IVG - Chère Madame Ruth Bader Ginsburg,
Si je me permets de vous écrire cette lettre, c’est pour vous marquer à nouveau mon respect et pour vous faire part de cette peine et de cette
révolte
qui sont aujourd’hui disséminées dans le monde. Madame, comme vous nous manquez! Je me demande quels seraient vos conseils, vous qui avez été une si brillante avocate, juriste, juge, vous qui avez été nommée membre de la Cour suprême des
États-Unis
par le Président Bill Clinton, vous qui avez été une féministe engagée.
Une régression sans précédent
Vous voilà à peine partie en 2020 que votre pays, les Etats-Unis, est en proie à une
régression
sans précédent. En effet, nous pensions avoir définitivement avorté des idées passéistes, paternalistes. Nous étions prêtes à continuer nos efforts de solidarité dans le monde afin que les filles, les femmes puissent avoir accès à une éducation convenable, à une vie décente, indépendante et respectueuse de leur genre.
Et, nous nous retrouvons à la case départ. Car un tsunami a dévasté votre beau pays. Car il risque d’approcher les rivages de toutes les plages du monde. Car il retarde l’égalité entre les femmes et les hommes. Car il risque d’effacer toutes les avancées de respect envers le genre humain. A nouveau, le corps des femmes ne leur appartient plus. Il doit procréer même si la mort menace, même si la conception est née d’un viol, même si des éléments personnels sont en cause.
Alors, la révolte gronde. Alors, la peur s’installe. Sommes-nous entrées subrepticement dans un épisode de
La Servante écarlate
, célèbre roman de Margaret Atwood publié en 1985 et diffusée en série télévisée en 2017 ? Comme dans cette fiction, allons-nous assister au fil du temps à la naissance d’une société divisée en esclaves reproductrices et décideurs dominateurs ?
L’homme redevient seigneur et maître
Il ne faut pas se voiler la face : dans les Etats américains qui « effacent » le tableau de la modernité, les filles, les femmes redeviennent des citoyennes de seconde zone ; on pourra les empêcher de s’instruire, on pourra les enlever pour les violenter, pour les réduire à une « forme » d’esclavage, à des obligations conjugales ou de couple non consenties et ce, en toute impunité ; l’homme redevient seigneur et maître.
On se retrouve donc littéralement dans une situation rocambolesque : des femmes, des jeunes filles, extrêmement férues d’informatique et de réseaux sociaux, vont devoir « faire taire » leurs téléphones portables, leurs ordinateurs pour ne pas être trahies par la technologie qui pourrait révéler une grossesse, une décision d’avortement, un déplacement inattendu. Elles se retrouvent pratiquement projetées au Moyen Age, attendant qu’on veuille bien leur rendre la clé de leurs ceintures à la fois de chasteté mais aussi de fertilité. Leur corps ne leur appartient plus. Leur liberté non plus. En outre, il est bon de rappeler que même la meilleure contraception a ses « oublis » et que l’organisme possède des secrets qui déjouent toute stratégie même médicale : les dénis de grossesse en sont une preuve éclatante.
Il ne faut pas se voiler la face: dans les Etats américains qui "effacent" le tableau de la modernité, les filles, les femmes redeviennent des citoyennes de seconde zone
Depuis que j’écris des articles, depuis que je rédige des livres sur l’avancée des femmes, je demande au “vieux continent” d’agir aussi en la matière. Dans mon essai
La réussite au féminin
(Editions Vitamines, Belgique, Bruxelles, 2014), je reprends l’idée que l’Europe pourrait faire de l’avortement « un droit européen », ce qui empêcherait des régressions multiples et imprévisibles dans les pays de la Communauté. En agissant ainsi, toutes les sensibilités, toutes les convictions seraient respectées. Ainsi, les considérations politiques et religieuses s’effaceraient pour respecter le droit fondamental des femmes à disposer librement de leur corps. Je rappelle que le 10 décembre 2013, la députée socialiste portugaise Edite Estrela avait proposé de voter au Parlement européen de Strasbourg son rapport sur l’avortement, mais il a été rejeté : les défenseurs de ce texte « [dénonçaient] la victoire de ‘l’obscurantisme’.» (Jean-Pierre Stroobants,
Strasbourg refuse de faire de l’avortement « un droit européen »
,
Le Monde
, jeudi 12 décembre 2013, p.6).
Un droit européen en matière d’avortement permettrait de parer à un retour à la pénalisation et aux régressions. Il établirait une parité correcte femmes/hommes, empreinte de respect et de considération dans toute l’Europe. L’avortement ne serait plus un enjeu honteux de marchandages politiques. Inscrire l’avortement dans les constitutions de chaque pays membre qui le désire est déjà un énorme pas en avant, mais il faut aller plus loin, mais il faut aller plus fort pour que les femmes soient aussi protégées dans toute l’Europe. Enfin, la Communauté s’y attèle : elle doit avoir tout notre soutien.
Respecter la moitié de l’humanité
Aujourd’hui, au XXIème siècle, à nouveau, dans votre beau pays, Madame, la colère gronde car il est devenu évident, que, dans de trop nombreux Etats, les femmes sont à nouveau considérées comme des êtres inaptes au jugement, à la réflexion, à la décision et qu’on les « punira » comme des mineures, passibles de terribles sanctions le cas échéant si elles ne respectent pas la loi. Il en va de même pour les médecins qui pratiqueraient un tel acte. En outre, on ne peut négliger le fait que les femmes défavorisées, celles qui n’auront pas les moyens d’aller dans un Etat qui autorise l’avortement, en seront les premières victimes. Sans parler de la mortalité qui risque d’en découler. En effet, l’histoire de l’humanité l’a prouvé : on n’a jamais pu empêcher l’avortement et la clandestinité risque à nouveau de mener à un dangereux commerce, à des souffrances incommensurables, à des mutilations, à des décès. Les perspectives sont effrayantes.
Alors, il est grand temps que le monde tout entier respecte la moitié de l’humanité représentée par les filles, les femmes. Chacun, chacune a sa conscience. Chacun, chacune décide en fonction de ses convictions. Le droit doit être au-dessus des croyances personnelles. Il doit être juste et non partisan. Il doit réunir. On ne peut ignorer le fait que, contrairement au passé, de nombreux hommes soutiennent aujourd’hui fermement leur compagne, leur fille, leur petite-fille dans cette révolte et manifestent avec elles pour l’égalité, pour l’avenir de la société tout entière.
Madame, vous êtes une inspiration. Vos mots qui sont si puissants, résonnent encore avec force aujourd’hui :
« Quand on me demande parfois quand y aura-t-il suffisamment [de femmes à la Cour suprême] ? Et je dis “Quand il y en aura neuf”. Les gens sont choqués. Mais il y avait eu neuf hommes, et personne n’a jamais posé de question à ce sujet. »
Vous avez toujours raison : il faut mettre à jour les institutions qui ont été établies par les hommes et qui ne tiennent pas compte de la spécificité féminine. Ce n’est pas une question de féminisme : c’est une affirmation d’égalité.
Enterrer le passéisme à jamais
Vous avez également dit avec justesse :
« Luttez pour les choses qui vous tiennent à cœur, mais faites-le d’une manière qui amènera les autres à vous rejoindre.»
Alors, Madame, j’espère que mes mots et ceux des politiques, des manifestants partout dans le monde auront une résonance qui permettra d’amplifier le mouvement de soulèvement dans votre pays car il faut persévérer afin d’aboutir à des législations qui institutionnalisent le respect, l’égalité dans la société, car il faut définitivement enterrer le passéisme. A jamais. Pour ce faire, il est donc urgent d’enfouir définitivement les lois désuètes qui infériorisent les femmes et d’enraciner une législation juste qui prône l’égalité, la solidarité. Le monde ne peut plus se taire. Je crois qu’on peut y arriver. Nous allons y parvenir.
En parlant de l’avortement, vous avez également affirmé que
« le gouvernement n’a pas à faire ce choix pour une femme »
. La profondeur et la justesse de vos paroles doivent encore et toujours résonner sur la terre entière. Il faut qu’on tienne compte de toutes ces femmes, toutes ces filles, tous ces hommes aussi, qui manifestent dans votre beau pays. Il faut que, partout, ces principes d’égalité soient confirmés et qu’ils soient enracinés à tout jamais.
Madame, avec respect et déférence, je salue à nouveau votre mémoire au nom de toutes les filles, toutes les femmes ici et ailleurs dans le monde.
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