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      Pourquoi le libéralisme n’est pas une idéologie

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 4 January, 2023 - 03:45 · 7 minutes

    Les définitions du terme « idéologie » abondent. Mais plutôt que de vous en apporter une ici, il convient surtout de relever qu’entre le sens initial du mot et les sous-entendus qu’il recèle désormais, la prudence s’impose.

    En effet, alors que ce terme avait une signification précise au départ, se référant à la science des idées , il a très vite subi les coups de boutoir de Napoléon, se moquant des intellectuels peu au fait de la politique concrète, puis surtout de Karl Marx, qui en marquera profondément le sens péjoratif aujourd’hui dominant, la présentant comme une « illusion idéaliste ».

    Le libéralisme est-il une idéologie ?

    Mais c’est surtout, aujourd’hui, sur son caractère prescriptif que l’on insiste lorsque l’idéologie est évoquée. Raymond Aron opposait ainsi ceux qui prétendent vouloir « changer l’Homme », en poursuivant des utopies ou croyances illusoires toujours pleines de bonnes intentions , mais se heurtant au réel, à ceux qui se réfèrent aux faits et, à ce titre, peuvent apparaître comme des briseurs de rêves .

    C’est pourquoi il considérait que le libéralisme, par essence, est anti-idéologique, car non-prescriptif.

    En quoi le libéralisme n’est-il pas prescriptif ?

    Le libéralisme n’a pas pour prétention de vouloir changer le monde ou de promouvoir un quelconque idéalisme. Il n’est pas là pour fantasmer la réalité, changer l’Homme ou faire rêver.

    C’est pourquoi certains préfèrent parler de doctrine, d’autres de philosophie, ou encore d’humanisme (ou les trois à la fois). En ce sens que le libéralisme est avant tout une conception de l’être humain, basée sur des rapports de coopération volontaire, de solidarité spontanée, de respect, de tolérance. Et qui ne cherche pas à imposer ses idées, comme le font des idéologies totalitaires ou simplement étatistes, par nature.

    Correspond-il à une forme d’extrémisme ?

    Comme le nom l’indique, le libéralisme vise avant tout à défendre les libertés individuelles. Ce qui passe par l’importance accordée au droit (nous y reviendrons), à la défense de la propriété (nous aurons certainement également l’occasion d’y revenir ; pas facile de ne pas déborder sur les prochains volets de cette série, ni de faire court) et implique de concevoir les libertés politiques et économiques comme un tout (idem).

    Il ne s’agit donc pas d’un extrémisme , loin de là et bien au contraire. Plutôt de principes visant à garantir les libertés fondamentales, fragiles par nature .

    Quelles sont ses prétentions ?

    Contrairement à l’État-providence qui a quasiment comme prétention de prendre totalement en charge les individus de leur naissance à leur mort , de manière que l’on peut croire bienveillante , le libéralisme entend au contraire leur faire confiance et s’appuyer sur leur capacité d’initiative pour développer une société où vivre en harmonie , tout en se sentant responsable. Ce qui n’exclut pas, d’ailleurs, de venir en aide aux plus démunis, contrairement à ce que certains souhaitent laisser penser.

    Dans le premier cas (État-providence), le risque de despotisme n’est pas loin. Voici ce qu’énonçait Alexis de Tocqueville à son sujet, se référant ici à ses citoyens :

    « L’État travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages, que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? […] il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige […] il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »

    Le libéralisme défend donc une vision contraire à celle de planisme, qui mène à la route de la servitude . Et une philosophie optimiste, pleine de confiance en l’homme, tout en étant consciente de ses limites, et profondément éthique. Loin de l’arbitraire des idéologies tendant à prendre en mains le destin des peuples.

    Les Français sont-ils majoritairement contre le libéralisme ?

    La falsification qui est faite de ce terme, notamment à travers les adjonctions de particule ( néo , ultra ), destinées à le décrédibiliser, peut laisser penser que oui.

    Maintenant, et au vu de ce que nous avons pu amorcer à travers les éléments développés ci-dessus, on peut imaginer que les valeurs du libéralisme sont très probablement compatibles avec ce que pense profondément une grande partie de la population.

    La crainte ou le rejet du libéralisme, à mon sens, résulte donc d’un grand malentendu, d’une ignorance entretenue par ses principaux ennemis et par ceux (très nombreux) qui jouent involontairement, du coup, la caisse de résonance de ces mensonges, de manière sincère, par ignorance réelle de ce qu’il est (même des personnes aussi sensées ou avisées qu’une Natacha Polony , véritablement obsédée et ennemie farouche depuis très longtemps de quelque chose qu’elle méconnaît et au sujet duquel elle se trompe de ce fait lourdement 1 ).

    Pour conforter l’idée, voici ce qu’en dit par exemple Jacques Garello dans son dernier livre (en reprenant la phrase complète de Francis Richard) :

    « Les idées libérales ne sont pas celles qu’on croit : beaucoup de Français se croient et se disent libéraux, mais ne le sont pas en réalité. À l’inverse, sont encore plus nombreux les Français qui sont libéraux mais ne le savent pas. Rien d’étonnant à cela puisque le libéralisme n’a que très rarement été enseigné, et presque jamais appliqué. Le libéralisme est ignoré, donc caricaturé, diabolisé, ou dévié.

    Libéral ? Pas libéral ?

    Car, en effet, au-delà de ceux qui se pensent anti-libéraux par simple ignorance, il existe aussi tous ceux qui se disent ou se sont déjà dits un jour libéraux, mais ne le sont qu’à la carte (je ne pense pas à un Emmanuel Macron, auquel vous aurez peut-être pensé spontanément, mais plutôt ou aussi à des politiques du type Jean-Pierre Raffarin ou tant d’autres du même acabit, libéraux un jour, et plus le lendemain, ou libéraux mais pas ultra-libéraux ou encore libéraux en politique mais pas en économie. Autant de points qui mériteraient d’être discutés, mais je m’aperçois que mon article finit par être à rallonge, alors que je le voulais court).

    Et nous revenons là à l’essence de notre sujet du jour (en attendant les volets suivants) : le libéralisme est-il une idéologie ?

    C’est parce qu’il ne l’est pas que rien ne sert de se présenter comme libéral sur tel plan et pas sur tel autre. Cela peut d’ailleurs se discuter, mais le fait est que nous parlons bien d’une doctrine, d’une philosophie qui, si elle n’est pas fermée et stéréotypée mais bien vivante et ouverte, révèle une essence profonde difficilement divisible ou modulable en fonction de ce qui arrange.

    Cette philosophie de la liberté s’oppose à tout ce qui assujettit d’une manière ou d’une autre des êtres ou des organisations, au risque de verser dans ce qui apparaît bien, si l’on fait référence au domaine économique, comme un capitalisme de connivence (là encore, nous aurons largement l’occasion d’y revenir, car il s’agit d’une source centrale du grand  malentendu).

    Et c’est aussi parce que beaucoup ont été déçus et se sont sentis floués par certaines idéologies auxquelles ils ont plus ou moins adhéré un temps par une sorte d’idéalisme bien compréhensible et parfaitement humaine, que certains d’entre eux, parmi les esprits les plus brillants ( Jean-François Revel , Jacques Marseille et d’autres encore, comme le rappelle un lecteur de l’article précédent) s’en sont détournés pour privilégier une approche plus philosophique (alors que les exemples inverses sont plus difficiles à trouver, comme ce lecteur le souligne).

    La liberté ne se décrète pas

    En conclusion de ce volet, et pour finir (même si je suis forcément très incomplet), on peut noter que la liberté que défend le libéralisme est quelque chose de spontané. Il ne s’agit pas d’un constructivisme , donc pas d’une idéologie. Ce qui n’exclut pas l’État, en tant que garant de ces mêmes libertés.

    Un article publié initialement le 7 avril 2017.

    1. Je découvre d’ailleurs, au passage, moi qui ai failli lui écrire gentiment il y a quelques mois en y ayant finalement bêtement renoncé par manque de temps, que Nathalie MP a justement écrit un article à ce sujet , que je vais m’empresser de lire avec délectation, où il est manifestement question de « malentendu »
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      « Des sources de la connaissance et de l’ignorance » de Karl Popper

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 31 December, 2022 - 04:00 · 11 minutes

    Ce petit essai est la transcription d’une conférence donnée par Karl Popper à la British Academy en janvier 1960. Il commence par expliquer l’effet voulu du titre : l’ignorance symbolisant la non-connaissance, comment pourrait-elle avoir des sources ? Son intention est en réalité de porter l’attention sur les théories du complot qui sont une sorte de résistance organisée à la connaissance et en ce sens une perversion dont les influences malignes « pervertissent et contaminent nos esprits et nous accoutument de manière insidieuse à opposer une résistance à la connaissance ».

    Les sources de la connaissance

    S’appuyant sur la controverse qui opposait empiristes britanniques (Bacon, Locke, Berkeley, Hume, Stuart Mill) et rationalistes (Descartes, Spinoza, Leibniz), il entend montrer quant à lui que ni l’observation, ni la raison, ne peuvent être définies comme la source de la connaissance.

    Pour autant, nier l’importance de la théorie de la connaissance et de ses conséquences pratiques risque de déboucher sur l’autoritarisme et les conceptions totalitaires . L’enjeu est donc de taille.

    En réalité, le problème est tout à fait simple. Les convictions libérales – la croyance en la possibilité d’une société régie par le droit, d’une justice égale pour tous, de droits fondamentaux, et l’idée d’une société libre – peuvent sans difficulté persister après qu’on a reconnu que les juges ne sont pas infaillibles et risquent de se tromper quant aux faits et que, dans la pratique, lors d’une affaire judiciaire, la justice absolue ne s’accomplit jamais intégralement…

    C’est de cette possibilité de la connaissance et de l’accès à la vérité que l’on est capable de distinguer de l’erreur que sont nées la science et la technique modernes. Et non en invoquant de quelconques autorités.

    L’homme a la faculté de connaître : donc, il peut être libre. Cette formule exprime la relation qui lie l’optimisme épistémologique et les conceptions libérales. La relation inverse existe également. L’absence de confiance dans le pouvoir de la raison, dans la faculté qu’a l’homme de discerner la vérité va presque toujours de pair avec une absence de confiance en l’homme.

    C’est en ce sens que le traditionalisme s’oppose au rationalisme au sens large (incluant l’intellectualisme cartésien et l’empirisme). En l’absence de vérité objective, il oppose l’adhésion à l’autorité de la tradition, au chaos. Tandis que le rationalisme revendique le droit de critiquer toute tradition et toute autorité reposant sur la déraison, les préjugés ou le hasard.

    Se méfier des croyances. Une mise en garde pour l’épistémologue

    L’unique intérêt de l’épistémologue, nous dit Karl Popper, est de découvrir la vérité. Que celle-ci s’accorde ou s’oppose à ses idées politiques. Et en s’écartant de ses désirs utopiques. C’est pourquoi, dit-il, « la meilleure méthode consiste peut-être à commencer par soumettre à la critique nos croyances les plus chères ». Ce qu’il s’applique lui-même en tant que libéral.

    L’erreur résulte du refus coupable de voir la vérité lorsqu’elle est pourtant manifeste « ou dans les préjugés que l’éducation et la tradition ont gravés dans notre esprit, ou encore dans d’autres influences pernicieuses qui ont perverti la pureté et l’innocence originelles de notre esprit ».

    Les théories du complot, à l’instar de la version marxiste visant la supposée conspiration de la presse capitaliste qui déformerait et censurerait la vérité, ou encore celle à l’encontre des messages religieux, sont une autre dérive, non seulement inconciliable avec la tolérance, mais terrain propice à l’ignorance.

    Des croyances fausses parviennent quelquefois à perdurer pendant des siècles de manière surprenante, au mépris de toute expérience, et ce, qu’elles tirent ou non leur force de l’existence d’un complot.

    L’épistémologie positive

    Si l’épistémologie optimiste de Bacon et Descartes ne saurait être vraie, écrit Karl Popper, le paradoxe est qu’elle a été « la principale source d’une révolution intellectuelle et morale sans précédent ».

    Elle a encouragé les hommes à penser par eux-mêmes. Elle les a conduits à espérer qu’ils pourraient, grâce à la connaissance, se libérer eux-mêmes et libérer autrui de la servitude et du dénuement. C’est elle qui a rendu possible la science moderne. C’est elle qui a inspiré la lutte contre la censure et la répression de la liberté de pensée. Elle est devenue le fondement de la conscience non conformiste, de l’individualisme, et elle a donné un contenu nouveau à la dignité humaine ; c’est d’elle qu’est venue l’exigence de lumières universelles, qu’est né le désir d’une société libre. Cette conception a fait que les hommes se sont sentis responsables à l’égard d’eux-mêmes comme d’autrui, et elle leur a imprimé la volonté d’améliorer non seulement leur propre sort, mais aussi celui de leurs semblables . Nous avons là l’exemple d’une idée contestable qui a donné naissance à une multitude d’idées légitimes.

    À l’inverse, elle a aussi eu de terribles conséquences : « La doctrine qui affirme le caractère manifeste de la vérité – que celle-ci est visible pour chacun pour peu qu’on veuille la voir – est au fondement de presque toutes les formes de fanatisme ». On voit bien là émerger les thèses conspirationnistes , centrées sur l’idée qu’on cherche à nous cacher la vérité.

    Mais elle peut aussi être la source des autoritarismes , une autorité étant chargée de fixer ce qui doit être tenu pour la vérité manifeste. De manière forcément arbitraire.

    Ce qui peut inspirer, selon Karl Popper, une épistémologie pessimiste, que Platon lui semble particulièrement incarner. Dans la continuité des illustres poètes antiques qui ont précédé, il existerait des sources divines de la connaissance que nous avons oubliées mais dont la théorie de la réminiscence suppose que nous puissions être en mesure de les reconnaître (ce que symbolise indirectement la maïeutique socratique , qui vise en particulier à tenter de dissiper les préjugés par un questionnement ayant pour but d’accoucher les idées). Qui préfigure le cartésianisme. Mais à travers le mythe de la caverne , Platon stipule que le monde sensible n’est qu’une ombre et que l’accès à cette connaissance divine ne peut se faire qu’au prix de difficultés presque insurmontables, que seuls quelques « élus » sont en mesure d’atteindre, plongeant la majorité des mortels dans l’ignorance. Ce qui débouche sur des conceptions autoritaristes .

    La méthode inductive

    Mais Karl Popper, retenant essentiellement la perspective optimiste, s’intéresse surtout à la méthode inductive interprétative de Bacon (à la suite d’Aristote), dont il dit être un partisan convaincu, consistant à chercher à éliminer les préjugés et fausses croyances, à travers les contre-exemples (à l’instar de ce que pratiquait Socrate). Méthode par nature antiautoritaire et antitraditionaliste, rejoignant aussi l’esprit cartésien, avec quelques différences (volonté d’aboutir à une connaissance absolument certaine chez Descartes, là où Socrate – conscient de nos limites et du fait que nous savons peu – refuse toute prétention à la connaissance ou à la sagesse). Mais qui n’est pas sans difficultés et limites en raison notamment de notre faillibilité qui suppose une critique rationnelle et une autocritique de tous les instants.

    Nous ne saurions en résumer ici trop brièvement et maladroitement la substance, tant Karl Popper convoque de grands esprits pour en établir les subtilités (Erasme, Montaigne, Locke, Voltaire, John Stuart Mill, Bertrand Russel, etc.), au risque d’introduire malgré nous des biais interprétatifs . Idées qui ont débouché chez ces auteurs sur la doctrine de la tolérance, fondée sur l’incertitude de nos connaissances, du fait de les faiblesses et erreurs dont nous sommes tous pétris, tant « … nous sommes nous-mêmes la source de notre ignorance ».

    Karl Popper ne manque pas de rappeler, en ce sens, que « la physique cartésienne remarquable à certains égards était erronée. Or elle ne se fondait que sur des idées qui, de l’avis de Descartes, étaient claires et distinctes et eussent donc dû être vraies ». Ce qui rejoint partiellement le parti de Jean-François Revel de donner pour titre à l’un de ses ouvrages Descartes inutile et incertain .

    Popper discute ensuite de la question de l’origine et de la vérité factuelle, dans une perspective essentialiste, mais nous n’en reprendrons pas les éléments ici.

    Une critique de l’empirisme

    Popper conteste l’observation en tant que source ultime de la connaissance. Toute assertion serait censée reposer sur des observations. Or, constate-t-il, la plupart de nos assertions sont fondées sur d’autres sources que l’observation.

    À travers des exemples simples, il montre la réelle difficulté de pouvoir remonter de manière certaine à la source de la supposée observation. Même des investigations poussées parviendront difficilement à prouver la validité de chacune des assertions en chaîne tendant à démontrer la sûreté de la source. Dans la plupart des cas on parviendrait à une impossibilité logique, rendant vaine une telle démarche. Ladite observation reposant elle-même sur une interprétation, produite tantôt à la lumière du savoir théorique, tantôt à l’abri de toute théorie. Sans compter son lot d’erreurs, de déformations, d’omissions de toutes sortes. Très souvent, les connaissances sont la résultante de références qui se rapportent à une source commune qui elle-même peut être fautive.

    Lorsqu’ils sont possibles, l’expérimentation (voir ce qu’écrivait Jean Fourastié à ce sujet) , ou encore l’examen critique, peuvent constituer des parades à même d’accroître notre connaissance sans qu’il ne s’agisse davantage de sources ultimes et laissant intacte la question de départ et la réponse brutale qu’en fait Popper :

    Mais quelles sont alors les sources de notre connaissance ? La réponse me semble-t-il, est celle-ci : il existe toutes sortes de sources, mais aucune d’elles ne fait autorité .

    On peut penser que certaines références (telle ou telle parution scientifique, par exemple) constituent des sources de connaissance considérées comme sérieuses, ou que certaines communications font davantage autorité que d’autres. Mais, considérant un article d’une parution scientifique de référence, « la source de celui-ci peut fort bien être la mise en lumière d’une incohérence figurant dans un autre article ou bien la découverte de ce qu’une hypothèse proposée dans une autre communication est susceptible d’être testée grâce à telle ou telle expérience ; ces diverses découvertes, qui ne sont pas imputables à l’observation, constituent également des « sources » au sens où elles nous permettent d’accroître notre savoir ».

    Le rationalisme critique

    Selon Popper l’erreur fondamentale est « de ne pas distinguer assez clairement les problèmes d’origine des problèmes de validité ».

    Le problème de l’origine des sources est donc mal posé par l’empiriste, et même à récuser, car appelant une réponse de nature autoritariste. Il établit d’ailleurs une intéressante analogie avec la traditionnelle question de la théorie politique, elle aussi selon lui mal posée, « Qui doit gouverner ? », qui « appelle des réponses autoritaristes comme « les meilleurs , « les plus sages », « le peuple » ou « la majorité » […] Il faudrait lui substituer une question tout à fait différente : « Comment organiser le fonctionnement des institutions politiques afin de limiter autant que faire se peut l’action nuisible de dirigeants mauvais ou incompétents – qu’il faudrait essayer d’éviter bien que nous ayons toutes les chances d’avoir à les subir quand même ? »

    De la même manière, sur la problématique des sources de la connaissance, au lieu de se demander quelles seraient les meilleures, ou les plus sûres, Popper propose de la reformuler ainsi : « De quelle manière pouvons-nous espérer déceler et éliminer l’erreur ? » Rejoignant ainsi la position fort ancienne de Xénophane . Et la réponse de Karl Popper est de nouveau : par la critique (des théories, des suppositions, y compris les siennes propres si possible). Ce qu’il propose d’appeler « le rationalisme critique » distinct du rationalisme de Descartes ou même de Kant . Il peut prendre la forme d’une assertion provisoire que l’on soumet à une critique aussi rigoureuse que possible et qui peut le cas échéant être réfutée par l’expérimentation. Tout au moins pour ce qui est du domaine scientifique ( plus difficilement historique ).

    Pour conclure son intervention, Karl Popper forme une série de dix thèses qui se basent sur les raisonnements précédents. Nous ne les reprendrons pas ici mais en guise de conclusion de cette présentation nous nous contenterons d’en extraire le point suivant (le sixième) qui nous semble plus fondamental que jamais en ces temps de remise en cause de tout ce qui fonde notre civilisation :

    La connaissance ne saurait s’élaborer à partir de rien – d’une tabula rasa – ni procéder de la seule observation. Les progrès du savoir sont essentiellement la transformation d’un savoir antérieur. Bien que ces progrès soient dus quelquefois, en archéologie par exemple, à un hasard de l’observation, l’importance des découvertes réside habituellement dans leur capacité de modifier nos théories antérieures.

    Karl Popper, Des sources de la connaissance et de l’ignorance , Rivages, novembre 2018, 160 pages.

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      Des idées de cadeaux libéraux pour Noël

      Contrepoints · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 21 December, 2022 - 04:30 · 4 minutes

    Noël arrive à grands pas. Il n’est pas toujours facile de trouver des idées de cadeaux pour les fêtes de fin d’année. Vous voulez offrir à vos proches des cadeaux plus originaux que les traditionnels chaussettes et parfums ? Pas de souci, Contrepoints vous propose quelques idées qui pourrons ravir votre entourage, qu’il soit libéral ou pas. Qu’il s’agisse de livres, de jeux vidéo, de jeux de société ou d’idées de voyages, il est possible de satisfaire tous les goûts.

    Voici donc une sélection de quelques cadeaux qui permettront d’agrémenter vos fêtes, de vous détendre ou encore de développer votre culture générale.

    Des livres d’actualité

    Vaccin Libéral : Contre le despotisme . Contre le populisme de Jacques Garello, JDH, 13 janvier 2022, 124 pages

    De tous côtés, on dénonce le « néolibéralisme » ou l’« ultralibéralisme » comme source de crise économique, d’inégalités sociales, d’impérialisme américain, chinois ou bruxellois. Jacques Garello se propose d’expliquer pourquoi le vaccin n’est toujours ni connu ni compris en France et il présente les vrais principes libéraux et le programme de réformes qu’ils devraient inspirer le plus tôt possible.

    Le Déclin d’un monde : géopolitique des affrontements et des rivalités de Jean-Baptiste Noé, ‎ L’artilleur, 26 octobre 2022, 288 pages

    Issu des recherches et des colloques de la revue Conflits , voici un ouvrage qui souhaite présenter les affrontements et les guerres d’aujourd’hui dans la diversité de leur nature et de leurs déroulements.
    À l’heure de la guerre en Ukraine, la plupart des ouvrages se focalisent soit sur les conflits interétatiques soit sur les conflits asymétriques. Or il existe beaucoup d’autres conflits : guerre économique, terrorisme, guerre du droit, guerre du soft power , disputes autour des grandes routes maritimes de la mondialisation, guerre de l’espace et des armes de rupture, câblages sous-marins, etc.

    Non, l’État ne nous protège plus ! de Simone Wapler, JDH, 20 janvier 2022, 96 pages

    L’État nous protège-t-il contre le crime, l’adversité, les risques sanitaires, le viol de la propriété, la précarité, ou encore la pauvreté ? Le croire c’est choir ! À partir du moment où les individus se sont constitués en société, ils ont consenti à déléguer la justice à la collectivité et ses représentants et non plus à l’assurer eux-mêmes. Dès lors, une protection a été légitimement attendue de l’État. Mais l’État nous a-t-il un jour protégés ? L’évidence à laquelle il faut se rendre, c’est qu’aujourd’hui, les Français attendent plus que jamais cette protection mais ne l’ont plus.

    Des jeux vidéos

    Victoria 2 (2010) et Victoria 3 (2022)

    La série de jeux vidéo Victoria vous met à la tête d’un pays du XIX e siècle à l’époque de la révolution industrielle. Vous aurez à gérer les aspects économique, politique et diplomatique de votre pays pour l’amener à la prospérité.

    Plus axé sur l’économie que les autres jeux du même développeur ( Europe Universalis ou Heart of Iron ), il permet de replonger dans une période historique majeure.

    Un classique qui ravit toutes les générations

    C’est un classique des jeux de société qui plaira à toute la famille et tout type d’entourage : le Monopoly .

    Il en existe désormais des dizaines de versions différentes : version XXL, adaptée à des jeux vidéos ou des dessins animés, électronisées… vous aurez l’embarras du choix pour personnaliser ce cadeau qui traverse les années et se renouvelle sans prendre une ride. Rappelons que le célèbre jeu de société a pour but, à travers l’achat et la vente de propriétés, de ruiner ses adversaires et ainsi parvenir au monopole. De quoi animer vos soirées au coin du sapin !

    Des idées de voyages

    Les États-Unis

    Si vous avez envie de changer d’air et de continent, pourquoi ne pas aller aux États-Unis? Vous pourrez visiter les villes historiques et fondatrices comme Boston et Philadelphie. Sans oublier l’incontournable New-York mais aussi Washington DC. Si vous cherchez davantage la chaleur, la Floride et la Californie pourrons vous ravir.

    La Grèce

    Si vous voulez rester en Europe mais avous rendre dans une destination chaude, la Grèce est une destination idéale. Que ce soit Athènes, lieu de naissance de la démocratie occidentale, ou les îles grecques davantage axées détente, la Grèce ne manque pas d’atout pour les touristes.

    Toujours pas d’inspiration ?

    On a parfois du mal à contenter tout le monde, à trouver la bonne idée, à être original ou tout simplement à être sûr que notre cadeau plaise.

    En cas d’hésitation, on peut toujours laisser la personne choisir elle-même un cadeau. Pourquoi ne pas se laisser tenter par une carte cadeau Amazon ? Les multiples possibilités d’envois et d’échange rendent cette option accessible au plus grand nombre. La personne qui reçoit la carte peut alors commander ce qui lui plait dans l’ensemble de l’offre Amazon. Elle n’aura que l’embarras du choix et recevra son cadeau quelques jours plus tard. Vous ne pouvez pas vous tromper sur ce coup-là !

    Faites-vous plaisir également

    Pour les fêtes de fin d’année, n’oubliez pas de vous faire plaisir. Offrez-vous un peu de liberté avec Contrepoints . Faites un don . Nous le savons, les libertés individuelles et la liberté d’expression sont plus que jamais remises en question. Contrepoints est le seul média qui défend vos idées libérales.
    Pour les résidents fiscaux français, les dons faits à Contrepoints sont déductibles des impôts.

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      La liberté est-elle un projet libéral ?

      Christophe Didier · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 19 December, 2022 - 03:50 · 9 minutes

    Un des principes fondamentaux autour duquel se regroupent les libéraux est celui de la liberté individuelle.

    Il serait donc logiquement en tête des arguments que porterait un candidat libéral à une élection. Ce serait pourtant une assez mauvaise idée.

    Un principe assez difficile à expliquer et à défendre

    On vous renverra souvent les objections suivantes.

    Objection 1 : nous avons déjà la liberté individuelle . C’est vrai, si nous mettons de côté les confinements, contraintes administratives, codes et autres lois qui finalement ne donnent pas l’impression de briser cette liberté. Il suffit d’en parler autour de soi pour constater que la plupart de vos interlocuteurs n’y verront pas beaucoup d’inconvénients. Pas plus tard que ce midi, sur une chaîne de grande écoute (malheureusement), l’idée de couper l’électricité pendant deux heures était présentée comme « pas si grave ». Ce n’est d’ailleurs effectivement pas si grave.

    Objection 2 : si on laisse un totale liberté individuelle , les gens feront n’importe quoi. Cet argument est appuyé par la désormais incontournable preuve par l’exemple devenue tellement utilisée qu’elle a remplacé l’enquête journalistique. Nous avons tous en mémoire des personnes faisant n’importe quoi malgré un cadre que l’on peut qualifier de « très présent », à tout le moins. Ces exemples n’ont pas d’autre objectif que de laisser penser : imaginez ce qui se passerait si nous réduisions les règles ?

    Objection 3 : moi ça va, mais les autres… ce qui sous-entend que le Français moyen n’est pas très malin, il a besoin d’un cadre strict pour vivre, comme un enfant.

    Ces objections sont difficiles à contrer mais il existe un concept plus simple à expliquer et plus intéressant d’un point de vue politique car beaucoup moins flou que celui de la liberté.

    La liberté de choix

    Ce concept est bien plus important qu’il n’y paraît.

    La liberté n’est pas ce que je peux faire ou ne pas faire mais le choix qui s’offre à moi quand je dois prendre une décision.

    Par exemple, vous préférez avoir le choix entre plusieurs médecins ou toujours le même qui vous est imposé, même s’il est mauvais ? Vous préférez choisir un établissement scolaire qui correspond aux attentes de votre enfant ou suivre la carte scolaire décidée… Par qui d’ailleurs ?

    Restons d’abord au niveau du quotidien du citoyen lambda. Ma dernière conversation avec mes amis de gauche portait sur le libéralisme et sa promesse de liberté. Nous sommes en pleine crise énergétique et arrive sur la table le sujet du moment.

    Je cite :

    « Donc, d’après toi, les gens devraient avoir le choix de leur fournisseur d’énergie, d’eau, faire jouer la concurrence ? Pourtant l’eau est absolument indispensable, vitale et de très haute valeur sociétale. Moi je pense, dit mon ami de gauche, que l’eau et l’électricité devraient être un bien public, national, pour lequel tout le monde en France devrait payer le même prix. D’ailleurs, ajoute-t-il, il n’y a aucune raison objective à ce que le prix de l’eau ou de l’électricité soit différent d’une ville à l’autre. »

    Je ne suis pas spécialiste mais il a sûrement raison. Globalement l’adduction et le traitement de l’eau, sauf cas particulier, me paraît être un processus technique reproductible à l’identique à peu près partout et donc facturable au même prix. Mais je laisserai les spécialistes venir éclairer notre lanterne.

    L’intéressant de cette conversation c’est la position libérale face à cette situation. Doit-on laisser l’eau et l’énergie au marché ou les réguler nationalement pour que chacun en profite avec équité et égalité ?

    La liberté de choix permet de répondre à cette question.

    Avons-nous le choix de notre fournisseur d’eau ? Non. Il est impossible de brancher trois fournisseurs d’eau par maison et donc de laisser le choix au consommateur.

    Même pour l’énergie, je ne crois pas que l’on soit un traître à la cause libérale si on décide que le marché de l’électricité n’est pas un marché libre . Les investissements à venir sont gigantesques, complexes à rentabiliser à des tarifs acceptables par tous. Et de toute manière nous obtiendrons un marché qui n’en sera pas vraiment un mais plutôt un partage des capacités de production. Partant du principe que l’électricité ne se stocke pas, difficile d’en faire un marché libre et non contraint.

    Là encore, il n’y aura pas trois boutons à la maison pour chacun des fournisseurs. On se retrouve un peu dans la situation des transports publics théoriquement mis en concurrence mais qui ne sont en fait que délégués pour un temps donné. C’est assez logique d’ailleurs pour les lignes de TER ou les bus, je ne vais pas choisir mon TER entre trois fournisseurs, je prends celui en fonction de mon heure d’arrivée à destination, quel que soit le transporteur. A contrario, si je pars en vacances ou pour un voyage d’affaires aux USA, je peux modifier mes horaires de voyage pour profiter des services d’une compagnie aérienne plutôt qu’une autre. D’ailleurs ce système fonctionne très bien sur la ligne TGV Paris-Lyon. Dans ce cas, l’offre est effectivement équitable et un choix s’offre au client.
    Pour rester sur le dossier énergie, on a laissé le sujet des éoliennes au secteur privé subventionné ce qui est un non-sens industriel. La localisation des éoliennes n’est pas liée à l’offre et la demande mais à la quantité de vent, ce qui en fait une utilité qui doit être implantée là où le vent souffle le plus.

    La liberté de choix offre la liberté au client et au citoyen. Avoir le choix est un des éléments clés de la liberté individuelle. La vocation d’un gouvernement libéral sera de multiplier ces possibilités de choix et de les créer là où objectivement elles apporteront un confort nécessaire ; en redonnant le choix d’accès aux services publics par exemple. Arrêter la marche forcée vers les applications et offrir le choix du présentiel ou du distanciel.

    Trop de choix peut réduire la liberté

    Choisir, c’est faire le choix de la frustration, décider une direction plutôt qu’une autre et donc se priver de certaines possibilités offertes par l’autre solution. Apprendre à gérer ces frustrations, c’est grandir, devenir adulte et devenir libre. Sans ce processus, on reste éternellement insatisfait à moins d’imaginer un monde entièrement débarrassé de toute contrainte.

    Alors un gouvernement libéral devra aussi limiter certains choix.

    Par exemple, la double nationalité : on a une nationalité et pas deux. C’est trop facile de jouer sur les deux tableaux.

    Le pantouflage : un fonctionnaire qui part pour le privé ne redevient pas fonctionnaire et inversement. Un conseiller politique du ministre part définitivement dans le privé. Sans billet retour. Au passage, un gouvernement libéral devra très sérieusement réduire le nombre de ces conseillers, très sérieusement étant un très sérieux euphémisme. Ça règlera le problème du pantouflage, il y aura beaucoup de pantoufles et peu de pieds.

    Autre situation : un entrepreneur qui fait des choix ne peut pas venir réclamer de l’argent à l’État en cas d’erreur. Dans un monde libéral les décisions sont le seul fait des individus qui doivent donc en supporter les conséquences. Le seul moyen de compenser peut être l’assurance privée, pas l’argent du contribuable.

    Pour parvenir à cette possibilité de choix l’éducation doit redevenir une priorité : pas en termes de moyens, car elle est déjà le plus gros budget de la nation mais en termes d’investissement du personnel, d’implication des établissements et de projets innovants. La liberté de décision doit être redonnée aux établissements . Même les classements aux résultats doivent être supprimés car ils conditionnent le comportement. Si l’État fait confiance à ses fonctionnaires pour assurer leur mission, le contrôle peut être réduit très fortement.

    Pour choisir il faut être informé. Le rôle d’un gouvernement libéral n’est pas d’informer ses citoyens mais de garantir que cette information est équitable et disponible.

    Sans le soutien permanent de l’État à « l’information », la recherche d’informations individuelle devient capitale. L’information du citoyen relève de sa propre responsabilité et l’autonomie de décision qu’entraîne l’autonomie de l’information lui redonne cette liberté. Avec les risques que cela comporte mais vivre libre c’est aussi vivre avec le risque de se tromper.

    Cette manière de voir va à l’encontre des deux principaux systèmes actuellement proposés aux Français lors des élections : la social-démocratie macronienne qui propose de protéger les Français et le néocommunisme basé sur la planification d’État.

    D’un côté un État nounou qui occupe le rôle d’adulte que la population souhaite lui déléguer.

    De l’autre un État organisateur qui prend la place des citoyens et les relègue au rang d’exécutant.

    Un État libéral devra redonner le pouvoir de décision au peuple. La période de transition sera longue tant l’opération d’infantilisation a été efficace mais elle est nécessaire. La croyance fondamentalement fausse des régimes dirigistes est de croire et faire croire que la centralisation fonctionne.

    C’est faux. La centralisation fonctionne quand l’objectif et les solutions sont connus, éprouvés et simples. Pour tout le reste, le plus efficace est le bouillonnement créatif de la liberté, l’essai-erreur qui conduit à trouver une solution innovante.

    On parle beaucoup en ce moment de quiet quitting , de démobilisation et de démotivation des Français. Ils seraient les effets des confinements et l’angoisse de la guerre en Ukraine. C’est faux. La démotivation française est l’effet collatéral de l’infantilisation et de la déresponsabilisation. Le retour de la décision individuelle permettra aussi le retour de la motivation.

    Dans tous les cas, laisser la décision à l’individu réduira drastiquement la quantité de lois votées chaque année en réservant le travail législatif aux lois sociétales et en arrêtant d’utiliser le temps de débat pour des questions que chacun pourra prendre en charge.

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      « Liberté et égalité » de Raymond Aron

      Johan Rivalland · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Monday, 5 December, 2022 - 03:50 · 7 minutes

    La liberté et l’égalité sont deux concepts dont on sait à quel point ils sont difficiles à définir et, au-delà, simplement même à appréhender. Les désaccords de fond sont importants. Il s’agit de deux notions très débattues depuis de très nombreux siècles donnant lieu à de très vives oppositions, d’où l’intérêt de s’intéresser à ce que pouvait en dire l’un des grands philosophes français du XX e siècle, Raymond Aron .

    « Des » libertés

    La toute première précision d’importance amenée par le philosophe lors de ce cours dispensé au Collège de France en 1978 est qu’il préfère parler de « libertés », et non de « liberté ». Tout au moins si nous raisonnons en état de société, non plus en état de nature comme le faisaient les philosophes aux XVII e et XVIII e siècles (dont il rappelle quelques-uns des fondements, la liberté politique étant associée par exemple chez Montesquieu à la sûreté mais aussi à la propriété).

    Nous jouissons tous en effet de certaines libertés, pas de toutes les libertés. La célèbre formule de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 qui commence par « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui… » suscite certes spontanément l’adhésion, mais quelle en est sa portée pratique ? Quelques exemples simples lui suffisent à en montrer les limites.

    « Par conséquent, en fait, il me paraît toujours difficile de définir de manière précise ou significative le contenu de la liberté ou des libertés. Selon les sociétés certaines libertés sont considérées comme légitimes et nécessaires et d’autres sont inconnues. Certaines des libertés dont nous jouissons et qui pour nous sont fondamentales ont été considérées comme indifférentes ou étaient inconnues dans d’autres sociétés. Donc, sans prétendre faire une théorie générale des libertés pour toutes les sociétés, j’essaierai ici maintenant de préciser quel est le contenu de nos libertés, dans nos pays démocratiques, prospères et libéraux… qui sont tout cela ou qui voudraient l’être. »

    Les libertés dans les démocraties libérales

    Ce sont celles qui sont reconnues et garanties par les pouvoirs publics, ceux-ci étant chargés d’interdire à ceux qui voudraient nous empêcher de les exercer de le faire. Raymond Aron en distingue quatre catégories (qui se différencient de l’approche alors traditionnelle entre des libertés qualifiées de réelles et des libertés qualifiées de formelles ) :

    Les libertés personnelles

    • la protection des individus, y compris contre les abus de la police et de la justice,
    • la liberté de circulation,
    • les libertés économiques (choix de l’emploi, choix du consommateur, liberté d’entreprise),
    • liberté religieuse, d’opinion, d’expression, de communication.

    Il ne nie évidemment pas le caractère imparfait de ces libertés, dont il montre à la fois les fondements, l’intérêt et les limites. Cependant, il insiste bien sur le fait que non seulement elles ne vont pas de soi, mais elles n’ont pas toujours été reconnues ni ne le sont dans d’autres pays. Par exemple, la liberté de critiquer l’État est possible dès lors que l’on se trouve bien dans un État démocratique, non partisan , c’est-à-dire non perverti par la religion ou l’idéologie.

    Les libertés politiques

    Quoi qu’on puisse en penser, là encore, la possibilité de voter, de protester et de se rassembler sont  tolérablement assurées, ce qui n’est pas non plus le cas en tout temps ou en tout lieu. Autrement dit, même si par exemple la possibilité de voter est davantage symbolique que véritablement réelle du point de vue d’un individu (si on reprend la distinction traditionnelle évoquée plus haut), elle n’en constitue pas moins une forme de rempart potentiel contre le despotisme.

    Les libertés sociales

    Ce sont les libertés d’être soigné, de s’instruire, se syndiquer, former des comités d’entreprise. Il ajoute que le sentiment de liberté pourrait aussi être considéré. Ceci dans la mesure où par exemple beaucoup d’individus ne se sentent pas libres dans un régime qu’ils détestent et dans lequel ils se jugent opprimés et qu’ils estiment injuste. Mais ce sentiment est moins systématique que ne peuvent être les catégories de libertés précédentes. Il dépend généralement des circonstances matérielles et de la représentation de la société des individus concernés. Ce qui a à voir avec l’idéologie de chacun.

    Enjeux philosophiques

    C’est parce qu’il refuse l’établissement d’une hiérarchie entre ces libertés que Raymond Aron préfère parler de libertés que de la Liberté. Ainsi, cette hiérarchisation s’opérait avec le développement du socialisme, au profit notamment des libertés sociales. Et les théories qui en résultaient, à l’image par exemple de la dictature du prolétariat de Karl Marx , dont les dérives soviétiques et la nomenklatura opéraient une remise en cause d’autre formes de libertés , en particulier personnelles, à l’encontre de ce que souhaitait Marx lui-même. À tel point qu’une plaisanterie connue dans le monde soviétique était :

    « La différence entre le capitalisme et le socialisme ? Dans un cas c’est l’exploitation de l’homme par l’homme, dans l’autre, c’est l’inverse. »

    En somme, « les sociétés dans lesquelles nous vivons ne garantissent pas toute la liberté souhaitable, mais évitent les formes extrêmes de privation de libertés que nous avons connues à travers ce siècle » .

    De plus, en conformité avec les principes libéraux, la garantie de la légalité du pouvoir peut conduire le pouvoir judiciaire à écarter un membre du pouvoir exécutif, comme dans le cas de Richard Nixon aux États-Unis, même si Raymond Aron se dit bien conscient que cette légalité n’est pas toujours maintenue dans nos régimes.

    La confusion entre liberté et égalité

    Malgré cette relative reconnaissance des libertés, le débat n’en reste pas moins ouvert :

    « Plus nous sommes amenés à définir la liberté par la capacité ou le pouvoir de faire, plus l’inégalité nous paraît inacceptable. Ou encore, dans la mesure où l’on tend à confondre de plus en plus liberté et égalité, toute forme d’inégalité devient une violation de la liberté. »

    Ainsi, beaucoup considèrent que ceux qui ont davantage de moyens ou sont en haut de la hiérarchie sociale sont plus libres que les autres. Ce qui s’écarte du sens strict et rigoureux de la liberté, fondée sur l’égalité des droits .

    De même, nous dit-il au moment où il prononce ce discours, le libéralisme et la société existante semblent rejetés radicalement par une partie de la jeune génération et des jeunes philosophes de l’époque qui rejettent le pouvoir sous toutes ses formes, se réclamant de l’autogestion ou de l’anarchie, ou encore de communautés fraternelles et pacifiques , à l’image des hippies refusant la compétition ou la solitude .

    Il écrit ensuite qu’il existe une tradition philosophique selon laquelle la liberté authentique est la maîtrise de la raison ou de la volonté sur les passions. En ce sens, la liberté politique aurait pour objectif de créer des hommes libres , ce qui ne pourrait se concevoir qu’en acceptant les lois de la société . Le civisme est une partie de la moralité et donc de la formation d’hommes libres.

    Or, selon lui, les démocraties libérales connaissent une crise morale, la société hédoniste de recherche des désirs ayant remplacé l’idéal de recherche des vertus et le sens des devoirs. Pour autant, Raymond Aron dit qu’il n’oublie pas que ces discussions sont étroitement occidentales , celles de sociétés privilégiées et que quelles que soient leurs imperfections et les critiques que l’on peut émettre à leur endroit, l’existence d’un débat permanent et d’un conflit pacifique demeurent une exception heureuse au regard de l’histoire.

    Raymond Aron, Liberté et égalité – Cours au Collège de France , éditions de l’EHESS, octobre 2013, 61 pages.

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      Le flicage des salariés en télétravail, 3e motif de plainte auprès de la Cnil

      news.movim.eu / HuffingtonPost · Wednesday, 11 May, 2022 - 09:16 · 2 minutes

    La surveillance des salariés (notamment en télétravail), 3e motif de plainte auprès de la Cnil La surveillance des salariés (notamment en télétravail), 3e motif de plainte auprès de la Cnil

    TRAVAIL - Le développement du télétravail s’accompagne-t-il d’une surveillance accrue des salariés? Dans son dernier rapport annuel, dévoilé par Franceinfo , la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), met en garde les employeurs contre certaines dérives au sein des entreprises et à distance.

    “Il s’agit pour nous de concilier le droit de l’employeur de contrôler l’activité de son salarié” et le droit à la vie privée de dernier, a indiqué la présidente de la Cnil Marie-Laure Denis, ce mercredi 11 mai sur Franceinfo . Pour cause, la surveillance des salariés -en télétravail et au sein de l’entreprise, via vidéosurveillance notamment- est “le troisième motif de plaintes” après les plaintes contre internet et les télécoms, et celles concernant les pratiques commerciales, sur les “14.000″ reçues chaque année par la Cnil, explique-t-elle.

    Selon la Cnil , “83 % des plaintes reçues en 2021 relatives à la surveillance des salariés concernaient des dispositifs de vidéosurveillance au travail”. Marie-Laure Denis fait également état de cas “d’enregistreurs de frappe sur le clavier” pour surveiller l’activité des salariés à distance.

    Dans son rapport , l’instance relève qu’une grande partie de ces plaintes “visent des entreprises de taille réduite qui ne disposent ni d’un service juridique ni du soutien d’un délégué à la protection des données”.

    Les employeurs risquent des mises en demeure et des sanctions

    “On ne peut pas tout faire et avoir une surveillance permanente des salariés”, explicite Marie-Laure Denis, qui rappelle qu’un employeur “ne peut pas [les] obliger à être en visioconférence ou à avoir une caméra allumée toute la journée”.

    En parallèle, elle déclare que le salarié ne peut pas refuser d’allumer sa caméra dans certaines circonstances telles qu’“un entretien RH”, “un rendez-vous avec un client” ou encore “l’accueil de nouveaux salariés au sein de l’entreprise”, tout en demandant aux entreprises de donner la possibilité “de flouter” l’arrière-plan.

    En février, la CNIL assurait qu’il était “aujourd’hui nécessaire de vérifier sur le terrain la conformité des pratiques des employeurs”. En cas de non-respect de la loi et du règlement général sur la protection des données (RGPD), l’instance indique sur son site que les employeurs risquent des mises en demeure et des sanctions, qui peuvent être financières.

    À voir également sur Le HuffPost: Du télétravail accroché à une falaise, le bureau insolite de cet Écossais

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      Clean Insights – Collecter éthiquement de la donnée sur vos utilisateurs

      news.movim.eu / Korben · Sunday, 8 May, 2022 - 07:00 · 1 minute

    Lorsqu’on crée un site web ou une application mobile, il nous faut de la donnée… Et oui, il faut pouvoir collecter un peu de données pour comprendre comment nos clients et nos utilisateurs se comportent dessus.

    Seulement, voilà, ce n’est pas simple à faire soi-même alors la plupart des développeurs se tournent vers des solutions commerciales qui exploitent allégrement les données personnelles des utilisateurs.

    Toutefois, si vous êtes un dev avec un peu d’éthique, il est possible d’implémenter Clean Insights qui offre des SDK et des outils basés sur Matomo pour avoir de la donnée anonymisée et sécurisée.

    Cela vous permettra de mesurer et de connaître les habitudes d’utilisation de votre service ou application sans toutefois mettre en place une surveillance invasive de vos users. Clean Insights collecte le minimum d’informations, avec une fréquence la plus réduite possible et en la diluant un maximum. Cela signifie que plutôt que de collecter la ville de l’utilisateur, on va simplement collecter sa région.

    Le lien entre les données et l’individu est également rompu dès la collecter en y ajoutant du bruit. Ainsi, les individus ne peuvent être reliés aux informations collectées après coup.

    Évidemment, tout est transparent dans leur initiative et le projet est sérieusement soutenu par The Guardian Project. C’est d’ailleurs le système d’analyse utilisé par F-Droid et Mailvelope .

    https://upload.movim.eu/files/7b4a27eed4cd52381dd25ae94920402e838b41d3/ue4mcLTAjsCF/SNU.jpg

    4 pages #antimilitariste de la #CNT #Éducation

    http://www.cnt-f.org/cnt31/spip.php?article1256

    Non au #SNU ! #Armée hors de nos #école.

    “L’armée représente l’antithèse de ce que nous souhaitons comme éducation. En réclamant l’obéissance inconditionnelle des ses soldats (avant celle de l’ensemble des citoyens avec la notion de défense globale), elle est une vaste entreprise de soumission à l’autorité et de décervelage. Elle est donc un obstacle majeur à l’ #émancipation que nous souhaitons développer en tant qu’éducatrices et éducateurs.”

    #antimilitarisme #police #guerre #pédagogie #émancipation #lutte #enfant #enfance #adolescence #liberté #entraide #lutte #social #société #capitalisme #État #syndicalisme #Toulouse