Ça y est ! Une « étude accablante » a réussi à percer dans les médias… enfin, sauf erreur, fort modestement car cela se limitait (à l’heure où j’écrivais) à « Une étude accablante confirme la contamination généralisée de la plaine niortaise aux pesticides », dans Ouest-France du 7 novembre 2022.
Le journal n’y va pas de main morte. Outre le titre, le chapô :
« 112 molécules actives ont été retrouvées par des chercheurs dans les poils de micro-mammifères du sud Deux-Sèvres. Près de la moitié sont interdites depuis plusieurs années. Accablant. »
Et, dans le texte :
« Ces travaux s’inscrivent malheureusement dans la lignée de nos précédentes conclusions : nous sommes face à une contamination aussi invisible que généralisée , commente Vincent Bretagnolle, directeur de recherche au Centre d’études biologiques de Chizé (CEBC), en dévoilant les résultats d’une étude menée en collaboration avec une équipe de chercheurs du CNRS de Besançon et publiée dans la dernière édition de la revue Scientific Reports . »
L’article « scientifique »
L’article en question, c’est : « Pervasive exposure of wild small mammals to legacy and currently used pesticide mixtures in arable landscapes » (exposition généralisée des petits mammifères sauvages à des mélanges de pesticides anciens et actuels dans les paysages de grandes cultures) de Clémentine Fritsch, Brice Appenzeller, Louisiane Burkart, Michael Coeurdassier, Renaud Scheifler, Francis Raoul, Vincent Driget, Thibaut Powolny, Candice Gagnaison, Dominique Rieffel, Eve Afonso, Anne-Claude Goydadin, Emilie M. Hardy, Paul Palazzi, Charline Schaeffer, Sabrina Gaba, Vincent Bretagnolle, Colette Bertrand et Céline Pelosi.
Le titre a franchi les fourches caudines de la revue par les pairs…
Ce que les auteurs ont étudié, ce sont des petits mammifères prélevés dans deux zones (et non une comme le laisse supposer Ouest-France ), la Zone Atelier Arc Jurassien (16 animaux) et la Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre (77 animaux). Il y a donc généralisation abusive.
Le résumé
Voici, comme d’habitude, et découpé, le résumé :
« Les lacunes dans les connaissances concernant le rôle potentiel des pesticides dans la perte de la biodiversité agricole dans le monde et les questions liées aux mélanges empêchent une évaluation correcte des risques liés aux impacts involontaires des pesticides, ce qui rend essentielle la surveillance de l’exposition de la faune à ces composés.
L’exposition des mammifères en liberté aux anciens pesticides (interdits et restreints : BRP [Banned and Restricted] ) et aux pesticides actuellement utilisés (CUP [currently used pesticides]) a été étudiée, en testant les hypothèses suivantes : (1) une bioaccumulation de fond pour les BRP alors qu’un modèle de « point chaud » pour les CUP [sic] , (2) des profils de contamination différents entre les carnivores et les granivores/omnivores, et (3) le rôle des zones non traitées comme refuges vers [« towards », sic] l’exposition aux CUP.
Des souris Apodemus (omnivores) et des musaraignes Crocidura (insectivores) ont été échantillonnées dans deux paysages agricoles français (n = 93).
Les concentrations de 140 substances chimiques mères et métabolites ont été analysées dans des échantillons de poils. Un total de 112 composés a été détecté, montrant une exposition des petits mammifères aux fongicides, herbicides et insecticides avec 32 à 65 résidus détectés par individu (13-26 BRP et 18-41 CUP).
Les fréquences de détection dépassaient 75 % des individus pour 13 BRP et 25 CUP. Des concentrations supérieures à 10 ng/g ont été quantifiées pour 7 BRP et 29 CUP (chez 46 % et 72 % des individus, respectivement), et supérieures à 100 ng/g pour 10 CUP (chez 22 % des individus).
La contamination (nombre de composés ou concentrations) était globalement plus élevée chez les musaraignes que chez les rongeurs et plus élevée chez les animaux capturés dans les haies et les cultures céréalières que dans les prairies, mais ne différait pas significativement entre l’agriculture conventionnelle et l’agriculture biologique.
Une contamination générale et omniprésente par les pesticides anciens et actuels a été mise en évidence, soulevant des questions sur les voies d’exposition et les impacts sur les écosystèmes.
Nous proposons un concept appelé biowidening , décrivant une augmentation de la diversité des composés aux niveaux trophiques supérieurs. Ce travail suggère que l’exposition de la faune à des mélanges de pesticides est une règle plutôt qu’une exception, soulignant la nécessité de prendre en compte le concept d’exposome et remettant en question la pertinence des processus actuels d’évaluation et d’atténuation des risques. »
Une remise en question ? Ben voyons…
On ne s’étonnera pas de la conclusion du résumé : jeter la suspicion et le doute sur « la pertinence des processus actuels d’évaluation et d’atténuation des risques » est un sport favori de la recherche militante.
Mais, fondamentalement, à part des fréquences de détection et des niveaux de résidus dans les poils, nous ne disposons d’aucune indication sur la signification pratique de ce qui a été trouvé.
Ce long article porte sur 93 animaux capturés sur deux sites, dans divers habitats (fermes conventionnelles et biologiques, champs avec cultures différentes, prairies et haies) et les auteurs se sont livrés à diverses comparaisons. Rassurez-vous… il y a un graphique affichant un p value de 0,001…
Boxplots du nombre de molécules et de la somme des concentrations pour (a) les pesticides interdits ou restreints (BRP) et (b) les pesticides actuellement utilisés (CUP) selon les habitats, les espèces et les sites. Les différences statistiques entre les groupes sont indiquées par des lettres minuscules, des lettres différentes indiquent des différences statistiquement significatives entre les niveaux de facteurs (signification statistique : valeur p< 0,05). C céréales, G prairies, H haies, Crru Crocidura russula musaraigne, Apsy Apodemus sylvaticus souris des bois, ZAAJ Zone Atelier Arc Jurassien, ZAPVS Zone Atelier Plaine et Val de Sèvre.
Des détections, mais à quel niveau ?
On peut se limiter aux données de base des tableaux 1 et 2 qui vous donnent l’essentiel de ce qui a été trouvé. C’est – évidemment – dans l’ordre des fréquences de détection, réunir les fréquences de 100 % en un bloc étant bien plus anxiogène que, par exemple, un classement alphabétique des substances analysées.
Voici le début et une partie médiane du tableau 1, sur les concentrations de pesticides interdits ou restreints (BRP) dans des échantillons de poils de petits mammifères, classées – répétons-le – par nombre décroissant de détections. La fin du tableau porte sur les 17 substances qui n’ont pas été détectées.
On peut sursauter devant le fait que l’on trouve encore des résidus de substances bannies ou retirées du marché il y a, notamment, 34 ans. Il y a plusieurs raisons à cela, y compris la persistance des molécules qu’on a pu utiliser par le passé, ou la séquestration suivie du relargage de molécules.
Mais il faut s’attacher aux concentrations, exprimées en nanogrammes de substance par gramme de poils. Cela risque de ne pas vous dire grand-chose.
Alors convertissons :
Un nanogramme/gramme (ng/g) = un microgramme/kilogramme (µg/kg) = un milligramme/tonne (mg/t)
Ou, en gros, un tiers de gramme dans une piscine olympique de 3000 m 3 .
Notons en passant que des limites de quantification inférieures aux limites de détection (lignes 3, 13, 15 sur la partie reproduite du tableau) sont pour le moins curieuses.
Plus important, il y a des limites de détection à 0,001 ng/g, soit… un tiers de milligramme dans une piscine olympique.
Et tout l’argument est monté sur les détections, c’est-à-dire, en quelque sorte, les mouvements d’un pouce sur le bouton-poussoir d’un compteur, plutôt que sur les quantifications, c’est-à-dire des mesures précises (ou relativement précises).
La dangerosité illustrée par le cas du fipronil
Mais cela ne dit encore rien de la dangerosité ou pour reprendre les termes du résumé, « la pertinence des processus actuels d’évaluation et d’atténuation des risques ».
De manière arbitraire, les auteurs ont mis en gras les valeurs maximales supérieures à 10 ng/g. Cela n’a aucun sens comme l’illustre le fait que les doses journalières admissibles (DJA) pour les humains varient d’une substance à l’autre.
Il y a dans la liste (ligne 9) le fipronil. La limite de détection est annoncée à 0,003 ng/g (ou µg/kg). La médiane (50 % des animaux sont en dessous de cette valeur, 50 % au-dessus) est de 0,011 ng/g pour les musaraignes et de 0,013 ng/g (ou µg/kg) pour les souris.
Cette médiane est, en gros, 10 fois inférieure à la limite de quantification (0,1 ng/g). Si le travail avait été réalisé sur la base des limites de quantification, on n’aurait pas trouvé 100 % de contamination, mais seulement quelques musaraignes et aucune souris présentant des traces de fipronil.
Dans le cas de la DCPMU, par exemple, le résultat aurait été… zéro.
Relevons encore que plus les instruments gagnent en précision (et plus on cherche), plus on trouve.
Mais retournons au fipronil.
Il se trouve que le fipronil entre dans la composition de produits antipuces et antitiques pour chats et chiens. J’ai dans ma main… – euh… ça c’était Joseph McCarthy – dans ma pharmacie des pipettes dosées à 50 mg. Cela fait 10 mg/kilogramme de poids corporel pour un chat de 5 kilos.
En d’autres termes, les auteurs ont trouvé une concentration médiane qui représente en gros le millionième de la dose administrée à un chat, dont une partie se retrouve sur nos mains quand on caresse le chat en ayant oublié qu’on l’a antipucé une heure avant.
Les substances en cours d’utilisation
Pour les substances en cours d’utilisation on a fort logiquement trouvé quelques concentrations maximales notablement plus élevées. Mais les médianes sont du même ordre et on reste dans le petit ou l’infiniment petit.
La difficulté ici est que, sauf erreur, il n’y a pas d’études faisant un lien entre la concentration d’une substance dans les cheveux ou les poils et l’effet de la substance sur la santé.
Risquons-nous à une comparaison acrobatique pour le pire cas : la concentration maximale observée est de 500 ng/g (0,5 mg/kg) dans le cas du dichlorprop chez une musaraigne. La dose journalière admissible (DJA) humaine a été fixée à 0,06 mg/kg p.c. sur la base d’une NOAEL (dose sans effet nocif observable) de 6 mg/kg de poids corporel (p.c.) à long terme établie sur la souris. Ces 500 ng/g correspondent en gros à 8 % de la NOAEL. La médiane (0,482 ng/g, inférieure à la limite de quantification de 1 ng/g…) est en gros 1000 fois inférieure à ce maximum et 800 000 fois inférieure à la NOAEL, ou 8000 fois notre DJA.
Ces chiffres sont à manier avec une grande prudence. Le poil contient les doses ingérées sur une période prolongée mais seule une fraction de ces doses se retrouve dans le poil. Il serait fastidieux de se plonger dans la toxicocinétique ; cependant, il n’y a manifestement pas de quoi prêcher l’apocalypse.
Il aurait sans doute été intéressant de procéder à des dosages sur d’autres matrices (cela vient d’être fait sur le sang de quelques oiseaux pour quelques substances).
Et donc ?
Pour résumer, donc, le chambard médiatique n’a pas lieu d’être.
Où vont nos sous ?
« Ce travail a été soutenu financièrement par l’Agence Française pour la Biodiversité, les redevances pour pollutions diffuses provenant du plan Ecophyto via l’agence nationale ONEMA, dans le cadre de l’action pilotée par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation et le ministère de la Transition écologique et solidaire (projet « RESCAPE », appel à recherche « Résistance et Pesticides » 2014) ; la Zone Atelier Arc Jurassien (appel à recherche 2015, appel à recherche 2017) ; et l’Université de Franche-Comté (projet « INEXSS », appel à recherche « Chrysalide » 2017). »
Les agriculteurs peuvent légitimement s’interroger : les redevances pour pollutions diffuses et les fonds alloués au plan Ecophyto sont-ils bien investis dans ce genre de projet ?