche, au point que, pour tenter de donner une identité au phénomène, la droite parle de totalitarisme soft . Or, l’expression est tronquée, car il n’est de totalitarisme qu’assassin. Ni Biden, ni Macron, ni van der Leyen, ni Soros, ni Schwab, ne sont des tueurs de masse. Nous n’avons pas affaire à un totalitarisme, mais au passage de l’idéologie de l’état de pouvoir à celui de pure puissance.

    En termes clairs : elle n’a plus besoin de prendre le pouvoir pour l’exercer. Elle n’a plus besoin de la pyramide administrative pour nous dominer. Elle est libérée de ses propres carcans institutionnels. Aussi aberrante et hystérique qu’à ses débuts, mais avec l’acquis d’un siècle de conquêtes et d’expérimentations. Et la pensée libérale toute entière se trouve prise à contrepied.

    Comment réagir ?

    La première réaction à notre disposition est d’adopter la posture du martyr. De proclamer que ce nouveau stade de l’idéologie est plus brutal que le précédent, que toute liberté d’expression a disparu, qu’Armageddon n’est plus devant nous, mais sous nos pas et qu’in fine, nous sommes d’ores et déjà dans la même position que les Coréens du Nord. Voire même encore plus malheureux qu’eux, suivant le théorème imbécile et déshonorant de « C’est encore pire parce que c’est plus sournois ».

    Par désespoir, par désir adolescent de se sentir héroïques, par inculture historique, par incompréhension de ce qu’est vraiment le totalitarisme, beaucoup de libéraux foncent dans ce piège qui les valorise, confondent la souffrance et l’agonie, et font montre de la même frénésie que les communistes détectant dans la plus petite baisse de la bourse une preuve indiscutable que le capitalisme rend son dernier soupir. Ils se trompent. Leur détresse dessert leur cause. Leur fragilité est une reddition. Leur orgueil de victimes autoproclamées les décrédibilise.

    La deuxième voie, qui accompagne le libéralisme depuis déjà longtemps comme le démon suit le pécheur à la trace, est de générer une contre-idéologie. En termes clairs, de transformer la pensée libérale en dogme sectaire : de la doter de la systémie, la rigidité, l’aveuglement propres au communisme, au nazisme ou au djihadisme. On trouve fréquemment ce type de tentation chez certains libertariens et certains randiens. Ce qu’ils ne voient pas, c’est qu’en armurant, bottant et casquant les théories libérales, on les tue. On leur arrache leur âme : leur sens de la mesure, de l’équilibre et de l’indulgence, leur nature horlogère, et non bûcheronne, leur refus de diviser l’humanité en classes et de voir en chaque fonctionnaire un monstre. « Le libéralisme n’est pas une idéologie contraire, c’est le contraire d’une idéologie », dit Alain Besançon. Qui perd de vue cette boussole perd tout.

    Réfléchir

    La dernière voie est de réfléchir. Patiemment, prudemment, de chercher à comprendre ce qui nous arrive. De tenter de cadrer cette phase de la puissance idéologique, cette « ère de l’après-pouvoir » qui nous prend de court, nous encercle et menace de nous ensevelir, parce que nous n’avons pas les armes pour l’affronter. Ce sera long et difficile, mais le jeu en vaut la chandelle, et rien n’est plus laid qu’un abandon de poste.

    Citons encore Alain Besançon : « Le premier mouvement du libéral est d’accepter le réel tel qu’il est ». Acceptons donc cette mutation de l’ennemi, qui le rend impossible à localiser et omniprésent, terriblement fluide et souple, ce tsunami de néant qui se glisse dans tous les interstices de l’Occident. Il y faudra de la lucidité, du courage intellectuel, de la minutie dans la logique – et, très certainement, un retour en force de la métaphysique, cette grande dame que le libéralisme contemporain a une vilaine tendance à envoyer en maison de retraite.

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      Bassines : on ne nous dit pas tout… pour nous cacher l’essentiel !

      Armand Paquereau · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 4 December, 2022 - 04:15 · 8 minutes

    La loi 92-3 du 3 juillet 1992 reconnait « l’eau comme patrimoine commun de la nation ».

    Mais cette décision n’apaise pas les tensions entre les utilisateurs, comme en témoignent les affrontements du 29 octobre 2022 à Sainte-Soline (79120). Entre 4000 et 7000 manifestants (selon les sources) se sont violemment opposés aux forces de l’ordre en occasionnant une cinquantaine de blessés parmi les manifestants et 61 blessés dont 22 sérieusement pour les forces de l’ordre. Seulement six interpellations ont été effectuées.

    La violence des affrontements avait-elle pour but ultime une issue dramatique comme à Sivens pour enterrer tout projet similaire ?

    Les revendications des manifestants

    Le mouvement « Bassines non Merci » qui a rameuté ces manifestants s’opposant à la création de réserves de substitution d’eau destinées à l’irrigation, communique ses objections :

    La disponibilité de l’eau doit être strictement contrôlée et encadrée.

    La contestation majoritaire, que l’on retrouve dans plusieurs items ci-dessus, réside dans l’utilisation de l’eau.

    Le contrôle piézométrique des nappes détermine le niveau supérieur de la nappe par rapport au niveau de la mer.

    Le graphique ci-dessous démontre que sur près de trente ans, les niveaux maxi et mini de cet aquifère de référence n’ont pas été affectés par les prélèvements antérieurs et que la ressource se reconstitue, avec quelques variations dans le temps dues à la variabilité de la pluviométrie. Il est ainsi clairement démontré que l’irrigation n’a pas épuisé la ressource.

    On peut consulter sur ce site du BRGM que les courbes de la très grande majorité des sites ont la même horizontalité. Les données dont sont tirées ces graphiques sont les relevés quotidiens des piézomètres installés pour le suivi du niveau des nappes.

    On remarque que le niveau ne dépasse jamais un maximum pour lequel l’eau de la nappe s’écoule vers la mer via les sources et les rivières de surface ou souterraines. C’est pour profiter de cet excès d’eau que les pompages sont autorisés dans des temps déterminés et sous contrôle strict et permanent du niveau de la nappe. Toute infraction aux arrêtés préfectoraux qui encadrent ces pompages est sévèrement sanctionnée.

    Emplir des bassines ou des réserves d’eau dans ces conditions ne peut qu’être profitable.

    On peut constater sur le zoom suivant que du 16 février au 15 avril et du 1er octobre au 6 décembre le niveau de la nappe continue de descendre, hors période d’irrigation. L’amplitude des variations de niveau est importante mais la ressource se reconstitue d’année en année comme démontré précédemment.

    Il est donc totalement faux de prétendre que les prélèvements dans les nappes, que ce soit pour l’irrigation ou pour les besoins d’eau potable, mettent en péril la ressource. On peut aussi constater que la baisse de niveau hors période d’irrigation provient du phénomène naturel de capillarité qui permet aux végétaux en surface (cultures, forêts) de croître et d’évapotranspirer, participant ainsi au cycle de l’eau qui génère les pluies.

    L’eau n’est pas consommée comme une énergie fossile, elle est utilisée et recyclée dans un mouvement perpétuel.

    Du partage inéquitable de l’eau

    Combien de sympathisants de « Bassines non Merci » possèdent des piscines quand d’autres économisent l’eau du robinet par précarité financière ? Ne s’accaparent-t-ils pas une part importante de la ressource pour une utilisation non essentielle ?

    Certes, les promoteurs de bassines profiteront d’une ressource qui n’est pas à proximité de tous mais la multiplicité de projets devrait permettre la généralisation de l’accession.

    Dans un contexte de sécheresses récurrentes, l’irrigation sera la condition de rentabilité et de survie d’un très grand nombre d’exploitations. Elle permet à des sols peu fertiles d’atteindre une productivité suffisante là où une culture sèche dépérirait.

    Du prétendu déni de démocratie

    La création des bassines est assujettie à des consultations publiques où les associations écologistes sont largement représentées.

    Les procédures sont interminables, les décisions de justices font l’objet de nombreux recours et appels et les arrêtés préfectoraux sont eux aussi contestés près de la justice administrative. Et quand la décision finale permet la construction, les manifestants se réunissent en masse pour affronter violemment les forces de l’ordre et saccager des bassines mais aussi des biens privés sans relation directe avec les bassines.

    Du financement public

    Pour des investissements de grande envergure, les financements publics sont très souvent mobilisés. La justification d’un financement public est l’intérêt général qu’il permet d’envisager.

    L’utilisation de l’eau excédentaire hivernale pour irriguer les cultures en période de sécheresse garantit une production régulière en quantité et en qualité dont le consommateur profite directement par l’abondance de produits au top de leurs capacités nutritives. Cette régulation de production évite les pénuries génératrices de hausse des prix et de baisse de qualité. Si on se réfère aux comptabilités des associations, nombreuses sont celles qui perçoivent des subventions d’organismes publics. Et heureusement la majorité d’entre elles ne vont pas saccager des bassines .

    De l’agriculture intensive

    Le leitmotiv des anti-irrigation est la culture intensive.

    Il faut bien comprendre que la mondialisation a mis l’agriculture en concurrence avec les producteurs mondiaux. Pour s’aligner, les agriculteurs français ont dû conjuguer l’utilisation du machinisme, des énergies fossiles et de leurs sous-produits pour abaisser leurs prix de revient dans l’intérêt du consommateur qui place le prix en tête de ses critères de choix. Cette adaptation a nécessité des investissements lourds, qui pour être amortis, a entraîné l’agrandissement des structures.

    Cette production intensive complète la production Bio, qui par des rendements largement inférieurs, ne serait pas en mesure d’assurer à elle seule une alimentation suffisante aux populations.

    Quant à la haine des anti-irrigation envers le maïs, elle occulte volontairement et arbitrairement le fait que le maïs est une plante excessivement productive qui fournit des volumes conséquents pour l’alimentation du bétail à des périodes où les prairies sont totalement brûlées. De plus pour la production en grain, le maïs laisse sur le terrain une masse végétale énorme productrice d’humus si précieux pour la fertilité des sols. Il ne faut pas non plus ignorer toutes les destinations du maïs : plus de 400 produits alimentaires contiennent de l’amidon de maïs, il est le quatrième légume le plus consommé en France. Il est aussi utilisé dans :

    C’est dire si sa production est devenue indispensable dans la vie courante. Le maïs est la plante qui utilise de façon la plus efficiente l’eau qu’elle reçoit : pour 1 kg de matière sèche produite, le maïs fourrage nécessite 240 litres d’eau, le maïs grain 450, le blé 590, le soja 900, le tournesol 1200 et le riz inondé 5000. Son seul handicap est que sous nos latitudes, ses besoins correspondent aux périodes estivales. C’est pourquoi sa rentabilité dépend des capacités d’irrigation.

    En fonction de sa rusticité, de sa productivité, de ses faibles besoins en phytosanitaires, le maïs est une culture incontournable de nos sociétés modernes.

    De l’alimentation en eau potable

    L’irrigation est toujours présentée comme une concurrence à la disponibilité d’eau potable. Il est certain que des priorités doivent être établies afin de garantir aux populations un accès constant à l’eau potable. Il ne faut pas non plus perdre de vue que l’eau des chasses d’eau, incluse dans le volume d’eau potable, est moins prioritaire que l’eau qui sert à irriguer les légumes ou les productions alimentaires.

    Il n’est pas très médiatisé que certains forages agricoles sont parfois utilisés pour pallier la défaillance du réseau public.

    Conclusion

    Dans un contexte global où les sécheresses semblent se répéter, où la croissance démographique augmente les besoins alimentaires, où malgré les soutiens écologiques et politiques le secteur Bio rencontre des reculs, nous aurons besoin de toutes les capacités de production pour éviter que ne se renouvellent les émeutes de la faim de 2008.

    Il est démontré que le stockage de l’excédent hivernal d’eau n’est pas contraire à la pérennité de la ressource, qu’il est la meilleure assurance récolte des agriculteurs pour éviter leur disparition et que les consommateurs ont eux aussi intérêt à gérer intelligemment une eau qui repartant à la mer, ne profite à personne.

    Il y aura aussi un intérêt collectif à stocker après traitement les eaux citadines usées pour irriguer des cultures au lieu de les déverser directement dans les cours d’eau avec des résidus de médicaments non éliminés en station d’épuration.

    Au lieu de s’affronter en luttes idéologiques stériles et destructrices, utilisons tous les moyens que permet la technologie moderne pour utiliser, sans gaspiller la ressource ni obérer sa pérennité, une eau source de vie et de prospérité.

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      Écologisme, wokisme, féminisme : les leurres de l’hydre

      Pascal Avot · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 24 November, 2022 - 04:15 · 6 minutes

    Si, à la suite d’ Alain Besançon, l’on considère que l’idéologie est :

    1. Une croyance délirante
    2. qui se prend pour une science exacte et
    3. qui entend prendre le pouvoir afin de
    4. mettre en coupe réglée la totalité de l’activité humaine
    5. dans le but ultime d’anéantir toute forme de civilisation,

    nous vivons à n’en pas douter une ère idéologique.

    Le mouvement woke , l’ écologisme , le féminisme , pour ne prendre que ces trois exemples les plus frappants du moment, correspondent parfaitement à la définition besançonienne de la prise d’assaut du réel par l’incendie idéologique.

    Les trois ressemblent étrangement à des maladies mentales. Les trois sont persuadés d’être intellectuellement aussi rationnels, aussi certains, aussi fiables que l’astrophysique.

    Les trois ont pour objectif la conquête de l’État, soit par l’élection, soit par la révolution, soit par une guerre civile froide et hybride composée de pression médiatique, de combats juridiques et d’entrisme institutionnel.

    Les trois ont la ferme intention de changer le monde en changeant l’Homme, qu’il le veuille ou non.

    On affirmera donc volontiers que wokisme , écologisme et féminisme sont de dangereuses idéologies. Toutefois, la prudence doit nous inciter à aborder le problème sous un autre angle.

    L’histoire de l’idéologie

    L’idéologie a une histoire. Elle a même une préhistoire : la Révolution française . C’est avec elle que naît la volonté enragée de quadriller la vie au nom de la Raison. Cette volonté se traduit par un système politique athée, monopolistique et tout-puissant. Et cette toute-puissance mène droit à la Terreur , à la famine et aux massacres de masses. La Révolution française met en place un prototype du totalitarisme qui servira de diapason à Lénine et à ses disciples sous toutes les latitudes.

    Mais Robespierre n’a que des idées et de la rage et cela ne suffit pas : il ne dispose pas d’une idéologie suffisamment structurée, architecturée, systémique. Au pouvoir, il improvise. Il a une vision dépourvue de méthode et, malgré l’intensité de ses intuitions, il échoue.

    Ce n’est qu’au XIX e siècle que ses chimères se dotent d’un squelette et d’organes et deviennent le monstre totalitaire : l’idéologie se constitue comme une science de la réalité et une science du pouvoir. Netchaïev et Bakounine , Marx et Engels , seront les premiers docteurs Frankenstein de cette évolution. Il y en aura bien d’autres par la suite.

    À la fin du XIX e siècle, la bête est prête à bondir sur le monde. Selon les périodes, les pays et les auteurs, elle se nomme « social-démocratie », « socialisme », « communisme ». Le premier parti de Lénine est le Parti ouvrier social-démocrate de Russie, fondé en 1898. Il compte une poignée de membres. Nul ne peut deviner qu’un siècle plus tard, descendant direct de ce groupuscule, le Parti communiste chinois, muni d’exactement la même idéologie, comptera des dizaines de millions de membres.

    Tout bascule à la fin de la Première Guerre mondiale.

    Faisant preuve d’un flair et d’un opportunisme impressionnants, Lénine renverse le tsarisme. À part lui et son gang, la planète entière pense que le nouveau régime bolchévique est une pitoyable farce et qu’il ne tiendra pas plus de quelques semaines. Hélas, la farce est une tragédie et elle va durer beaucoup plus longtemps qu’on ne pense et s’étendre sur les cinq continents. Malgré les succès spectaculaires de la démocratie et du capitalisme, le XX e siècle sera constamment pris en otage par l’idéologie de gauche comme Saint-Pétersbourg l’a été par les Bolchéviques. Il est fort possible que le XXI e lui ressemble.

    Parfaite illustration de cette mainmise du socialisme sur l’Histoire : la Seconde Guerre mondiale . Elle est déclenchée par un socialiste, Adolf Hitler , et elle a pour conséquence l’extension cyclopéenne de l’empire d’un autre socialiste, Joseph Staline . L’alpha et l’omega de ce conflit inouï, c’est l’idéologie. C’est elle qui se répand comme une pandémie. C’est elle qui rend fous les peuples et qui les extermine. C’est elle qui invente des maux que l’humanité n’avait aucunement imaginés jusque là.

    Wokisme, écologisme, féminisme : l’idéologie est contagieuse

    Le dernier livre d’Alain Besançon s’appelle Contagions . L’idéologie est contagieuse. Elle progresse suivant le même schéma que la mégalomanie et la paranoïa, ces « folies partagées », comme disent les psychiatres.

    Elle se transmet par la parole, par l’image, par le sentiment d’injustice, par la peur, la violence, la torsion du bon sens et le détournement de l’intelligence. Elle peut prendre l’apparence d’un bain de sang ou d’un cours de philosophie.

    Impossible d’en isoler le virus, sinon dans cette formule : « S’il existe des gens malheureux, c’est parce qu’il existe des gens heureux et il suffit d’éliminer ces derniers pour que règne le bonheur universel. » Vous pouvez remplacer « gens heureux » par « bourgeois », « riches », « juifs », « chrétiens », « réactionnaires », « pollueurs », « mâles », « blancs ». L’idéologie est tout-terrain.

    Les idéologies actuelles comme l’écologisme devraient-elles exister ?

    C’est pourquoi il est loisible de se demander si les mouvements woke , écologiste et féministe existent vraiment : s’ils ne sont pas, tout bonnement, des excroissances conjoncturelles du socialisme et, ce qui devrait nous inquiéter, des leurres. Car plus on s’indigne pour une statue de Victor Hugo barbouillée par des imbéciles, pour un délire supplémentaire au sujet de l’empreinte carbone, ou un lynchage de plus de la mentalité masculine par des lesbiennes endurcies , moins on prend pour cible prioritaire, nécessaire et suffisante, la maison-mère de toutes ces gargouilles : le socialisme.

    Greta Thunberg n’est pas Trotsky, ni Himmler, ni Pol Pot. Elle n’a tué personne.

    « Ça ne saurait tarder ! », répondent les catastrophistes de droite. Pendant ce temps, tandis qu’ils s’escriment sur les trolls de la déconstruction, Xi Jinping achète la dette de notre Sécurité sociale. Et lui, des camps de concentration emplis d’innocents qui agonisent, il en a à revendre.

    Comparée à la CGT qui bloque le pays à la moindre occasion, que pèse une manif d’adolescents arc-en-ciel brandissant des pétitions et des hashtags ? « Greta Thunberg, combien de divisions ? », aurait judicieusement demandé Staline. Ainsi nous égarons-nous et nous nous épuisons dans des batailles de polochons contre des dragons en mousse.

    Et s’il n’y avait qu’un seul combat à mener, toujours identique depuis 1917 et qui a donné tant de héros, Churchill, Soljenitsyne , Orwell ?

    On ne peut qu’être frappé par le fait que ni Le Pen, ni Zemmour, ni Pécresse, n’ont frontalement attaqué le socialisme pendant l’élection présidentielle. C’est pourtant bien lui qui hante le cerveau d’Emmanuel Macron : s’il est woke , écologiste et féministe, c’est parce qu’il est socialiste.

    Certes, le président est à géométrie variable, flou, insaisissable, mais il est profondément contaminé : idéologisé.

    « La langue de bois ne veut pas être crue, elle veut être parlée », écrit Alain Besançon. Elle est la langue maternelle de Macron. La dette au grand galop, le confinement aveugle, l’antiracisme de salon, c’est du socialisme.

    Distraits par les innombrables gueules de l’idéologie crachant des fumées multicolores, nous ne faisons plus notre travail, le seul qui vaille : poignarder le cœur rouge de l’hydre.

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      « Postures médiatiques : Chronique de l’imposture ordinaire » d’André Perrin

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 6 November, 2022 - 04:00 · 9 minutes

    Cet ouvrage est intéressant en ce qu’il analyse les nouvelles tares de notre époque. Celles notamment de la concurrence victimaire et des postures visant à s’afficher comme appartenant à une minorité opprimée . Ou à s’afficher comme un résistant courageux . Ou encore comme faisant partie du camp du Bien face à ceux dont on doit prononcer la condamnation morale pour ce qu’ils sont ou ce qu’ils pensent.

    L’idéologie dominante

    Selon l’auteur, il n’existe pas véritablement de « pensée unique », qui n’est qu’une vue de l’esprit visant à se singulariser. Par contre, il existe bien une idéologie dominante. Il montre qu’elle n’est pas caractérisée par le nombre mais avant tout par « ceux dont la parole est légitime, ou encore autorisée ».

    Sur la scène intellectuelle française, c’est la gauche qui, depuis longtemps, tient le bâton [skeptron]. Son autorité auto-instituée a un tel pouvoir d’intimidation que ceux qui la contestent ne peuvent le faire qu’en adoptant son langage et en intériorisant la légitimité dont elle s’est investie .

    Quelques pages avant, André Perrin rappelle d’ailleurs, sondages imparables à l’appui, que si la droite est réputée dominante dans le champ politique, la gauche l’est on ne peut plus nettement dans le champ culturel, en très grande partie accaparé par les professeurs, journalistes et artistes dans leur domaine considéré. Et il reprend le célèbre et très parlant propos d’ Alain , toujours d’actualité quand on s’intéresse à l’état d’esprit de beaucoup de gens de gauche :

    Lorsqu’on me demande si la coupure entre partis de gauche, hommes de droite et hommes de gauche a encore un sens, la première idée qui me vient est que l’homme qui pose cette question n’est certainement pas un homme de gauche.

    François Mitterrand ne disait-il pas avec ironie, rappelle-t-il également, que le centre n’est « ni de gauche, ni de gauche » ? Autant d’éléments qui permettent de mieux comprendre le jusqu’auboutisme d’esprits intransigeants à l’image par exemple d’une Sandrine Rousseau qui fait tant parler d’elle , mais pas seulement.

    Comme beaucoup d’intellectuels sensibles depuis longtemps aux idées de gauche (sans avoir jamais été militant), l’auteur lui-même s’en est éloigné peu à peu, étant traité de réactionnaire pour ne pas avoir toujours manifesté des opinions suffisamment en ligne avec les positions éminemment dogmatiques affichées par celle-ci sur différents sujets (ce qui est tout à fait classique, hélas). Pour autant, il considère à juste titre qu’en réalité aujourd’hui les frontières entre gauche et droite ont été brouillées, et n’ont plus les mêmes significations qu’auparavant.

    Anathèmes et ennemis à abattre

    Mais surtout l’auteur déplore que ce qui a fondamentalement changé est la pratique généralisée de l’anathème et de la distinction entre le bien et le mal en lieu et place de celle entre le vrai et le faux, ce qui est la caractéristique essentielle de l’idéologie dominante de notre époque. D’interlocuteurs avec qui débattre ou adversaires à combattre, on est passé à « des ennemis à abattre ».

    La démocratie elle-même est remise en cause par ceux qui « contestent systématiquement la légitimité de ceux à qui le peuple a accordé sa confiance et qualifient de « fascisme démocratique » le verdict des urnes chaque fois qu’il ne leur est pas favorable , ce qui est le cas le plus souvent ». C’est l’objet du premier chapitre du livre dans lequel André Perrin nous apporte de nombreux exemples de cette fâcheuse tendance des médias ou intellectuels de gauche (« intellectuels de droite », rappelons-le avec l’auteur, étant considéré par certains comme un oxymore, c’est bien connu), à remettre en cause le verdict des urnes pour lui préférer la logique de la rue, où quelques dizaines de milliers de manifestants bruyants devraient imposer leur volonté à 48 millions d’électeurs.

    À travers ses chroniques, on trouve aussi moult extraits ahurissants de la manière dont la presse de gauche ou des journalistes y écrivant traitent l’information : de manière non seulement extrêmement partiale et prompte à la dénonciation ou au lynchage médiatique mais virant même régulièrement à la désinformation ou à des conceptions pour le moins étonnantes, édictées sur un ton péremptoire, voire outrancier (je conseille vivement la lecture du livre pour en avoir un aperçu).

    Dans l’ affaire Polanski , sur laquelle il revient longuement, il montre de quelle manière la présomption d’innocence se trouve non seulement allègrement bafouée mais même quasiment transformée en présomption de culpabilité. De même que dans le cas de Gérald Darmanin, entre autres. Mais là où le bât blesse, c’est que l’acharnement dans les accusations, mauvaise foi, mensonges, manipulations et désinformation, ne sont évidemment pas du tout valables lorsqu’il s’agit de personnalités de gauche. L’auteur en apporte là encore de multiples exemples au fil du livre. Le langage joue toujours un rôle bien particulier dans la manière d’aborder les sujets et de décrédibiliser l’adversaire.

    Une liberté d’expression à géométrie variable

    Pour des personnalités « ennemies » telles qu’ Alain Finkielkraut , Éric Zemmour et tant d’autres, rien n’est épargné. Des conférences sont annulées, empêchées ou tenues sous haute protection policière, soit par appel au boycott, soit par la violence pure et simple dans le cas de personnalités aussi diverses que Marcel Gauchet , Laurent Alexandre, Sylviane Agacinski , Alain Finkielkraut, ou même François Hollande ; aucun problème, en revanche, pour une Clémentine Autain, accueillie bien sûr à bras ouverts dans les mêmes lieux.

    Le fascisme est bien entendu toujours convoqué et mis à toutes les sauces lorsqu’il s’agit de dénoncer l’ennemi, celui à qui la libre parole ne doit pas être laissée, procédé bien pratique et généralement efficace pour justifier cette entorse à la liberté d’expression. Dans le cas d’Éric Zemmour, il se trouve diabolisé à l’extrême , qualifié par le chercheur en philosophie Philippe Huneman « d’utile cas Zemmour ». Le chercheur ne fait aucunement dans la dentelle lorsqu’il écrit qu’Éric Zemmour « soumet les Noirs français à quelque chose de similaire à, mettons, ce que serait pour un juif de 1934 l’audition 24 h sur 24 de Goebbels », jugeant ainsi légitime de le chasser des médias.

    Ne parlons pas des électeurs de Marine Le Pen, comparés avec beaucoup de subtilité à un tas de merde sur une couverture de Charlie Hebdo exhibée pour sa plus grande joie par Laurent Ruquier à la télévision à l’approche de l’élection présidentielle de 2012. Il est vrai que les humoristes eux aussi, en bons donneurs de leçons , ne manquent jamais d’être de la partie lorsqu’il s’agit de tirer parti de l’opportunité de railler « doucement » leurs ennemis, là encore André Perrin en apporte quelques exemples.

    L’art de l’insulte et de la disqualification de l’adversaire par tous les moyens

    La vision des bonnes élites médiatiques de gauche est bien inscrite dans des visions purement manichéennes. Mais au-delà, tout est bon pour disqualifier l’ennemi qui a le tort de ne pas penser comme elles, plutôt que de simplement chercher à le réfuter, ce qui en ferait un simple adversaire et non un ennemi à abattre.

    André Perrin nous rappelle ainsi un certain nombre d’insultes ou de paroles violentes parfaitement admises voire applaudies lorsqu’il s’agit de personnalités classées à gauche (Virginie Despentes, Guy Bedos, Pierre Bergé, etc.), mais qui ne passeraient absolument pas si elles l’étaient par des personnalités classées à droite ; ou pas assez à gauche.

    Beaucoup de personnalités médiatiques de gauche éprouvent aussi une certaine hostilité qu’elles n’hésitent pas à faire valoir lorsqu’il s’agit de s’en prendre à la police à travers des jugements de valeur qui frisent parfois le mensonge ou la malhonnêteté. Médiapart , Amnesty International, y ajoutent beaucoup de mauvaise foi, comme l’auteur l’illustre à travers un ensemble de pages.

    Dans le cas de Notre-Dame-des-Landes , on a un aperçu particulièrement éloquent du sens profond de la démocratie dont peuvent faire preuve des jusqu’au boutistes allant même jusqu’à remettre en cause la valeur d’un référendum lorsque son résultat ne leur est pas favorable.

    Des indignations à géométrie variable

    Nombreux sont les sujets évoqués dans le livre.

    Les spécialistes de la posture médiatique ont bien sûr leurs dadas au sujet desquels leurs positions sont souvent quelque peu fluctuantes et loin d’être claires : immigration, religion, voile islamique , pédophilie, présomption d’innocence, racisme , culture woke … Se livrant en moult occasions et en bons spécialistes du genre à de véritables chasses aux sorcières.

    Ces personnalités médiatiques peuvent ainsi être mues par des contradictions permanentes. Par exemple, l’auteur montre comment deux anciens directeurs de la revue Esprit ont un véritable problème avec la liberté d’expression. Se référant aux caricatures, ils émettent ainsi des réserves spécifiques à propos de celles relatives à la religion musulmane, de peur de froisser la susceptibilité et de susciter l’incompréhension de populations « largement illettrées ou faiblement lettrées ». Outre le fait que selon l’auteur cela revient à mépriser l’immense majorité des musulmans du monde en les considérant comme inférieurs ou incapables de libre-arbitre, il cite à propos cette intéressante réflexion d’Emmanuel Kant :

    J’avoue ne pas pouvoir me faire très bien à cette expression dont usent aussi des hommes avisés : un certain peuple (en train d’élaborer sa liberté légale) n’est pas mûr pour la liberté ; les serfs d’un propriétaire terrien ne sont pas encore mûrs pour la liberté ; et de même aussi, les hommes ne sont pas encore mûrs pour la liberté de croire. Dans une hypothèse de ce genre, la liberté ne se produira jamais ; car on ne peut mûrir pour la liberté si l’on n’a pas été mis au préalable en liberté (il faut être libre pour pouvoir se servir utilement de ses forces dans la liberté).

    France Inter et France Culture et leur positionnement assumé comme très nettement à gauche, financés par l’argent public, sont les prototypes par excellence de toutes ces postures médiatiques que l’auteur dénonce. Lui qui les écoute quotidiennement depuis de nombreuses années est particulièrement à même de nous en montrer quelques facettes révélant les visions très manichéennes et les indignations à géométrie variable qui y règnent, quitte à distordre les faits ou l’histoire.

    André Perrin, Postures médiatiques : Chroniques de l’imposture ordinaire , L’artilleur, octobre 2022, 224 pages.

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      L’enfer est pavé de bonnes intentions (19) : les voitures électriques

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 5 November, 2022 - 04:00 · 6 minutes

    C’est désormais officiel : plus aucun véhicule thermique neuf ne sera vendu dans l’Union européenne à partir d’octobre 2035. Toujours au nom de « la sauvegarde de la planète », et quoi qu’il en coûte.

    Or, non seulement cela va coûter cher, mais il sera difficile d’être prêts en temps et en heure. Par ailleurs, les résultats escomptés en termes d’environnement sont loin d’être assurés.

    Les voitures électriques, des véhicules propres ?

    C’est la promesse faite au sujet du passage de la technologie du thermique au tout électrique.

    Le véhicule vert serait la solution qui justifie l’arrêt pur et simple de la production traditionnelle telle que nous la connaissons. Une promesse non seulement ambitieuse, mais aussi porteuse d’espoir : réduire enfin de manière substantielle la pollution et les émissions folles de CO 2 , accusées de participer au fameux « changement climatique » pour lequel tant d’esprits s’échauffent , et même parfois à leurs dépens .

    Sauf que, comme le remarque le journaliste économiste Nicolas Doze dans l’une de ses analyses sur BFM Business :

    Il y a un côté fausse promesse environnementale. Car Bruxelles ne considère l’empreinte carbone d’un véhicule électrique que lorsqu’on l’a achetée et que l’on tourne la clef pour la première fois. Sauf que si on prend tout le cycle du produit, depuis l’extraction des matières premières, la production, le recyclage, jusqu’à la période où effectivement il roule, les évaluations qui ont pu être réalisées nous disent que pour une petite citadine, il faut avoir parcouru entre 40 000 et 50 000 kilomètres pour avoir une empreinte carbone et un bilan d’émission de gaz à effet de serre supérieur au véhicule thermique. Et la bascule est beaucoup plus lointaine si l’on prend un SUV. Donc, celui qui achète une voiture électrique aujourd’hui considère qu’il a accompli un grand pas pour l’humanité. Mais la « voiture électrique = voiture verte », c’est quand même beaucoup moins évident que cela n’y paraît.

    En effet, ainsi que le dit le chroniqueur, le choix est purement politique, et non industriel . Les récents progrès importants réalisés en matière de moteur diesel, ainsi que la plus grande efficience du moteur hybride, auraient pu nous conduire à d’autres choix que ceux des politiques, qui se sont engouffrés tête baissée dans le leur en se posant le minimum de questions, traumatisés par le scandale du dieselgate .

    Un choc économique, social et énergétique

    Si je continue de suivre le raisonnement de Nicolas Doze, il semble bien une nouvelle fois – surtout lorsqu’il s’agit de cause environnementale – que les politiques aient « confondu vitesse et précipitation ».

    Car, en effet, la production des véhicules électriques a plusieurs implications économiques :

    Un coût de production supérieur de 50 %

    Il faudrait des gains de productivité de 10 % par an pendant 5 ans. C’est impossible, les meilleures années de l’industrie automobile ayant permis de dégager 2 ou 3 %.

    Un choc pour l’emploi

    Un véhicule électrique requiert 3 personnes en moyenne au lieu de 5 pour un véhicule thermique.

    Un choc social

    Le surenchérissement des véhicules les rend inaccessibles à beaucoup, non seulement parmi les plus modestes, mais aussi au sein des classes moyennes et ce malgré les subventions et ristournes de producteurs. Un fossé supplémentaire serait aussi créé entre les ruraux et les citadins, qui n’ont pas les mêmes infrastructures ni les mêmes contraintes.

    Un choc énergétique

    Cela va nécessiter une quantité inouïe d’électricité qu’il va falloir être en mesure de produire alors même que nous sommes aujourd’hui en pleine difficulté en la matière. Sans oublier le problème des bornes à installer, en faible nombre aujourd’hui, et celui des zones peu fréquentées l’hiver et fortement l’été, qui amènent une difficulté supplémentaire non négligeable.

    Toujours le poids lancinant de la politique et de l’idéologie

    En somme, à se soumettre en permanence à la loi électorale et aux passions du moment, gangrénées par le militantisme et l’écologisme en pleine crise d’adolescence , miné lui-même par les actions de plus en plus violentes de militants extrémistes , notre société est en train de se saborder.

    Au lieu d’emprunter la voie de la sagesse , de la réflexion et de l’innovation, on fait le choix de se soumettre à la pensée magique et aux caprices typiques des jeunes enfants. Avec myopie et un manque évident de lucidité.

    Devant tant d’immaturité et d’injonctions d’idéalistes emplis de bons sentiments suivies par des politiques qui pensent à leur élection ou réélection, on se prend à imaginer ce que ces contempteurs de nos créateurs et grands chefs d’entreprise deviendraient si ces derniers se mettaient en grève à la manière de ceux du roman éponyme d’Ayn Rand .

    Sans aller jusque-là, avec des véhicules actuellement 30 % moins chers, la Chine est en ce moment même le grand bénéficiaire de cette transition, engrangeant des séries de contrats non négligeables susceptibles de mettre en difficulté les constructeurs européens. Les batteries sont elles aussi produites en Chine (80 % du marché mondial actuel), sachant que celles produites chez nous ne seront pas opérationnelles avant au moins une dizaine d’années et que les matières premières (lithium, cobalt) ne sont pas disponibles à ce jour en France et ne le seront pas avant 2035 (pour les découvertes récentes de gisements de lithium sur notre territoire). Et le seront-elles, au niveau mondial, en quantité suffisante ?

    Par excès de précipitation, nos politiques seront donc responsables de ce qu’il adviendra de notre industrie, tout en devant assumer les conséquences en matière d’approvisionnement énergétique et des difficultés que cela engendrera, ainsi que des dommages environnementaux que cela ne manquera pas de susciter. Mais ils ne seront plus aux commandes, d’autres auront pris la place et pourront toujours dire qu’eux n’y sont pour rien.

    On le sait : la politique est régie par le court terme (ce qu’elle ne devrait pas, en théorie). Après nous, le déluge.

    Voilà où mènent donc nos « vertus ». Simplismes, postures , impostures, visions caricaturales mènent le monde, et sont à la source de nombre de nos maux, présents et à venir. Oui, l’enfer est bel et bien pavé de bonnes intentions.

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