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      À la droite du Père, Florian Michel et Yann Raison du Cleuziou

      Frédéric Mas · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 15 January, 2023 - 04:15 · 3 minutes

    L’association entre droite et catholicisme est une sorte de lieu commun de l’histoire politique française. Depuis la Révolution française, en particulier à gauche, il est assez facile de confondre en un seul ennemi à abattre la réaction d’Ancien Régime, le pouvoir de l’Église catholique et la critique des privilèges sociaux et économique que cette « sainte » alliance protégerait contre le progrès social et la longue marche vers l’émancipation proposée par les diverses chapelles progressistes, qu’elles soient républicaines, socialistes ou communistes.

    Des droites catholiques

    Seulement, si l’influence de l’Église est déterminante dans les engagements et les pratiques civiques à droite, elle est loin de se résumer aux caricatures charriées par la rhétorique militante. Curieusement, si l’influence de l’Église sur la droite est essentielle comme elle le fut sur tout un pays comme la France dont l’identité culturelle a été forgée au sein d’un civilisation chrétienne millénaire, il n’existait pas d’étude scientifique visant à étudier sérieusement le rapport entre l’enseignement de l’Église catholique et ses traductions militantes au sein du camp conservateur français, du centre à l’extrême droite.

    Observer le rapport entre la droite et l’Église revient d’abord à le complexifier au-delà des clichés. Loin de se limiter à la frange réactionnaire, elle influence tout le spectre politique droitier et subit en particulier à partir de l’après-guerre une désaffiliation partisane. Le vote catholique se disperse, se retrouvant aussi à gauche et cela même si la droite catholique reste prépondérante au sein de la majorité des croyants. Plutôt que de ramener le rapport de l’Église à une droite en particulier, il convient d’admettre que plusieurs droites interprètent différemment le message de l’Église pour informer des pratiques militantes parfois aux antipodes les unes des autres. Quel rapport entre la démocratie chrétienne et les militants catholiques traditionnalistes qui investissent les rangs du Front national à partir du début des années 1980 ?

    C’est ce manque dans le domaine universitaire que vient combler cette nouvelle étude supervisée par Florian Michel et Yann Raison du Cleuziou intitulée À la droite du père. Les catholiques et la droite de 1945 à nos jours . Au carrefour de l’histoire immédiate et de la sociologie, l’ouvrage se penche sur des thèmes aussi variés que le catholicisme pendant la guerre froide, les droites conservatrices dans les années 1960, le catholicisme et le gaullisme ou encore l’évolution droitière des nouvelles générations catholiques avec les manifs contre le Pacs ou la Manif pour tous .

    Notons également qu’afin de marquer le pluralisme des droites catholiques, les auteurs se sont attachés à dresser le portrait des figures politiques emblématiques qui en ont marqué l’histoire après guerre.

    Évolution conservatrice des catholiques

    S’il est difficile de rendre compte ici de la richesse et de la variété des contributions, il est toutefois possible de s’arrêter sur le mouvement de radicalisation conservatrice qui travaille les pratiquants depuis les années 1980 et qui correspond peu ou prou à celui de l’accélération de la déchristianisation du pays et à la mise en minorité de la religion catholique en France.

    Comme le note Yann Raison du Cleuziou, l’expérience du déclassement culturel les droitise :

    « Progressivement destitué de ses privilèges majoritaires, le catholicisme se recompose avec ceux qui restent. Les catholiques conservateurs parvenant mieux à transmettre la foi au sein de leurs familles, leur sensibilité croît en importance dans l’Église à mesure que le catholicisme décline. Dans l’espace public, l’image du catholicisme dépend de plus en plus des initiatives de ces observants qui font de la fidélité à la messe dominicale hebdomadaire et du combat pour la vie des signes distinctifs. »

    À la droite du père est un complément indispensable aux études classiques de René Rémond sur les droites en France et passionnera tous les lecteurs intéressés par l’histoire politique du pays.

    Florian Michel, Yann Raison du Cleuziou (dir.), À la droite du père. Les catholiques et les droites de 1945 à nos jours , Seuil, 2022.

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      « L’amour et la guerre – Répondre aux féministes » de Julien Rochedy

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 7 January, 2023 - 03:50 · 17 minutes

    L’auteur, Julien Rochedy explique en quoi le problème du féminisme ne se posait pas dans son vécu personnel et celui de son entourage (masculin et féminin). Jusqu’à ce que le « féminisme idéologique » vienne pervertir le débat public et les consciences, là où ce qu’il appelle le « féminisme pratique » agissait dans le concret, le quotidien, l’amélioration des relations hommes/femmes.

    Or, selon lui, le féminisme pratique est empêché par le féminisme idéologique qui parle aujourd’hui à sa place. Que ce soit dans les universités, en politique, dans les médias, son manichéisme et son simplisme ne font que dériver vers un fanatisme inspiré par le discours et le langage plus que d’aider concrètement les femmes, bien au contraire. Toujours cette idée pernicieuse et très dangereuse de vouloir « changer le monde , de détruire radicalement l’ancien », point commun à toutes les idéologies totalitaires . Et d’imposer une pensée obligatoire n’ayant pour effet, en réalité, que d’ajouter des tensions aux relations homme/femme, d’aggraver des problèmes et par un jeu pernicieux en forme de cercle vicieux, de renforcer l’idéologie « en vertu même des problèmes qu’elle aura contribué à amplifier ». Au final, tout le monde est perdant, les hommes comme les femmes.

    D’où l’idée de Julien Rochedy de tenter de « briser les piliers narratifs » de cette idéologie pernicieuse à travers la contestation raisonnée et argumentée des quatre postulats de base qui la constituent selon lui.

    Premier postulat : la nature n’existe pas, les différences entre hommes et femmes sont culturelles

    Ce qui est frappant dès le début de l’argumentation très documentée de Julien Rochedy est l’opposition entre d’une part les faits établis, les études universitaires approfondies à l’international dont il présente les conclusions fondamentales imparables sur le caractère étonnamment stable à la fois dans le temps et dans l’espace quant aux différences des personnalités et préférences entre les sexes malgré les changements profonds du statut de la femme (tout au moins dans les sociétés occidentales), et d’autre part les affirmations du féminisme idéologique relatives à la construction du genre et le principe patriarcal.

    Faire simplement référence à la nature suffit désormais à susciter l’indignation. Le discours féministe axé entièrement sur la responsabilité de la société dans la supposée domination masculine, récuse avec vivacité toute affirmation contraire. À travers un discours aujourd’hui déifié, à l’instar de l’ensemble de ce que Jean-François Braunstein nomme la religion woke .

    Mais Julien Rochedy parvient aussi à nous faire comprendre les ressorts de cette idéologie.

    Fondée sur « la vanité de l’homme qui veut se croire absolument libre et capable de tout », en quelque sorte tout-puissant. Après que la modernité s’était rebellée contre l’idée d’un Dieu créateur, « il lui fallait nier la nature pour que l’humain fût libre, ou du moins libre de croire qu’il était libre », rejetant ainsi tout déterminisme au profit à la fois du constructivisme et du retour des théories déconstructivistes des années soixante-dix, hostiles au poids des traditions, beaucoup inspirées également du marxisme avec son idée de transformation continue de la nature humaine. Sans oublier la thèse existentialiste de Jean-Paul Sartre, définissant l’Homme comme une essence fondamentalement indifférenciée, oppressé par la société, et le fameux « on ne naît pas femme, on le devient » de Simone de Beauvoir.

    C’est aussi par la négation des découvertes scientifiques au profit des sciences sociales que le féminisme idéologique privilégie le genre en tant que construction sociale, éloignant au maximum la biologie et la génétique de ses considérations. Comme il éloigne aussi ses adversaires en les censurant (Julien Rochedy rappelle, entre autres, l’épisode de l’annulation de la conférence de Sylviane Agacinski en 2019 à Bordeaux faisant suite aux menaces dont elle était l’objet de la part d’associations féministes). Et fait preuve d’une confondante mauvaise foi et malhonnêteté en se référant toujours sans vergogne à des travaux ou études invalidés et disqualifiés depuis longtemps, à l’instar de ceux de l’anthropologue Margaret Mead, qui avait falsifié son supposé travail d’enquête auprès de la société primitive des Mahomans dans les années vingt, la présentant à tort comme une société pacifiée et égalitaire d’un point de vue sexuel.

    L’auteur se réfère à la psychologie sociale issue des théories scientifiques de l’évolution, auxquelles le féminisme idéologique ne semble pas s’intéresser. Il y consacre quant à lui plusieurs chapitres très documentés en réponse aux négations et démentis des féministes idéologues sur le sujet.

    Il est un fait que nos corps, notre sexualité, nos gènes, sont restés à peu près les mêmes que ceux de nos ancêtres homo sapiens . Ce qui explique en grande partie, qu’on le veuille ou non, une partie de nos comportements ainsi que les différences indéniables entre hommes et femmes, issues de la nécessité que les chasseurs cueilleurs avaient en milieu naturel et sauvage de s’organiser à l’aide d’une combinaison différenciée pour survivre et se reproduire.

    Cette situation s’est déroulée sur plus de 300 000 ans, à comparer avec les quelques 10 000 ans de sédentarisation et les quarante dernières années « d’émancipation féminine ». Or, comme le relève l’auteur, il faut plusieurs dizaines ou centaines de milliers d’années pour que les gènes évoluent, expliquant ainsi les différences naturelles entre hommes et femmes tant au niveau physique que psychologique. Ce qui fait dire à Julien Rochedy, avec ironie, au sujet du féminisme actuel, souvent critique y compris de manière anachronique à l’égard des époques passées :

    On croirait parfois, à l’entendre, que les humains ont toujours vécu en centre-ville, protégés par la police et les tribunaux, avec des supermarchés et des sushis à disposition, et entièrement consacrés à leur accomplissement individuel grâce au travail et aux loisirs. Dans ces conditions, évidemment, il est facile de juger moralement les époques passées en ne comprenant pas les raisons d’une organisation différenciée entre les sexes.

    En fin de compte, plutôt que de nier le déterminisme lié à nos gènes et rejeter toute faute sur la société, mieux vaut en prendre acte pour pouvoir agir et chercher au contraire à se perfectionner. Là est la réelle condition de notre liberté.

    L’humain ne peut être libre que dans la connaissance , du monde et de lui-même : c’est bien là une vérité audacieuse qu’on nous a toujours enseignée.[…] Il est d’ailleurs paradoxal et ironique de faire remarquer que plus nous entendons parler de « sauver la nature » avec l’écologie, plus nous souhaitons anéantir celle qui pourrait bien y avoir en nous. À force de nous être éloignés de celle-ci dans nos vies, à force de n’être plus entourés que de l’artificiel, nous avons fini par penser que nous n’étions nous-mêmes faits que d’artifices, de constructions et de matières plastiques.

    Deuxième postulat : le patriarcat est un système illégitime fondé sur l’oppression des femmes

    Issue là encore de la Préhistoire, cette domination masculine illégitime fondée initialement sur la force physique et qui s’est ensuite perpétuée, ne laisse aucun doute quant à la nécessité de la déconstruction de ces codes culturels, du moins si l’on tient compte du récit forcément juste et évident tel que présenté par le féminisme idéologique. Mais si ce discours simple et efficace, prêtant à la condamnation morale, était en réalité simpliste et caricatural, interroge Julien Rochedy ?

    Une nouvelle fois, il prend le parti de s’intéresser à ce que nous apprennent l’histoire, les sciences, la psychologie sociale, pour montrer notamment qu’à l’origine cette différence s’expliquait par « la différence naturelle de nos stratégies sexuelles nécessaires, lesquelles se complétaient parfaitement ou, en tout cas, assez pour qu’elles aient été efficaces ». Une fois encore, il s’agit de se replacer dans un contexte hostile et de recherche de la survie qui n’a rien à voir avec la société moderne telle que nous la connaissons aujourd’hui. Les hommes étaient moins nombreux que les femmes, car ils mouraient fréquemment à la chasse ou dans des combats. Hommes et femmes s’organisaient ensemble par la spécialisation, dans l’intérêt de tous et selon des principes que l’on ne peut mesurer aujourd’hui à travers des jugements anachroniques simplistes et inadaptés ( voire totalement ridicules, comme dans le cas de la ville de Pantin, rebaptisée « Pantine » en 2023, pour le bien de la cause !!! ).

    La survie de la communauté était une préoccupation constante qu’il est bien difficile d’imaginer aujourd’hui dans une société moderne de type individualiste. Et la force de l’auteur est de nous projeter, grâce à l’imagination et à partir des connaissances que nous avons, dans ce monde d’avant. Ressentant mieux ainsi les nécessités que nous ne sommes plus en état de bien mesurer dans le monde bien plus sûr et évolué que nous connaissons.

    Mais loin d’être un monde aussi dominé par les hommes que l’on veut bien le croire, le pouvoir viril n’a pas toujours été le monopole de l’homme, ni la puissance féminine absente de l’histoire humaine. L’auteur nous en restitue un certain nombre de preuves historiques tout à fait intéressantes, toujours de manière vivante et stimulante (le livre se lit bien) qui démontrent en quoi la simplification et la caricature font perdre en pertinence les observations et analyses plus fines, et se révèlent assez largement erronées pour peu qu’on prenne la peine d’étudier l’histoire et les sciences au lieu de se contenter de beaux principes, certes éventuellement séduisants, mais peu rigoureux.

    C’est notamment notre large méconnaissance aujourd’hui de l’histoire qui aboutit à ce que celle-ci soit caricaturée. L’auteur présente ainsi de nombreux exemples de la puissance des femmes au cours de l’histoire, à rebours de ce que l’on veut bien croire. Inversement, nous avons une méconnaissance également de l’idéal de la masculinité et de la difficulté d’y parvenir. De manière générale, il règne un effacement des causes pour ne se focaliser que sur les résultats. Sans même voir le rôle actif et conscient qu’ont joué les femmes elles-mêmes dans ce processus, ainsi que l’intérêt qu’elles y trouvaient. Au lieu de cela, nous dit Julien Rochedy, nous nous focalisons sur les bourgeoises du XIXe siècle sans même voir quelle était la réalité de la condition de toutes les autres femmes, encore moins en considérant toutes les autres époques, dans une certaine mesure parfois plus enviable que celle des hommes .

    Pendant des générations, décrit l’auteur, les femmes ont « pétri de leurs mains » les hommes et c’est grâce à cette éducation que la masculinité a pu s’épanouir, apprenant à contenir et maîtriser la violence. Des psychologues ont démontré que les violeurs sont justement ceux qui manquent de masculinité, souffrent d’un manque de confiance en eux et ont une certaine peur des femmes. Réprimer la masculinité c’est donc prendre le risque de dériver vers des formes de sauvagerie immonde inverses de ce qui est recherché. À travers de nombreux développements, l’auteur montre au contraire comment les femmes ont contribué de manière active à engendrer la civilisation.

    Nous aurions d’ailleurs tort de croire que l’Histoire est désormais pacifiée, les temps de paix définitifs, la sélection naturelle terminée, que les hommes et femmes ont fini de souffrir et que les libertés conquises sont elles aussi durables . Ce sont les contextes historiques qui, en réalité, déterminent les stratégies des deux sexes. En attendant, profiter des plaisirs de la vie se fait en complémentarité entre l’hommes et la femme, et non par des formes d’adversité telles que les conçoit l’idéologie.

    Troisième postulat : l’amour et la complémentarité homme/femme sont des pièges pour les femmes

    Discours, films, séries éducatives, fourmillent aujourd’hui, montre Julien Rochedy, d’affirmations en tous genres (si je puis dire) consistant à affirmer que c’est « la société » qui veut que nous soyons hétérosexuels, monogames, fassions des enfants, respections un certain nombre de stéréotypes. Un système en quelque sorte oppressif que la « déconstruction » permettrait d’abattre pour pouvoir accéder à de véritables libertés, à l’aide d’une « révolution genrée » remettant ainsi en cause des siècles de culture et de pratiques dont on ferait table rase.

    On connaît les fantasmes et la violence des révolutions . On sait aussi le désir profond du wokisme et de la cancel culture d’effacer le passé au mépris total des leçons de l’histoire . Mais c’est surtout faire fi des réalités biologiques de notre être, auxquelles Julien Rochedy se réfère de manière une nouvelle fois très précise et documentée qui expliquent en grande partie la réalité de notre condition, de nos ressentis, de nos attirances, de l’amour et la complicité qu’il introduit dans le couple, bien loin des idées patriarcales ou de conventions ou conditionnements sociaux.

    Bonobos, hippies, et autres tentatives communautaires diverses à travers l’histoire ont d’ailleurs toujours lamentablement échoué, rappelle l’auteur, les faisant parfois éclater violemment. De la même manière, l’homosexualité et l’hétérosexualité sont liées à des causes biologiques, en aucun cas culturelles, ainsi que le montrent de nombreuses données scientifiques, rendant ainsi vaine toute tentative de remise en cause par l’éducation.

    Quant aux femmes, Julien Rochery revient sur ce qui les meut depuis la nuit des temps, au grand dam des féministes idéologues, qui voudraient déconstruire l’amour par un renversement de perspective reniant nos inclinations biologiques, accusant l’inconscient patriarcal d’être à la source du processus d’aliénation qui guiderait les femmes dans leur recherche de l’amour. À travers de multiples références historiques, il montre au contraire ce qui motive l’amour chez la femme comme chez l’homme, mettant particulièrement en exergue la bravoure féminine si digne d’admiration et pourtant si décriée par les féministes idéologues.

    Pour couronner le tout, l’écologie nihiliste a triomphé dans les consciences, voyant en chaque enfant qui naît un vecteur de pollution , en concluant donc qu’il vaut mieux s’abstenir d’en engendrer. Développant une morale de la culpabilité, dans laquelle les blancs et Occidentaux sont incriminés. Terrain propice au féminisme idéologique et à son rêve d’un individu neutre et générique.

    Mais que se passe-t-il quand tout nous intime désormais de ne plus nous reproduire, de ne surtout pas créer des reproductions de nous-mêmes ? Outre que le nihilisme est alors à son comble, l’amour devient de facto embarrassant. Les hommes et les femmes n’ont plus aucun intérêt à se rapprocher, à se comprendre, à supporter et dépasser les tensions que leurs deux sexes impliquent. S’il ne faut plus faire d’enfant, alors il ne faut plus aimer, et s’il n’y a plus d’amour, les deux sexes se destinent toujours plus à se regarder en chiens de faïence, de loin, sur le ton du reproche et de l’hostilité.

    Quatrième postulat : le féminisme est bénéfique aux femmes et les antiféministes (ou hommes « non déconstruits ») sont nécessairement contre elles

    Le parallèle avec le marxisme et la déception liée aux résultats de la Révolution française, qui avait laissé aux futurs communistes un sentiment déçu de la liberté, est frappant. Ici aussi, une fois tous les droits obtenus et l’égalité en droits atteinte, les résultats effectifs n’étaient pas jugés à la hauteur des espoirs.

    Pour obtenir la liberté totale, et donc le bonheur, il fallait alors abattre tout ce qui engendrait encore la femme en tant que cette incarnation : la famille, la culture, mais aussi le corps. Et aussi les hommes. La loi avait neutralisé les sexes, la société n’avait qu’à suivre. Et puisque cette égalité parfaite ne se réalisait pas et que les différences sexuelles persistaient, alors il fallait toujours plus redoubler l’idéologie.[…] C’est toujours le même principe qui est à l’œuvre [que pour la Révolution] : la liberté, invariablement, déçoit, car elle n’apporte pas le bonheur, et ne se propose qu’à des individus incarnés dans une société qui existe préalablement à eux, avec ses hiérarchies, sa culture, ses codes, bref : tout ce qui fait d’elle une société. La liberté contenue dans l’égalité des droits n’est donc pas l’égalité des conditions et ne peut pas l’être, sauf à renverser non seulement la société, mais aussi la nature humaine, on finit toujours par s’en rendre compte.

    Le féminisme idéologique procède ainsi selon les mêmes postulats que le marxisme : un même but égalitaire censé mener au bonheur, une histoire de la lutte des sexes (lutte des classes) et de l’oppression des femmes (des travailleurs), pas de nature biologique propre aux sexes (pas de nature humaine), le patriarcat (le capitalisme) comme phénomène et comme système est l’ennemi, la domination masculine (économique) est une conséquence de l’invention de la propriété, il faut faire table rase du passé, la domination est l’essence de la masculinité (de la bourgeoisie), il faut savoir de déconstruire (faire son autocritique), etc.

    Sans oublier la même manière de créer un langage abscons au service de théories incompréhensibles et de concevoir des concepts fumeux aux prétentions scientifiques, les chercheurs en études du genre ou en sociologie prenant la place des anciens intellectuels marxistes, prenant de haut leurs détracteurs. Le tout avec l’appui de l’intersectionnalité .

    La convergence des luttes, avec toutes les minorités contre l’homme blanc, patriarcal et oppresseur, est désormais entrée dans sa nouvelle orthodoxie. Qu’importe qu’au passage il faille ne pas trop regarder toutes les fois où les droits des femmes sont beaucoup plus bafoués, ou même niés, chez ceux censés partager les luttes. C’est la conséquence du manichéisme propre aux idéologies, ou aux théologies : l’ennemi doit être simple, et simpliste, pour éviter toute modération. L’inégalité n’est pas naturelle, elle est une construction, comme toute chose humaine. C’est cette inégalité qui crée le mal dans nos sociétés. Tout le mal vient donc de ceux qui maintiennent le plus les inégalités, c’est-à-dire les dominants. Et qui sont-ils ? Les mâles blancs.[…] Le communisme se révéla in fine un enfer pour les ouvriers car tous ses postulats, mythes et philosophies, étaient faux, ou a minima impropres à la nature humaine. Le féminisme idéologique, reprenant ces mêmes postulats, mythes et philosophies, en changeant à peine de matériel et d’ennemi, conduira aux mêmes désillusions, conséquences inévitables de leur tromperie.

    Julien Rochedy conclue en avançant l’idée que le propre de la civilisation est de chercher à améliorer les choses, non à proposer des ruptures radicales visant à imposer le Bien, en jouant qui plus est sur les haines et les reproches. Détruire, faire table rase du passé, déconstruire, culpabiliser, voilà ce que nous propose le féminisme idéologue. Ce n’est pas ainsi que l’Occident se sortira de sa crise existentielle mais plutôt en retrouvant le sens de ce qui fait la beauté de l’homme et de la femme et de leur magnifique complémentarité et complicité.

    Julien Rochedy, L’amour et la guerre – Répondre aux féministes , Editions Hétairie, mai 2021, 264 pages.

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      L’héritage de Benoît XVI

      Jean-Baptiste Noé · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 1 January, 2023 - 03:40 · 3 minutes

    Par Jean-Baptiste Noé.

    Quatre ans après son abdication, le temps est venu de dresser un bilan du pontificat de Benoît XVI et délimiter les lignes de son héritage. Ce pape qui n’a jamais bénéficié d’une bonne presse a pourtant tracé un sillon profond dans l’histoire de l’Église.

    Ami et soutien de Jean-Paul II, son pontificat de huit ans ne peut se comprendre sans les vingt années passées à la Congrégation de la Doctrine de la foi et auprès du pape polonais.

    Benoît XVI laisse une œuvre considérable de textes, d’homélies, d’encycliques, de livres et d’interventions multiples qui le placent dans la catégorie des grands théologiens de l’histoire de l’Église. Ce pape timide, sans charisme apparent, a pourtant soulevé les foules lors de ses voyages, comme dans cette nuit d’orage et de pluie lors des Journées mondiales de la jeunesse de Madrid.

    Le silence de la prière

    L’auteur consacre un chapitre à ce moment fondamental du pontificat de Benoît XVI, car il condense tout le paradoxe et toute la lumière de l’action du pape allemand. Empêché de parler à cause de la tempête, Benoît XVI est finalement resté silencieux, dans une longue adoration à l’égard du Saint-Sacrement.

    Ce pape qui a parlé et qui a aussi fait du silence de la prière une vertu cardinale, a affronté la tempête et a dû tenir ferme la barque de l’Église, exactement comme lors de cette nuit madrilène.

    Christophe Dickès analyse longuement l’épisode inédit de la renonciation, montrant ce qu’il a fallu de courage à Benoît XVI pour proposer cet acte de rupture dans la tradition de l’Église tout en analysant aussi les conséquences juridiques de celui-ci et le regard nouveau porté sur la papauté.

    Réforme de l’Église


    La fin du pontificat révèle l’ensemble de celui-ci. Ce pape que l’on a présenté comme réactionnaire et peu en prise avec son temps est pourtant l’un de ceux qui ont fortement réformé l’Église. Que ce soit l’apport possible de la renonciation, en s’appuyant sur le droit canonique, la poursuite de la pleine réforme liturgique, l’effort de modification des structures de la Curie, le soutien à une diplomatie pontificale innovante, notamment à l’égard de la Russie et du Moyen-Orient.

    En relisant les textes et les productions théologiques de Benoît XVI, Christophe Dickès propose une nouvelle compréhension de ce pontificat dont l’apport est surement beaucoup plus important que ce qui en a été perçu de prime abord.

    Exigence de raison

    En relisant le discours de Ratisbonne, on se rend compte que l’exigence de raison et de dialogue du Pape était la bonne. En se reportant à ses grands discours aux Parlements d’Angleterre et d’Allemagne, on comprend mieux la pensée politique d’un pape qui n’a cessé de se préoccuper du futur de l’Europe et partant du monde.

    Cet héritage expliqué est donc une forme de bilan. Bilan provisoire car il reste beaucoup à connaître et à approfondir notamment lorsque les archives seront ouvertes, mais un bilan qui, en dépit de la personnalité propre du pape Ratzinger, témoigne d’une grande continuité chez les pontifes du XX e et du XXI e siècle.

    Christophe Dickès, L’héritage de Benoît XVI , éditions Tallandier, Septembre 2017.

    Sur le web

    Pour retrouver nos articles sur Benoit XVI, c’est ici

    Article publié initialement le 22 septembre 2017.

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      The Circle, avant le film, le roman individualiste

      Auteur invité · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 1 January, 2023 - 03:30 · 8 minutes

    Par Christophe Jacobs 1

    Le but de ce compte rendu n’est pas de dévoiler tous les détails de l’œuvre mais suffisamment pour montrer en quoi des inquiétudes exprimées vis-à-vis du pouvoir des médias sont récurrentes depuis plus de cent ans et directement liées à l’idée de la « société moderne égalitaire ».

    Dénoncer les excès du « collectif populaire » prétendant s’opposer à « l’égoïsme »

    Le Cercle relate méthodiquement l’ascension professionnelle de May, une jeune femme, devenue community manager dans une super-entreprise des technologies de l’information (née de la fusion Google, Apple et Facebook).

    May n’a aucune passion particulière et se voit comme une personne plutôt réservée sans propension au départ à dévoiler des détails sur sa vie personnelle, bien au contraire.

    Cependant, la jeune femme possède le talent de pouvoir formuler des commentaires ou répondre au consommateur insatisfait de manière rapide et bien tournée ; son talent est immédiatement diagnostiqué au sein de l’entreprise dans laquelle elle est entrée plus par curiosité que par ambition.

    Sa capacité à se faire transparente et à tenir sa propre personnalité constamment en retrait lui valent cependant d’obtenir une promotion comme présentatrice vidéo où elle se fait en direct l’œil et la voix de la communication d’entreprise sur une chaîne média publique…

    Le scénario d’une simplicité presque convenue pose progressivement le cadre de cette nébuleuse de pouvoir démesuré dont bénéficient les trois fondateurs du Cercle du fait de leur instrumentalisation totale de l’esprit de groupe.

    Adulés chez eux par leurs employés et dans le monde entier par les consommateurs pour leur sens de la communication commerciale, ils peuvent finalement en user arbitrairement. Ils peuvent même détruire discrètement tout opposant, tant financièrement que politiquement.

    Une narration « garantie sans paraben »

    La narration de Eggers ressemble davantage à un déroulement factuel – quasi aseptisé – qu’à une œuvre littéraire. L’auteur renonce au maximum à toute dramatisation. Il se sert volontiers du vocabulaire vide et simpliste de la « propagande marketing » omniprésente sur les canaux de télévision et réseaux sociaux.

    Jamais aucun jugement de valeur émis par la protagoniste principale ne vient perturber le déroulement des événements. Malgré quelques doutes, May s’évertue uniquement à vouloir « bien faire en toute circonstance »… à l’instar du monde de la publicité précisément qui doit évidemment s’interdire de jamais juger son prospect .

    Ce style littéraire – que de nombreuses critiques ont trouvé plus ou moins frustrant d’ailleurs-  est néanmoins ce que certains ont appelé la narration au « troisième degré » de cet auteur. Il évite tout ce qui pourrait être excitant, ne laissant plus à son lecteur que la liberté de reconnaître combien la platitude conventionnelle a déjà largement intégré l’environnement contemporain.

    Paradoxalement le monde ici décrit du super-réseau-social est un monde dans lequel chacun se permet de juger chacun, en lui donnant des likes et des notes pour chaque bribe de phrase plus ou moins insipide, lesquels sont mis en réseau sans tarder. Tout cela est un développement en droite ligne du bon vieux « Quota TV »  de nos parents…

    La perte de la frontière

    Il s’agit ici de politique-fiction mais dans la mesure où les règlements de surveillance et avancées technologiques exposés sont franchement élémentaires, telles que ces caméras de très petites tailles avec très longue autonomie de fonctionnement… (à peine différente d’une Netgear Arlo en 2016), on comprend vite que le monde qui est décrit reste banalement proche du nôtre.

    Nous ne sommes pas dans the Matrix ni même dans la Grève de Rand : nous sommes dans un monde de banalité ne laissant aucune place à l’héroïsme.

    Sphère publique et sphère privée

    Fidèle à son style sardonique, Eggers traite le combat intérieur de la conscience qui s’insurge contre la règle sociale collective en se servant de symboles bruts, sans fioritures ni explication.

    En particulier, il relate l’aventure sexuelle vécue par May pendant les heures de travail avec un être « inconnu du réseau social ». Elle se retrouve avec lui dans une grotte obscure située sous le « campus » de l’entreprise.

    Toute sa raison lui dit d’ailleurs de ne pas prolonger cette aventure grisante laquelle entre clairement en conflit avec ses « devoirs de communication sociale ». Elle sait que son comportement présente un risque pour l’entreprise elle-même.

    Pourtant l’attraction « animale » qu’elle ne peut s’empêcher de ressentir agit comme une mystérieuse puissance et la replonge sans cesse dans le doute sur le sens-même de son travail au Cercle.

    La mise en scène de cette pulsion sexuelle rappelle donc assez fort l’utilisation littéraire qu’en faisaient les critiques du totalitarisme tels Orwell dans 1984 et Huxley dans Le meilleur des mondes . Elle tire aussi sa substance de racines philosophiques un peu plus anciennes.

    Le monde « indécent » de la symbolique sexuelle a inspiré des développements fameux auparavant. À l’instar de Sigmund Freud, le philosophe Carl Gustav Jung décrivait la sexualité et le rêve – en ce qu’ils sont relativement libérés des entraves de la bienséance – comme étant au cœur de la construction individuelle.

    Cette construction qui constitue d’après Jung le thème principal de toutes les mythologies humaines (aller combattre le dragon au fond de la grotte… encore elle), doit permettre à l’humain de s’affirmer contre l’oppression du carcan collectif. C.G. Jung suggère que pour pouvoir se civiliser le psychisme humain construit son « mythe » du héros individualiste.

    Les deux sont même inséparables selon lui. Jung décrit aussi l’importance de la frontière entre public et privé vue des profondeurs « de l’intérieur ».

    Selon le philosophe, l’Homme ne fonctionnerait pas du tout de la même manière en privé qu’en public (collectivement) : la superposition « moyenne » des consciences privées ne serait jamais assimilable à une « sagesse » collective. Ce serait même tout l’inverse.

    Ce que Carl Gustav Jung décrit comme l’expression d’une force primitive aussi appelée tribalisme laquelle s’oppose constamment à la force constructive civilisatrice , c’est cette conscience collective.

    D’après Jung, pour prospérer, chaque individu aurait le devoir d’extraire sa propre sagesse individuelle distincte du collectif. Or, le « tribalisme effréné » si pesamment décrit dans Le Cercle a pris ces dehors apparemment civilisés que nous lui connaissons mais cette apparence est parfaitement superficielle et trompeuse. L’erreur commune serait de s’attendre à une « sauvagerie primitive » collective que l’on pourrait combattre « à vue ».

    Une référence majeure de la société moderne s’impose donc encore à la lecture du Cercle : c’est l’analyse politique de Hannah Arendt.

    Le Cercle évoque d’une part, sa description d’une « banalité » intimement liée au mal totalitaire.

    On se rappelle que Arendt avait fait scandale en Israël jadis, durant sa couverture du procès Eichmann pour Le Times, car elle avait relevé le fait paradoxal que ce cadre nazi employé au transport ferroviaire – sans la moindre haine antisémite – avait envoyé des dizaines de milliers de personnes de religion juive à l’extermination méthodique.Il l’avait fait non pas comme manifestation d’une perversion diabolique ou raciste bien identifiable mais principalement pour ne pas déplaire à ses supérieurs.

    Arendt a d’autre part le mérite d’avoir déjà dénoncé l’évolution de la pensée vers le « tout-social », au détriment d’une séparation entre sphère publique et sphère privée, dans son livre La condition humaine – publié chez University Press Chicago en 1958 .

    Elle décrit comment cette séparation est déjà ancrée dans la société grecque Antique, soit bien avant l’idée de l’inconscient et bien avant les craintes suscitées par le « pouvoir d’éclaircissement illimité » que nous promet aujourd’hui le marketing du big data .

    La critique actuelle des médias

    Pour celui qui est inquiet de nature, le risque de retrouver les technologies de l’information que se disputent encore entre elles les GAFA, entre les mains d’une seule entreprise de media, n’est que trop vraisemblable du fait des révélations de Edward Snowden sur l’activité de la NSA. L’analyse de la dérive médiatique moderne avec ses abus de pouvoir a pourtant déjà son histoire populaire et brillante dans la littérature française et remonte même à l’ère du cheval vapeur.

    Rappelons-nous en effet le chef-d’œuvre de Maupassant Bel Ami (1885) qui se déroule dans le grand monde de la presse parisienne par exemple. Il semble illustrer la même ascension (héroïque, celle-là) d’un être sans scrupules au sein de cette nouvelle machine de pouvoir – le parallèle avec The Circle est impressionnant.

    Si cependant on préfère se rabattre sur une version contemporaine de cette critique sociale, Eggers peut au moins convaincre ses lecteurs, que 130 ans plus tard, le processus civilisateur de la « médiatisation» laisse toujours beaucoup à désirer.

    David Eggers, Le Cercle , Éditions Gallimard, 2017, 576 pages.

    Article publié initialement le 1 août 2017.

    1. Christophe Jacobs vit en France et travaille comme consultant en communication pour des entreprises commerciales et culturelles. Il est l’auteur de traductions de textes d’inspiration libérale (Garet Garrett) et amateur de sculpture. Il a été durant plusieurs années agent pour l’artiste allemand E. Engelbrecht dont l’œuvre monumentale s’est inspirée largement de la philosophie Jungienne.
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      « Des sources de la connaissance et de l’ignorance » de Karl Popper

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 31 December, 2022 - 04:00 · 11 minutes

    Ce petit essai est la transcription d’une conférence donnée par Karl Popper à la British Academy en janvier 1960. Il commence par expliquer l’effet voulu du titre : l’ignorance symbolisant la non-connaissance, comment pourrait-elle avoir des sources ? Son intention est en réalité de porter l’attention sur les théories du complot qui sont une sorte de résistance organisée à la connaissance et en ce sens une perversion dont les influences malignes « pervertissent et contaminent nos esprits et nous accoutument de manière insidieuse à opposer une résistance à la connaissance ».

    Les sources de la connaissance

    S’appuyant sur la controverse qui opposait empiristes britanniques (Bacon, Locke, Berkeley, Hume, Stuart Mill) et rationalistes (Descartes, Spinoza, Leibniz), il entend montrer quant à lui que ni l’observation, ni la raison, ne peuvent être définies comme la source de la connaissance.

    Pour autant, nier l’importance de la théorie de la connaissance et de ses conséquences pratiques risque de déboucher sur l’autoritarisme et les conceptions totalitaires . L’enjeu est donc de taille.

    En réalité, le problème est tout à fait simple. Les convictions libérales – la croyance en la possibilité d’une société régie par le droit, d’une justice égale pour tous, de droits fondamentaux, et l’idée d’une société libre – peuvent sans difficulté persister après qu’on a reconnu que les juges ne sont pas infaillibles et risquent de se tromper quant aux faits et que, dans la pratique, lors d’une affaire judiciaire, la justice absolue ne s’accomplit jamais intégralement…

    C’est de cette possibilité de la connaissance et de l’accès à la vérité que l’on est capable de distinguer de l’erreur que sont nées la science et la technique modernes. Et non en invoquant de quelconques autorités.

    L’homme a la faculté de connaître : donc, il peut être libre. Cette formule exprime la relation qui lie l’optimisme épistémologique et les conceptions libérales. La relation inverse existe également. L’absence de confiance dans le pouvoir de la raison, dans la faculté qu’a l’homme de discerner la vérité va presque toujours de pair avec une absence de confiance en l’homme.

    C’est en ce sens que le traditionalisme s’oppose au rationalisme au sens large (incluant l’intellectualisme cartésien et l’empirisme). En l’absence de vérité objective, il oppose l’adhésion à l’autorité de la tradition, au chaos. Tandis que le rationalisme revendique le droit de critiquer toute tradition et toute autorité reposant sur la déraison, les préjugés ou le hasard.

    Se méfier des croyances. Une mise en garde pour l’épistémologue

    L’unique intérêt de l’épistémologue, nous dit Karl Popper, est de découvrir la vérité. Que celle-ci s’accorde ou s’oppose à ses idées politiques. Et en s’écartant de ses désirs utopiques. C’est pourquoi, dit-il, « la meilleure méthode consiste peut-être à commencer par soumettre à la critique nos croyances les plus chères ». Ce qu’il s’applique lui-même en tant que libéral.

    L’erreur résulte du refus coupable de voir la vérité lorsqu’elle est pourtant manifeste « ou dans les préjugés que l’éducation et la tradition ont gravés dans notre esprit, ou encore dans d’autres influences pernicieuses qui ont perverti la pureté et l’innocence originelles de notre esprit ».

    Les théories du complot, à l’instar de la version marxiste visant la supposée conspiration de la presse capitaliste qui déformerait et censurerait la vérité, ou encore celle à l’encontre des messages religieux, sont une autre dérive, non seulement inconciliable avec la tolérance, mais terrain propice à l’ignorance.

    Des croyances fausses parviennent quelquefois à perdurer pendant des siècles de manière surprenante, au mépris de toute expérience, et ce, qu’elles tirent ou non leur force de l’existence d’un complot.

    L’épistémologie positive

    Si l’épistémologie optimiste de Bacon et Descartes ne saurait être vraie, écrit Karl Popper, le paradoxe est qu’elle a été « la principale source d’une révolution intellectuelle et morale sans précédent ».

    Elle a encouragé les hommes à penser par eux-mêmes. Elle les a conduits à espérer qu’ils pourraient, grâce à la connaissance, se libérer eux-mêmes et libérer autrui de la servitude et du dénuement. C’est elle qui a rendu possible la science moderne. C’est elle qui a inspiré la lutte contre la censure et la répression de la liberté de pensée. Elle est devenue le fondement de la conscience non conformiste, de l’individualisme, et elle a donné un contenu nouveau à la dignité humaine ; c’est d’elle qu’est venue l’exigence de lumières universelles, qu’est né le désir d’une société libre. Cette conception a fait que les hommes se sont sentis responsables à l’égard d’eux-mêmes comme d’autrui, et elle leur a imprimé la volonté d’améliorer non seulement leur propre sort, mais aussi celui de leurs semblables . Nous avons là l’exemple d’une idée contestable qui a donné naissance à une multitude d’idées légitimes.

    À l’inverse, elle a aussi eu de terribles conséquences : « La doctrine qui affirme le caractère manifeste de la vérité – que celle-ci est visible pour chacun pour peu qu’on veuille la voir – est au fondement de presque toutes les formes de fanatisme ». On voit bien là émerger les thèses conspirationnistes , centrées sur l’idée qu’on cherche à nous cacher la vérité.

    Mais elle peut aussi être la source des autoritarismes , une autorité étant chargée de fixer ce qui doit être tenu pour la vérité manifeste. De manière forcément arbitraire.

    Ce qui peut inspirer, selon Karl Popper, une épistémologie pessimiste, que Platon lui semble particulièrement incarner. Dans la continuité des illustres poètes antiques qui ont précédé, il existerait des sources divines de la connaissance que nous avons oubliées mais dont la théorie de la réminiscence suppose que nous puissions être en mesure de les reconnaître (ce que symbolise indirectement la maïeutique socratique , qui vise en particulier à tenter de dissiper les préjugés par un questionnement ayant pour but d’accoucher les idées). Qui préfigure le cartésianisme. Mais à travers le mythe de la caverne , Platon stipule que le monde sensible n’est qu’une ombre et que l’accès à cette connaissance divine ne peut se faire qu’au prix de difficultés presque insurmontables, que seuls quelques « élus » sont en mesure d’atteindre, plongeant la majorité des mortels dans l’ignorance. Ce qui débouche sur des conceptions autoritaristes .

    La méthode inductive

    Mais Karl Popper, retenant essentiellement la perspective optimiste, s’intéresse surtout à la méthode inductive interprétative de Bacon (à la suite d’Aristote), dont il dit être un partisan convaincu, consistant à chercher à éliminer les préjugés et fausses croyances, à travers les contre-exemples (à l’instar de ce que pratiquait Socrate). Méthode par nature antiautoritaire et antitraditionaliste, rejoignant aussi l’esprit cartésien, avec quelques différences (volonté d’aboutir à une connaissance absolument certaine chez Descartes, là où Socrate – conscient de nos limites et du fait que nous savons peu – refuse toute prétention à la connaissance ou à la sagesse). Mais qui n’est pas sans difficultés et limites en raison notamment de notre faillibilité qui suppose une critique rationnelle et une autocritique de tous les instants.

    Nous ne saurions en résumer ici trop brièvement et maladroitement la substance, tant Karl Popper convoque de grands esprits pour en établir les subtilités (Erasme, Montaigne, Locke, Voltaire, John Stuart Mill, Bertrand Russel, etc.), au risque d’introduire malgré nous des biais interprétatifs . Idées qui ont débouché chez ces auteurs sur la doctrine de la tolérance, fondée sur l’incertitude de nos connaissances, du fait de les faiblesses et erreurs dont nous sommes tous pétris, tant « … nous sommes nous-mêmes la source de notre ignorance ».

    Karl Popper ne manque pas de rappeler, en ce sens, que « la physique cartésienne remarquable à certains égards était erronée. Or elle ne se fondait que sur des idées qui, de l’avis de Descartes, étaient claires et distinctes et eussent donc dû être vraies ». Ce qui rejoint partiellement le parti de Jean-François Revel de donner pour titre à l’un de ses ouvrages Descartes inutile et incertain .

    Popper discute ensuite de la question de l’origine et de la vérité factuelle, dans une perspective essentialiste, mais nous n’en reprendrons pas les éléments ici.

    Une critique de l’empirisme

    Popper conteste l’observation en tant que source ultime de la connaissance. Toute assertion serait censée reposer sur des observations. Or, constate-t-il, la plupart de nos assertions sont fondées sur d’autres sources que l’observation.

    À travers des exemples simples, il montre la réelle difficulté de pouvoir remonter de manière certaine à la source de la supposée observation. Même des investigations poussées parviendront difficilement à prouver la validité de chacune des assertions en chaîne tendant à démontrer la sûreté de la source. Dans la plupart des cas on parviendrait à une impossibilité logique, rendant vaine une telle démarche. Ladite observation reposant elle-même sur une interprétation, produite tantôt à la lumière du savoir théorique, tantôt à l’abri de toute théorie. Sans compter son lot d’erreurs, de déformations, d’omissions de toutes sortes. Très souvent, les connaissances sont la résultante de références qui se rapportent à une source commune qui elle-même peut être fautive.

    Lorsqu’ils sont possibles, l’expérimentation (voir ce qu’écrivait Jean Fourastié à ce sujet) , ou encore l’examen critique, peuvent constituer des parades à même d’accroître notre connaissance sans qu’il ne s’agisse davantage de sources ultimes et laissant intacte la question de départ et la réponse brutale qu’en fait Popper :

    Mais quelles sont alors les sources de notre connaissance ? La réponse me semble-t-il, est celle-ci : il existe toutes sortes de sources, mais aucune d’elles ne fait autorité .

    On peut penser que certaines références (telle ou telle parution scientifique, par exemple) constituent des sources de connaissance considérées comme sérieuses, ou que certaines communications font davantage autorité que d’autres. Mais, considérant un article d’une parution scientifique de référence, « la source de celui-ci peut fort bien être la mise en lumière d’une incohérence figurant dans un autre article ou bien la découverte de ce qu’une hypothèse proposée dans une autre communication est susceptible d’être testée grâce à telle ou telle expérience ; ces diverses découvertes, qui ne sont pas imputables à l’observation, constituent également des « sources » au sens où elles nous permettent d’accroître notre savoir ».

    Le rationalisme critique

    Selon Popper l’erreur fondamentale est « de ne pas distinguer assez clairement les problèmes d’origine des problèmes de validité ».

    Le problème de l’origine des sources est donc mal posé par l’empiriste, et même à récuser, car appelant une réponse de nature autoritariste. Il établit d’ailleurs une intéressante analogie avec la traditionnelle question de la théorie politique, elle aussi selon lui mal posée, « Qui doit gouverner ? », qui « appelle des réponses autoritaristes comme « les meilleurs , « les plus sages », « le peuple » ou « la majorité » […] Il faudrait lui substituer une question tout à fait différente : « Comment organiser le fonctionnement des institutions politiques afin de limiter autant que faire se peut l’action nuisible de dirigeants mauvais ou incompétents – qu’il faudrait essayer d’éviter bien que nous ayons toutes les chances d’avoir à les subir quand même ? »

    De la même manière, sur la problématique des sources de la connaissance, au lieu de se demander quelles seraient les meilleures, ou les plus sûres, Popper propose de la reformuler ainsi : « De quelle manière pouvons-nous espérer déceler et éliminer l’erreur ? » Rejoignant ainsi la position fort ancienne de Xénophane . Et la réponse de Karl Popper est de nouveau : par la critique (des théories, des suppositions, y compris les siennes propres si possible). Ce qu’il propose d’appeler « le rationalisme critique » distinct du rationalisme de Descartes ou même de Kant . Il peut prendre la forme d’une assertion provisoire que l’on soumet à une critique aussi rigoureuse que possible et qui peut le cas échéant être réfutée par l’expérimentation. Tout au moins pour ce qui est du domaine scientifique ( plus difficilement historique ).

    Pour conclure son intervention, Karl Popper forme une série de dix thèses qui se basent sur les raisonnements précédents. Nous ne les reprendrons pas ici mais en guise de conclusion de cette présentation nous nous contenterons d’en extraire le point suivant (le sixième) qui nous semble plus fondamental que jamais en ces temps de remise en cause de tout ce qui fonde notre civilisation :

    La connaissance ne saurait s’élaborer à partir de rien – d’une tabula rasa – ni procéder de la seule observation. Les progrès du savoir sont essentiellement la transformation d’un savoir antérieur. Bien que ces progrès soient dus quelquefois, en archéologie par exemple, à un hasard de l’observation, l’importance des découvertes réside habituellement dans leur capacité de modifier nos théories antérieures.

    Karl Popper, Des sources de la connaissance et de l’ignorance , Rivages, novembre 2018, 160 pages.

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      Six leçons de Ludwig von Mises

      Francis Richard · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Thursday, 29 December, 2022 - 03:30 · 7 minutes

    À la fin de 1958, l’économiste Ludwig von Mises donna une série de conférences à des étudiants en Argentine . En 1979, après sa mort, sa femme Margit les publia sous la forme de Six Leçons.

    Avec l’ Institut Mises France , les Éditions John Galt viennent de publier une traduction en français de ces leçons d’économie ignorées par beaucoup, en particulier par les soi-disant élites.

    Le capitalisme

    Les améliorations des conditions de vie des Hommes sont dues aux entreprises capitalistes dont les dirigeants, innovateurs, ont fabriqué des produits bon marché pour les besoins de chacun :

    Ce fut le début de la production de masse, le principe fondamental de l’industrie capitaliste.

    En économie, une des erreurs répandues est de supposer ou de prétendre qu’il y a une différence entre les producteurs et les consommateurs des grandes entreprises .

    Pourtant, en effet :

    La plus grande des entreprises perd son pouvoir et son influence lorsqu’elle perd ses clients.

    Mais pour produire il faut investir de l’argent. Cet argent provient de l’épargne de l’entrepreneur et/ou de celle d’autres épargnants, sans quoi il n’est pas possible de se lancer dans un projet.

    Pour réussir, l’entrepreneur ne doit pas uniquement copier ou imiter ce qu’un autre a fait. Dans une nouvelle branche d’activité ou un secteur d’activité existant, il doit bien payer ses salariés :

    Chaque consommateur doit, d’une manière ou d’une autre, gagner l’argent qu’il dépense, et l’immense majorité des consommateurs sont précisément les mêmes personnes qui travaillent comme employés des entreprises qui produisent les choses qu’ils consomment.

    De même :

    Si les acheteurs ne paient pas l’employeur assez pour lui permettre de payer ses ouvriers, il devient impossible pour l’employeur de rester en affaires.

    Il ne suffit pas d’améliorer les conditions sanitaires d’une population : il faut en outre investir du capital par habitant pour que son niveau de vie augmente, sinon c’est la pauvreté qui augmente.

    Le socialisme

    Le marché n’est pas un lieu, c’est un processus, c’est-à-dire la façon dont, à vendre et à acheter, à produire et à consommer, les individus contribuent au fonctionnement global de la société.

    L’économie de marché signifie que l’individu peut choisir sa carrière, qu’ il est libre de faire ce qu’il veut. Sans cette liberté, combattue par le socialisme, toutes les autres sont illusoires :

    La liberté dans la société signifie qu’un homme dépend autant des autres que les autres dépendent de lui. La société dans l’économie de marché, dans les conditions de « la economia libre » , signifie une situation sociale où chacun sert ses concitoyens et est servi par eux en retour.

    Être libre ne veut pas dire que les individus ne font pas d’erreurs et/ou qu’ils ne se fassent pas du mal. Le socialisme veut les en empêcher en les réprimant plutôt qu’en cherchant à les en dissuader.

    Dans le socialisme, qui interdit la liberté de choisir sa propre carrière, ou dans le système de statuts du pré-capitalisme, il n’y a pas de mobilité sociale comme dans le système capitaliste.

    Dans le socialisme, la planification est globale, alors que l’homme libre planifie quotidiennement ses besoins, quitte à se tromper, et le calcul économique est ignoré par refus qu’il y ait un marché :

    Le calcul économique, et donc toute planification technologique, n’est possible que s’il y a des prix en monnaie, pour les biens de consommation et en outre pour les facteurs de production.

    Dans le socialisme, les conditions de vie ne s’améliorent pas, ou moins bien, parce que sans calcul économique, le plus avantageux des projets, du point de vue économique, n’est pas précisé.

    L’interventionnisme

    Le gouvernement se doit de faire toutes les choses pour lesquelles il est nécessaire et pour lesquelles il fut établi. Le gouvernement se doit de protéger les individus au sein du pays des attaques violentes et frauduleuses de gangsters, et il devrait défendre le pays des ennemis étrangers.

    L’État devrait se limiter à assurer la sécurité intérieure des individus et celle du pays vis-à-vis de l’extérieur. C’est là sa seule fonction légitime. C’est une protection, ce n’est pas une intervention :

    L’interventionnisme signifie que l’État veut en faire plus. Il veut interférer dans les phénomènes de marché.

    Que fait-il ? Il ne protège pas le fonctionnement fluide de l’économie de marché ; il perturbe les prix, les salaires, les taux d’intérêt et les profits. Bref, il restreint la suprématie des consommateurs.

    Ludwig von Mises prend deux exemples historiques, en période d’inflation : le contrôle des prix et le contrôle des loyers qui ont pour conséquences pénuries de produits et de logements :

    L’idée de l’intervention étatique comme « solution » aux problèmes économiques conduit, dans tous les pays, à des conditions pour le moins insatisfaisantes et souvent fort chaotiques. Si le gouvernement ne s’arrête pas à temps, il amènera le socialisme.

    L’inflation

    Si la quantité de monnaie est augmentée, le pouvoir d’achat de l’unité monétaire diminue et la quantité de biens qui peut être obtenue pour une unité de monnaie diminue aussi.

    Le résultat est la hausse des prix : c’est ce qu’on appelle l’inflation. Qui n’est donc pas due à la hausse des prix, comme on le croit malheureusement, mais à l’augmentation de la quantité de monnaie .

    Le mécanisme s’explique par le fait qu’avec l’augmentation de la quantité de monnaie des gens […] ont désormais plus d’argent tandis que tous les autres en ont encore autant qu’ils avaient avant .

    Ceux donc qui reçoivent de l’argent neuf en premier reçoivent un avantage temporaire , si bien qu’ils pensent que c e n’est pas si grave . Et la hausse des prix, avec ses effets de ruine, se fait pas à pas :

    L’inflation est une politique. Et une politique peut être changée. Il n’y a donc aucune raison de céder à l’inflation. Si l’on considère l’inflation comme un mal, alors il faut arrêter d’enfler la masse monétaire. Il faut équilibrer le budget de l’État.

    L’investissement étranger

    La différence [de niveau de vie] n’est pas l’infériorité personnelle ni l’ignorance. La différence est l’offre de capital, la quantité de biens d’équipement disponibles. En d’autres termes, la masse de capital investi par unité de population est plus grande dans les pays dits avancés que dans les pays en voie de développement.

    Pour combler cette différence entre pays, l’investissement étranger en provenance de pays dits avancés a permis et aurait dû permettre le développement de pays qui sont en retard sur eux.

    C’était sans compter avec les expropriations des capitaux investis dans un certain nombre de pays, ce qui est catastrophique pour les pays en retard et l’est malgré tout moins pour les avancés.

    Protectionnisme et syndicalisme ne changent pas la situation d’un pays pour le mieux : industrialiser nécessite du capital ; obtenir des hausses de salaires provoque un chômage permanent et durable :

    Il n’y a qu’une seule façon pour une nation d’atteindre la prospérité : si on augmente le capital, on augmente la productivité marginal du travail et l’effet sera que les salaires réels augmentent.

    La politique et les idées

    L’Homme n’a pas un côté politique d’une part et un côté économique de l’autre. Or les idées politiques et économiques ont changé radicalement avec l’avènement de l’interventionnisme.

    Le but ultime des partis n’est plus le bien-être de la nation et celui des autres nations. Simples groupes de pression, ils ne défendent plus le bien commun. Cette démocratie est critiquable :

    Selon les idées interventionnistes, il est du devoir de l’État de soutenir, de subventionner, d’accorder des privilèges à des groupes particuliers .

    Les dépenses publiques ne cessent d’augmenter sans que les impôts puissent les financer. Ce qui explique pourquoi il est presque impossible pour tous les gouvernements d’arrêter l’inflation .

    Faut-il alors parler de déclin de la liberté et de la civilisation ?

    Les idées interventionnistes, les idées socialistes, les idées inflationnistes de notre temps, ont été concoctées par des écrivains et des professeurs :

    Ce dont nous avons besoin, ce n’est rien d’autre que de substituer de meilleures idées à de mauvaises idées. J’espère et je suis confiant que cela sera fait par la génération montante.

    Six leçons, Ludwig von Mises, 86 pages, Éditions John Galt


    Sur le web

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      « Liberté et égalité » de Raymond Aron

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 5 December, 2022 - 03:50 · 7 minutes

    La liberté et l’égalité sont deux concepts dont on sait à quel point ils sont difficiles à définir et, au-delà, simplement même à appréhender. Les désaccords de fond sont importants. Il s’agit de deux notions très débattues depuis de très nombreux siècles donnant lieu à de très vives oppositions, d’où l’intérêt de s’intéresser à ce que pouvait en dire l’un des grands philosophes français du XX e siècle, Raymond Aron .

    « Des » libertés

    La toute première précision d’importance amenée par le philosophe lors de ce cours dispensé au Collège de France en 1978 est qu’il préfère parler de « libertés », et non de « liberté ». Tout au moins si nous raisonnons en état de société, non plus en état de nature comme le faisaient les philosophes aux XVII e et XVIII e siècles (dont il rappelle quelques-uns des fondements, la liberté politique étant associée par exemple chez Montesquieu à la sûreté mais aussi à la propriété).

    Nous jouissons tous en effet de certaines libertés, pas de toutes les libertés. La célèbre formule de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 qui commence par « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui… » suscite certes spontanément l’adhésion, mais quelle en est sa portée pratique ? Quelques exemples simples lui suffisent à en montrer les limites.

    « Par conséquent, en fait, il me paraît toujours difficile de définir de manière précise ou significative le contenu de la liberté ou des libertés. Selon les sociétés certaines libertés sont considérées comme légitimes et nécessaires et d’autres sont inconnues. Certaines des libertés dont nous jouissons et qui pour nous sont fondamentales ont été considérées comme indifférentes ou étaient inconnues dans d’autres sociétés. Donc, sans prétendre faire une théorie générale des libertés pour toutes les sociétés, j’essaierai ici maintenant de préciser quel est le contenu de nos libertés, dans nos pays démocratiques, prospères et libéraux… qui sont tout cela ou qui voudraient l’être. »

    Les libertés dans les démocraties libérales

    Ce sont celles qui sont reconnues et garanties par les pouvoirs publics, ceux-ci étant chargés d’interdire à ceux qui voudraient nous empêcher de les exercer de le faire. Raymond Aron en distingue quatre catégories (qui se différencient de l’approche alors traditionnelle entre des libertés qualifiées de réelles et des libertés qualifiées de formelles ) :

    Les libertés personnelles

    • la protection des individus, y compris contre les abus de la police et de la justice,
    • la liberté de circulation,
    • les libertés économiques (choix de l’emploi, choix du consommateur, liberté d’entreprise),
    • liberté religieuse, d’opinion, d’expression, de communication.

    Il ne nie évidemment pas le caractère imparfait de ces libertés, dont il montre à la fois les fondements, l’intérêt et les limites. Cependant, il insiste bien sur le fait que non seulement elles ne vont pas de soi, mais elles n’ont pas toujours été reconnues ni ne le sont dans d’autres pays. Par exemple, la liberté de critiquer l’État est possible dès lors que l’on se trouve bien dans un État démocratique, non partisan , c’est-à-dire non perverti par la religion ou l’idéologie.

    Les libertés politiques

    Quoi qu’on puisse en penser, là encore, la possibilité de voter, de protester et de se rassembler sont  tolérablement assurées, ce qui n’est pas non plus le cas en tout temps ou en tout lieu. Autrement dit, même si par exemple la possibilité de voter est davantage symbolique que véritablement réelle du point de vue d’un individu (si on reprend la distinction traditionnelle évoquée plus haut), elle n’en constitue pas moins une forme de rempart potentiel contre le despotisme.

    Les libertés sociales

    Ce sont les libertés d’être soigné, de s’instruire, se syndiquer, former des comités d’entreprise. Il ajoute que le sentiment de liberté pourrait aussi être considéré. Ceci dans la mesure où par exemple beaucoup d’individus ne se sentent pas libres dans un régime qu’ils détestent et dans lequel ils se jugent opprimés et qu’ils estiment injuste. Mais ce sentiment est moins systématique que ne peuvent être les catégories de libertés précédentes. Il dépend généralement des circonstances matérielles et de la représentation de la société des individus concernés. Ce qui a à voir avec l’idéologie de chacun.

    Enjeux philosophiques

    C’est parce qu’il refuse l’établissement d’une hiérarchie entre ces libertés que Raymond Aron préfère parler de libertés que de la Liberté. Ainsi, cette hiérarchisation s’opérait avec le développement du socialisme, au profit notamment des libertés sociales. Et les théories qui en résultaient, à l’image par exemple de la dictature du prolétariat de Karl Marx , dont les dérives soviétiques et la nomenklatura opéraient une remise en cause d’autre formes de libertés , en particulier personnelles, à l’encontre de ce que souhaitait Marx lui-même. À tel point qu’une plaisanterie connue dans le monde soviétique était :

    « La différence entre le capitalisme et le socialisme ? Dans un cas c’est l’exploitation de l’homme par l’homme, dans l’autre, c’est l’inverse. »

    En somme, « les sociétés dans lesquelles nous vivons ne garantissent pas toute la liberté souhaitable, mais évitent les formes extrêmes de privation de libertés que nous avons connues à travers ce siècle » .

    De plus, en conformité avec les principes libéraux, la garantie de la légalité du pouvoir peut conduire le pouvoir judiciaire à écarter un membre du pouvoir exécutif, comme dans le cas de Richard Nixon aux États-Unis, même si Raymond Aron se dit bien conscient que cette légalité n’est pas toujours maintenue dans nos régimes.

    La confusion entre liberté et égalité

    Malgré cette relative reconnaissance des libertés, le débat n’en reste pas moins ouvert :

    « Plus nous sommes amenés à définir la liberté par la capacité ou le pouvoir de faire, plus l’inégalité nous paraît inacceptable. Ou encore, dans la mesure où l’on tend à confondre de plus en plus liberté et égalité, toute forme d’inégalité devient une violation de la liberté. »

    Ainsi, beaucoup considèrent que ceux qui ont davantage de moyens ou sont en haut de la hiérarchie sociale sont plus libres que les autres. Ce qui s’écarte du sens strict et rigoureux de la liberté, fondée sur l’égalité des droits .

    De même, nous dit-il au moment où il prononce ce discours, le libéralisme et la société existante semblent rejetés radicalement par une partie de la jeune génération et des jeunes philosophes de l’époque qui rejettent le pouvoir sous toutes ses formes, se réclamant de l’autogestion ou de l’anarchie, ou encore de communautés fraternelles et pacifiques , à l’image des hippies refusant la compétition ou la solitude .

    Il écrit ensuite qu’il existe une tradition philosophique selon laquelle la liberté authentique est la maîtrise de la raison ou de la volonté sur les passions. En ce sens, la liberté politique aurait pour objectif de créer des hommes libres , ce qui ne pourrait se concevoir qu’en acceptant les lois de la société . Le civisme est une partie de la moralité et donc de la formation d’hommes libres.

    Or, selon lui, les démocraties libérales connaissent une crise morale, la société hédoniste de recherche des désirs ayant remplacé l’idéal de recherche des vertus et le sens des devoirs. Pour autant, Raymond Aron dit qu’il n’oublie pas que ces discussions sont étroitement occidentales , celles de sociétés privilégiées et que quelles que soient leurs imperfections et les critiques que l’on peut émettre à leur endroit, l’existence d’un débat permanent et d’un conflit pacifique demeurent une exception heureuse au regard de l’histoire.

    Raymond Aron, Liberté et égalité – Cours au Collège de France , éditions de l’EHESS, octobre 2013, 61 pages.

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      « La Chute Finale » de l’Occident de Olivier Piacentini

      Finn Andreen · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Sunday, 4 December, 2022 - 04:00 · 5 minutes

    L’Occident semble avoir accéléré son déclin dans une espèce de folie autodestructrice rarement égalée.

    Les sociétés occidentales subissent les conséquences de la scandaleuse gestion de la pandémie Covid-19 de leurs dirigeants politiques et souffrent d’une inflation des prix, auto-infligée par leurs propres sanctions contre la Russie.

    C’est dans ce contexte qu’il faut lire le dernier livre de Olivier Piacentini, La Chute Finale : l’Occident survivra t-il ? .

    Ce déclin ne date pas d’hier

    Comme l’explique avec beaucoup de verve M. Piacentini, ce déclin ne date pas d’hier.

    L’auteur en fait une vaste et riche revue d’un point de vue non seulement économique mais également politique et culturel en évoquant l’influence socialement destructive du relativisme et du postmodernisme provenant des USA, par exemple sous forme des attitudes woke .

    Qui parle de déclin parle d’abord de cimes déjà atteintes. M. Piacentini rappelle avec érudition les différents facteurs ayant permis la longue ascension de l’Occident, en rappelant l’influence des penseurs grecs, du christianisme, de la Renaissance, de l’État de droit, du libéralisme.

    Cependant, pour ceux qui croient en l’universalité des valeurs libérales et plus particulièrement en les bienfaits d’une politique libérale et d’une économie de marché au niveau mondial, l’auteur insiste peut-être un peu trop sur « l’exception de l’Occident ». Une telle exceptionnalité empêcherait alors le libéralisme d’être répliqué ailleurs car elle serait alors endémique aux conditions occidentales. Au vu du développement économique de l’Asie, cette soi-disant exception occidentale doit être remise en question.

    La position de l’auteur semble alors être davantage pro-occidentale que libérale, rappelant celle de Winston Churchill ou plus récemment celle de l’historien Niall Ferguson.

    L’auteur évoque la « domination de l’Occident […] pendant si longtemps ». Mais il est possible de dire que l’Occident ne se distingue réellement du reste du monde qu’après les révolutions agraires et sanitaires du XVII e siècle. En effet, la Chine représentait un quart de la richesse mondiale jusqu’au XVII e siècle. D’ailleurs, la science politique chinoise actuelle considère que le Chine a une grande avance sur l’Europe car elle s’est unifiée 2000 ans avant cette dernière…

    Une partie du déclin occidental est normale et inévitable. M. Piacentini devrait insister davantage sur ce point car il est relatif aux autres nations qui heureusement s’enrichissent aussi en profitant indirectement des avancées occidentales antérieures.

    Il est aujourd’hui évident que l’Occident a même été surpassé dans plusieurs secteurs de pointe, ce qui encore une fois devrait relativiser cette idée d’exception.

    Revoir le concept d’Occident

    Mais qu’est-ce que l’Occident ?

    L’auteur a presque une tendance à voir l’Occident comme une extension de la France. Une grande partie du déclin décrit dans le livre concerne justement la France que M. Piacentini connaît bien. Il semble considérer l’Occident comme une seule entité homogène et la personnalise même avec des phrases telles que : « l’Occident a peur » (p. 46) ou « l’Occident sûr de lui » (p. 61).

    Mais n’est-ce pas justement l’hétérogénéité et la pluralité de l’Occident une des raisons fondamentales de son succès initial ? En France, l’accent qui est mis sur l’universalité des Lumières est compréhensible mais parfois démesuré, comme Isaiah Berlin avait bien compris . Des historiens libéraux comme Ralph Raico et Donald Livingstone ont montré que justement le manque d’unité et la concurrence décentralisée des petites entités politiques étaient la clef pour leur développement économique et politique.

    De plus, l’Occident actuel est aujourd’hui loin d’être uni : la Russie s’en éloigne , les membres de l’Union européenne sont en sérieux désaccord et les États-Unis semblent vouloir s’enrichir aux dépens des Européens. Aussi, les succès des pays de l’Europe du nord par rapport à ceux du sud (y compris la France) montrent que cette richesse historique et culturelle de l’Occident loué par Olivier Piacentini n’est pas seulement un atout pour un pays mais aussi un poids qui souvent empêche les réformes et l’innovation. L’Italie en est l’exemple phare.

    L’État, toujours l’État

    Le déclin de l’Occident est inextricablement lié aux nocives idées étatistes qui dominent les institutions occidentales depuis des décennies déjà (quoique moins fortement aux États-Unis), comme le souhaitait Gramsci . Cet étatisme s’exprime par un consentement généralisé à un État social qui prélève massivement (p. 91), mais aussi à un État stratège qui s’implique aujourd’hui dans tous les aspects majeurs de la société, de la santé a l’immigration en passant par le marché du travail.

    Les libéraux estiment que ce développement a fait des ravages à tous les niveaux et impacte même la vitalité , au sens large, des sociétés occidentales. L’auteur reconnait et critique habilement ces symptômes au fil du livre mais néanmoins il affirme aussi, par exemple, que l’État crée « les conditions du développement, et participant a l’amélioration des conditions de vie » (p. 33). Or, le déclin de plus en plus rapide de l’Occident est au contraire inversement corrélé à l’interventionnisme de plus en plus exacerbé des États, comme l’explique l’École autrichienne .

    Comme pour beaucoup de livres publiés en France, La Chute Finale ne liste pas les auteurs cités et leurs œuvres, ni les mots clefs, comme dans les livres anglo-saxons. Il ne contient pas une seule référence ni même une table des matières. C’est dommage car M. Piacentini donne beaucoup d’informations à son lecteur sans que celui-ci puisse vérifier les sources. Une deuxième édition corrigeant ces défauts serait la bienvenue et permettrait de prolonger la vie de ce livre en laissant au lecteur la possibilité de s’y référer.

    L’auteur fait donc une excellente description des maux, tout autant économiques, politiques que culturels dont souffre l’Occident. Il termine en promettant des propositions pour résoudre ces graves difficultés dans un prochain ouvrage.

    La Chute Finale est un livre d’un style peut-être un peu trop lyrique pour un thème aussi sérieux. Mais il fait partie des grandes contributions politiques contemporaines françaises décrivant un déclin de l’Occident qui n’a rien d’inévitable. Car ce déclin a surtout à voir avec des politiques publiques qui semblent être un mélange d’incompétence et d’idéologie de la part d’une petite classe dirigeante perturbant sérieusement le développement naturel des pays occidentaux depuis maintenant plusieurs décennies.

    Olivier Piacentini, La chute finale : l’Occident survivra-t-il ? , Édition Godefroy, 2022, 248 pages.

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      Chine : le miroir rouge se réveille-t-il ?

      Jean-Pierre Chamoux · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 3 December, 2022 - 03:40 · 4 minutes

    Lors de la parution française en avril 2021 de Red Mirror , essai assorti d’un reportage photographique original sur les rues chinoises, j’avais déjà souligné le sens profond de cet ouvrage d’un journaliste italien, Simone Pieranni, illustré par Gilles Sabrié, un photographe qui vit à Pékin .

    Ces deux auteurs décrivent par le récit et par l’image la vie des gens ordinaires qui peuplent les mégalopoles chinoises. Ce sont les mêmes qui manifestent aujourd’hui en Chine contre le fol maintien d’un confinement assassin pour les malheureux habitants de ce gigantesque pays. Leur soulèvement spontané est un refus naturel de ce que dévoilait ce petit livre publié sous une couverture rouge « à la Mao » par un éditeur de Caen qui le ressort ces jours-ci grâce à l’ actualité dramatique qui nous vient de Chine.

    Cet ouvrage, très bien traduit par Fausto Guidice, est instructif si l’on sait lire entre ses lignes.

    Ce que j’en avais dit en avril 2021 permet de comprendre ce qui secoue profondément la Chine d’aujourd’hui : la population chinoise n’en peut plus d’être parquée comme du bétail dans des conditions infernales ; elle étouffe sous une chape de plomb et elle refuse enfin l’emprisonnement généralisé qui lui est imposé sous prétexte de contenir un virus que l’on a pas su maîtriser !

    Red Mirror aborde en quatre chapitres autant de caractéristiques de la société chinoise actuelle.

    1. L’omniprésence du réseau social Wechat qui encadre et accompagne la vie quotidienne des chinois.
    2. La politique des « villes intelligentes » très denses où s’entassent des travailleurs venus des campagnes pour fournir à l’usine du monde une main-d’œuvre que l’on espérait servile.
    3. Une industrie (comme Foxcomm dont les ouvriers se révoltent ces jours-ci) qui fournit à la planète entière équipements, infrastructures et services indispensables à l’ère du numérique.
    4. Une cité collectiviste construite par une ingénierie sociale qui évoquent l’utopique prison panoptique imaginée par les frères Jeremy et Samuel Bentham (1791), cité dont le crédit social fut conçu et qui est gérée par le Parti communiste chinois .

    Rôle du « crédit social »

    Largement dévoilé par la propagande chinoise, ce système de bons et mauvais points devait assurer, dit Pieranni, non seulement la cohésion de la Chine moderne mais l’aider à dominer le monde contemporain (chap. 5) !

    Ses tenants et aboutissants se découvrent à chaque page de ce récit qui associe curieusement cette surveillance sociale à une pratique millénaire méconnue par les Occidentaux : la baojia, un encadrement communautaire des familles chinoises qui n’aurait donc été que l’antécédent médiéval du crédit social actuel (p. 144) !

    Théorisée en 1957 par Mao dans la section IV de son Petit livre rouge , la dialectique entre l’ordre et le chaos s’inscrirait donc dans le prolongement de la Chine impériale…

    On peut regretter…

    Cet ouvrage témoigne d’une belle indulgence envers les intentions et les agissements de la puissance publique chinoise qui n’a jamais hésité ni sur les moyens ni sur la brutalité nécessaires pour mâter son peuple, surtout lorsqu’il réagit aux actes suicidaires comme l’est ce confinement à outrance que l’auteur condamnerait, je suppose, très vivement s’il le relevait dans un pays occidental !

    Corrélativement, ce texte use de force litotes pour situer (et pour finalement admettre) ce crédit social qui traite les hommes comme des « chiens de Pavlov » et que l’autorité communiste tient à sa botte, au grand dam des individus conscients comme le furent les étudiants de Hong Kong qui n’ont plus désormais d’autre choix que de se soumettre ou de partir depuis que leur territoire est repris en mains par Pékin.

    Ils en ont payé le prix comme risquent aussi de le faire les foules de Shangaï ou de Wuhan qui se rebellent actuellement contre l’enfermement qu’on leur impose depuis deux ans et plus (cf. p. 134 sq. par ex.) !

    L’avenir s’écrit-il en Chine ?

    En quelques mots, si l’avenir s’écrit effectivement en Chine , comme l’annonce l’auteur, si le crédit social se poursuit effectivement dans la veine d’une tradition millénaire, il est important que les Occidentaux qui n’en sont pas conscients le découvrent avant qu’un pareil garrot leur soit imposé !

    Lu avec attention et un minimum d’esprit critique, ce petit livre devrait les dessiller : deux brèves citations suffisent pour le comprendre :

    « En Chine, le smartphone , c’est Wechat. Et Wechat sait tout sur tout le monde ! » (p.12)

    « Le crédit social […] c’est l’État qui juge tous les citoyens [car] la Chine ne veut pas seulement réglementer les personnes mais aussi l’environnement dans lequel elles vivent » ! (p. 143 )

    Deux mots sur les auteurs

    Journaliste au quotidien italien Il Manifesto créé en 1969 par des dissidents du Parti communiste italien, Simone Pieranni a vécu sept ans en Chine où il avait créé l’agence China Files . Le photographe Gilles Sabrié a illustré de grands quotidiens ( Le Monde, The Guardian, Wall Steet Journal… ) et de nombreux magazines ( Time, Geo, Spiegel, L’expresso etc.).

    Simone Pieranni : Red Mirror  L’avenir s’écrit en Chine , Traduit de l’italien et assorti d’un reportage photographique de Gilles Sabrié, C & F éditions, Caen, 2022, 184 pages.