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      Renationalisation d’EDF : la Macronie prise au piège du climat social

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 17 February, 2023 - 04:00 · 3 minutes

    La majorité présidentielle a t-elle trouvé sa parade à l’obstruction parlementaire ? Alors que l’État vient de franchir le seuil des 90 % du capital d’EDF fin janvier, le sujet aura été le théâtre de fortes crispations à l’ Assemblée nationale .

    Le jeudi 9 février, les députés Renaissance, pourtant relativement majoritaires, ont purement et simplement quitté l’hémicycle du palais Bourbon en plein vote d’une proposition socialiste visant à refuser le démantèlement d’EDF et à étendre le bouclier tarifaire énergétique aux artisans et notamment aux boulangers.

    EDF renationalisé

    Après le Modem en octobre, LFI en novembre, Les Républicains en décembre et le RN début janvier, c’était désormais au tour des socialistes de voir leur niche parlementaire étudiée dans l’hémicycle.

    C’est dans ce cadre qu’a été présentée une proposition visant à renationaliser EDF , une proposition qui a provoqué des remous dans les rangs majoritaires. Il faut dire qu’elle a reçu l’appui d’une bonne partie de l’opposition, de LFI au RN en passant par LR. La proposition a ainsi été adoptée par 205 voix contre une, celle du député Modem de Haute-Garonne Laurent Esquenet-Goxes. Le refus du groupe macroniste s’appuyait sur le fait que le texte aurait constitué un cavalier parlementaire, soit un texte sans lien avec la proposition initiale de la nationalisation d’EDF mais aussi et surtout un texte inconstitutionnel.

    Une niche consensuelle

    Conscients des difficultés posées par leur niche, les socialistes avaient préalablement accepté de mettre au placard une proposition inique sur la taxation des bénéfices exceptionnels des grandes entreprises, une proposition qui sera toutefois l’objet d’un amendement dans le cadre du vote sur les retraites. Que voulez-vous, quand un socialiste a une idée fixe…

    Après être parvenus à faire voter une proposition de loi renforçant la protection des victimes de violences intrafamiliales et, à l’unanimité, la création d’une commission d’enquête parlementaire sur la vie chère dans les collectivités ultramarines , les choses se sont rapidement tendues s’agissant des repas à un euro pour tous les étudiants, qui échoua d’une seule voix avec le renfort de LR.

    Cette tension est donc montée d’un cran lorsqu’il s’est agi de la proposition relative à EDF, dont la privatisation, comme celles des autoroutes ou de grandes entreprises comme La Poste ou la SNCF, n’en sont pas vraiment dans la mesure où il ne s’agit généralement que de concessions ou de transformations en sociétés à capitaux toujours publics et donc toujours détenues par l’État.

    Une pratique récurrente

    La pratique consistant à quitter l’hémicycle est quasiment devenue une coutume parlementaire tant elle est récurrente et participe de la grandiloquence parlementaire. On peut évoquer les différents incidents de séance qui agrémentent l’hémicycle, des invectives aux interprétations larges du règlement en passant par l’ intrusion en 2009 de militants écologistes dans l’enceinte du palais Bourbon.

    Contrairement aux idées reçues, ces départs ne sont pas davantage le fait de l’opposition que de la majorité.

    La pertinence de la manœuvre est également quelque peu relative, comme en témoigne le cas du vote de la renationalisation d’EDF, pourtant adoptée. Alors pourquoi ?

    Des députés sous pression

    Les députés PS ont leur explication : celle de ne pas avoir à justifier auprès de leurs électeurs du refus de soutien aux professions artisanales par une mesure gourmande en argent public.

    Une explication qui apparaît cohérente et qui révèle davantage encore la situation des députés Renaissance. Ces derniers sont déjà mis sous pression dans leur circonscription s’agissant d’un projet de réforme des retraites rejeté par 7 Français sur 10.

    L’échec du réformisme social-démocrate

    La révolution promise par Emmanuel Macron en 2016 montre une nouvelle fois ses faiblesses. Ce qui se voulait être une disruption de l’action publique s’est révélé être un jacobinisme technocratique alimentant un consensus loin de révolutionner quoi que ce soit.

    La crise des Gilets jaunes et les différents mouvements sociaux ont déjà mis à mal les tentatives de réforme, parfois ambitieuses, d’un gouvernement qui est désormais pieds et poings liés par un climat social alimenté par l’inflation.

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      Réforme des retraites : comment les parlementaires tentent de rassembler leurs troupes

      ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Wednesday, 8 February, 2023 - 03:30 · 5 minutes

    Par Julien Robin .

    La réforme des retraites engagée par le gouvernement Borne met en lumière les diverses dynamiques internes à l’Assemblée nationale.

    À gauche, la stratégie de mobilisation de l’opinion complète celle de l’obstruction avec le dépôt massif d’amendements – près de 6000 amendements en commission des Affaires sociales et près de 18 000 amendements en séance publique.

    À droite, Les Républicains sont en position de faiseurs de roi en votant avec la majorité en échange de concessions sur l’âge de départ des carrières longues. Au Rassemblement national, discret sur le sujet, on se targue d’avoir obtenu (par tirage au sort) l’examen de sa motion référendaire sur le projet de réforme.

    Enfin, au sein de la majorité présidentielle, le défi est de mobiliser les troupes et d’assurer une cohésion de vote. Il y a alors lieu de comprendre le rôle clef des groupes politiques à l’Assemblée, tant pour assurer une cohésion idéologique que de bénéficier des avantages stratégiques liés à la création d’un groupe.

    Les groupes politiques et leur cohésion

    Comme dans tout Parlement, l’Assemblée nationale se compose de « groupes politiques », où les députés se regroupent généralement par affinité (souvent issus du même parti politique), animés par la défense d’un intérêt commun (le « Groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires » défend les territoires et leurs identités) ou encore pour des raisons techniques, c’est-à-dire constituer un groupe sans attache partisane, dans le but de bénéficier des avantages d’un groupe politique. Ce dernier cas est apparu à plusieurs reprises, en 1959 avec la « Formation administrative des élus d’Algérie et du Sahara », en 1993 avec le groupe « Liberté et République » ou encore en 2018 avec le groupe « Liberté et Territoires », l’ancêtre de l’actuel groupe LIOT.

    Pour les groupes de la majorité et de l’opposition, il est important de montrer cohérence et unité. Pourtant, le système électoral français devrait inciter à cultiver un vote personnel des députés (étant donné qu’il n’y a qu’un seul siège par circonscription). Ce ne serait sans compter sur l’augmentation de la cohésion et de la discipline de parti sous la V e République comme le rappelait le professeur de science politique Nicolas Sauger . Cette discipline de vote est possible puisque plusieurs prérogatives relèvent des groupes (c’est-à-dire sa présidence) et non du bon vouloir des députés, comme la répartition dans les commissions, du temps de parole… et même la place dans l’Hémicycle (être dans l’axe des caméras de l’Hémicycle peut être un atout pour sa visibilité).

    Le meilleur et le pire de l’Hémicycle, Huffington Post, 2022.

    Le manque de solidarité envers le groupe peut se solder par une exclusion du député. Il est également possible pour le président de la République de discipliner indirectement les plus réfractaires de sa majorité avec l’arme de la dissolution de l’Assemblée . C’est ce que le général de Gaulle avait répliqué à la censure du gouvernement Pompidou en 1962 . Une telle option serait alors possible en cas d’indiscipline des députés de la majorité sur le sujet des retraites puisqu’ il se murmure qu’Emmanuel Macron envisagerait de dissoudre à son tour l’Assemblée .

    De l’intérêt d’avoir son groupe parlementaire

    Disposer d’un groupe politique octroie des avantages non négligeables en raison du Règlement de l’Assemblée nationale (RAN) qui oblige les organes à reproduire la configuration politique de l’Assemblée. Cela concerne entre autres la répartition du temps de parole, du nombre de sièges dans les commissions, des responsabilités du bureau de l’Assemblée (vice-président, secrétaire, questeur) ou des rapporteurs. De plus, chaque président de groupe politique participe à la Conférence des présidents , l’organe chargé de déterminer l’agenda de l’Assemblée, dont le nombre de voix est égal au nombre de membres de son groupe.

    Dans un contexte où le parti présidentiel ne dispose pas de la majorité absolue des sièges à l’Assemblée, y former son propre groupe d’au moins 15 députés est d’autant plus intéressant pour le MoDem et Horizons afin de peser auprès de l’exécutif pour les raisons développées ci-haut.

    L’introduction du statut de « minoritaire » en 2008 permet par ailleurs à des groupes politiques comme le MoDem et Horizons de se positionner en appui au parti présidentiel Renaissance tout en reflétant un pluralisme de la majorité et en conservant une certaine liberté de vote. À ce sujet, en matière de cohésion de vote, les politologues Jean-François Godbout et Martial Foucault constatent qu’en cas de coalition gouvernementale, les membres du plus petit groupe de l’alliance sont plus susceptibles de s’opposer au gouvernement (en raison d’incitations électorales ou idéologiques).

    S’appuyer sur sa majorité… et sa droite

    Plusieurs députés de la majorité ont exprimé leur hésitation à soutenir le projet de réforme des retraites. On y retrouve aussi bien des députés de Renaissance, du MoDem et d’Horizons. Le défi de la cohésion de vote pour la majorité se heurte aussi bien à une pluralité idéologique qu’à la capacité de faire pression sur le gouvernement.

    Cette incertitude de la majorité renforce la position du groupe Les Républicains qui, avec ses 61 députés (dont deux apparentés, après l’annulation de l’élection de Meyer Habib ), a un rôle pivot pour l’adoption de la réforme. En situation de gouvernement minoritaire, ce type de groupe pivot détient une influence disproportionnée par rapport à sa force absolue comme le démontre le politologue Olivier Rozenberg sur la période 1988-1993 . Effectivement, le groupe de droite ne représente que 10 % de l’Hémicycle en étant le quatrième groupe politique en effectifs, mais il faudrait la défection d’une vingtaine de députés LR pour qu’il n’y ait pas de majorité sur ce texte. Or, le groupe LR est celui avec le moins de cohésion de l’Assemblée (0,82) .

    Reste à voir comment Les Républicains voteront lorsque le projet de réforme passera au Sénat, où la droite y est majoritaire .

    L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Jean-François Godbout. The Conversation

    Julien Robin , Doctorant en science politique, Université de Montréal

    Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’ article original .

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      Réforme des retraites : Macron face au pays

      news.movim.eu / LeVentSeLeve · Saturday, 4 February, 2023 - 11:18 · 13 minutes

    Si la mobilisation dans la rue et l’opposition à la réforme des retraites grandit, le gouvernement reste pour l’instant inflexible. Une opposition frontale qui risque de durer : la détermination des manifestants s’explique par la dureté des conditions de travail et la certitude que cette bataille sera déterminante pour bloquer l’agenda néolibéral d’Emmanuel Macron. Une analyse partagée par la majorité, ce qui explique qu’elle n’entende rien lâcher. Alors que la bataille se déroule désormais sur deux fronts, le Parlement d’un côté, la rue et les entreprises de l’autre, une défaite des syndicats offrirait un boulevard vers le pouvoir pour l’extrême-droite. Seule une grande vague de grèves peut entraver ce scénario.

    Plus le temps passe et plus l’opposition à la réforme des retraites s’étend. Après une première journée très réussie le 19 janvier, le gouvernement a passé les deux dernières semaines à se prendre les pieds dans le tapis. Arguments contradictoires, refus de toute modification du cœur du projet, tentative de manipulation de l’opinion par un dîner entre Macron et 10 éditorialistes , humiliation du Ministre du travail Olivier Dussopt durant des débats télévisés… Le plan de bataille concocté par les cabinets de conseil et les technocrates a lamentablement échoué. Comme lors du référendum de 2005 sur la Constitution européenne, plus les élites font de la « pédagogie », plus les Français s’informent et leur opposition s’étend. Résultat : le 31 janvier, le nombre de manifestants a augmenté de 40% et atteint des niveaux historiques depuis 30 ans avec 2,8 millions de personnes dans la rue selon les syndicats. En parallèle, les sondages successifs indiquent tous une hausse du soutien à la contestation et une colère croissante contre la réforme et le gouvernement .

    Pourquoi la réforme passe si mal

    Si l’issue de la réforme est encore incertaine, la bataille de l’opinion aura donc été gagnée rapidement. Outre les couacs et la suffisance des ministres et des députés macronistes, cette victoire écrasante des opposants s’explique par trois facteurs : l’absence de justification de la réforme, un changement de perception du travail et un contexte de colère sociale latente depuis des mois.

    D’abord, la réforme elle-même. A mesure qu’elle est étudiée sous tous les angles, chacun découvre une nouvelle injustice. On pense notamment aux femmes, pénalisées par leurs carrières souvent incomplètes de l’aveu même du ministre Stanislas Guérini ou au minimum vieillesse à 1200 euros rendu incertain par des « difficultés techniques » (sic). Surtout, la grande majorité des Français a compris que le régime actuel de retraites n’est pas en péril et que cette réforme n’a rien d’inéluctable, comme l’a rappelé à plusieurs reprises le Conseil d’Orientation des Retraites (COR). Les arguments de la gauche, qui propose d’autres méthodes pour équilibrer le système et ramener l’âge de départ à 60 ans, ont aussi réussi à percer : l’augmentation des salaires, la suppression des innombrables exonérations de cotisations , l’égalité de salaires entre les femmes et les hommes, la taxation des patrimoines et dividendes, voire la hausse des cotisations sont d’autres possibilités, bien plus justes que de forcer les Français à travailler deux ans de plus. A force de miser sur le caractère technique de la réforme pour la faire passer, le gouvernement aura finalement réussi à intéresser les citoyens au fond de son projet. Le mépris permanent des macronistes a fait le reste. Comme l’a résumé Richard Ramos, député MODEM (parti membre de la majorité), « la pédagogie c’est dire “j’ai raison, vous êtes des cons ” ».

    Si les Français restent attachés à la « valeur travail », ils sont également 45% à déclarer se lever uniquement pour le salaire.

    Outre le caractère injustifié de la réforme, celle-ci se heurte aussi à un changement de regard sur le travail . Rester deux ans de plus dans l’emploi est d’autant plus impopulaire que cela paraît impossible pour beaucoup. D’abord, il y a ceux qui craignent de mourir avant la retraite . Pour les autres, il faut conserver son poste dans un pays où le taux d’emploi des seniors est particulièrement bas ( 35,5% chez les 60-64 ans ). Un problème sérieux auquel le gouvernement entend répondre par un index, un dispositif qui a déjà montré son inutilité totale contre les inégalités de salaires entre hommes et femmes. En outre, le travail devient plus dur pour beaucoup : le nombre de travailleurs cumulant au moins trois critères de pénibilité physique a triplé depuis les années 80 en raison de l’intensification du travail. La souffrance psychique et les burn-outs ont eux aussi explosé. S’ajoute aussi la crise de sens du travail, un phénomène d’autant plus important ( 60% des actifs sont concernés ) qu’il peut s’expliquer par des facteurs très divers (sentiment d’exercer un « bullshit job », manque de moyens pour bien faire son travail, contradiction avec ses valeurs…). Enfin, ce panorama est complété par une instabilité croissante de l’emploi avec la multiplication des CDD, intérim et autres régimes précaires. Ainsi, si les Français restent attachés à la « valeur travail », ils sont également 45% à déclarer se lever uniquement pour le salaire . Dans ces conditions, on comprend que 93% des actifs rejettent la perspective de se voir confisquer deux années de repos mérité.

    Enfin, cette contre-réforme arrive dans une période de grande tension sociale dans le pays. Alors que les salaires sont rognés par une inflation inédite depuis des décennies, le sentiment de déclin et d’appauvrissement se généralise. Les petits chèques, la remise à la pompe ou le bouclier tarifaire n’ont en effet pas suffi à contenir la baisse de pouvoir d’achat de la majorité de la population. Pendant ce temps, les multinationales de certains secteurs (énergie, transport maritime, négoce de céréales…) ont réalisé des superprofits colossaux que le gouvernement se refuse à taxer. Un deux poids deux mesures qui a de plus en plus de mal à passer. L’inaction face à la dégradation de plus en plus visible des services publics (santé, éducation, justice) et au changement climatique après un été caniculaire et une sécheresse historique inquiète aussi une grande part de la population, qui craint de laisser un pays « tiers-mondisé » à ses enfants. Ajoutons enfin que les élections de 2022 dont se prévaut le Président de la République pour justifier sa réforme ne lui ont pas donné une grande légitimité : il a en effet été réélu en grande partie par défaut et a perdu sa majorité absolue au Parlement. Dans un tel contexte, l’écrasante majorité de la population ne comprend pas pourquoi cette réforme non nécessaire est une priorité politique.

    Une bataille parlementaire compliquée

    La réponse à cette interrogation est double. D’une part, Macron ne digère toujours pas de ne pas avoir pu aller jusqu’au bout de sa tentative d’attaque du système de retraites en 2020. Son électorat attend d’ailleurs de lui qu’il renoue avec l’ardeur néolibérale dont il faisait preuve jusqu’à la crise sanitaire. Affaibli par les dernières élections, le chef de l’Etat compte sur cette réforme pour indiquer à ses soutiens qu’il ne compte pas se « chiraquiser », c’est-à-dire être un Président plutôt absent et sans cap pour son second mandat. D’autre part, Emmanuel Macron veut achever ce qui reste des Républicains, en les forçant à le soutenir ou à rejoindre Marine Le Pen. Or, la réforme des retraites est depuis longtemps une revendication majeure des élus LR. Macron espère donc leur tendre un piège : soit ils la votent et devront finir par assumer que le locataire de l’Elysée applique leur programme, et donc le soutenir; soit ils ne la votent pas et leur retournement de veste les pulvérisera à la prochaine élection.

    Initialement, ce calcul politique semblait habile. Mais l’ampleur de la contestation inquiète jusque dans les rangs de la Macronie et des LR. Or, 23 défections dans le camp présidentiel ou chez les Républicains suffisent à faire échouer l’adoption du texte à l’Assemblée Nationale. Un scénario possible selon les derniers décomptes menés par Libération et France Inter , qui indiquent un vote très serré. Pour trouver une majorité, le gouvernement n’a donc plus d’autre choix que de menacer les parlementaires : sans majorité, il dégainera l’article 49.3 et envisagera sérieusement de dissoudre la chambre basse . Or, nombre de députés ont été élus par une très fine majorité en juin dernier et craignent de voir leur siège leur échapper. Cette perspective peut les conduire à réfléchir à deux fois avant de rompre la discipline de vote.

    Cette réforme est une occasion en or pour Marine Le Pen de faire croire qu’elle défend les conquêtes sociales, tout en ne prenant aucun risque.

    Pour les deux autres blocs politiques, la NUPES et le Rassemblement National, cette séquence paraît plus simple à aborder : leur opposition au texte les place du côté de la majorité des citoyens. A gauche de l’hémicycle, on se prend à espérer une première victoire majeure contre Macron. Un succès dont l’alliance bâtie hâtivement à la suite des présidentielles aurait bien besoin pour survivre : l’affaire Quatennens, le congrès du PS, les petites polémiques successives et la perspective des élections européennes fragilisent fortement l’union. Une attaque sur un symbole aussi fort dans l’imaginaire du « modèle social » français – ou du moins ce qu’il en reste – offre donc une occasion de tourner la page des derniers mois. Toutes les armes sont donc sorties : réunions publiques en pagaille, participation aux manifestations, tournée des plateaux, tsunami d’amendements…

    Du côté du Rassemblement National, on jubile. Cette réforme est une occasion en or pour Marine Le Pen de faire croire qu’elle défend les conquêtes sociales, tout en ne prenant aucun risque. Le RN doit en effet faire oublier qu’il a voté contre l’augmentation du SMIC et proposé de supprimer des cotisations patronales , ce qui revient à fragiliser la Sécurité sociale dont le système de retraites fait partie. Heureusement pour la dynastie Le Pen, le gouvernement lui a offert une belle opportunité de marquer des points. Ainsi en est-il de la demande de référendum sur la réforme des retraites, une proposition initiée par les communistes, reprise ensuite par la NUPES et le RN : au terme d’une procédure contestable, la défense de cette motion référendaire a été confiée à l’extrême-droite. D’ores-et-déjà, le PS et EELV annoncent qu’ils ne la voteront pas afin de ne pas légitimer le RN. Avant même le vote le 6 février prochain, Marine Le Pen a donc déjà gagné : si cette motion est soutenue par la FI et le PCF, elle pourra affirmer qu’elle est rassembleuse; si les députés de gauche la rejettent, elle pourra les accuser de sectarisme et de malhonnêteté.

    L’urgence d’une grève générale

    Pour chacun des trois blocs politiques majeurs, la bataille des retraites est donc décisive. Du côté de la Macronie, arriver à passer en force contre les syndicats et la majorité de la population sur un sujet aussi essentiel serait une victoire comparable à celle de Margaret Thatcher contre les mineurs britanniques en 1984 . Le pouvoir espère qu’une telle démonstration de force permettra de réinstaurer un climat de résignation et de nihilisme pour un moment, lui permettant de terminer son œuvre de destruction du pays. Dans le cas où ce scénario deviendrait hors de portée, Macron a cependant élaboré un plan B : la dissolution de l’Assemblée. « Au mieux, ce serait l’occasion de retrouver une majorité absolue dans l’hémicycle. Au pire, le Rassemblement national (RN) remporterait une majorité de sièges » estime le camp présidentiel . Macron ne paraît pas très inquiet par cette seconde éventualité : si Marine Le Pen accepte Matignon, il espère que cela l’affaiblira; si elle refuse, il pourra affirmer qu’elle ne veut pas le pouvoir ou n’est pas capable de l’exercer.

    Si ce scénario est évidemment risqué, le chef de l’Etat sait que son camp a tout intérêt à affronter l’extrême-droite au second tour. Il espère donc la renforcer juste assez pour qu’elle passe devant la gauche au premier tour, puis la battre au second. Ce calcul cynique convient très bien à Marine Le Pen, puisqu’il la renforce sans qu’elle n’ait besoin de faire de grands efforts. La cheffe des députés RN a également un discours bien rodé en cas de passage de la réforme : comme avec la NUPES dans l’hémicycle, elle n’hésitera pas à accuser les syndicats d’incompétence et d’hypocrisie, en arguant que ceux-ci ont appelé à la faire battre au second tour. La combinaison de cette délégitimation du mouvement syndical et de la gauche avec la colère de Français exaspérés par la dégradation de leur niveau de vie lui offrirait alors un boulevard vers l’Elysée.

    Le mouvement social compte un soutien de poids : l’opinion. 64% des Français tiendraient le gouvernement pour responsable en cas de blocage du pays.

    Ainsi, au-delà de la protection d’une conquête sociale majeure, la bataille actuelle risque de peser lourd dans la prochaine élection présidentielle. Casser la relation vicieuse de dépendance mutuelle entre le bloc bourgeois et l’extrême-droite nécessite une victoire du mouvement social contre cette réforme. Si la mobilisation des députés dans l’hémicycle et des manifestants dans la rue constitue deux points d’appui importants, ils risquent cependant de ne pas suffire. Au Parlement, le temps contraint du débat, le probable retour à la discipline de vote chez Renaissance et LR et la possibilité d’un 49.3 laissent peu d’espoirs. Dans la rue, la mobilisation considérable est encourageante, mais elle risque de s’étioler au fil des semaines et la répression – pour l’instant très faible – peut faire rentrer les manifestants chez eux.

    Seules de grandes grèves peuvent faire plier le gouvernement : si les salariés ne vont plus travailler ou que l’approvisionnement des entreprises est remis en cause, le patronat se retournera contre le gouvernement, qui n’aura d’autre choix que de reculer. Pour l’instant, les syndicats se montrent plutôt timides, préférant des « grèves perlées » environ un jour par semaine à des grèves reconductibles. Bien sûr, l’inflation et l’affaiblissement du mouvement ouvrier rendent l’organisation de grèves massives plus difficile que par le passé . Mais le mouvement social compte un soutien de poids : l’opinion. Selon un récent sondage, 64% des Français tiendraient le gouvernement pour responsable en cas de blocage du pays . Un tel chiffre étant particulièrement rare, les syndicats ont tout intérêt à s’en saisir. En outre, des actions comme le rétablissement de l’électricité à des personnes qui en ont été coupé pour impayés ou sa gratuité pour les services publics conforte l’appui des Français à la lutte des salariés. Après la victoire de la bataille de l’opinion et du nombre dans la rue, il est donc temps de passer à l’étape supérieure : la grève dure. Face aux tactiques immorales du gouvernement et de l’extrême-droite, cette stratégie apparaît désormais comme la seule capable de les faire battre en retraite.

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      PSAN : est-ce vraiment la « crypto made in France » qu’on assassine ?

      news.movim.eu / Numerama · Tuesday, 24 January, 2023 - 09:47

    L’écosystème français du bitcoin tremble à l’idée de voir les parlementaires voter une loi qui durcira l’accès aux activités crypto. La France courrait le risque d’un sabordage industriel, préjudiciable aux utilisateurs, aux entrepreneurs et à l’adoption des technologies du web3. Et si c’était prêter trop d’importance à une réaction politicienne défensive ? [Lire la suite]

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      Et si les Alertes Enlèvement arrivaient aussi par SMS partout en France ?

      news.movim.eu / Numerama · Thursday, 19 January, 2023 - 13:21

    alerte enlèvement

    Une proposition de loi propose d'enrôler les opérateurs de téléphonie mobile pour qu'ils diffusent à la population un SMS lorsque le dispositif Alerte Enlèvement est déclenché. [Lire la suite]

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      La menace du 49-3 : un aveu d’échec de la majorité présidentielle

      Laurent Sailly · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 17 December, 2022 - 03:30 · 5 minutes

    L’article 49, alinéa 3, de la Constitution française (dit 49-3) prévoit que lors du vote d’un projet ou d’une proposition de loi, le Premier ministre peut décider d’engager la responsabilité du gouvernement.

    Dans ce cas, le projet de loi est alors adopté sauf si une motion de censure est déposée par au moins un dixième des députés. En cas de rejet de la motion, le projet est considéré comme adopté ; dans l’hypothèse inverse, le texte est rejeté et le gouvernement renversé.

    L’ article 49-3 a été introduit dans notre Constitution en réaction à l’instabilité des majorités politiques des IIIe et IVe Républiques.

    Ce dispositif est généralement utilisé dans deux cas :

    • lorsque le gouvernement ne dispose pas d’une majorité absolue et n’a donc pas le choix pour l’adoption de ses lois (c’est le cas du gouvernement Borne ou le gouvernement Rocard sous la présidence de François Mitterrand) ;
    • lorsque malgré une majorité à l’Assemblée nationale, le gouvernement souhaite faire passer rapidement un texte (loi sur le CPE en 2006).

    Lorsque les anciens présidents s’en mêlent

    Les deux anciens présidents de la République se sont exprimés sur l’emploi du 49-3 lors d’un colloque à l’Institut de France, mercredi 5 octobre.

    Pour Nicolas Sarkozy, auréolé par la réforme constitutionnelle de 2008 – la dernière et la plus importante puisqu’elle porta sur 31 articles –, sur l’utilisation de l’article 49-3 :

    « J’adore l’expression passer en force . Car sur certains textes ne pas passer en force, c’est ne pas passer du tout… »

    Et d’ajouter concernant le débat sur les retraites :

    « Le président de la République fera son analyse, en étudiant le rapport coûts/risques. C’est à lui de choisir […] Mais j’ai toujours réfléchi avant d’utiliser le 49-3. »

    François Hollande s’est dit pour la suppression du 49-3, mais pas « dans notre régime tel qu’il est actuellement, je l’ai moi-même utilisé . Mais dans un régime présidentiel, il n’a plus sa place. »

    L’article 49-3, dispositif autoritaire ou aveu de faiblesse ?

    Le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral ont fait prendre conscience de cette difficulté par Nicolas Sarkozy au point de ne pas en faire usage et même d’en limiter l’utilisation lors de la réforme constitutionnelle de 2008.

    S’il n’est pas un déni démocratique, l’utilisation de l’article 49-3 est devenue ce que Maxime Tandonnet désigne comme un aveu de faiblesse. Les frondeurs sous le gouvernement Valls, notamment à l’occasion de la loi travail en 2017, ou la multiplication des amendements sous le gouvernement Philippe lors de la réforme des retraites , ont amené les deux Premiers ministres à user de ce dispositif, malgré une majorité confortable.

    Une situation inédite sous la Vème République

    Nous l’avons mentionné plus haut, ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement ne dispose que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale. Mais c’est la première fois que ce cas de figure se présente depuis la réforme des institutions par Jacques Chirac et la reconfiguration du paysage politique après la première élection d’Emmanuel Macron en 2017.

    Le paysage politique sous Michel Rocard (qui a usé et abusé pour certains du 49-3) n’avait rien à voir avec la situation actuelle. En 1988, l’Assemblée nationale présente une composition bipartite (gauche et droite) avec des extrêmes faibles (le PCF est en fort recul et le FN stagne) et un centre qui joue son rôle de modérateur. Nous sortons de deux ans de cohabitation avec deux poids lourds de la politique à la tête de l’exécutif (François Mitterrand et Jacques Chirac). Michel Rocard n’avait que peu à craindre une motion de censure qui aurait entraîné la démission de son gouvernement.

    Revenons à aujourd’hui !

    Le gouvernement Borne ne dispose pas de réservoirs de voix à l’Assemblée nationale. Si l’utilisation du 49-3, même dans la situation actuelle, reste un aveu de faiblesse, une motion de censure pourrait avoir des conséquences désastreuses pour Emmanuel Macron.

    La menace de la dissolution, un aveu d’échec !

    Pour reprendre des termes de stratégie militaire, l’article 49-3 est une arme conventionnelle de la guerre entre le gouvernement et l’Assemblée nationale. La dissolution de celle-ci représente l’utilisation de l’arme stratégique nucléaire par le président de la République (toute proportion gardée). Pourquoi envisager ici la dissolution de l’Assemblée nationale dans le cadre du 49-3 ?

    Comme je l’ai expliqué plus haut la situation de 2022 est inédite.

    Que se passe-t-il si le gouvernement est censuré ? Le Premier ministre doit démissionner et avec lui le gouvernement. Le président de la République doit nommer un nouveau Premier ministre. Or, la situation reste bloquée. Il n’a pas d’autre choix que de dissoudre la chambre basse, d’où sa menace répétée récemment à l’encontre des députés : si vous coulez le gouvernement vous coulerez avec lui ! (il ne le dit pas en ces termes mais l’idée est là). Combien de députés sont-ils prêts à remettre leur mandat en jeu devant un électorat versatile ?

    Comme l’arme nucléaire, les retombées de la dissolution sont dangereuses pour tout le monde, locataire de l’Élysée inclus. Car si les élections législatives ne lui donnent pas une majorité absolue, Emmanuel Macron n’aura pas d’autre choix (au risque de bloquer complètement les institutions) que de démissionner.

    Et après… ?

    Alors, l’actuel président du Sénat, Gérard Larcher aurait à assurer l’intérim jusqu’à l’élection d’un nouveau président de la République (élection à laquelle ne pourrait participer Emmanuel Macron).

    Le nouveau chef de l’État devra alors désigner un Premier ministre qui aura la confiance de l’Assemblée nationale. Un point positif cependant : la remise dans l’ordre du calendrier électoral.

    La réforme Chirac de 2000 était une erreur car incomplète. Une réforme constitutionnelle de notre système parlementaire doit être entreprise :

    • inversion du calendrier électoral (réduire la durée du mandat des députés à 4 ans et augmentation du mandat du président de la République à 6 ans) ;
    • suppression du 49-3 (sauf pour la loi de finance) et du droit de dissolution de l’Assemblée nationale ;
    • scrutin de liste proportionnel ou uninominal majoritaire à un tour pour l’élection des députés ;
    • délimitation plus stricte du droit d’amendements, notamment du gouvernement.

    Article publié initialement le 11 octobre 2022 .

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      Réintégration des soignants non-vaccinés : nouvel imbroglio au sein de la NUPES

      Laurent Sailly · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Saturday, 10 December, 2022 - 04:00 · 4 minutes

    Les députés La France Insoumise ont annoncé mercredi retirer leur proposition de loi sur la réintégration du personnel non-vacciné des établissements de santé, un texte que le Rassemblement national avait accepté d’inscrire à l’agenda de sa journée réservée à l’Assemblée en janvier. Les deux parties se renvoient la balle sur leur projet partagé de réintégration des soignants non-vaccinés, chacun accusant l’autre de coups tordus.

    En reprenant dans sa propre niche parlementaire la proposition de loi LFI sur la réintégration des soignants non-vaccinés contre le covid, le RN a tenté mardi un coup politique, semant la zizanie au sein de l’alliance Nupes, où Parti socialiste et Parti communiste notamment ont aussitôt réclamé le retrait du texte.

    Devant la presse à l’Assemblée, la députée LFI Caroline Fiat venait d’annoncer qu’elle acceptait de soutenir sa proposition de loi sur la réintégration des soignants non-vaccinés dans le cadre de la niche parlementaire du RN prévu le 12 janvier :

    « Le RN m’offre du temps parlementaire ! », se réjouissait-elle.

    « Sur ces sujets, on doit être capable de passer au-delà d’une vision partisane et juste politicienne », affirmait Marine Le Pen un peu plus tôt dans la journée, toujours en quête de respectabilité.

    Ce n’est pas la première fois que le RN met la gauche dans l’embarras : lors du vote de la première motion de censure LFI contre le gouvernement, dans le cadre du budget, le parti de Marine Le Pen s’était rallié contre toute attente à ce texte, divisant l’alliance de gauche et offrant clé en main un angle d’attaque à la macronie sur une prétendue collusion LFI/RN.

    Très favorables au retour des soignants non-vaccinés, les députés RN estiment que le texte insoumis porté par la députée Caroline Fiat et qui n’avait pas pu être adopté faute de temps, « aurait pu faire l’objet d’un vote positif d’une majorité de députés en janvier prochain. »

    La macronie s’est aussitôt engouffrée dans la brèche :

    « Nous pensions que les digues sauteraient d’abord entre la droite et l’extrême droite. Mais c’est bien l’extrême gauche et la Nupes qui franchissent une nouvelle étape dans leur lune de miel avec les lepénistes », a lancé sur Twitter Stéphane Séjourné, le chef du mouvement présidentiel.

    « Quand le RN tend un piège, le mieux est de ne pas sauter dedans à pieds joints. À aucun moment et sous aucun prétexte, il ne peut y avoir de confusion entre la gauche et l’extrême droite », assène le député Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, sur Twitter. À quelques semaines du congrès du Parti socialiste, où il sera confronté à deux candidats opposés à l’alliance avec LFI, Olivier Faure réclamait que les insoumis « prennent une décision qui permette de ne pas laisser l’idée qu’il puisse y avoir une confusion » entre le RN et la gauche. Ses opposants internes ont d’ailleurs rapidement dénoncé le « populisme » et « une confusion funeste. »

    « Il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais d’accord de notre groupe avec l’extrême droite », a insisté mercredi le groupe des députés insoumis dans son communiqué, dénonçant des « mensonges inacceptables » à ce sujet. « Le groupe LFI retire son texte usurpé par le RN. La frontière est claire », a souligné sur Twitter Jean-Luc Mélenchon.

    Dans un communiqué envoyé mercredi matin, le groupe LFI expliquait que « les soignants suspendus n’ont pas vocation à servir les coups de communication du RN », et qu’il déposerait « une nouvelle proposition de loi » sur le sujet. Et de souligner que ces « mensonges sont particulièrement insupportables le jour où la macronie et le Rassemblement national votent ensemble une loi sur la sécurité intérieure, après avoir voté ensemble la semaine dernière une loi anti-locataires. »

    Dénonçant « une basse reddition politicienne », le RN a accusé LFI de « passer ses intérêts politiciens avant l’intérêt général ».

    « LFI aurait pu abandonner leurs intérêts boutiquiers et politiciens pour défendre sincèrement les intérêts des soignants », soupire le député Sébastien Chenu.

    Ce sont les Insoumis et le RN qui ont monté de toutes pièces ce qui est un non-sujet. Les soignants non-vaccinés représentent en effet un effectif de quelques milliers d’infirmiers et de quelques dizaines de médecins selon les décomptes du ministère de la Santé. Comment LFI ou le RN peuvent-ils à la fois dénoncer l’incurie du gouvernement sur l’état du système hospitalier et considérer que quelques centaines de bras en plus permettraient de soulager un hôpital sous haute tension ? En fait, depuis des mois les soignants suspendus servent la communication des deux extrêmes. Ce n’est rien d’autre qu’un calcul politicien.

    Mais cet imbroglio est malgré tout venu relancer le débat qui existe au sein du groupe Nupes sur la ligne à adopter face aux textes du Rassemblement national.

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      Soignants : le pouvoir préfère le coup de matraque au coup de génie

      Denis Dupuy · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 2 December, 2022 - 04:10 · 3 minutes

    Comment traiter une information à l’heure où des cataractes de données jaillissent en continu des réseaux divers ?

    À la manière des scientifiques et selon les préceptes de Popper : une information est exacte ou fausse ou indéterminée. La source et le messager n’ont qu’une influence annexe. Oublions-les.

    C’est faux parce que :

    • vous n’êtes pas un professionnel de la question
    • le meilleur médecin du monde a dit l’inverse
    • l’ OMS n’a pas validé parce que la revue Bidule dit le contraire…

    On n’entend que cela, on ne lit que cela, on n’argumente qu’ainsi, au long des commentaires et sur les plateaux télévisés. Est vrai ce qui est exact, indépendamment du reste : évaluons le message, non le messager… Le meilleur médecin du monde ? S’il existe il est celui qui a mémorisé toutes les publications. En cas de maladie émergente, il se retrouve sec : point de preuve ou de référence disponibles. Il doit émettre des avis et des hypothèses et à l’occasion il se trompe, ce qui n’en fait pas un abruti incompétent et corrompu.

    Arrêtons avec l’approche politicienne

    L’exercice du tri des données est bien évidemment complexe et les sophistes abusent de nos faiblesses, de nos écarts et de nos biais.

    L’arène politique est le temple de la sophistique. Au regard du politicien, le principe est assez basique. Vous validez une vérité portée par un parti extrême ? Vous êtes assimilé aux extrémistes qui le composent. Ben non… Une vérité demeure vérité en toutes circonstances. Devons-nous laisser les partis extrêmes s’emparer des problématiques ? Devons-nous changer d’avis au prétexte que l’on partagerait celui des extrémistes ou devons-nous nous rallier sans discernement à l’avis de son camp ? Non et non.

    Prétendre que les extrêmes s’approprient les débats est en soi un sophisme. La vérité suit son cours avec ou sans leurs vociférations. Admettons que certains politiciens, pile au centre du milieu, hésitent à énoncer les évidences. La binarité, qui fait le sel des discours extrêmes, abaisse le niveau général des débats mais elle est leur marque. Contrairement aux mous du centre, ils ont du courage, eux… Cette polarisation contribue à leur faire gagner des voix car le chiffre d’affaires des partis est fait de voix, le bénéfice de postes. En tranchant sans finesse, ils offrent l’image de la détermination et rameutent mais ils se fourvoient souvent.

    Prenons l’immigration. Est-elle totalement bénéfique et sans la moindre externalité comme le prétendent les boutiques de gauche ou absolument néfaste comme l’avancent celles d’en face ? Les deux, bien évidemment, la balance commençant à pencher vers le négatif mais allez faire avaler ça à l’électeur. Alors on simplifie à outrance.

    La nécessité de la rationalité et de l’éthique

    Me concernant, les deux seules boussoles sont la rationalité, qui suppose un travail de recherche exempt des émotions parasites et une éthique d’inspiration libérale en évitant soigneusement d’appliquer le filtre libéral à la manière d’un dogme.

    Point d’idéal ici-bas, nulle part.

    Je cours donc après une cause, non après un parti. Je suis un extrême truc ? Ça m’est égal. Je sais que je ne défends pas l’extrême droite si j’appelle à la réintégration des soignants : je défends les soignants et la liberté. Le vaccin n’est pas stérilisant et il protège uniquement le sujet vacciné. Ne pas réintégrer relève d’un choix exclusivement politique exempt de rationalité et d’humanisme.

    C’est le positionnement du vertueux et du donneur de leçons. La rigidité intellectuelle de nos prodiges, et je le constate au quotidien (l’OMS en a d’ailleurs fait la remarque) a fabriqué des générations de réfractaires aux vaccins. S’agissait-il d’obtenir l’adhésion à des thérapeutiques ou de faire démonstration d’un autoritarisme totalement déplacé puisque faisant défaut dans d’innombrables autres domaines ?

    Le pouvoir a opté pour le coup de matraque contre le coup de génie, un classique. La pandémie, elle, comme ses aînées, a poursuivi son chemin avant de s’éteindre doucement, après trois années. Prudence, soit, mais il serait temps de l’admettre ou bien la vaccination en général, déjà bien meurtrie, pourrait venir s’ajouter à la liste de ses victimes.

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      Constitutionnaliser l’avortement, peu pertinent juridiquement

      Raphaël Roger · ancapism.marevalo.net / Contrepoints · Friday, 2 December, 2022 - 03:30 · 6 minutes

    En juillet 2022, la décision Dobbs de la Cour Suprême des États-Unis a opéré un revirement de la décision Roe (elle-même déjà affaiblie par Casey en 1992), en laissant aux États la liberté de réglementer l’avortement.

    L’émotion suscitée par cette décision a traversé l’Atlantique pour arriver devant notre chambre basse du Parlement, l’ Assemblée nationale . Suite à cela, de nombreuses propositions de lois constitutionnelles ont été déposées jusqu’à ce que le 24 novembre 2022, la proposition de loi constitutionnelle n°34 portée par la députée insoumise Mathilde Panot, a été adoptée.

    Cette loi constitutionnelle prévoit d’inscrire à l’article 66 de la Constitution (selon Le Monde , mais 66-2 dans la proposition de loi) que :

    « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ».

    Symboliquement important, il n’en demeure pas moins que juridiquement parlant, inscrire le droit d’avorter dans la Constitution ne garantit en rien son effectivité, voire pire, pourrait le diminuer. Qui plus est, cette proposition paraît être déconnectée de la réalité de la justice constitutionnelle française.

    Le renversement du droit à l’avortement en France est inexistant

    Si la décision Dobbs a légitimement pu susciter des émotions à l’égard d’une liberté importante, il n’en demeure pas moins que réagir par une loi constitutionnelle paraît être irrationnel.

    Sur le plan politique, aucun parti ne souhaite remettre en cause le droit à l’avortement. Même le Rassemblement national a souhaité constitutionnaliser la loi Veil de 1975. Seulement 6 % de personnes souhaitent revenir sur ce droit, l’ensemble de la population a accepté cette faculté donnée aux femmes de disposer librement de leurs corps. À part pour faire du « symbolique » à défaut d’agir concrètement la justification politique paraît être inexistante ; la justification juridique est quant à elle absente.

    Si la Constitution ne contient pas de disposition proclamant expressis verbis le droit à l’avortement, il n’en demeure pas moins que le Conseil constitutionnel, maître de la signification des énoncés constitutionnels, a consacré, par une interprétation constructive, la liberté de la femme qu’il fait découler de l’article 2 de la Déclaration de 1789 relatif au principe de liberté (décision 2001-446 DC du 27 juin 2001, cons.5). La liberté de la femme est un principe de valeur constitutionnelle qui signifie de manière implicite que la femme peut décider librement des choix relatifs à sa vie, y compris celui d’avorter. La loi doit donc garantir pleinement cette liberté (décision 2017-747 DC du 16 mars 2017). C’est devenu une exigence constitutionnelle pour le législateur.

    On pourrait alors objecter qu’il suffirait que le Conseil constitutionnel opère un revirement de jurisprudence pour que la liberté de la femme, tel que déduit de l’article 2 de la Déclaration, ne soit plus que lettre morte.

    Cette objection ne tient pas et cela pour deux raisons.

    Premièrement, les revirements de jurisprudence du Conseil constitutionnel sont très rares. On en dénombre environ une vingtaine sur plus de 1770 décisions de contrôle de constitutionnalité des lois (entre le 1er janvier 1960 et le 27 novembre 2022).

    Deuxièmement, quand le Conseil constitutionnel a opéré des revirements de jurisprudence, il ne l’a fait et ne le fera que dans un sens plus favorable aux droits fondamentaux, jamais dans le sens contraire. Cela tient au fait que depuis 1971 il se considère gardien des droits fondamentaux.

    L’effet cliquet selon lequel on ne revient pas sur les acquis constitutionnels ou l’on ne porte pas atteinte au « trésor constitutionnel » voire au « mur constitutionnel », permet de préserver les droits fondamentaux exprimés et déduits de la Constitution. On voit bien alors que l’idée de « sanctuariser » le droit à l’avortement dans la Constitution ne tient pas non plus selon la logique juridique.

    Une constitutionnalisation pouvant affecter l’effectivité du droit à l’IVG

    Cela peut paraître à première vue assez paradoxal ; mais oui, cette constitutionnalisation pourrait porter atteinte à l’effectivité du droit à l’IVG, au regard de deux éléments.

    La place de ce nouveau droit dans la Constitution

    On ne peut pas dire qu’il y ait là une grande réflexion.

    Que ce soit à l’alinéa 3 de l’article 66 ou au travers d’un article 66-2, il n’en demeure pas moins que nous sommes sous le Titre VIII, consacré à « l’autorité judiciaire ». On voit déjà mal en quoi ce droit à l’IVG serait dans le titre où y figure la peine de mort et l’interdiction de la détention arbitraire. L’ article 1er de la Constitution aurait été plus judicieux en ce qu’il évoque l’égalité entre les sexes, ou du moins leur non-discrimination. Le fait de mettre le droit à l’avortement aussi loin dans la Constitution n’est pour le coup pas très symbolique. Si le pouvoir constitué de révision avait voulu frapper un grand coup, c’est au-devant de la Constitution que ce droit aurait dû être inscrit.

    La qualité rédactionnelle

    Telle qu’issue de l’amendement d’un député centriste, elle laisse perplexe.

    Pour rappel, la proposition de loi dispose que :

    « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ».

    Il y a déjà deux problèmes.

    Premièrement, les notions d’« effectivité » et « l’égal accès » sont par nature indéterminées. Ces énoncés linguistiques contiennent une gradualité normative, il n’y a pas d’univoque entre l’énoncé et la norme qu’il renferme. Ainsi, le terme « effectivité » ne renvoie à rien de concret. L’effectivité peut très bien être minimale (gratuité de l’IVG par exemple) ou maximale (prise en charge optimale de la femme) voire intermédiaire (meilleures conditions possibles).

    L’énoncé « l’égal accès au droit » est aussi par nature plurinormatif, renfermant plusieurs significations possibles selon là aussi une logique de gradualité. Les termes choisis ont une texture ouverte ( hart ), les mots n’ont de signification que dès lors qu’ils sont interprétés dans un contexte déterminé. Or, la signification de l’énoncé est le fruit d’un acte de volonté des opérateurs juridiques, notamment l’interprète-authentique (interprète au-delà duquel aucune censure n’est possible).

    Ainsi, par le choix de ces termes, la protection de l’IVG est affaiblie par gradualité dans l’interprétation.

    Deuxièmement, qu’en inscrivant cette disposition dans la Constitution renforcerait le droit à l’IVG est assez illusoire et relève d’un certain mysticisme constitutionnel.

    En raison même de leur caractère indéterminée, le législateur pourra librement naviguer dans cette « texture ouverte » et pourra toujours concilier un objectif de valeur constitutionnelle (comme la protection de la santé) avec ce nouveau droit acquis afin d’en diminuer la portée.

    À cet égard, pour les questions sensibles (sociétales notamment), le Conseil constitutionnel fera preuve de déférence (par sa célèbre formule : « La Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir d’appréciation de même nature que le Parlement » (décision 74-54 DC du 15 janvier 1975, IVG) puis opérera un strict contrôle de proportionnalité entre l’objectif poursuivi et l’atteinte portée au droit.

    Ainsi, le législateur pourrait assez facilement réduire l’effectivité de ce droit.

    C’est là un oubli du pouvoir constitué de révision : les droits fondamentaux doivent forcément être conciliés avec d’autres droits fondamentaux ou équivalents. Donc, inscrire le droit dans la Constitution n’empêche pas de durcir les conditions du recours à l’avortement à l’occasion d’une réforme législative.

    Concluons sur les justes mots de Guillaume Drago :

    « La Constitution est l’expression juridique de la stabilité de la société. Il faut la respecter et ne pas y inscrire tout ce qui fait nos libertés et droits fondamentaux ».