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      Intégration de la Suède et de la Finlande à l’OTAN : l’envers du décor

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Saturday, 22 April, 2023 - 15:09 · 14 minutes

    Sans véritable discussion dans la presse et au parlement, sans opposition organisée, la Finlande a rejoint l’OTAN depuis le 4 avril, et la Suède est en bonne voie pour lui emboîter le pas. Alors que la Suède avait soumis au vote populaire l’adhésion à l’Union européenne et à la zone euro, elle n’a pas même envisagé d’organiser un référendum sur l’OTAN. Comme une évidence. Il s’agit pourtant d’une rupture historique avec des décennies de neutralité. Et pour la Suède, d’un rejet définitif d’une tradition de non-alignement actif. Ce consensus au sein des élites s’explique – si l’on met de côté les intérêts économiques de l’industrie de l’armement – par le signal envoyé aux marchés. En rejoignant l’OTAN, la Suède et la Finlande promettent d’enterrer pour de bon leur modèle social-démocrate. Article de Lily Lynch publié sur la New Left Review , traduit pour LVSL par Piera Simon-Chaix .

    Depuis l’invasion de l’Ukraine on lit partout – et jusqu’à l’outrance – une citation de Desmond Tutu : « si vous êtes neutres dans les situations d’injustice, c’est que vous êtes du côté de l’oppresseur ». Dans de nombreux sommets , cette phrase a été mobilisée afin d’enjoindre les États à abandonner leur neutralité et à s’aligner derrière l’OTAN. Peu importe que « l’oppresseur » auquel Desmond Tutu faisait référence ait pu être l’Apartheid sud-africain – un régime dont on oublie un peu vite qu’il avait été soutenu par l’Alliance militaire atlantique. Mais la période actuelle, en Russie comme en Occident, semble être caractérise par une amnésie constamment réalimentée.

    La Finlande et la Suède ont fait le choix de renier leur politique de neutralité, observée de longue date. L’adhésion à l’OTAN de la Finlande (depuis le 4 avril 2023) et de la Suède (en cours) peut être qualifiée avec exactitude d’ historique . La Finlande maintenait sa neutralité depuis sa défaite face à l’Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale, suite à laquelle elle avait signé, en 1948, un traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle. La Suède, pour sa part, avait mené d’innombrables guerres contre la Russie entre le seizième et le dix-huitième siècle, mais s’était arrangée pour se tenir éloignée des conflits postérieurs à 1814. Adhérer à l’OTAN équivaut à rejeter une tradition centenaire qui a contribué à définir l’identité nationale de ce pays.

    La couverture médiatique de la campagne pour l’adhésion à l’OTAN a été euphorique. Si, en Suède, un débat virulent quoique limité a eu lieu, en Finlande les voix discordantes n’ont eu aucune place. Alors que le pays demandait son adhésion à l’OTAN, la Une du journal le plus lu de Finlande, Helsingin Sanomat , présentait l’image de deux silhouettes bleues et blanches (les couleurs de la Finlande) embarquées dans un drakkar et se propulsant à la rame vers un horizon illuminé, où s’élève, tel un soleil, l’étoile à quatre branches de l’OTAN. L’embarcation en bois laisse derrière elle une structure sombre qui la domine, ornée d’une étoile rouge. Impossible d’être plus clair… sauf peut-être si l’on consulte l’édition en ligne du grand quotidien suédois Dagens Nyheter , qui affichait au même moment des pop ups de l’emblème de l’OTAN se transformant en signe de paix…

    Les termes du débat médiatique étant ainsi posés, il n’est pas surprenant que le soutien à l’adhésion à l’OTAN ait été si important : il était d’environ 60 % en Suède et 75 % en Finlande lorsque ces pays l’ont requise. Néanmoins, un regard plus attentif porté sur les segments démographiques révèle quelques fissures dans ce récit.

    Pour la presse atlantiste, « la question de l’OTAN » reflète une évolution générationnelle : les « jeunes » seraient davantage favorables à l’adhésion, par opposition à leurs parents qui seraient, semble-t-il, seraient désespérément attachés à une position démodée de non-alignement. « Fermement opposée, il y a à peine quelques semaines, à un quelconque premier pas en direction de l’OTAN », écrivait l’ancien premier ministre suédois devenu un groupie des think-tanks libéraux, Carl Bildt, « [la classe politique] est confrontée à une compétition opposant une génération plus âgée à une autre plus jeune, qui pose sur le monde un regard plus frais. »

    En réalité, c’est strictement l’inverse que l’on observe : en Suède, le segment démographique le plus opposé à l’adhésion est celui des jeunes hommes de 18 à 29 ans. Nulle surprise à cela : il s’agit de la tranche de la population qui serait appelée à participer à toute éventuelle excursion militaire !

    Certains des plus ardents défenseurs de l’OTAN se trouvent parmi les dirigeants d’entreprises. En avril 2022, le président finnois organisait une « réunion secrète sur l’OTAN » à Helsinki. Parmi les personnes conviées, le milliardaire suédois Jacob Wallenberg – dont les holdings familiaux cumulés équivalent à un tiers du marché boursier de son pays.

    Contrairement au présupposé selon lequel l’agression russe aurait induit un consensus en faveur de l’OTAN en Suède, des voix discordantes ont vu le jour. Le 23 mars 2022, à la suite de l’invasion de l’Ukraine, 44 % des jeunes interrogés étaient favorables à l’adhésion et 21 % défavorables. Deux mois plus tard, 43 % d’entre eux se prononçaient toujours pour une entrée dans l’OTAN, tandis que 32 % s’y opposaient désormais – une augmentation non négligeable.

    En Finlande, les enquêtes d’opinion allaient dans le même sens. Un sondage du Helsingin Sanomat décrit le partisan-type de l’OTAN comme une personne éduquée, d’âge moyen ou plus, de sexe masculin, cadre, d’un salaire d’au moins 85 000 € par an et votant à droite, alors que l’opposant-type a moins de 30 ans, est travailleur ou étudiant, gagne moins de 20 000 € par an et se situe à gauche.

    Certains des plus ardents défenseurs de l’adhésion à l’OTAN se trouvent parmi les dirigeants d’entreprises suédois et finlandais. En avril 2022, le président finnois Sauli Niinistö organisait une « réunion secrète sur l’OTAN » à Helsinki. Parmi les personnes conviées, on pouvait compter le ministre des Finances suédois Mikael Damberg, des représentants militaires de haut rang et des personnalités influentes des milieux entrepreneuriaux suédois et finlandais. On pouvait y croiser le milliardaire suédois Jacob Wallenberg, dont les holdings familiaux cumulés constituent jusqu’à un tiers du marché boursier de son pays. Il participe régulièrement aux conférences Bilderberg – institution élitaire dédiée à la diffusion de la bonne parole atlantiste et néolibérale. C’est sans surprises que de tous les entrepreneurs présents, Wallenberg ait été l’un des plus fervents partisans de l’OTAN. .

    Au cours des semaines qui ont précédé la demande suédoise d’adhésion à l’OTAN, le Financial Times prédisait que les prises de position de la dynastie Wallenberg allaient « peser lourdement » sur le parti social-démocrate au pouvoir – sur lequel elle exercerait une influence considérable.

    Au sommet d’Helsinki, les personnalités officielles du gouvernement suédois ont été averties que leur pays allait devenir moins attractif pour les capitaux étrangers s’il demeurait « le seul État d’Europe du Nord à ne pas adhérer à l’OTAN ». Une telle prophétie, associée à des avances notables de la Finlande, a joué un rôle décisif dans la décision du ministre de la Défense Peter Hultqvist de changer son fusil d’épaule et de pencher en faveur de l’Alliance. Le journal suédois l’ Expression a affirmé que la réunion laissait transparaître une mainmise du milieu affairiste bien plus importante qu’imaginée auparavant sur les décisions prises en matière de politique extérieure.

    Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les entreprises sont aussi investies. Le géant suédois de l’industrie de la défense, Saab, s’attend à tirer des profits considérables de l’adhésion à l’OTAN. L’entreprise, dont la famille Wallenberg est actionnaire majoritaire, a vu le prix de ses parts doubler depuis l’invasion russe. Son PDG Micael Johansson a ouvertement affirmé que l’adhésion de la Suède à l’OTAN ouvrirait de nouvelles possibilités pour Saab dans les domaines des missiles de défense et de la surveillance. L’entreprise s’attend à des gains faramineux, dans un contexte où les Européens augmentent leurs dépenses de défense – le rapport du premier trimestre révèle que les bénéfices d’exploitation ont déjà augmenté de 10 % par rapport à l’année précédente.

    Les médias ont fréquemment affirmé que l’adhésion de la Finlande et de la Suède signifierait que ces pays rejoindraient enfin « l’Occident ». Une telle rhétorique n’a rien de nouveau. Peu de temps avant l’adhésion du Monténégro à l’Alliance, le Premier ministre Milo Đukanović avait affirmé que le clivage était « civilisationnel et culturel ».

    L’influence considérable exercée par les dirigeants d’entreprise sur la question de l’OTAN contraste avec celle du public lambda. Même si la Suède a tenu un référendum sur chaque décision importante prise au cours de son histoire récente — adhésion à l’UE, adoption de l’euro –, aucune consultation des citoyens sur la question de l’OTAN n’est prévue. La personnalité politique la plus en vue à avoir appelé à un vote était la dirigeante du parti de gauche Nooshi Dadgostar, mais sa proposition a été courtoisement enterrée. Le gouvernement, qui craignait un rejet de l’adhésion à l’OTAN une fois calmée l’hystérie qui entoure la guerre, a donc opté pour une forme de « stratégie du choc », imposant ses ambitions politiques à une période où l’Ukraine faisait encore les gros titres.

    En Finlande, cependant, l’OTAN a rencontré peu d’opposition au sein du grand public. La fibre nationaliste a été sollicitée, et les opposants à l’adhésion accusés de négliger la sécurité du pays. C’est ainsi que le Parlement a voté à une écrasante majorité en faveur de l’adhésion en mai 2022, avec 188 parlementaires favorables et seulement 8 opposants. Parmi les huit irréductibles, l’un d’entre eux est membre du parti populiste de droite Finns, un autre est un ancien membre de ce même parti, et les six restants font partie de l’alliance de gauche. Les dix autres députés de l’alliance de gauche ont cependant voté en faveur de l’adhésion. L’un des représentants du parti est même allé jusqu’à proposer une nouvelle législation qui criminaliserait les tentatives d’influencer l’opinion publique en faveur d’une puissance étrangère : un précédent qui pourrait théoriquement entraîner des poursuites pour toute critique à l’encontre de l’OTAN.

    Recep Tayyip Erdoğan a mis un coup de frein dans cette course effrénée. En accusant la Suède et la Finlande d’être des « incubateurs » de la terreur kurde, le président turc est parvenu à ralentit le processus d’adhésion de la première – mais a fini par lâcher du lest sur la seconde (l’adhésion à l’Alliance nécessite l’approbation unanime de tous les États membres). En cause : le refus de la Finlande et de la Suède d’extrader 33 membres du PKK et du mouvement güleniste, ce dernier étant accusé d’avoir fomenté en 2016 un coup d’État sanglant. Il a également exigé que la Suède lève son embargo sur les armes, imposé en réaction aux incursions turques en Syrie en 2019.

    La question kurde a réémergé sur la scène politique suédoise. Lorsque les sociaux-démocrates ont perdu leur majorité parlementaire en 2021, la Première ministre Magdalena Andersson s’est trouvée contrainte de négocier directement avec une parlementaire kurde, ancienne combattante des Peshmergas, Amineh Kakabaveh, dont le vote allait décider du sort du gouvernement. En échange de son soutien, Kakabaveh avait demandé à ce que la Suède accorde son soutien aux YPG en Syrie, ce qui avait été accepté. En 2022, Kakbaveh avait flétri ce « renoncement » face à Erdoğan et menacé de retirer son soutien au gouvernement.

    Aucune personnalité n’avait incarné la solidarité internationale des sociaux-démocrates suédois comme le premier ministre Olof Palme. Des photographies le montrent en train de fumer un cigare aux côtés de Fidel Castro, et il est demeuré dans les mémoires pour avoir fustigé le bombardement de l’armée américaine sur Hanoï et Haiphong – les comparant à « Guernica, Ordaour, Babi Yar, Katyn, Lidice, Sharpeville [et] Treblinka ».

    Nombreux sont ceux qui craignent que le gouvernement passe un accord privé avec Erdoğan, dont un échange de militants kurdes et de dissidents turcs contre la levée du veto à l’adhésion pourraient constituer les termes. Dans le même temps, le président croate, Zoran Milanović, avait fait preuve d’une audace croissante, soulevant un nouvel obstacle quoique de moindre importance : il promettait de bloquer l’adhésion de la Suède et de la Finlande à moins d’un changement de la loi électorale de Bosnie-et-Herzégovine, en vue de mieux représenter les Bosniens croates…

    Les médias de ces pays, reconduisant une rhétorique de « choc des civilisations » digne de Samuel Huntington, ont fréquemment affirmé que l’adhésion de la Finlande et de la Suède signifierait que ces pays rejoindraient enfin « l’Occident ». Une telle rhétorique n’a rien de nouveau. Peu de temps avant l’adhésion du Monténégro à l’Alliance, en 2007, le Premier ministre Milo Đukanović, avait affirmé que le clivage n’était pas centré autour de l’OTAN, mais d’enjeux « civilisationnels et culturels ».

    Il est néanmoins curieux – et révélateur – de retrouver un même orientalisme en Scandinavie. Un commentateur marqué à gauche avait alors écrit qu’en rejoignant l’OTAN, la Suède devenait enfin « un pays occidental normal », avant de se questionner sur une éventuelle abolition, par le gouvernement, du Systembolaget , le monopole d’État sur l’alcool. On comprend ainsi ce que « rejoindre l’Occident » signifie réellement : se lier à un bloc dirigé par les États-Unis et dissoudre de manière incrémentale les institutions socialistes qui demeurent – un processus déjà entamé depuis des décennies.

    L’abandon du principe de neutralité s’inscrit dans une évolution de la signification de l’ internationalisme , en particulier pour la gauche des pays nordiques. Au cours de la Guerre froide, les sociaux-démocrates suédois défendaient un principe de solidarité internationale à travers leur soutien aux mouvements de libération nationale. Aucune personnalité n’avait incarné cette approche comme Olof Palme, que des photographies montrent en train de fumer un cigare aux côtés de Fidel Castro, et qui est demeuré dans les mémoires pour avoir fustigé le bombardement de l’armée américaine sur Hanoï et Haiphong – les comparant à « Guernica, Ordaour, Babi Yar, Katyn, Lidice, Sharpeville [et] Treblinka ».

    À l’époque de l’effondrement de la Yougoslavie, dans les années 1990, cet « internationalisme actif » a été reconceptualisé en rien de moins que la « responsabilité de protéger » mise en avant par l’OTAN. En vertu de cette logique, l’ancien clivage entre pays exploiteurs et exploités a été remplacé par une nouvelle ligne de fracture, entre États « démocrates » et « autocrates ».

    Pour autant, davantage que cet « internationalisme » dévoyé, c’est la « menace russe » qui a été agitée pour convaincre les populations de rejoindre l’OTAN. Bien que la Russie soit en difficulté face à un adversaire bien plus faible que la Suède et la Finlande, et qu’elle s’avère incapable de tenir la capitale avec des troupes ayant subi de lourdes pertes, elle constituerait une menace imminente pour Stockholm et Helsinki.

    Ainsi, dans ce climat de psychose, les menaces – sans doute plus concrètes – à l’encontre des systèmes sociaux nordiques que représenterait une adhésion à l’OTAN ont été ignorées : disparition de l’État-providence, privatisation et la marchandisation de l’éducation, accroissement des inégalités et affaissement du système de santé universel. Dans leur course pour s’aligner sur « l’Occident », les gouvernements suédois et finlandais ont fait montre de bien moins d’empressement pour remédier à de telles crises sociales…

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      Finlande : une nouvelle ère ?

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 21 April, 2023 - 02:50 · 8 minutes

    Par Cyrille Bret.

    L’année qui vient de s’écouler a propulsé la Finlande à une place qu’elle évite d’ordinaire : l’avant-scène de la politique européenne.

    En quelques jours, du 2 au 4 avril 2023, la République nordique est sortie de sa discrétion coutumière : lors des élections législatives, elle a changé de majorité au Parlement et remplacé au poste de Premier ministre la sociale-démocrate Sanna Marin, au pouvoir depuis fin 2019 à la tête d’une coalition de centre gauche, par le conservateur Petteri Orpo, chef du parti de droite Coalition nationale.

    Le surlendemain, la Finlande a officiellement rejoint l’OTAN , devenant ainsi le 31 e membre de l’Alliance et aussi celui qui possède, de loin, la plus longue frontière commune avec la Russie (1340 km), ce qui, dans le contexte actuel constitue un enjeu majeur pour la protection des frontières externes de l’UE et de l’Alliance : la zone de contact OTAN-Russie double en longueur , passant de 6 % à 12 % des frontières de la Russie.

    La double décision de tourner la page du gouvernement Sanna Marin, très visible en Europe depuis le début de l’invasion de l’Ukraine et surtout de rompre avec 75 ans de neutralité a placé ce pays de 5,2 millions d’habitants au centre de l’attention internationale.

    Après une année 2022 très intense, 2023 sera-t-elle celle d’un tournant historique, qui fera d’Helsinki un centre de gravité politique et stratégique pour l’UE et l’OTAN ? La Finlande cherchera-t-elle à peser davantage en Europe ou bien reviendra-t-elle à une politique nationale plus introvertie ?

    L’entrée dans l’OTAN, une rupture géopolitique majeure

    La primature de la trentenaire Sanna Marin a connu une dernière phase très active et très médiatisée en Europe.

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    Dès l’hiver 2021, elle a adopté une posture extrêmement ferme à l’égard de la Russie, se plaçant à l’avant-garde stratégique de l’UE aux côtés des États baltes (en particulier l’Estonie de Kaja Kallas ) et de la Pologne de Mateusz Moraviecki.

    La position du gouvernement Marin n’a pas manqué de panache : on l’a dit, le pays partage une très longue frontière terrestre avec son puissant voisin ; il est confronté depuis une décennie à des incursions russes dans ses espaces aérien, terrestre, maritime et cyber ; ses eaux territoriales se trouvent à proximité immédiate de la Flotte de la mer Baltique basée à Kronstadt et Saint-Pétersbourg. Et surtout, en entrant dans l’OTAN, la Finlande sort de sept décennies et demie marquées par la « finlandisation » ( horresco referens à Helsinki), cette politique de neutralité que lui avait imposée l’URSS en 1948 , quatre ans après sa défaite dans la Guerre de continuation qui l’avait privée d’une de ses régions historiques, la Carélie, annexée par l’URSS et appartenant aujourd’hui à la Russie.

    La Finlande devient le 31ᵉ membre de l’OTAN • France 24, 7 avril 2023.

    L’adhésion à l’OTAN constitue une rupture majeure pour le pays : le voici désormais protégé par l’Article 5 , dit d’assistance mutuelle, du Traité de l’Atlantique nord, et engagé dans un processus de remilitarisation significatif.

    Il entend se séparer physiquement de la Russie par un mur dans la partie la plus vulnérable de sa frontière . Ce mur a une portée politique et symbolique tout autant que militaire. En effet, la Finlande redoute de subir une instrumentalisation des migrants semblable à celle mise en œuvre en 2021 par la Biélorussie pour faire pression sur la Pologne . Elle entend également marquer aux yeux de Moscou l’inviolabilité physique de cette frontière pour éviter les « grignotages territoriaux » que l’on constate en Géorgie depuis 2008. L’intérêt strictement militaire du mur est plus limité : la progression de troupes russes serait ralentie mais pas stoppée.

    En quatre ans, une évolution rapide sous l’effet de la guerre en Ukraine

    La rupture extérieure s’appuie sur une évolution politique intérieure.

    Qu’on mesure le contraste entre la Finlande de 2019 et celle de 2023 : la campagne électorale des législatives du 14 avril 2019 avait été centrée sur des problématiques internes, comme la réforme du système de santé, la lutte contre le chômage et les controverses sur le multiculturalisme nourries par le nationaliste Parti des Finlandais . Et la présidence finlandaise de l’UE (second semestre 2019) avait placé au premier plan la transparence des institutions européennes et la protection du climat, sous l’égide du très consensuel slogan « Europe durable – avenir durable ».

    Le contraste est saisissant quatre ans plus tard : la Finlande de 2023 s’est affirmée comme l’un des acteurs majeurs de la réponse européenne à l’agression russe contre l’Ukraine. Elle a transféré à cette dernière pour 760 millions d’euros d’équipements militaires et a constamment milité pour l’adoption de sanctions plus dures contre la Russie. Ses entreprises, longtemps en symbiose avec le voisin russe, se désengagent . Alors que la candidature du pays à l’OTAN avait longtemps divisé les Finlandais, l’agression de l’Ukraine par la Russie a rallié une large majorité d’habitants à cette option. Si bien que durant la campagne les débats sur la Russie, l’Ukraine et l’OTAN ont eu un impact limité car un consensus transpartisan s’est instauré sur ces sujets . Même le Parti des Finlandais, hostile à une adhésion à l’OTAN depuis sa création, s’est rallié à l’atlantisme.

    C’est dans ce contexte que les électeurs ont rétrogradé les Sociaux-Démocrates à la troisième place en sièges au Parlement (43 sièges) tout en leur confiant trois sièges de plus que lors de l’élection législative de 2019, derrière les conservateurs (48 sièges, soit un gain de dix sièges) et derrière le Parti des Finlandais (46 sièges, soit un gain de sept sièges).

    La défaite de Sanna Marin est à relativiser dans sa portée géopolitique : les Finlandais n’ont pas rejeté la ligne atlantiste de son gouvernement, partagée par son successeur Petteri Orpo, qui doit plutôt sa victoire au scepticisme de la population sur les ambitieux projets d’investissements publics du gouvernement sortant.

    À l’issue d’une année de guerre en Ukraine et de campagne électorale, la Finlande n’est plus un nain politique condamné à la discrétion par sa position géographique. Elle a diffusé sa vision de la géopolitique européenne en affirmant que la neutralité avait cessé d’être une assurance-vie pour devenir une vulnérabilité . Est-ce à dire que l’Union doit désormais se préparer à l’émergence d’un nouveau poids lourd politique en son sein ? Pas nécessairement. En réalité, bien des signes laissent penser qu’un « retour à la normale » – c’est-à-dire à une posture plus discrète – s’annonce à Helsinki.

    Vers un « retour à la normale » ?

    Sur le plan international, après la procédure d’adhésion à l’OTAN, marquée par d’âpres négociations avec la Turquie , dernier pays de l’Alliance à donner son feu vert à l’adhésion d’Helsinki, la Finlande va tout faire pour montrer qu’elle reprend le fil de sa doctrine de sécurité nationale traditionnelle.

    Adhérente depuis 1994 au Partenariat Pour la Paix lancé par l’OTAN, elle a participé chaque année depuis cette date à des exercices militaires avec les Alliés en Baltique ( BALTOPS ). Son effort de défense – c’est-à-dire le rapport entre son budget militaire et le PIB – va assurément croître ; mais la Finlande rappelle régulièrement qu’elle n’a jamais désarmé pour engranger les « dividendes de la paix » : même avant d’intégrer l’OTAN, elle avait conservé des effectifs consistants et effectué des acquisitions militaires ambitieuses , entretenant également une Base industrielle et technologique de défense (BITD) dotée de fleurons tels que Patria .

    Autrement dit, par son entrée dans l’OTAN, elle rompt avec une « finlandisation » qu’elle a toujours récusée… mais au sein de l’Alliance, elle adoptera un profil bas, soulignant la continuité entre le Partenariat pour la paix et l’adhésion pleine et entière à l’Alliance, de façon à ne pas attiser la réaction russe . Celle-ci ne s’est pas fait attendre : Moscou a déclaré qu’elle accentuerait son effort militaire dans la zone de contact avec la Finlande et souligné que la Finlande devait d’attendre à supporter les conséquences de son choix.

    La ligne pro-ukrainienne de Sanna Marin ne sera pas remise en cause mais Petteri Orpo se concentrera avant tout sur les questions intérieures . La formation du nouveau gouvernement s’annonce déjà ardue , si bien que le pays retournera dans les prochaines semaines à une politique partisane très classique, se montrant moins présent sur la scène politique internationale .

    En somme, après une longue année d’extraversion contrainte, la Finlande semble tentée par un retour à sa discrétion politique coutumière et à ses préoccupations internes. La tentation du « pour vivre heureux, vivons cachés » est souvent forte à Helsinki. Les révolutions politiques y semblent immédiatement tempérées par une tendance à l’introversion… Mais en renonçant à sa neutralité et en rejoignant l’Alliance atlantique au moment où celle-ci est aux prises avec son puissant et belliqueux voisin russe, la Finlande a franchi un Rubicon : même si Helsinki cherche désormais à adopter une posture plutôt apaisante envers la Russie, le « pays des mille lacs » sait que plus rien ne sera comme avant.

    Cyrille Bret , Géopoliticien, Sciences Po

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’ article original .

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      L’OTAN sort 1 milliard d’euros pour devenir un gros investisseur de la tech européenne

      news.movim.eu / Numerama · Thursday, 6 April, 2023 - 16:26

    L'OTAN accélère son grand projet d'investissement dans les startups. Les premières rencontres sont en cours dans tous les pays membres. Les premiers financements devraient débarquer en Europe courant 2023. [Lire la suite]

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      Livraisons de gaz : la Norvège affirme son statut de nouveau maitre de l'Europe

      eyome · Friday, 17 March, 2023 - 19:46

    Hu hu hu...

    Notez le nom du gisement : "Troll"

    Et là, attention, vous n'êtes pas prêts :

    Les infrastructures sont vulnérables, comme l'a démontré le sabotage en septembre 2022 dans la mer Baltique du gazoduc Nord Stream. Tirant les leçons de ce troublant épisode, l'Otan et l'UE ont mis en place un groupe de travail visant à renforcer la protection de leurs infrastructures essentielles.

    Des fous rires pareils, ils devraient être remboursés par la Sécu.

    #France, #Politique, #Fr, #Ukraine, #Russie, #OTAN, #TrollDeCompet

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      Les poutiniens et leur scabreux retour à la réalité

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Tuesday, 7 March, 2023 - 03:50 · 15 minutes

    L’un après l’autre, les mensonges sont exposés, les mauvais prétextes démontés, et les poutiniens se retrouvent face à la réalité. La Russie n’est pas une hyperpuissance, juste un gros acteur régional. Et l’OTAN jamais n’a été une menace pour la Russie, la preuve en est apportée aujourd’hui. Ce double déni de réalité des poutiniens a coûté aux Russes au moins une génération de retard dans leur épanouissement culturel et économique.

    Si tous les autocrates étaient vénaux, ils tueraient moins. Ils se laisseraient acheter. Les pires gouvernants ne sont pas les kleptocrates, mais les sincères, les honnêtes, ceux qui ont la foi et sont persuadés de faire le bien, car la conscience morale ne voit pas de crimes dans les actes perpétrés pour la bonne cause. Le président Poutine est de ceux-là. Il accomplit une mission. S’il posait les problèmes en termes d’intérêt, on pourrait négocier. Mais on ne marchande pas avec ceux que le destin a chargés d’un devoir historique.

    Quelle est cette mission poutinienne ?

    L’homme l’a décrite lui-même dans plusieurs interventions, et pour prendre parmi les plus récentes, son adresse à la nation du 24 février 2022, le jour de l’agression contre l’Ukraine, et celle au forum de Valdai (« le Davos des autocrates »), le 28 octobre 2022.

    Deux objectifs ressortent clairement de ces déclarations :

    1. Redonner à la Russie la coprésidence du monde qu’elle exerçait à l’époque soviétique avec les USA. Ou au moins, siéger dans un triumvirat qui inclurait la Chine
    2. Repousser l’OTAN hors de la partie orientale de l’Europe, sinon du continent tout entier, où Poutine prétend que cette organisation constitue pour la Russie « une menace existentielle ».

    Ces buts exprimés viennent de loin. Ils naissent d’une vision du monde westphalienne, collectiviste, informée par une philosophie politique, qui part de Platon, salue au passage tous les penseurs de l’autocratie, depuis les plus présentables, Hobbes , Hegel, Marx, jusqu’aux plus sulfureux, Julius Evola, Alexandre Douguine , en saupoudrant d’une bonne dose de religion orthodoxe et en complétant par quelques politologues contemporains, comme Samuel Huntington et John Mearsheimer.

    Je tenterai de résumer cette philosophie politique très construite, très cohérente, dans le second article de cette série. Mais d’abord, quelles illusions les poutiniens doivent-ils perdre pour revenir à la réalité ? Il leur faut admettre que la Russie ne sera plus jamais une hyperpuissance. Ensuite il leur faut dissiper cette illusion (à moins que ce ne soit qu’un prétexte cynique) que l’OTAN présente pour la Russie une « menace existentielle ».

    La Russie échoue à la coprésidence du monde

    Il était bipolaire, les USA et l’URSS décidaient de son avenir dans une rude concurrence.

    Puis le monde n’a compté qu’une seule vraie puissance. Et ce n’était pas la Russie. Ça ne pouvait pas l’être, avec son économie rouillée, son territoire raboté, ses gouvernements successifs incompétents, corrompus et gravement paranoïaques. Poutine le sait et ça lui reste en travers de la gorge. Il s’est senti profondément insulté, rapportent les observateurs, lorsqu’ après avoir capturé la Crimée , il s’est attiré la raillerie du seul rival digne de lui dans son esprit, le président des États-Unis : « La Russie est une puissance régionale qui met en difficulté ses voisins, non du fait de sa force, mais de sa faiblesse. »

    Ça fait mal ! Poutine est de ces personnes qui identifient leurs projets à eux-mêmes. Le trait est fréquent chez les fondateurs d’entreprises, les chefs de parti politique, souvent les artistes, mais surtout les autocrates. « L’État, c’est moi ! » « Je suis la France. » Les avanies que ces individus subissent, le ressentiment qu’ils éprouvent, la violence qui surgit en eux, toutes ces émotions deviennent des actes de gouvernement. Peu importe la nature du projet, réalisable ou pas, bénéfique ou pas à la population, seule compte la vision qui les porte. Ce déni de réalité est un mécanisme psychologique, expliquent les psys. C’est une défense en réaction à un traumatisme. Nul ne sait de quel traumatisme l’homme Poutine se protège, son enfance fut agitée, paraît-il, mais les Russes sont mal guéris de l’effondrement de l’URSS, et lorsque leur président les berce d’un fantasme de toute-puissance et attise en même temps un délire de persécution et brandit une « menace existentielle » de l’OTAN aux frontières, ils écoutent. Ils se sentent confortés. Pourtant, s’ils réfléchissaient, la contradiction de ce discours – invincibilité/vulnérabilité – ne devrait pas les rassurer.

    Je l’ai écrit dans d’autres articles sur Contrepoints , et c’est évident, le président Poutine veut capter l’attention du monde. Il réussit. En razziant ses voisins depuis 20 ans, en Tchétchénie, en Géorgie, dans le Caucase du nord, en Ukraine, avec une « drôle de guerre » après 2014, puis une invasion en règle il y a un an, sans compter les interventions en Syrie et en Afrique, on parle de lui, il fait l’ouverture des JT et sature les fils Twitter. Le maître du Kremlin est une vedette mondiale. Certains le craignent, peu l’admirent. Et le jeu finira mal pour les Russes, appauvris et pleurant leurs morts. N’est-ce pas le sort des Russes qui seul devrait compter pour leur président, et pas celui de l’entité artificielle, appelée Russie ?

    L’histoire est la nécrologie des grandes entités disparues, ces puissances que furent Athènes, la Perse, Rome, la Chine impériale, les Habsbourg, les Ottomans… L’empire colonial russe était formé de conquêtes contiguës. Elles sont restées sous le joug plus longtemps que les possessions outre-mer des Britanniques et des Français. Mais on ne trouvera aucune raison politique, économique, historique ou morale pour que cet empire russe perdure. C’est la guerre coloniale de nos grand-papas que Poutine a engagée.

    Mais pourquoi ? Quel sens donner à cet impérialisme ?

    Des historiens trop imprégnés de marxisme ont postulé que toute guerre a un fondement économique. Elles viseraient l’appropriation de terres et de matières premières. On peut douter que des millions d’hommes au cours des siècles fussent partis au casse-pipe pour des affaires de bilans et de budgets. Il leur fallait une autre chanson, la patrie, la terre sacrée des ancêtres, la révolution, Dieu… La question est de savoir quelle légende motive aujourd’hui les vatniks , les décervelés par la propagande du Kremlin, et les mobiks , les mobilisés, qui se font hacher menu pour une cause qui n’est pas la leur, sur un territoire qui n’est pas à eux et dans une guerre dont les survivants porteront la honte.

    Cette affabulation qui les envoie à la mort n’est en tout cas pas la dénazification de l’Ukraine. Il y a des débiles et puis il y a même des débiles plus profonds qui croient les télévisions russes, mais la débilité ne peut aller jusqu’à gober l’existence d’un gouvernement nazi à Kyiv. Reste l’argument de la menace que l’OTAN ferait courir à la Russie.

    L’OTAN n’a jamais menacé la Russie, et nous en avons la preuve aujourd’hui

    Elles seront rendues publiques un jour, les historiens les décortiqueront, et les archives révéleront quelles garanties la Russie a reçues que l’OTAN ne s’étendrait jamais à l’est de l’Allemagne (une conversation à bâtons rompus entre le ministre James Baker et le président Gorbatchev ne peut guère constituer une garantie).

    Mais qu’importe ? Qui serait perdant dans cette affaire ? L’OTAN encerclant la France empêche-t-elle les Français de bien vivre ? Les Italiens et les Allemands, qui hébergent des bases de l’OTAN sur leur propre territoire, sont-ils moins heureux, moins prospères, leurs libertés sont-elles étouffées par cette présence ? Et si l’on perçoit l’OTAN comme un ogre dévorant, pourquoi les Polonais, les Baltes, les Roumains, ont-ils tambouriné des années à la porte des chancelleries occidentales pour être placés sous sa houlette ?

    La réalité est que l’OTAN n’a jamais représenté la moindre menace pour les Russes. Nous en avons la preuve. La voici :

    Il était déjà impensable qu’une organisation de 30 membres dont les décisions sont prises à l’unanimité, puisse voter un beau matin d’attaquer le géant russe. Même Poutine n’y croyait pas. Or maintenant que la Russie est clairement l’agresseur d’un pays européen, que ses troupes ont pris d’assaut des territoires ukrainiens, l’OTAN tient l’occasion de tailler des croupières à la Russie, si tel était son but. Le bon droit avec elle. Le prince des casus belli derrière elle. Le rêve du va-t-en-guerre réalisé pour elle.

    Or que font les pays de l’OTAN, soutiens de l’Ukraine ? Ils livrent des armes, mais seulement défensives, et au compte-gouttes. Ils refusent les avions, les missiles, les canons à très longue portée, les drones à large rayon d’action, que l’Ukraine pleure pour avoir. Pourquoi ? Comment expliquer cette retenue ? Parce que, disent les dirigeants de l’OTAN, il se pourrait que les Ukrainiens frappent une cible sur le territoire russe. Peut-être même par accident.

    Voilà la « menace existentielle » que l’OTAN présente pour la Russie. Il n’est pas question de l’attaquer aujourd’hui. Parce qu’il n’en a jamais été question.

    Tous ceux qui en sont encore à rebattre cette antienne du Kremlin que la Russie se protège de l’OTAN doivent d’abord expliquer pourquoi l’OTAN ne déverse pas le feu de l’enfer aujourd’hui sur les terres russes. Sans cette explication, l’argument de « la menace existentielle » est du pipeau.

    Au contraire, on peut affirmer que loin d’avoir voulu détruire la Russie, les pays de l’OTAN, à travers leurs entreprises, ont largement investi en Russie, ont développé et modernisé son potentiel économique – et ce n’est pas la faute de ces investisseurs si la corruption à tous les niveaux, la législation embrouillée, et le risque politique ne leur ont pas permis de faire plus.

    Mais c’est vrai que l’OTAN gêne le pouvoir russe. Totalement vrai. Les fourbes poutiniens sont devant l’OTAN comme le renard qui voit le fermier clôturer sa basse-cour. Le renard proteste. Le grillage lui gâche la vue, lui fait de l’ombre. La réalité est qu’à cause de la clôture, il n’a plus la possibilité de saigner des poules.

    L’OTAN n’a jamais menacé personne. L’OTAN essaie de protéger ses membres, et le comportement russe depuis deux décennies prouve la nécessité de cette protection.

    Pas de paix durable sans déroute de la Russie

    Le sous-titre est provocateur. Il n’est pas incorrect. Il reflète une réalité géopolitique qu’on peut décrire.

    Cette réalité, c’est l’égarement des Occidentaux dans leur relation avec la Russie, le pacifisme schlinguant le gaz des Allemands, la russophilie naïve des Français et des Italiens, la courte vue des Anglo-saxons (plus la sympathie de Trump pour un compère autocrate) et la surdité de tous aux avertissements des pays de l’Est, qui avaient payé pour connaître le gang du Kremlin.

    La théorie applicable à ce gang comme à tous les autres est celle de la « vitre brisée ». Si dans un quartier une vitre brisée n’est pas vite remplacée, si une épave n’est pas enlevée et les graffitis effacés, le sentiment d’impunité chez les auteurs favorise l’escalade des incivilités vers toujours plus de délinquance et de violence.

    L’autocratie de Poutine a suivi la théorie. Elle s’est affirmée au cours de l’hiver 1999-2000 par la répression d’une férocité indicible du mouvement indépendantiste tchétchène. Puis il y a eu la prise de contrôle sur les médias, l’étouffement de l’opposition, la manipulation des élections, mais pour en rester à la politique étrangère sur laquelle les autres États avaient à se prononcer, il fallait punir les violations du droit international, la mainmise sur le nord de la Géorgie en 2008, l’invasion de l’est de l’Ukraine en 2014 et l’annexion de la Crimée. Or ces crimes sont restés impunis, ou presque. Chacun a marqué une escalade sur le crime précédent. Et nous voici donc depuis le 24 février 2022 avec une guerre totale en Europe.

    L’impunité nourrit le crime. L’impunité doit cesser.

    (Cette guerre se terminera lorsque les diplomates s’en saisiront. Mais tant qu’ils ne discutent pas, la seule exigence moralement acceptable est celle de la « déroute de l’envahisseur », la « victoire totale » et le « châtiment des agresseurs ». Entend-t-on des dirigeants russes dire qu’il ne faut pas « humilier Zelenski » ? Ils évoquent plutôt l’apocalypse nucléaire. Ils n’entravent pas à l’avance la position de leurs négociateurs. Paraphrasant Khrouchtchev, qui lui-même citait Staline, le mandat des diplomates russes autour du tapis vert tient dans une formule « Ce que nos soldats occupent est à nous, ce qui reste est négociable. »)

    Deux poids différents, deux mesures appropriées

    Un dernier mot sur l’impunité.

    L’argument ne tient pas, qui relève que les Occidentaux aussi ont commis des crimes, et donc n’ont pas à juger ceux d’autrui. Bien sûr que les Occidentaux ne sont pas sans reproche. Mais la culpabilité des uns n’absout pas les autres. Ce n’est pas parce que Sophie est une délinquante qu’on ne peut pas juger les délits de Marie. Mais si l’on cause de paille et de poutre, on doit noter que chaque intervention soviétique, puis russe, a voulu renforcer un pouvoir criminel, en Allemagne de l’est, en Corée du Nord, Hongrie, Pologne, Vietnam, Cuba, Syrie, et contre les réformistes du commandant Massoud en Afghanistan…, alors que chaque intervention militaire de l’Occident (si mal avisée qu’elle fut sur le moment) a voulu libérer les peuples de ces mêmes régimes oppresseurs et de leurs odieux semblables, Corée, Vietnam, Irak, Talibans afghans, Somalie, Kosovo, Bosnie, Lybie…

    Deux poids, deux mesures, c’est vrai, parce que d’un côté, on juge des criminels et leurs complices, alors que dans l’autre plateau de la balance, on pèse les intentions louables (hélas, souvent infructueuses) de ceux qui veulent militairement renverser ces criminels.

    Le plus grand crime de Poutine devant l’Histoire n’est pas ce qu’il a fait

    En devenant l’homme fort du Kremlin après les turbulences sous son prédécesseur, Poutine pouvait engager son pays sur la voie du rattrapage économique de l’Occident. Il pouvait apporter la prospérité à son peuple sans cesser d’être autocrate. Nombre d’experts soutiennent qu’un régime autocratique, qui vise la modernisation du pays, présente des avantages sur un régime libéral. Lorsque le chemin de la croissance est déjà tracé par d’autres, il n’y a pas besoin de débattre. Il suffit de copier ce qui a fonctionné. Les précédents sont probants : Chiang Kai-shek à Taïwan, Park Chung-hee en Corée du Sud, Lee Kuan Yew à Singapour…, et on pourrait même ajouter Deng Xiaoping en Chine.

    Ce sont ces précédents qui ont fait espérer en Occident que les dictatures chinoise et russe n’étaient que provisoires. Une fois enrichis, arrivés au stade où l’on ne peut plus copier, où il faut innover, ces pays auraient besoin de contestataires, de perturbateurs, donc de libéralisme dans tous les domaines.

    C’était cependant réfléchir en individualiste et oublier que pour les collectivistes le but de la politique n’est pas la satisfaction des personnes mais le renforcement du pouvoir de l’État, la grandeur du pays et son statut géopolitique. Dans ce contexte, le président Poutine a déjà perdu la partie. Quelle que soit l’issue de la guerre, même si elle est victorieuse, ce qu’à Dieu ne plaise, la Russie sera militairement dégradée, démographiquement sapée, économiquement sur la paille et géopolitiquement discréditée. Elle se voulait l’égale des États Unis, elle aurait pu être une puissance économique mondiale, elle terminera vassale de la Chine, comme un pays sous-développé, juste bon à fournir des hydrocarbures tant qu’on en aura l’usage.

    Mais les Russes ne doivent pas juger l’échec de leur gouvernement par rapport à la situation d’avant-guerre. Il leur faut encore mesurer le coût d’opportunité . Si leur gouvernement avait suivi la voie allemande, japonaise, sud-coréenne de reconstruction, aujourd’hui, après 20 ans d’inclusion dans l’économie libérale, quelle n’eût pas été leur qualité de vie, leur niveau de revenu, leur confort matériel, leur accès à la culture mondiale, et donc leur légitime fierté – non pas celle d’être craints, mais d’être enviés ?

    Et juste retour des choses : aux frontières de la Russie rompue, l’Ukraine sera reconstruite – comme le furent le Japon, l’Allemagne et la Corée du Sud après la guerre – une Ukraine sûre d’elle, hypermodernisée, compétitive, une véritable puissance européenne.