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      Faut-il tolérer l’intolérance ? (2/2)

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 14 February, 2023 - 03:40 · 13 minutes

    Suite de notre recension de l’ouvrage collectif écrit sous la direction de Nicolas Jutzet (voir ici Première partie ).

    Enjeux contemporains. Tolérance et liberté d’expression

    En spécialiste de John Stuart Mill, Camille Dejardin s’intéresse à la liberté d’expression, se fondant sur les enseignements du philosophe du XIX e siècle pour les appliquer aux enjeux contemporains.

    Il s’agit en effet de l’un des acquis les plus précieux de la modernité politique, nous montre-t-elle, mais qui se trouve parfois instrumentalisé et dévoyé au point de saper en certains cas les conditions du débat démocratique. C’est pourquoi s’interroger sur ses ressorts et limites se justifie dans une optique libérale, pour mieux « la défendre contre ses adversaires et la sanctuariser dans ses fonctions essentielles ».

    Il s’agit de lutter contre les lieux communs tout en défendant le pluralisme et donc l’expression y compris minoritaire, comme source de confrontation entre l’erreur et la vérité. En veillant à la fois à la prémunir contre les excès d’autoritarisme, mais aussi des « formes plus insidieuses du conformisme », les assauts du communautarisme et du politiquement correct médiatique ou économique ayant pour effet de dissuader les prises de position discordantes.

    En ce sens, John Stuart Mill défendait les vertus du débat contradictoire. S’appuyant sur la thèse fondamentale selon laquelle l’erreur renforce la vérité, à condition toutefois d’être systématiquement combattue. Selon le principe de la vérité provisoire, à l’instar des idées poppériennes, l’appel à la raison et au jugement critique devant servir la recherche de la vérité.

    Mais si le philosophe britannique était contre la censure et défendait le droit de tout dire, il le faisait dans l’exigence de la bonne foi et du débat, de même que de l’importance accordée à la contradiction. Défendant également un devoir d’équité, la question du manque de pluralité des médias et de la mainmise des opinions majoritaires sur la parole – et le conformisme que cela induit – étant de fait mise en cause aujourd’hui, prolongée par celle des dérives de réseaux virtuels s’assimilant plus souvent à un instrument de publicisation de soi qu’à l’usage de véritables discours structurés, donnant ainsi lieu à de nombreux excès, à des injures, des propos discriminatoires, ou encore à une communautarisation qui ne sont pas sans poser de nombreux problèmes, dont Camille Dejardin donne des exemples concrets. Sans oublier la question délicate des « fausses nouvelles ».

    Les tensions entre liberté et responsabilité, expression personnelle et publicité de contenu exprimé ainsi que ses conséquences, latitude éthique et normes implicites, ou encore encadrement juridique, sont multiples et complexes. C’est ce que la philosophe étudie de manière passionnante dans sa contribution (et que ne saurais résumer en quelques lignes).

    Elle [la liberté d’expression] rappelle ce faisant combien est sinueux le chemin qui cherche à éviter aussi bien l’individualisme narcissique et concurrentiel que la pression conformiste ou autoritaire d’instances massifiées et jamais idéologiquement neutres. En réaffirmant les idéaux chers aux libéraux que sont le pluralisme, la responsabilité individuelle, la rationalité et la représentativité de la parole médiatisée contre leurs contraires, la dictature émotionnellement chargée pouvant émaner tant de la majorité que de certaines minorités, elles mettent en lumière combien une éducation exigeante demeure requise pour les faire vivre.

    On en revient une nouvelle fois à la nécessité de cultiver la connaissance et l’esprit critique . C’est par une éducation ambitieuse et une culture humaniste , universaliste et libérale que les libertés formelles pourront trouver une meilleure assise.

    Tolérance et défense du pluralisme

    Alexandre Curchot traite lui aussi des enjeux contemporains liés à la liberté d’expression en abordant notamment sa dimension juridique d’inspiration libérale puisque la liberté d’expression en est le principe de base fondamental, assorti d’exceptions ou limites, déterminées par la sauvegarde des droits d’autrui. Comme dans le cas de l’incitation à la haine.

    À l’ère du clash et des mouvements extrémistes qui menacent la presse libre, des discours binaires et indignations simplistes, la perte de nuances et de la pensée complexe au profit du format court, du zapping permanent et du caractère clivant des réseaux sociaux, suscitent une défiance à l’encontre de toute forme d’autorité, de l’incrédulité et l’émergence d’une post-vérité qui n’a que faire des faits, laissant place au règne des émotions et croyances personnelles. Attaquant de la sorte le socle de notre monde commun, comme seul le négationnisme pouvait le faire auparavant. Le problème est que le relativisme propre à l’ère du clash exclut la confrontation des points de vue et aboutit en définitive à la négation même de la liberté d’expression telle que conçue par la tradition juridique.

    À partir du moment où toute forme d’argumentation se trouve exclue, qu’en est-il du débat, du pluralisme, des discussions rationnelles, s’interroge Alexandre Curchot ?

    Le relativisme conduit alors à l’intolérance, à l’anarchie, à l’absence de droit, et au règne de la violence , ainsi que l’analysait Karl Popper. En ce sens, les dérives numériques et le règne de l’indignation ou de la morale conduisent à la futilité, à l’expression souvent anonyme de haines, aux opinions inconsistantes et aux polémiques stériles. Avec un effet multiplicateur et viral qui n’a souvent plus grand-chose de démocratique, cédant le pas à des formes nouvelles d’intégrisme ou de destruction de la dignité d’une personne jetée en pâture (rendant inopérantes nos conceptions juridiques), versant dans le sensationnel, le tribunal médiatique, ou encore la création de « bulles cognitives » qui polarisent la société.

    Certains journalistes jouant le rôle d’amplificateur en n’exerçant plus tout à fait leur rôle de diffuseur d’information, tandis que des journalistes ou caricaturistes jugés incorrects par certains indignés ou même par la majorité ( voire, de manière ahurissante, certaines chaînes de télévision jugées incorrectes par Mme la ministre de la Culture ) se trouvent écartés, puis bannis, sans autre forme de procès, y compris pour un simple propos anodin. Toujours au nom de la morale. Sonnant le glas de la tolérance et du pluralisme pourtant au cœur de nos traditions. La présomption d’innocence n’étant par ailleurs elle-même plus toujours respectée.

    Là encore, la cancel culture , s’appuyant sur la « génération offensée » et l’appropriation culturelle, amplifie l’œuvre de désinformation bien entamée par certains réseaux sociaux ou groupes complotistes, la liberté d’expression étant alors perçue comme un obstacle.

    Il n’y a dans un tel référentiel plus de place pour la contradiction, le doute, l’ironie ou les nuances. Chaque émetteur d’avis critique est taxé d’ennemi de la cause.

    Selon Alexandre Curchot, les solutions passeront par un renforcement du cadre législatif, selon des modalités qu’il définit précisément, mais aussi par une remise en cause par les médias des fondements de leur métier et une meilleure formation de leurs journalistes, ainsi que par l’éducation au numérique et aux droits fondamentaux.

    La tolérance à l’ère des technologies de la communication

    Pierre Schweitzer dresse un panorama des grandes évolutions qui nous ont conduits vers l’avènement du cyberespace, qui constitue une véritable révolution, dont il analyse à la fois les atouts en termes de liberté d’expression, mais aussi les limites ou dérives.

    Sa réflexion porte à la fois sur l’intérêt et les apports fantastiques qu’ont permis les technologies en matière de connaissances et de possibilités d’exprimer des idées mais aussi sur les dérives engendrées au fur et à mesure que les technologies se sont développées. Conduisant, de fait, vers une grande tendance à la paresse intellectuelle , au règne de l’insignifiant, de l’immédiateté, de l’ego, de l’émotion, au détriment de la réflexion, de la qualité, des rapports à autrui. Quand ce ne sont pas des prêches radicaux appelant au meurtre , du harcèlement scolaire à grande échelle, de la fabrication douteuse ou malveillante d’information partagée sans esprit critique. Sans oublier, là encore, les menaces très nettes et effectives que font régner le politiquement correct et le wokisme sur la liberté d’expression.

    Pour autant, dans une optique libérale, il n’est nullement question d’interdire ces opinions en remettant les libertés entre les mains de l’État. Ni de « s’infliger une perte de temps infinie sous prétexte de devoir respecter et discuter de toutes les opinions ». C’est pourquoi Pierre Schweitzer privilégie plutôt de faire appel à des solutions de marché. Qui ne passent pas forcément par les seuls réseaux sociaux. Les forums, newsgroups, réseaux sociaux alternatifs ou décentralisés, sites web, clubs de discussion en ligne, sont d’autres moyens de participer à des débats, en stimulant la liberté d’expression et l’esprit critique, sans tomber dans les travers précédents et en évitant le monopole du prêt-à-penser – public ou privé – visant à éliminer toute concurrence. Ce qui nécessite, bien entendu, des efforts et une volonté de travailler à la confrontation des idées, à travers ces espaces de liberté. Il s’agit, en somme, « de protéger la société libre contre des ennemis qui utilisent pernicieusement ses plus belles conquêtes pour mieux la saper ».

    Thierry Aimar apporte à son tour sa contribution, en proposant une lecture hayékienne de la tolérance face au communautarisme en s’appuyant sur l’exemple de l’affaire du burkini et mettant en cause les tournures qu’ont parfois pu prendre les débats sur le sujet, dont il déplore certaines dérives.

    De son point de vue, la seule universalité possible est le respect de toutes les singularités individuelles et l’acceptation de la liberté des uns de faire différemment des autres. Ce qu’il reproche est l’incohérence dans les décisions prises à divers égards dans la vie publique, qui ne sont pas à même d’apaiser les tensions, ainsi que les raccourcis mentaux et procès d’intention qui, selon lui, ont présumé des motivations des initiateurs en les appréhendant uniquement en tant que revendication communautaire. Heureusement, considère-t-il, la décision du Conseil d’État pour trancher l’affaire ne s’est basée que sur la seule considération des risques sanitaires et sécuritaires des baigneurs, ce qui a évité les risques liés à l’arbitraire.

    Sauvegarder nos libertés

    Jean-Pierre Chamoux clôt l’ouvrage en rendant notamment hommage au passage aux grands auteurs libéraux célébrés par Mario Vargas Llosa dans son livre L’appel de la tribu , qui ont inspiré bon nombre de nos réflexions actuelles, en particulier dans les sphères qui nous intéressent ici, à savoir la liberté et la tolérance. Deux thèmes que Jean-Pierre Chamoux aborde à l’aune de sa longue expérience en matière de technologies de l’information et de la communication.

    Il commence ainsi par s’interroger sur l’impact de ces technologies en matière de libertés individuelles. La disruption numérique n’est pas terminée et pourtant elle révèle déjà ses atteintes envers la liberté d’expression et d’autres libertés fondamentales qu’elle contribue à fragiliser. Des procédures bureaucratiques impersonnelles au problème de la protection des données, nombreux sont les dangers qui menacent les garanties liées à notre intégrité, sans même aller jusqu’au cas extrême du contrôle social à la chinoise . Qu’il s’agisse des administrations fiscales, sociales, ou douanières, l’informatisation favorise les procédures inquisitrices. Les réseaux sociaux, quant à eux, induisent des problèmes nouveaux, tant dans les formes de communication que dans les modalités de surveillance. Par leurs excès, ils « encouragent la vanité, découragent la mesure, la réflexion, la prudence et la modestie ». Au lieu de cela, ils encouragent les pires excès, l’exposition de soi, l’impudeur , l’indiscrétion, et « l’imposture de la transparence ».

    Non, la transparence n’est pas un principe de société ; oui, c’est un venin qui encourage la délation (par exemple en matière de voisinage, de fiscalité ou de mœurs) et qui monte les uns contre les autres, sous n’importe quel prétexte, sérieux ou futile. Érigé en principe de droit, ce travers déboucherait sur une guerre civile larvée ; qui peut en espérer du bien ? Délétère, la transparence s’oppose à la tolérance qui est une vertu de l’homme civilisé : entre les deux, il n’y a pas photo !

    Jean-Pierre Chamoux souligne le fait qu’à travers son paradoxe, Karl Popper n’exclut pas pour autant le débat avec les intolérants. En effet, il n’est nullement question de prendre le risque de sombrer dans les propos sanguinaires d’un Saint-Just proclamant « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! », réprimant ici toute liberté d’expression. On ne voit que trop où cela pourrait mener. Il s’inscrit en cela en accord avec la pensée de Raymond Aron , qui lui aussi considérait que c’est « toute la beauté et la fragilité du libéralisme » que de ne pas étouffer les voix, même dangereuses.

    C’est uniquement lorsque l’intolérant devient tyrannique, développe une intolérance criminelle ou incitant au meurtre que les limites de la tolérance sont franchies. Or, en temps de guerre, poursuit Jean-Pierre Chamoux, les conditions ne sont souvent plus réunies pour que les principes libéraux de l’État de droit, de la libre expression et l’exercice des libertés fondamentales en général soient respectés. Sans aller jusqu’au cas de la guerre en Ukraine, c’est ce que nous avons pu constater y compris en Europe à la suite des États-Unis depuis 2001, à travers les mesures liberticides de nos gouvernements qui ont tendu à se multiplier. Sous prétexte de guerre au terrorisme, puis à la pandémie.

    Face aux intolérants dogmatiques, le libéral doit tenter seulement d’entretenir le contact, mais pas à n’importe quel prix. Il peut donc être contraint de mettre temporairement entre parenthèses ce à quoi il tient le plus ; et s’effacer devant ceux qui, depuis la nuit des temps, administrent les passions à leur paroxysme : au soldat et au diplomate qui font la guerre et tenteront ensuite de refaire la paix !

    Alors vient le temps pour les libéraux de reprendre les rênes, dès que la paix reprend ses droits ; depuis trois siècles, ils ont souvent tenté de restaurer les libertés, de tolérer les différences et de gérer les crises du temps de paix, en évitant le pire : seul le péché d’orgueil qui suggère aux Hommes que leur seule volonté peut maîtriser l’avenir, pourrait les dissuader !

    — Nicolas JUTZET (sous la direction de), Faut-il tolérer l’intolérance ? Défis pour la liberté , Editions Institut Libéral, novembre 2022, 188 pages.

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      Faut-il tolérer l’intolérance ? (1/2)

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 12 February, 2023 - 04:15 · 13 minutes

    Première partie de la recension de l’ouvrage collectif sous la direction de Nicolas Jutzet .

    La tolérance a des vertus pacificatrices. Historiquement, il s’agissait au départ notamment de définir un concept qui allait rendre possible la fin des conflits entre religions. Plus largement, cette notion vise à l’adoption d’une attitude consistant à admettre que d’autres aient une manière différente de la nôtre de penser ou de vivre. En effet, quoi de plus sain que de respecter les opinions, croyances, idées d’autrui même si elles s’écartent de celles que l’on peut avoir ? Une manière, en somme, de coexister pacifiquement en respectant les différences.

    Mais voilà. Jusqu’à quel point ce socle de valeurs que l’on pourrait considérer comme communes est-il mis en cause par certains ? Et quelle attitude avoir à l’égard de ceux qui ne le partagent pas ? Autrement dit – et c’est la question posée dans ce livre – la tolérance ne risque-t-elle pas tout simplement de disparaître si on se montre tolérants à l’égard de ceux qui sont ennemis de la tolérance, à l’image de ceux qui s’en servent de marchepied pour tenter de miner de l’intérieur les sociétés libres , ou encore ceux qui la fragilisent par leur relativisme ?

    Paradoxe – déjà mis en lumière par Karl Popper en son temps – qu’il convient d’autant plus d’étudier de près à l’ère du numérique , des réseaux sociaux et du multiculturalisme , que c’est tout simplement la liberté – les libertés – qui est en jeu.

    Tolérance et liberté

    L’histoire de la tolérance est intimement liée au libéralisme et à la défense des droits des individus. C’est ce que nous montrent les auteurs qui composent la première partie de l’ouvrage, consacrée à l’histoire des rapports entre tolérance et liberté.

    C’est Alain Laurent qui ouvre le bal, en commençant par mettre en garde contre l’image déformée que l’on peut avoir aujourd’hui de la tolérance, devenue une sorte de conformisme intellectuel individuel qu’il est de bon ton d’afficher, en se revendiquant comme quelqu’un de vertueux , quitte à perdre de vue ce qu’étaient ses exigences originelles. D’où son retour aux sources historiques, en partant d’une « archéologie d’une tolérance avant le mot » pour ensuite présenter sa consécration, qu’il fait remonter à Erasme en 1533, et même avant lui à Thomas More , avant que Montaigne , dans ses Essais , en fasse un instrument de paix civile face aux troubles de l’Inquisition et des guerres de religion. Puis, au siècle suivant, il s’agira pour d’autres auteurs (notamment John Milton ), d’y voir un moyen de défendre la liberté d’expression, face à la censure du pouvoir politique sous le règne de l’absolutisme monarchique, particulièrement en matière de religion. La libre confrontation des idées devient (encore avec certaines limites) la condition du progrès.

    Mais c’est surtout au cours de la seconde moitié du XVII e siècle que des philosophes signant l’avènement du libéralisme moral et politique (Baruch Spinoza , John Locke , et plus encore Pierre Bayle ) approfondissent véritablement la question, fondant leur approche sur les droits imprescriptibles d’une conscience autonome, et donc du libre individu. Avant qu’à la fin du siècle suivant les philosophes des Lumières ( Emmanuel Kant , dans une moindre mesure Voltaire , puis surtout Wilhelm Von Humboldt , et à sa suite John Stuart Mill ) y apportent les ultimes contributions.

    Dès lors, la tolérance « passe par la reconnaissance effective du droit souverain de l’individu de penser et de vivre comme il l’entend sous condition de ne pas imposer ses propres choix aux autres ».

    Du strict terrain religieux, on est ainsi passés progressivement à la lutte contre l’absolutisme politique puis, grâce aux apports du libéralisme , au despotisme des opinions majoritaires en matière de mœurs, et à la liberté d’opinion et d’expression.

    De la tolérance à l’hypertolérance

    C’est surtout à 1968 (et son « Il est interdit d’interdire ») que remonte cette dérive qui a consisté à ériger la tolérance en une sorte de « religion civile », nous dit Alain Laurent.

    Mais à tout vouloir tolérer, le socle moral sur lequel avait été fondée cette notion s’est mué « en lâche indifférence d’abstention, en tolérance « molle », passive, où l’on accepte des évolutions et des états de fait comme solution de facilité pour éviter de faire preuve d’autorité , d’entrer en conflit ». Pire, en sombrant désormais dans le conformisme de l’époque , sous peine d’être « taxé de conservateur obtus et donc d’intolérant à bannir », on s’est laissé dériver vers une permissivité puis des formes de militantisme peu disposé à pratiquer la tolérance au sens classique.

    Le multiculturalisme sur lequel cela a débouché s’est traduit par la coexistence de communautés closes sur elles-mêmes et par un culturalisme tribal qui a perverti les limites de la tolérance telles que définies par John Stuart Mill en une intolérance à l’égard de ceux accusés de porter atteinte aux droits d’autrui. En une forme « d’ordre moral » formaté, avec l’appui de l’industrie culturelle, des médias, de l’éducation et mêmes des entreprises. Un laxisme et un relativisme bien à l’opposé des valeurs du laissez faire , aboutissant « à priver les générations les plus jeunes de repères assurés et à ne plus pouvoir que tout tolérer – ou presque ».

    En ce sens, le wokisme (antiracisme hystérisé, cancel culture, ultraféminisme) constitue certainement l’apogée de ces dérives dangereuses car extrêmement intolérantes et inquisitrices, recourant à l’intimidation, la dénonciation publique, parfois les menaces de mort, la police idéologique de la pensée et l’épuration du langage, mais aussi la privatisation de la censure, ainsi que « la mise à l’index de ceux qui osent ne pas se conformer à ses diktats dogmatiques », ou encore la chasse aux sorcières.

    Bref, tout l’opposé de ce qui fondait les réflexions sur la tolérance. Une régression historique terrible. Donnant ainsi raison à Karl Popper lorsqu’il soutenait son paradoxe de la tolérance, selon lequel

    Une tolérance illimitée [même envers les intolérants […] qui se refusent à toute discussion logique et ne répondent aux arguments que par la violence ] a pour conséquence fatale la disparition de la tolérance.

    Pour autant, ajoute Alain Laurent, il ne s’agit pas non plus de dénier « un droit individuel de professer à titre privé des opinions intolérantes sous peine de se transformer en politique étatique intrusive de rééducation des mal-pensants ». Il relève, en effet, le recul des nations tolérantes au profit de celles qui répriment la liberté d’expression (Chine, Russie, pays islamiques, mais aussi désormais des pays comme l’Inde ou les États-Unis, où wokisme et autres fanatismes religieux progressent), révélant la fragilité des acquis en matière de tolérance.

    Une valeur individuelle fragile par nature

    Matthieu Creson s’intéresse quant à lui à la notion de tolérance de Turgot à Gustave Le Bon , montrant qu’il s’agit d’une conquête individuelle fragile, puisant des origines dans l’esprit des Lumières mais soumise aux soubresauts de la « psychologie des foules ».

    La tolérance est une attitude qui ne va pas de soi, montre-t-il. Elle exige tout à la fois la maîtrise de soi et l’acquisition d’une autodiscipline, qui relève donc de la culture, tandis que l’absence de tolérance relèverait plutôt de la nature, à l’inverse de ce que pouvait par exemple considérer un René Descartes . Elle apparaît donc comme une conquête fondamentale de la modernité et le fruit d’un long combat intellectuel, « considérée comme l’un des principes directeurs de la civilisation occidentale moderne ». Cependant aujourd’hui menacée, à l’ère des foules.

    De ce point de vue, la tolérance ne saurait être séparée de l’individualisme , dont elle constitue bien au contraire une composante essentielle […] Ainsi, un individu, considéré isolément, peut parfaitement se montrer tolérant dans certaines circonstances, voire la plupart du temps, et se muer subitement par ailleurs en un farouche intolérant, lorsqu’il se trouve plongé au milieu d’une masse grégaire, étant par là même conduit à abdiquer son sens du jugement personnel pour céder le pas à la collectivité.

    Là où l’individu peut accepter la contradiction et la discussion, la foule peut se montrer aussi autoritaire qu’intolérante, pouvant renverser les valeurs morales de l’individu en son exacte antithèse .

    Ainsi que le montrait en outre Jean-François Revel , la tolérance repose sur la réfutation des thèses d’un contradicteur ou adversaire, dont on tente de démontrer la fausseté « au moyen d’arguments rationnels, de preuves et de faits tangibles ». En pratique, cependant, l’histoire des intellectuels des XIX e et XX e siècles est jalonnée de calomnies, invectives, injures, troncatures et falsifications de la pensée. Mais surtout, elle a tendance aujourd’hui à sombrer dans le relativisme .

    L’originalité de la culture occidentale est d’avoir établi un tribunal des valeurs humaines, des droits de l’Homme et des critères de rationalité devant lequel toutes les civilisations doivent également comparaître. Elle n’est pas d’avoir proclamé qu’elles étaient toutes équivalentes, ce qui reviendrait à ne plus croire à aucune valeur.

    Matthieu Creson cite aussi Raymond Massé , qui défend l’idée d’une tolérance « critique et engagée », s’opposant à celle qu’il qualifie de passive, « se limitant à un devoir fataliste d’acceptation de la différence, condescendance envers la réalité , abdication paresseuse ou indulgence face à des écarts aux normes ».

    Là encore, Matthieu Creson met en garde contre le danger wokiste et le regain d’intolérance qu’il induit, « au nom même du principe de tolérance brandi comme nouvel étendard du dogmatisme bien-pensant ». Avec son lot de censures, bannissements, déboulonnages, et actes intolérants en tous genres (dernier épisode fantasque, à l’heure où j’écris ces lignes, l’annulation d’une représentation d’ En attendant Godot , pour des motifs stupides et surtout absurdes ).

    C’est aussi, partant, le principe même d’indépendance de la pensée qui se trouve être désormais à la merci de ce nouveau radicalisme, intransigeant dans le respect qui serait dû selon lui à sa nouvelle orthodoxie.

    Le libéralisme comme solution au paradoxe de la tolérance

    Arkadiusz Sieron revient à son tour sur le paradoxe de Karl Popper.

    La difficulté étant que si tolérer de manière illimitée les intolérants peut se révéler fatal pour la tolérance, savoir où poser les limites est délicat. Cela peut même être dangereux. Si c’est l’État qui est chargé de les définir, alors nous ne sommes pas à l’abri de l’arbitraire. Quelles que soient les bonnes intentions qui en sont à l’origine.

    C’est pourquoi, selon lui, « le principe libéral de non-agression est la seule réponse rationnelle au paradoxe de la tolérance, garantissant la coexistence harmonieuse de divers individus dans une société libre ». Idée qu’il développe à travers tout un chapitre débouchant sur quelques illustrations concrètes, se basant sur l’idée qu’en tant que philosophie, le libéralisme se garde de tout jugement moral ou de hiérarchie des valeurs qu’il tendrait à imposer.

    Par nature, le libéralisme se base en effet naturellement sur des principes de tolérance respectueux de la diversité des principes, sur les vertus du commerce, de l’échange, de la coopération en divers domaines – indépendamment de ses jugements, convictions morales ou préférences personnelles – l’agression, la violence, le meurtre, le vol, constituant les limites que l’on ne peut tolérer. Principes fondamentaux qui distinguent, selon Friedrich Hayek, les libéraux des conservateurs ou des socialistes, partisans quant à eux du recours au pouvoir coercitif de l’État en divers domaines.

    Sans pour autant que l’on puisse assimiler les libéraux à des libertins – sortes de nihilistes moraux qui ne se soucieraient pas du mal -insiste-t-il à travers une argumentation implacable, même si certains peuvent bien sûr en être, comme d’autres peuvent être conservateurs, chrétiens fervents ou de gauche. La liberté doit être entendue comme un préalable. Qui n’empêche pas ensuite le recours à d’autres moyens (incitatifs, dissuasifs, ou fondés sur l’aide volontaire) que la coercition, pour tenter de changer certains comportements jugés nuisibles ou moralement critiquables.

    Niclas Berggren et Therese Nilsson montrent eux aussi, à travers un autre chapitre, comment la liberté économique constitue un moteur de la confiance et de la tolérance, dans le cadre d’un État de droit et d’une économie de marché où le libre-échange constitue un facteur de cohésion et de rapprochement entre personnes étrangères. Ils montrent ainsi que, loin d’affecter les valeurs culturelles, comme le prétendent certains, l’économie libre de marché tendrait au contraire à réduire sensiblement les a priori et croyances stéréotypées à l’égard des autres, favorisant les interactions et la confiance sociale mutuelle et améliorant, au final, le bien-être de tous.

    À l’inverse, ainsi que le montre Olivier Kessler , la société du risque zéro entraîne des risques cachés. Transférer de plus en plus la compétence décisionnelle de l’individu vers l’État, et donc vers les politiques, accroît le lobbying, le népotisme et les abus de pouvoir. Servir des intérêts spécifiques au lieu du bien commun aboutit à des formes de corruption qui conduisent à se demander alors qui peut encore nous protéger de l’État. Le risque étant par ailleurs de faire exploser l’ordre social, politique et économique et de ne plus savoir gérer les risques en cas de crise systémique inattendue. Les effets pervers multiples de l’interventionnisme finissent par déformer complètement la structure économique et mener lentement vers le déclin, sans oublier les comportements de type « aléa moral », atteignant en profondeur le principe de responsabilité et remplaçant le capitalisme traditionnel par un capitalisme de connivence suscitant un rejet croissant du capitalisme tout court.

    Le problème est que cela se diffuse ensuite aux médias. Qui à leur tour, et à mesure de leur financement public, entrent en collusion avec l’État, ne jouant plus tout à fait leur rôle critique pour tomber dans un « politiquement correct » ravageur. Conformisme, tribalisme , peur de la nouveauté, sont autant de comportements qui conduisent alors à la jalousie, au désir d’égalitarisme, à la recherche de sauvegarde de ses privilèges et à l’angoisse existentielle. Haro sur les réformateurs et appel à encore de nouvelles réglementations et interventions des pouvoirs publics et autres dogmes qui renforcent les comportements à l’origine des problèmes que l’on entend pallier. C’est sur ce terrain que prolifèrent les ralliements à la majorité, le développement de la cancel culture , la division et la discorde. La mécanique de la connaissance est alors cassée et pervertie, le rationalisme critique cher à Karl Popper anéanti.

    À suivre… (La seconde partie de cette recension portera sur les enjeux contemporains).

    — Nicolas JUTZET (sous la direction de), Faut-il tolérer l’intolérance ? Défis pour la liberté , Editions Institut Libéral, novembre 2022, 188 pages.

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      Espagne : « la défaite du vainqueur » de Rogelio Alonso

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 8 February, 2023 - 03:50 · 5 minutes

    Maître de conférences en Sciences politiques à l’Université Rey Juan Carlos de Madrid, Rogelio Alonso est un spécialiste internationalement reconnu du terrorisme. Directeur du master en Analyse et prévention du terrorisme de cette même université, il a été enseignant durant dix ans à l’Université d’Ulster (Belfast) et publié plusieurs ouvrages sur l’histoire de l’IRA, dont certains ont été primés outre-Manche.

    Pour cette monographie publiée en 2018, le politologue s’appuie sur une grande quantité de sources : déclarations publiques (presse, télévision, meetings politiques, blogs), archives (police, renseignement, décisions de justice) ainsi que sur des entretiens menés avec des terroristes ayant accepté de témoigner anonymement. Ce travail de science politique remarquable permet de briser deux mythes qui conditionnent encore la vie politique espagnole :

    1. L’arrêt du terrorisme basque serait le fruit d’un dialogue politique.
    2. C’est la gauche espagnole qui serait à créditer du succès de cette stratégie.

    Les trois leçons de l’ouvrage

    Trois enseignements essentiels sont à tirer du travail de Rogelio Alonso :

    • Le travail combiné des services de police et de renseignement espagnol et français, principalement durant les deux mandats de José-Maria Aznar (1996-2004), affaiblirent logistiquement et politiquement l’ETA. Les négociations avec l’organisation terroriste, menées par le gouvernement socialiste de José-Luis Rodriguez Zapatero (2004-2011), permirent à l’ETA de se restructurer, d’obtenir une légitimité politique et de faire croire à une reddition volontaire des armes.
    • La négociation mise en place et défendue par le gouvernement socialiste de José-Luis Rodríguez Zapatero avait pour seul objectif de défendre les intérêts électoraux du Parti socialiste.

    En 2004, l’ETA vivait un contexte de déroute opérationnelle et logistique qui augurait de sa reddition. Pourtant, l’arrivée au pouvoir de José-Luis Rodriguez Zapatero changea totalement la donne. Ce dernier troqua le succès avéré de la lutte antiterroriste pour une négociation avec l’ETA, initialement cachée aux citoyens, afin d’orchestrer une fin volontaire de l’activité terroriste issue d’un dialogue politique.

    Évidemment, les deux parties sortirent gagnantes de cette négociation orchestrée. De son côté, l’ETA obtint une légitimité politique qui lui aurait été refusée si elle avait été déroutée par les instruments de l’État de droit. La négociation d’égal à égal avec l’État puis l’entrée postérieure dans la légalité politique d’EH Bildu, formation politique composée d’anciens membres de l’ETA, soutinrent la thèse des nationalistes selon laquelle les attentats avaient été nécessaires pour être reconnus politiquement.

    En agglutinant les nationalistes autour de son projet de négociation État-ETA, les socialistes isolèrent le Parti populaire. En effet, ce dernier fut le seul à refuser la négociation d’égal à égal entre un État démocratique libéral et une organisation terroriste. En parallèle, les socialistes réouvrirent une guerre civile mémorielle et, reprenant les arguments nationalistes, commencèrent à accuser le Parti populaire d’être le parti héritier du franquisme, forcément favorable à la répression des identités régionales.

    Les socialistes et les nationalistes parvinrent à dépeindre le Parti populaire, parti qui avait lui-même approfondi la décentralisation administrative et politique de l’Espagne, comme un parti va-t-en-guerre et infréquentable à bannir du jeu des alliances politiques dans lequel les nationalistes sont surreprésentés du fait des systèmes électoraux proportionnels en vigueur en Espagne.

    Cette tactique servit également les intérêts socialistes dans une autre région : la Catalogne. En 2003, socialistes et nationalistes catalans signèrent le Pacte du Tinell, un accord de gouvernement régional scellé à condition qu’aucun de ces partis « ne forment aucun accord de gouvernabilité (investiture et parlementaire) avec le PP, ni en Catalogne, ni à l’échelle nationale ».

    • La négociation avec les terroristes, assumée par la droite à la fin des deux mandats de Zapatero, aboutit à une situation d’injustice morale évidente à l’égard des victimes de la violence de l’ETA.

    3500 attentats, plus de 7000 blessés dont 853 assassinés : voilà le bilan de l’ETA. De ces assassinats, 379 n’ont jamais été résolus. Plus de 200 000 Basques auraient quitté leur région de naissance pour ne pas subir le harcèlement, l’extorsion économique ou l’intimidation physique du nationalisme : de quoi modifier significativement la composition de l’électorat basque au profit des partis nationalistes.

    Pourtant au Pays basque, les terroristes sont encore acclamés à leur sortie de prison lors d’hommages martyrologiques à l’ampleur non-négligeable. EH Bildu, la formation politique dirigée par d’anciens membres de l’ETA qui n’ont jamais condamné le terrorisme, gouverne dans de nombreuses mairies du Pays basque et s’est désormais affirmée comme un soutien parlementaire privilégié du gouvernement socialiste de Pedro Sanchez.

    Actualité d’une stratégie : de Zapatero à Pedro Sanchez

    Aujourd’hui encore, Pedro Sanchez entretient l’alliance politique imaginée par Zapatero entre nationalistes et socialistes : en échange du soutien parlementaire d’EH Bildu, les socialistes ont notablement accéléré le programme de rapprochement des terroristes dispersés dans de multiples prisons espagnoles. En 2021, le gouvernement a délégué les compétences de l’État en matière de gestion des prisons et d’exécution des peines au gouvernement régional basque. Dès lors, l’administration dirigée par gouvernement régional nationaliste s’est empressée de concéder des aménagements de peine à de nombreux terroristes n’ayant jamais regretté leurs crimes.

    Bien évidemment, cette trahison à l’égard des victimes est recouverte d’une généreuse couche de novlangue. En cela, Sanchez ne fait qu’imiter le grand maître Zapatero qui utilisait l’expression « processus de paix » pour désigner une négociation avec des terroristes. Désormais, les socialistes étouffent leur lâcheté morale sous une panoplie de ce que Jacques Lacan appelait des « signifiants vides » : la nécessité d’un « dialogue », d’une « concorde », ou encore la recherche du « consensus »…

    Et s’il prenait au parti d’opposition de s’opposer, les socialistes s’empresseront de reprendre les arguments nationalistes : le Parti populaire « cherche à diviser », vit de la « tension », « refuse le dialogue »… Somme toute, ce parti est incapable de réprimer ses pulsions franquistes ! Cet ensemble de contorsions dialectiques donne au nationalisme ethnique une légitimité politique refusée à une droite constitutionnaliste qui se retrouve politiquement isolée face à l’alliance de la gauche et des nationalismes.

    À moins d’un sursaut de leur électorat, ce scénario houellebecquien laisse entrevoir les compromis auxquels sont capables de parvenir les socialistes afin de conserver le pouvoir.

    Rogelio Alonso, La derrota del vencedor: El final del terrorismo de ETA (La défaite du vainqueur ), Alianza Editorial , 2018, 448 pages.

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      50 idées pour améliorer votre vie

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 4 February, 2023 - 04:15 · 4 minutes

    On ne vit qu’une fois et sans doute avons-nous tendance à l’oublier. The Monocle Companion, Fifty ideas to IMPROVE your LIFE , publié par l’équipe du magazine Monocle , ne propose pas une méthode en 50 étapes, mais 50 essais de membres de son équipe rédactionnelle internationale pour « améliorer tout, de vos vacances à vos vocations ».

    Monocle a été lancé en 2007 en tant que magazine imprimé, pour fournir des informations sur les affaires internationales , le business, la culture, le design et en tant que boutique en ligne offrant des vêtements et objets haut de gamme à sa marque, fabriqués de par le monde, souvent en Europe. « Nous étions convaincus, écrivent les rédacteurs, qu’il existait un public de lecteurs ouverts sur le monde, avides d’opportunités et d’expériences au-delà de leurs frontières nationales. »

    Le magazine paraît 10 fois par an. Il se vend dans plus de 80 pays, à plus de 80 000 exemplaires par numéro, et il compte 24 000 abonnés. Monocle produit aussi deux numéros spéciaux annuels, The Entrepreneurs et The Forecast , et des journaux saisonniers. Les sièges de l’entreprise sont établis à Londres et à Zurich et elle a des bureaux, des boutiques et des cafés à Tokyo, Hong Kong, Toronto et Los Angeles.

    Le Monocle Companion se présente à un format poche agrandi et puise ses 50 essais à de multiples sources, l’entreprise qui le publie étant elle-même une source d’inspiration pour quiconque dispose de l’esprit d’entreprise. Le livre a été rédigé sous la direction d’un rédacteur du magazine, Josh Fehnert, et imprimé en Allemagne. Par sa conception et sa présentation, il est lui aussi une source d’inspiration, pour un candidat auteur ou éditeur.

    Chaque essai, de deux à plusieurs pages, se présente avec une préface de deux ou trois lignes et une conclusion de trois ou quatre lignes sous la forme d’une note biographique à propos de son auteur.

    Le temps, douce souffrance

    Dans le premier essai, David Rooney, l’auteur d’un livre About Time : A History of Civilization in Twelve Clocks , évoque fort opportunément le temps : ne cessons-nous de nous répéter qu’il est précieux et ne cessons-nous pas d’en perdre à essayer souvent inopportunément de le « gérer », désormais assistés par des apps censées nous aider à en tenir compte mais en consommant beaucoup ?

    Poser la question, c’est certes y répondre mais ce n’est pas neuf : cette tragédie du temps (dé)compté commença en l’an 263 avant J.-C. lorsque Rome s’équipa, au désespoir du grand dramaturge Plaute, d’une première horloge solaire. Originaire de Sydney et ayant obtenu la nationalité française depuis peu, Alice Cavanagh évoque dans le deuxième essai les joies de l’attente (Camus en parlait comme d’une douce souffrance) et se réfère à deux autres auteurs qui prétendent que l’anticipation provoque de plus intenses émotions que la rétrospection.

    Les dix-huit mois de procédure administrative hérissée d’obstacles lui font écrire que les Français en ont consommé l’art. C’est un art qu’il vous appartient de pratiquer sous nos latitudes si – comme Taleb le suggère dans Skin in the game, Hidden Asymmetries in Daily Life à tous les jeunes qui veulent sauver l’humanité – vous projetez de « jouer votre peau » et de créer votre propre entreprise, à l’instar de Gynelle Leon qui relate, dans l’extrait d’une interview qu’elle avait donné au magazine, pourquoi et comment elle a changé de carrière et s’est transformée de banquière en commerçante (et auteur de livre) en ouvrant une boutique de cactus à Londres.

    L’enfer, ce n’est pas les autres

    « J’ai pris un énorme risque, j’ai quitté mon job, vendu mon appartement, signé un bail commercial de 15 ans, raconte-t-elle, mais je croyais vraiment à mon idée et, s’en apercevant, les gens ont envie de vous aider et j’ai reçu beaucoup de soutien. »

    Charmain Ponnuthurai, qui a créé Crane Cookware et s’apprêtait à récidiver en créant sa seconde entreprise, enchérit : « Créer une entreprise signifie d’être confrontée à des obstacles, l’argent par exemple. Mais, si vous y croyez, il existe toujours une voie. Focalisez-vous sur ce que vous faites, suivez vos intuitions et soyez tenace : le reste suivra. » Que c’est une femme qui le profère dénote la sagesse de ce conseil de patience et de persévérance.

    Le temps qui passe et l’esprit d’entreprise ne sont pas les seuls sujets chers à votre palingénésiste abordés dans ce recueil. Il y a, parmi d’autres, signée par Thomas Ribi, un journaliste du journal suisse Neue Zürcher Zeitung qui l’avait publiée en mai dernier, une réflexion sur la liberté d’expression à la suite du Digital Services Act, la nouvelle législation européenne visant l’usage des réseaux sociaux. Point n’est besoin d’un petit dessin.

    Certains, à commencer par la commissaire Margrethe Vestager, s’en réjouissent. À défaut d’avoir sa Big Tech, l’UE régule celle des autres. En l’occurrence, estime Thomas Ribi, c’est faire du tort à la démocratie. Celle-ci n’a nul besoin d’être policée comme une discussion à l’heure du thé dans un salon de bridge anglais. Elle peut être quelque peu indisciplinée, Wild West. L’enfer, c’est les autres, mais pas nécessairement. Instiller un peu d’esprit nordique dans vos relations entre voisins, de Freikörperkultur au bord du Danube, de Badi à la suisse ou de keyif à la turque dans votre vie de tous les jours vous en convaincra.

    The Monocle Companion, Fifty ideas to IMPROVE your LIFE , ouvrage collectif, 210 p, Monocle Books (monocle.com).

    Sur le web

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      « Les Machiavéliens » de James Burnham, une lecture libérale (I)

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 29 January, 2023 - 03:30 · 11 minutes

    Par Finn Andreen.

    Bien que Les Machiavéliens : défenseurs de la Liberté fut publié en 1943, c’est un livre qui mérite une attention continue. Pourtant, cet important ouvrage du politologue James Burnham (1905-1987) reste méconnu du grand public et parfois même des universitaires. Jusqu’à tout récemment, la seule autre édition en anglais fut publiée en 1964. Ce livre n’a pas été traduit en français depuis 1949.

    Une recension des idées des penseurs machiavéliens est opportune en raison de la clarté politique qu’elles peuvent apporter aux jeunes adultes d’aujourd’hui, surtout à une époque où le modèle démocratique est soumis à des crises de légitimité dans de nombreux pays.

    En effet, les principaux enseignements de cette œuvre de Burnham sont particulièrement pertinents aujourd’hui. Ils concernent surtout les organisations politiques et leurs implications pour la démocratie moderne en tant que système politique viable et stable.

    Cette recension examinera également les lacunes de la pensée politique machiavélienne d’un point de vue libéral, à savoir une théorie de l’État peu développée et la faible définition de la liberté que présente Burnham. Ces lacunes empêchèrent Burnham de proposer des solutions pertinentes aux problèmes politiques inhérents à la démocratie.

    Les machiavéliens présentent des idées qui sont restées en marge de la théorie politique dominante tout au long du XXe siècle. Encore aujourd’hui, elles ne correspondent pas à l’idée plutôt satisfaite que l’ Occident se fait de lui-même en tant qu’incarnation réussie de démocratie et d’égalitarisme. Les auteurs machiaveliens ne sont généralement jamais présentés aux étudiants en science politique, ce qui rend pratiquement certain que leurs idées resteront largement inconnues.

    Une science de la politique

    Beaucoup connaissent de façon anecdotique les conseils politiques que Machiavel donna au Prince, mais n’imaginent pas que cela a conduit ensuite à ce que Burnham a nommé, « une tradition distincte de la pensée politique » qui est aujourd’hui aussi pertinente que jamais 1 .

    L’approche machiavélienne de la politique est dépassionnée et réaliste. Elle est machiavélienne car elle n’a pas d’agenda politique, ce qui peut être perturbant pour certains : c’est une méthode qui ne juge pas si un régime politique est bon ou mauvais. Elle se contente d’observer de loin les affaires des hommes, notamment en tant que membres d’organisations politiques, et en tire des conclusions.

    Machiavel lui-même n’était pas tout à fait aussi scientifique que la méthode qui porte aujourd’hui son nom, son travail était influencé par son époque et par la situation personnelle dans laquelle il se trouvait. Cependant, son œuvre reste révolutionnaire pour l’époque, par sa sincérité et son objectivité sur le pouvoir et la politique, par exemple par opposition à Dante.

    En effet, Burnham commença son livre par une comparaison entre Dante (« La politique comme désir « ) et Machiavel (« La science du pouvoir « ) afin de montrer comment l’écriture de ce dernier était fermement ancrée pour la première fois dans la réalité de la politique.

    Burnham s’est donc concentré sur la tradition politique machiavélienne, pas sur l’homme lui-même. Bien que la vision de Machiavel de la politique soit le point de départ, la tradition politique machiavélienne a été principalement développée par les penseurs qui ont tout à fait consciemment marché dans ses pas.

    Ainsi, Burnham passe en revue dans ce livre les contributions clés de chacun des penseurs machiavéliens. Elles sont clairement présentées, un par chapitre : Gaetano Mosca (1858-1941), George Sorel (1847-1922), Robert Michels (1876-1936), et Vilfredo Pareto (1848-1923).

    Burnham résume admirablement les idées de ces penseurs et les relie afin de faire émerger la science politique machiavélienne.

    Ces penseurs avaient en commun le fait qu’ils voyaient tous « le sujet de la politique comme la lutte pour le pouvoir social », quel que soit le type de régime politique 2 . Burnham a également identifié l’« anti-formalisme des machiavéliens, leur refus de prendre pour argent comptant les mots, les croyances et les idéaux des hommes 3 ».

    Ils étaient fermement convaincus qu’il fallait toujours faire preuve de scepticisme à l’égard des messages politiques et plutôt s’efforcer de découvrir les motivations et les intérêts réels qui les sous-tendent. En effet, l’idée de Sorel sur le rôle du mythe en politique est à cet égard importante car elle permet aux dirigeants politiques d’influencer les masses politiquement désintéressées.

    Il est intéressant, mais peut-être pas surprenant, de noter qu’aucun des penseurs machiavéliens n’était de tradition politique anglo-saxonne ou germanique (Michels était allemand mais a passé sa vie en Italie). Deux d’entre eux étaient, comme Machiavel lui-même, italiens.

    Sans doute, les penseurs dont la culture politique a été fortement impactée par des millénaires de luttes de pouvoir et de machinations politiques sophistiquées, ont peu de foi dans le progrès politique de l’humanité. Les machiavéliens pourraient ainsi être qualifiés de réalistes, voire de cyniques, n’ayant aucune illusion sur la politique et l’exercice du pouvoir.

    Pour le meilleur et pour le pire, les machiavéliens manquent d’innovation en théorie politique – et ceci consciemment – puisqu’ils n’ont aucune prétention à proposer quoi que ce soit de nouveau ou de mieux. Burnham les qualifie de « pessimistes sociaux » : il y a en effet une nette tendance pessimiste à la pensée machiavélienne, exprimée ouvertement par Sorel.

    La pensée politique machiavélienne n’est pas normative mais pratique. C’est une science politique, mais pas une philosophie politique, car elle ne repose sur aucun ensemble de principes éthiques directeurs. C’est une analyse sans valeur du pouvoir politique, n’ayant ni idéologie ni objectif politique.

    D’une part, cette objectivité dans l’analyse de la politique est louable et rare, et a permis à ces penseurs de découvrir des vérités politiques que d’autres penseurs, plus biaisés idéologiquement, n’ont pas. Mais d’autre part, cette approche scientifique de l’observateur objectif et dépassionné rend difficile l’apport de solutions aux problèmes politiques que cette même science expose si brillamment.

    Les machiavéliens ont dévoilé des principes sociologiques et psychologiques fondamentaux à propos des organisations et du pouvoir politique. Burnham a explicitement énuméré ces principes au début de son chapitre final.

    Selon lui, ils « constituent une manière de voir la vie sociale, un instrument d’analyse sociale et politique » , que les politologues modernes feraient bien de prendre en compte s’ils veulent analyser correctement la politique 4 . Les plus importants de ces principes sont présentés dans les passages qui suivent.

    La loi d’airain de l’oligarchie

    La pensée politique machiavélienne commence par l’idée, intuitivement évidente, que toutes les organisations humaines ont besoin de chefs. En particulier, les hommes et les femmes qui évoluent pour devenir les dirigeants d’organisations politiques sont, selon les mots de Burnham, « ceux qui prennent au sérieux la lutte pour le pouvoir 5 ». Ils ont tendance à avoir certaines qualités personnelles spécifiques, comme des compétences politiques très développées, une intelligence aiguë, ainsi qu’une grande motivation et capacité de travail.

    Avec le temps, les intérêts des dirigeants ont naturellement tendance à diverger de la base dans une organisation politique où tous ont commencé au même niveau. Quelqu’un qui consacre une partie importante de son temps et de ses efforts (et parfois même de sa fortune personnelle) à une organisation, s’attend naturellement à en tirer plus d’avantages que quelqu’un qui participe en tant que membre passif à temps partiel. Les dirigeants auront également tendance à être affectés psychologiquement et se distinguer des autres membres à mesure qu’ils prennent goût au pouvoir.

    Michels a montré dans son étude magistrale sur les partis politiques , qu’il y a des raisons techniques pour lesquelles aucune organisation ne peut se développer elle-même, encore moins prospérer, sans qu’un petit sous-groupe ne prenne les décisions et la responsabilité de l’ensemble de l’organisation.

    La taille et la complexité considérables d’une organisation mature empêchent naturellement tous ses membres d’être impliqués de manière égale dans le processus de décision. L’organisation est obligée d’introduire une division du travail entre les membres, car la diversité et la complexité croissantes des tâches nécessitent de la spécialisation.

    Progressivement, deux groupes distincts tendront à émerger au fur et à mesure qu’une organisation grandit et mûrit : une minorité organisée et bien informée qui dirige l’organisation, et une majorité non coordonnée et non informée, composée du restant de ses membres.

    Au fil du temps, cette minorité aura tendance à représenter de moins en moins la majorité et à suivre plutôt sa propre ligne de conduite, indépendamment du pot-pourri de souhaits émanant de la majorité de l’organisation. Autrement dit, cette minorité deviendra oligarchique .

    Il faut ici faire une distinction que Burnham ne fait pas, entre l’organisation commerciale et l’organisation politique. L’existence de minorités dirigeantes ne pose pas de problèmes aux entreprises commerciales car elles sont légitimement contrôlées par leurs dirigeants et propriétaires. Contrairement aux organisations politiques, il n’y a pas d’ambiguïté ou de secret en ce qui concerne le contrôle d’une organisation commerciale.

    Les études historiques et sociologiques importantes effectuées par les machiavéliens montrent que toutes les organisations politiques sont dirigées par des minorités oligarchiques organisées, plutôt que par des majorités désorganisées à volonté démocratique.

    Ainsi, la fameuse loi d’airain de l’oligarchie de Michels énonce que quelle que soit leur idéaux et leur ferveur initiale, toutes les organisations politiques deviennent oligarchiques au fur et à mesure qu’elles se développent et mûrissent. Le pouvoir s’éloigne progressivement de la masse des membres, et se concentre chez un petit nombre d’individus au sommet.

    La classe dirigeante et la circulation des élites

    La loi d’airain de l’oligarchie s’applique aussi bien sûr à la plus grande des organisations politiques, à savoir le système politique d’une société.

    Résumant Mosca, Burnham écrit :

    L’existence d’une classe dirigeante minoritaire est, il faut le souligner, une caractéristique universelle de toutes les sociétés organisées dont nous avons une trace. Elle est valable quelles que soient les formes sociales et politiques, que la société soit féodale ou capitaliste ou esclave ou collectiviste, monarchique ou oligarchique ou démocratique, quelles que soient les constitutions et les lois, quelles que soient les professions et les croyances 6 .

    Cette règle inclut donc également les « démocraties libérales » modernes, ce qui contribue à expliquer les tensions politiques qui existent aujourd’hui dans ces systèmes, un point qui sera élaboré dans la prochaine partie de cette revue.

    Cependant, la structure du pouvoir composée d’une minorité dirigeante et d’une majorité dirigée, n’est jamais complètement stable. Mosca a montré avec beaucoup de détails historiques dans son chef-d’œuvre, La classe dirigeante , comment l’élite politique est reproduite et renouvelée, parfois de façon drastique, pour maintenir son emprise sur le pouvoir.

    Pour reprendre les mots de Burnham :

    Les leçons de l’histoire montrent qu’une classe dirigeante ne peut que rarement rester longtemps au pouvoir si elle n’est pas prête à ouvrir ses rangs à des nouveaux membres, capables et ambitieux, venant d’en bas 7 .

    En tant que Sicilien, Mosca aurait certainement été d’accord avec le fameux bon mot du Prince Tomasi di Lampedusa à propos de la classe dirigeante locale : « Se vogliamo che tutto rimanga com’è, bisogna che tutto cambi . » (« Si nous voulons que tout reste tel qu’est, il faut que tout change »).

    En effet, il est normal que la direction d’une organisation politique soit régulièrement contestée par des rivaux avides de pouvoir. En pratique, cela peut se produire rapidement et sans pitié, comme lors de révolutions ou de coups d’État, ou lentement et pacifiquement, comme lorsque des dirigeants politiques et des administrations changent en raison d’un changement de génération ou d’une pression politique croissante.

    Ce processus de « Circulation des élites « , identifié par Pareto, est sain et nécessaire à la survie de l’organisation. Il est parfois considéré comme tel même par des parties éclairées de la minorité dirigeante, car, comme l’a dit Burnham, elle est « une protection contre la dégénérescence bureaucratique, un frein aux erreurs et une protection contre la révolution 8 ».

    En d’autres termes, les systèmes politiques les plus performants et les plus stables sont ceux qui permettent et même adoptent ce mouvement, selon lequel les dirigeants de la société sont progressivement remplacés à mesure que les nouveaux dirigeants rejoignent ceux qui sont établis. La société anglaise est un bon exemple de cela.

    Malgré ce processus de renouvellement des élites, la tendance naturelle et constante de tous les systèmes politiques à évoluer vers un régime oligarchique pose évidemment un dilemme particulier pour les démocraties. Ce point a également reçu beaucoup d’attention de Burnham et sera étudié plus en détail dans la prochaine partie.

    À suivre

    Article publié initialement le 15 octobre 2021

    1. Burnham, J., The Machiavellians: The Defenders of Freedom , 2nd edition, Gateway, 1964, p251.
    2. Ibid. p131.
    3. Ibid. p131.
    4. Ibid. p251.
    5. Ibid. p262.
    6. Ibid. p262.
    7. Ibid. p. 301.
    8. Ibid. p302.
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      Vendée : de la révolte au génocide et à la paix

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 27 January, 2023 - 03:30 · 3 minutes

    Le souvenir un peu oublié ou ignoré d’une époque où le totalitarisme sévissait en France, jusqu’à l’extrémité de l’horreur : la tentative d’extermination totale des Vendéens. Un remarquable travail de narration, sous la plume de Reynald Secher et les dessins talentueux de René Le Honzec.

    Les lecteurs de Contrepoints sont familiers des dessins de René Le Honzec qui, bénévolement et avec passion, ne manque pas d’illustrer l’actualité quotidienne, apportant une touche humoristique aux articles des différents auteurs.

    Je ne le connais pas personnellement mais en profite pour le remercier au passage pour tous les dessins qui ont pu agrémenter mes différents articles ici-même.

    L’histoire du génocide vendéen

    La présente BD, que j’ai découverte en 2007, mais qui remonte à quelques années auparavant, s’appuie sur les recherches approfondies de Reynald Secher sur le génocide vendéen, synthétisées dans l’ouvrage La Vendée-Vengé . Elle raconte en images l’histoire trop peu connue des Vendéens durant la Révolution de 1789 et jusqu’à 1801 sous le règne de Napoléon Bonaparte.

    L’espérance des réformes devait rompre avec les injustices du régime précédent , mais la peur qui lui succède , avec les premières mesures prises par l’État, s’annoncant finalement bien plus restrictives que ce qui avait précédé, et enfin la colère et la révolte face aux réquisitions, à la hausse des impôts et surtout à la privation de la liberté de culte, se soldent aussitôt par de premières vagues de persécutions, exécutions et assassinats. Dès lors, ce ne sera qu’escalade dans les injustices et procédés dictatoriaux menés par l’État républicain.

    Les Vendéens sauront s’organiser pour constituer une armée puissante et victorieuse avant que les républicains, désorganisés par les guerres extérieures, l’état d’insurrection du pays et les purges internes aboutissant à remplacer des état-majors compétents par de nouveaux nommés incompétents, ne redressent petit à petit la tête et organisent la fin sanglante des Vendéens suite à l’échec de la virée de Galerne.

    Ce qui débouchera sur l’un des plus terribles génocides qu’ait connus la planète, où s’enchaînent exécutions massives, univers concentrationnaire, destruction programmée, régime de terreur et noyades collectives dans la Loire (organisées par le monstrueux envoyé de la Convention Jean-Baptiste Carrier), pour culminer avec les colonnes infernales de Turreau, créées sur ordre du Comité National de Salut Public, organisant la destruction totale de la Vendée, dont même le nom doit disparaître.

    Des sommets dans l’horreur

    S’ensuivent des exactions plus atroces les unes que les autres.

    Femmes, enfants (dont un certain nombre seront par exemple jetés vivants dans des fours), vieillards, patriotes comme royalistes, innocents ou pas, personne ne doit en réchapper, pas davantage que les villes, villages, habitations, édifices, terres, dont l’incendie est méticuleusement planifié.

    L’horreur sera telle que l’on ira jusqu’à écorcher et tanner des peaux humaines de Vendéens pour en faire des culottes de cheval destinées aux officiers supérieurs, ainsi que des couvertures de livres et récupérer de la graisse de cadavres pour servir aux hôpitaux.

    Mais après de multiples épisodes sombres et douloureux, la résistance parviendra à de multiples reprises à se réorganiser de manière surprenante et exceptionnelle jusqu’à ce que Napoléon Bonaparte, arrivé au pouvoir, parvienne à mettre un terme à cette situation infernale.

    Un épisode qui a inspiré d’autres régimes totalitaires

    Un épisode de notre histoire effroyable et fort peu glorieux, qui a atteint le comble de l’ignominie et inspiré les pires régimes totalitaires que nous ayons connus au XX e siècle, en particulier des régimes d’inspiration communiste , qui s’en sont certainement beaucoup inspirés et qui ne sauraient renier les noms de Robespierre ou de Saint-Just, en particulier. Une honte que l’on préfère cacher aujourd’hui encore pour préférer l’éloge de la Révolution, de la République et le beau feu d’artifice du 14 juillet.

    Article publié initialement le 19 mars 2015

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      Le futur des retraites, tome 3

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 20 January, 2023 - 12:00 · 13 minutes

    Aujourd’hui, troisième et dernier volet de la présentation de l’ouvrage en trois tomes de Jacques Garello et Georges Lane sur le futur des retraites. Avec la question concrète de la mise en pratique, ou comment passer à la transition. Une approche toujours très pédagogique et fondamentalement salutaire.

    Futur des retraites Tome 3

    En commençant la lecture de ce troisième volet de réflexion sur notre système de retraites , on ne peut s’empêcher d’avoir en tête l’idée qu’à ce jour ce sont 51 pays à travers le monde qui se sont lancés dans la transition vers la capitalisation.

    Pourquoi pas nous ? Qu’est-ce qui fait que la seule évocation du mot « capitalisation » n’a pas même lieu, ne vient absolument jamais à l’esprit des intervenants dans les débats publics ou dans la bouche des spécialistes censés réfléchir à des pistes pour tenter de nous sortir du marasme dans lequel se trouve notre système actuel ?

    Refus d’ouvrir les yeux et fuite en avant

    Tout se passe comme si seules des solutions paramétriques (durée de cotisation, âge légal de départ à la retraite, montant des cotisations, calcul des pensions) existaient et non des solutions systémiques.

    Engoncée dans ses intérêts catégoriels, ses régimes spéciaux et surtout le souci des politiques de se faire réélire, véritable tare de la démocratie (voir école du public choice ) les conduisant à craindre les pressions syndicales et des lobbies, la société est victime de la dictature du court terme plutôt que des grandes décisions engageant la longue période.

    Là encore, ainsi que sur de nombreux autres sujets, l’ignorance joue un grand rôle.

    Et c’est le mérite de nos deux auteurs de montrer en quoi on a tort de fermer ce débat et de ne pas chercher à écouter les arguments qui plaident en la faveur de la capitalisation.

    Il faut dire qu’ici comme ailleurs les fausses idées, les mensonges et les manipulations pullulent. À l’instar de cette caricature systématique qui est faite de la capitalisation à travers les fausses expériences d’Enron et Maxwell, déjà évoquées et développées dans le tome 1 et qui ne portent d’autre nom qu’escroquerie ; ce qui existe dans tout système (surtout d’ailleurs étatique, l’expérience ne le montrant que trop).

    Dans le prolongement de l’ignorance se trouvent les peurs. Et c’est là que ce troisième tome prend tout son sens. Montrer que la transition n’est pas, ainsi que les auteurs l’affirment en connaissance de cause, « un saut dans le vide » ; et qu’il y a donc de bonnes raisons de se pencher sans plus tarder sur le sujet en abandonnant l’idéologie, les vues à court terme et la démagogie, pour s’intéresser à ce que font les autres et étudier de quelle manière l’adaptation serait largement réalisable chez nous et sans prises de risques insensées, bien au contraire.

    Le problème perpétuel étant, à la manière d’un Frédéric Bastiat dans son pamphlet Maudit Argent ! , de ne pouvoir sortir facilement de la léthargie dans laquelle nous a plongé le système actuel, la lecture forcément trop confidentielle de ces trois solides ouvrages, malgré toutes leurs qualités pédagogiques, rendant « incapable de lutter contre l’erreur à laquelle il a donné naissance autrement que par une longue et fastidieuse dissertation que personne n’écoutera ».

    Or, à l’instar de ce Maudit Argent , « … de cette confusion sortent des erreurs et des calamités sans nombre ».

    D’où l’importance de ne jamais renoncer et d’où le caractère fortement louable de l’entreprise de Jacques Garello et Georges Lane, que nous nous devons de contribuer à diffuser et faire connaître.

    Ce n’est qu’ainsi, en effet, que l’on peut espérer un jour faire avancer les choses.

    Les garanties du système

    Une fois de plus, les auteurs commencent donc par rappeler en quoi la transition n’est en aucun cas un saut dans le vide.

    En effet, dans ce système par capitalisation,

    Les retraités actuels ne perdraient rien, ce que la Sécurité sociale leur donnant actuellement étant au moins garanti en fonction du scénario de transition retenu (les auteurs en proposent trois), étant entendu que le système par répartition actuel ne garantit rien et les pensions ayant plutôt tendance à y diminuer.

    Les plus démunis bénéficieraient toujours d’un filet social.

    Les futurs retraités auraient des pensions nettement supérieures à celles que la Sécurité sociale serait en mesure éventuelle de leur verser (ceci étant d’autant plus vrai que la faillite du système par répartition est inéluctable (voir tome 1).

    Les auteurs nous montrent qu’en seulement 13 ans il est ainsi possible de capitaliser autant qu’en 40 ans à la Sécurité sociale.

    Affirmation validée par les expériences à l’étranger, et non un quelconque fantasme.

    Mais quid alors du double fardeau consistant à abonder son fonds de pension tout en se préoccupant de payer pour continuer d’honorer les « droits acquis » des retraités actuels et futurs ?

    Là aussi, Jacques Garello et Georges Lane nous montrent que la retraite demeurera bien plus élevée qu’elle aurait pu l’être dans le système actuel même s’il faudra environ 30 ans (deux générations) avant que ne s‘éteignent les derniers retraités entièrement régis par la répartition.

    Même les « privilégiés » des régimes spéciaux seraient gagnants.

    Quelle transition choisir ?

    Selon les deux auteurs il existe différentes transitions possibles selon les choix que l’on retiendra.

    Les solutions « douces » peuvent aboutir à une transition qui s’étalerait sur 70 ans, comme elle peut se limiter à 25 ans si l’on y consacre plus d’efforts tout de suite.

    Mais tout dépend bien évidemment aussi du rythme de croissance économique, du poids de l’endettement public ou encore des ressources financières disponibles.

    Le Chili a réalisé sa transition en seulement 14 ans, bénéficiant de conditions très favorables (l’argent des privatisations, notamment, n’y a pas été dilapidé en financement des dépenses courantes, comme ici).

    Les auteurs passent donc en revue les différentes options possibles, montrant chaque fois en quoi elles sont réalistes ou irréalistes, adaptées ou inadaptées à la situation française, qui n’est pas celle qu’ont pu connaître certains pays voisins qui s’y sont lancés : transition obligatoire ou volontaire, opting out total ou partiel, capitalisation en fonction de l’âge des assurés, etc.

    Cette dernière hypothèse est d’ailleurs celle qui fut retenue au Chili où les personnes proches de la retraite restaient dans le système par répartition car n’ayant pas le temps de reconstituer un capital suffisant en capitalisation, tandis qu’à l’autre extrême ce dernier système s’imposait aux plus jeunes, contribuant en parallèle au paiement des pensions des retraités actuels, les assurés d’âge intermédiaire étant libres quant à eux de choisir entre répartition et capitalisation, sachant que leurs droits acquis en répartition étaient conservés, grâce à des « bons de validation ».

    Reste ensuite la question de la gestion des fonds de pension. Qui et comment ?

    Comme en d’autres domaines, nous disent les auteurs, le meilleur système est la concurrence.

    L’exemple du Chili sert là encore de référence avec une concurrence à deux degrés, les assurés choisissant leur gestionnaire et celui-ci son fonds, étant entendu qu’assurés comme gestionnaire peuvent remettre en cause leur choix  à tout moment et même en avoir plusieurs (matérialisés par des « carnets de retraite »), obligeant chaque acteur à agir au mieux des intérêts des retraités dont ils ont la charge, concurrence oblige.

    À l’inverse, Jacques Garello et Georges Lane déconseillent très fortement le système américain qui a conduit au désastre Enron, l’entreprise choisissant son fonds de pension (ce qui n’offre aucune garantie solide) ou, pis, allant jusqu’à créer son propre fonds dont elle contrôle le capital (et y puisant de manière illicite, comme dans les cas Maxwell et Enron, pour tenter de se sortir d’une mauvaise situation financière, pratique interdite dans presque tous les pays depuis).

    Dans la plupart des expériences connues, la réglementation est intervenue dans l’intention de protéger les assurés. Avec là encore des situations diverses analysées par les auteurs, le poids de cette réglementation (contrôle de l’accès au marché, qualité des informations délivrées aux assurés, placements des fonds de pension) et l’origine de ses instances de contrôle n’étant pas anodin si l’on entend laisser la libre concurrence jouer pleinement ses effets.

    Une enquête de la Banque mondiale révèle que là où la libre concurrence était la plus élevée, les rendements étaient nettement meilleurs et la situation personnelle des assurés mieux prise en compte.

    Enfin, selon les auteurs on pourrait tout à fait imaginer que la transition prenne la forme d’une assurance retraite privée laissée à la préférence des individus, se substituant aux choix des gouvernants. Cette solution aurait le mérite de respecter l’idée selon laquelle la retraite est une question personnelle et pourrait en toute logique s’inscrire dans un cycle de vie, variable selon chaque individu (tenant compte de l’âge et des besoins et dépenses différents selon les moments de la vie, les éventuelles périodes de cessation totale ou partielle d’activité, le patrimoine dont on dispose, ou encore la situation familiale, entre autres).

    Des contrats d’assurance d’une grande souplesse permettraient ainsi de tenir compte de cette diversité de situations personnelles, offrant de vrais droits individuels plutôt que de privilégier une vision systémique et de finances publiques, avec des « droits sociaux », comme c’est trop souvent le cas, y compris dans beaucoup de modèles de transition.

    Comment concevoir la mise en œuvre politique ?

    Le courage politique étant ce qui manque le plus pour agir, face au risque électoral et aux groupes de pression, ainsi qu’au poids de l’idéologie dans le pays qui véhicule tant de fausses idées, Jacques Garello et Georges Lane proposent d’aider les politiques à trouver le courage des réformes.

    Premier conseil : face à l’ignorance, informer et dire la vérité

    C’est le seul moyen d’éveiller la prise de conscience de l’importance de la transition et d’obtenir ainsi le soutien du plus grand nombre. Cela devant se faire non en citant de grands chiffres agrégés mais en partant du vécu personnel et du montant dépensé par chacun (cf. notion de salaire complet).

    Selon les auteurs, ceci devrait être complété par de véritables formations pour les adultes, plus efficaces que l’information, par nature ne permettant pas d’aller au fond des choses.

    Deuxième conseil : ramener de la transparence au système actuel, mettre fin à l’arbitraire (privilèges) et respecter droit de propriété et droit à l’initiative

    Pour commencer, la transparence consisterait à permettre à chaque Français de savoir exactement ce à quoi il a droit.

    Or, le montant des pensions n’est en réalité pas une somme fixe ni même assurée, des ajustements fréquents ayant lieu de la part des pouvoirs publics et de la caisse gestionnaire. Sans compter les changements de règle du jeu en cours de route (modifications du mode de calcul, allongement de la durée de cotisation, diminution des taux de pension en cas de retraite anticipée, mais aussi très probablement pour tous et de manière substantielle dans les années qui viennent, en raison des risques d’explosion du système, etc.) et la forte probabilité de faillite totale du système. D’où le succès des contrats d’assurance-vie et autres PER, hélas pas à la portée de tous.

    Manque de transparence aussi lorsque les taux de remplacement annoncés par les statisticiens officiels le sont en rapport du dernier salaire net au lieu du salaire brut à l’étranger (alors que ces taux sont inférieurs à 50 % si l’on se réfère au salaire complet).

    Tout en ne perdant pas de vue que beaucoup oublient ou ignorent que les sommes qu’ils auront versées pendant 40 ans ne sont pas placées mais immédiatement redistribuées.

    Troisième conseil : revenir à la réalité en détruisant l’idéologie et instaurant la liberté de choix

    Les conséquences économiques de la transition…

    Pour finir et dans une dernière partie les auteurs montrent par quels mécanismes cette transition vers la capitalisation occasionnera en outre une fantastique relance économique bien éloignée de celles d’essence keynésienne artificielles et destructrices.

    L’expérience des pays qui l’ont mise en œuvre parle, là encore ( voir notre deuxième volet ).

    Accélératrice de croissance, pourvoyeuse massive d’épargne et facteur important de rétablissement des finances, notamment, elle peut se révéler très bénéfique si la liberté économique est par ailleurs correctement assurée dans le pays qui l’initie.

    Et la transition, comme au Chili, en sera d’autant  accélérée.

    Grâce à l’allègement en charges sociales qui s’ensuit, elle permettra également de favoriser la compétitivité des entreprises de même que le pouvoir d’achat des assurés et des retraités, ainsi bien sûr que l’emploi.

    … avec quelques mises en garde

    Mais les auteurs y insistent : tout cela suppose un véritable changement des mentalités, la fin de la bureaucratie, de la centralisation et de l’arbitraire pour laisser place à d’autres valeurs, telles que « l’initiative, la curiosité, l’effort, le mérite, la performance, la rigueur, le souci des autres, le désir de servir, et peut-être même la générosité et l’honnêteté », en lieu et place de la passivité , le découragement, l’envie ou le comportement de profiteur.

    La gestion de son patrimoine, la prévoyance, voire le désir de transmettre constituent, de la sorte, « un moyen de rendre aux gens leur liberté et le sens de leur dignité ».

    On n’y arrivera, de surcroît, qu’en cessant de changer les réglementations en cours de route, d’alourdir la fiscalité sur l’épargne ou même en général à des niveaux insupportables dès que l’État a besoin de faire face à ses problèmes d’endettement insurmontable ou encore de manipuler les taux d’intérêt ou compliquer sans cesse les réglementations des marchés du travail ou financiers dès lors que les politiques ont eux-mêmes contribué à fortement perturber ces marchés .

    De même, les politiques purement conjoncturelles ne s’attaquant pas aux causes des problèmes ne sont pas adaptées pour favoriser la transition. Et pire encore, la tentation protectionniste constitue un danger certain.

    Bref, comme le disent nos deux auteurs, « derrière la transition, il y a un vrai choix de société ». Et, plutôt que de se perdre en conjecture dans des choix ou considérations idéologiques, rien de tel que « d’en revenir au gros bon sens ».

    L’enjeu n’est pas anecdotique, puisque pour les jeunes générations en particulier, « c’est la promesse de la liberté ».

    Telle est la conclusion de ce magnifique travail salutaire que nous offrent Jacques Garello et Georges Lane, qu’il est par conséquent tout indiqué de se procurer et de lire, ce que je vous encourage fortement à faire.

    — Jacques Garello et Georges Lane, Futur des retraites & retraites du futur – III- La transition , IREF Contribuables Associés Editeurs, mai 2009, 150 pages.

    Un article publié initialement le 14 octobre 2013 .

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      Le futur des retraites, tome 2

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 19 January, 2023 - 12:00 · 6 minutes

    Second volet de l’excellente série en trois volumes sur le futur des retraites , par Jacques Garello et Georges Lane.

    Avec aujourd’hui la capitalisation, ou comment espérer passer de manière tout à fait réaliste d’une retraite actuelle encore (mais pour combien de temps ?) en moyenne à la moitié de son salaire brut à une retraite au moins égale à ce même salaire, sans qu’il en coûte plus (bien à l’inverse). L’expérience de nombreux autres pays le prouve. Pourquoi ne pas l’envisager chez nous aussi ?

    À l’heure où la question des retraites est de nouveau débattue et où tout le monde convient qu’une nouvelle réforme du système s’impose, au-delà des habituels replâtrages dont nous sommes coutumiers, voici un ouvrage indispensable sur la grande question oubliée de nos politiques et autres journalistes médiatiques, et même hélas économistes : celui du choix du système lui-même.

    Pourquoi ne jamais l’évoquer ? Pourquoi éluder ce nécessaire débat qu’on en vient même à oublier, tout le monde semblant considérer, en France, le système par répartition comme une évidence ?

    Des craintes à dissiper

    Or, la faillite des retraites par répartition semble bien inscrite dans la réalité démographique comme on le sait très bien et ainsi que le rappellent les auteurs (voir tome 1 : Futur des Retraites et Retraites du Futur : le futur de la répartition ), que ce soit en France ou ailleurs.

    Ce qui empêche de se pencher sur la question de la capitalisation est cette crainte qui serait liée à l’incertitude. Pourtant, face à un système condamné par avance, en quoi la capitalisation serait-elle plus incertaine encore ?

    En effet, sans nier l’existence de dangers potentiels, Jacques Garello et Georges Lane montrent comment la couverture des risques peut et doit être conçue, les progrès en la matière étant importants, ce qui limite considérablement les risques du système (ceux-ci étant inévitables par nature quel que soit le système et contrairement à ce que l’on voudrait faire croire).

    Ainsi, nombreux sont les pays qui se sont lancés dans la capitalisation, soit partiellement via les deuxième (retraites complémentaires) et troisième (épargne personnelle) piliers de leur système, soit directement en la plaçant au cœur du système, avec un succès bien manifeste. Pourquoi ne jamais l’évoquer ? Pourquoi ne pas s’intéresser à ce qui est fait à l’étranger et a montré ses résultats ?

    Un système par répartition qui pèse lourd

    Que constatons-nous effectivement en examinant la situation de notre système actuel par répartition ?

    Devant l’impasse de plus en plus criante de ce système, on nous a annoncé sans cesse des hausses de cotisations sociales et des baisses de prestations afin de tenter de garantir la solvabilité du système (assurée d’ailleurs uniquement grâce aux placements financiers qui ont été effectués par la Sécurité sociale elle-même !). Quand il n’est pas question de repousser toujours davantage l’âge de départ en retraite dans des débats sans fin où l’on cherche à ménager les uns ou les autres en fonction de leur pouvoir de nuisance ou les intérêts électoraux.

    Or, tout cela pèse à la fois sur :

    • l’épargne nationale,
    • l’investissement en capital,
    • la productivité,
    • les salaires,
    • le revenu national,
    • et en définitive la croissance économique.

    La capitalisation, un potentiel à l’origine d’un véritable cercle vertueux

    Inversement, les systèmes privés de capitalisation permettent d’engendrer, et les expériences menées le montrent, une élévation conséquente de :

    • l’épargne nationale,
    • l’investissement,
    • la productivité,
    • les salaires,
    • la production,
    • l’emploi,
    • la croissance économique.

    Excusez du peu !

    Mais que deviendraient alors les plus fragiles, rétorque-t-on toujours ? Ce système ne serait-il pas réservé au plus riches ?

    Hé bien, contrairement aux idées reçues, non seulement il n’est pas question de laisser quiconque de côté et de supprimer la solidarité qui pourrait demeurer à l’égard des plus fragiles, mais l’ensemble des vertus attachées au système par capitalisation aboutiraient à ce que les pauvres et les minorités (États-Unis) soient parmi les principaux gagnants.

    Ils bénéficieraient ainsi notamment de prestations considérablement supérieures à celles que pourrait leur verser la Sécurité sociale avec une contribution inférieure. De plus, selon certains auteurs le caractère transmissible de ces rendements (contrairement au système par répartition) serait susceptible de venir briser le cercle de la pauvreté ; aujourd’hui, la famille du bénéficiaire qui décède dès son entrée en retraite ne touchera absolument rien de ce qu’il a cotisé tout au long de sa vie active. En outre, les effets favorables sur la croissance économique, les salaires et l’emploi revêtiraient une plus grande importance pour les pauvres.

    Le système par capitalisation est en outre plus redistributif et équitable. Ceci est d’autant plus criant que dans le système par répartition, il n’existe aucun « droit acquis » contrairement à ce que beaucoup croient.

    Bien au contraire, les problèmes que rencontre le système par répartition sont tels qu’il peut de moins en moins honorer ses engagements et nécessite sans arrêt de trouver de nouvelles dispositions de plus en plus lourdes pour s’en sortir.

    Une expérience éprouvée dans de nombreux pays

    Mais comment fonctionnerait un système par capitalisation ?

    Le second tome de cette série très bien conçue de trois ouvrages se propose justement de nous présenter les systèmes par capitalisation mis en place dans de nombreux pays (ici, 33 pays jugés représentatifs).

    Ce vaste panorama nous permet de mieux observer les pratiques de nos voisins et partenaires. Avec des présupposés qu’il faut bien sûr être prêts à accepter, ce qui semble difficile en France à l’heure actuelle où nous sommes si dépendants de cet État-providence qui semblait tant nous rassurer jusque-là : savoir et bien vouloir passer de l’obligatoire au volontaire, du monopole à la concurrence, du public au privé, du budgétaire au financier.

    Autre question récurrente : quid des quelques échecs retentissants évoqués dans les années 1990 et qui nous sont sans cesse rappelés ? Jacques Garello et Georges Lane ne contournent pas la question, bien au contraire. Ils l’abordaient déjà dans le premier tome, insistant sur le caractère isolé de ces cas et surtout sur les garde-fous à adopter systématiquement pour éviter de tels cas issus pour l’essentiel d’actes de corruption ou d’inconséquence contre lesquels on est désormais prévenus et donc à même d’éviter.

    Et maintenant, en pratique ?

    Comment, en France enfin parvenir à passer le cas échéant du système actuel par répartition à celui par capitalisation ?

    N’est-ce pas trop tard ? trop compliqué ? trop risqué ? C’est justement l’enjeu du tome 3 : Futur des retraites et retraites du futur : La transition , que nous vous présenterons dans les prochains jours…

    — Jacques Garello et Georges Lane, Futur des retraites & retraites du futur – II- Les retraites du futur : la capitalisation , Librairie de l’université d’Aix , décembre 2008, 230 pages.

    Un article publié initialement le 13 octobre 2013.

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      Le futur des retraites, tome 1

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 18 January, 2023 - 12:00 · 6 minutes

    Premier volet de l’excellente série en trois volumes sur le futur des retraites , par Jacques Garello et Georges Lane.

    Un sujet brûlant et plus que jamais d’actualité, mais un débat biaisé qui n’a pas vraiment lieu. Une entreprise à saluer, donc, qui a le mérite de nous permettre d’y voir plus clair. Dans ce premier tome, le constat ou comment la répartition s’est révélée être un système ruineux et injuste, condamné à l’implosion.

    Voici un ouvrage très utile, très certainement déjà connu de la plupart des lecteurs de Contrepoints , sur une question primordiale qui mérite d’être lu de toute urgence aussi bien par ceux qui sont conscients du marasme absolu dans lequel se trouve notre système collectif de retraite que par ceux qui n’en ont pas suffisamment conscience (et à qui il est donc utile de le faire connaître).

    En effet, il est temps que les esprits évoluent, et rapidement, si l’on ne veut pas être confrontés aux pires situations que l’on puisse imaginer. Avant qu’il ne soit trop tard.

    Or, la gangrène est déjà bien avancée…

    Pas facile de décrire le système actuel d’assurance vieillesse tant il est compliqué, emmêlé, alambiqué, plus guère maîtrisé.
    Jacques Garello et Georges Lane réussissent le véritable tour de force de nous le présenter de manière claire et limpide, accessible à tous, sans pour autant cacher les chiffres et faits essentiels.

    En réalité, ce n’est pas un ouvrage mais trois que nos deux auteurs ont eu l’excellente idée de concevoir.

    Ce premier volume porte sur l’origine de ce système de répartition, son fonctionnement, les causes fondamentales de sa faillite inéluctable, quelles qu’en soient les tentatives de solutions imaginées hélas sans issue convaincante, et sur la seule perspective viable qui existe, à travers la capitalisation.

    C’est sur l’application de celle-ci dans différents pays que porte le deuxième volume (que nous présenterons dans les prochains jours), destiné à nous présenter les expériences des autres à l’étranger. Enfin, le troisième et dernier volume (à suivre également) a pour intérêt de poser la question concrète de la transition très délicate à assurer d’un système à l’autre, de manière à créer un fonctionnement pérenne et éponger progressivement l’ancien, tout en veillant à ne laisser personne de côté.

    Dans la première partie, les causes de la faillite du système nous sont expliquées de manière pédagogique, à travers 10 points très clairs et très concrets. Les chiffres sont vraiment ahurissants, donnent véritablement le tournis.

    Ainsi, pour ne retenir qu’un seul chiffre à lui seul extrêmement marquant et significatif, c’est un point de croissance par an qu’il faudra affecter, dès 2015, rien qu’au comblement du déficit des retraites, puis 2 ou 3 points quelques années plus tard. Lorsqu’on connaît les taux de croissance annuels du PIB ces deux ou trois dernières décennies, on imagine bien toutes les conséquences que cela peut avoir… Véritablement explosif !

    Et le professeur Martin Feldstein, théoricien de la transition, estime que « chaque année qui passe sans réforme allonge d’un trimestre la durée de la transition ».

    Une faillite anticipée

    Pourtant, dès 1840 Frédéric Bastiat avait d’ores et déjà pronostiqué la faillite du système de Sécurité sociale avant même qu’il ne fût conçu.

    Il en fit une description éloquente que Jacques Garello et Georges Lane reprennent de manière opportune dans leur ouvrage. Le ver était dans le fruit…

    Or, ce ne sont pas les fausses solutions préconisées actuellement, passées en revue dans une seconde partie pour être analysées en détail, qui permettent d’espérer un sauvetage du système. Les deux auteurs s’en expliquent.

    Et, comme souvent, qui en sont les premières victimes ? Les plus modestes. Les autres s’empressent aujourd’hui de se prémunir contre l’effondrement annoncé en payant une deuxième fois (ou une troisième, si l’on considère le système d’assurance complémentaire obligatoire) en épargnant notamment au travers de contrats d’assurance-vie.

    En capitalisant, non seulement les plus modestes auraient une retraite mais à cotisations égales voire inférieures il est démontré que les sommes perçues actuellement par ceux qui ont encore la chance d’en bénéficier seraient en moyenne trois fois plus élevées.

    Mais alors, rétorqueront certains, c’est là se leurrer et faire fi des risques de la capitalisation ?

    Les auteurs sont très clairs également là-dessus (troisième grande partie). En effet, les détracteurs se réfèrent toujours aux deux ou trois mêmes exemples d’échecs retentissants (Enron, Maxwell, Worldcom), en les amplifiant et généralisant.

    Non seulement ces cas « n’ont rien à voir avec la logique de la capitalisation » et les auteurs s’en expliquent en détail, mais une chose demeure certaine : l’ampleur de ces escroqueries n’est que bien « peu de choses par rapport aux prochaines victimes de la Sécurité sociale ».

    Ajoutons que loin d’être un système aussi inégalitaire qu’on le prétend il en demeure bien moins injuste et pénalisant que ne peut l’être l’actuel système par répartition… totalement à rebours de ce que l’on peut vouloir nous faire croire ou que l’on croit volontiers par pure ignorance.

    La référence à ce qui se fait déjà à l’étranger dans de nombreux pays montre que nous sommes très en retard sur la réflexion et l’action à ce niveau.

    Un sujet tabou qu’il convient d’introduire de toute urgence

    Mais malheureusement, le débat n’a jamais lieu.

    Lorsqu’il est question des retraites, seul le système par répartition est évoqué et jamais personne, à de rares exceptions près, ne prononce le mot tabou, « capitalisation ». Les levées de bouclier risqueraient aussitôt d’être vives, pensent ceux qui ont en tête cette piste possible mais se gardent bien de simplement l’énoncer, par pur manque de courage et craintes (politiques).

    Pourtant, l’idée, loin d’être saugrenue, constitue bel et bien sans doute la seule issue possible pour nous en sortir.

    Dès ce premier volume, Jacques Garello et Georges Lane prouvent bien qu’il est possible d’en parler sans démagogie et avec raison, de manière tout à fait rationnelle et réaliste. Tout est argumenté et appuyé sur des faits et chiffres parfaitement officiels.

    Je ne saurais résumer la démonstration des auteurs en quelques lignes. L’entreprise de ces trois volumes est tout ce qu’il y a de plus honnête et convaincante. Un seul conseil : lire. Puis faire savoir, engager le débat, en toute sérénité. Et convaincre.

    D’abord le constat. Puis nous en viendrons, dans le prochain volet et la lecture du tome 2 du Futur des retraites et retraites du futur , au passage à la capitalisation et les expériences menées dans de nombreux autres pays.

    Jacques Garello et Georges Lane, Futur des retraites & retraites du futur – I- Le futur de la répartition Librairie de l’université d’Aix, mai 2008, 208 pages.

    Un article publié initialement le 11 octobre 2013.